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  • Wednesday 17 April 2024 - 02:00

    Lectures : Réseaux de domestication et complexification artificielle de la communication

    Réseaux sociaux

    Petit rappel pour toutes les personnes qui mettent en évidence un peu partout leurs profils X/Twitter et LinkedIn. Ces réseaux sont fermés. Toute personne qui n’a pas de compte ne pourra pas accéder à votre profil. Et si elle en a un, mais que, pour une raison ou une autre, elle n’est pas connectée.

    Facebook et Instagram ont fait pareil dans le passé, mais permettent, pour le moment, d’avoir accès à certaines informations restreintes sur votre profil (à condition d’arriver à passer tous les bandeaux tentant de vous forcer à vous connecter et de vous fourguer des cookies).

    C’est spécialement inquiétant pour tous ces professionnels qui tentent à tout prix de mettre en avant leur profil LinkedIn. Ou tous ces candidats aux prochaines élections.

    Vous croyez vous promouvoir grâce à ces réseaux ?

    C’est tout le contraire. Vous faites la promotion de ces produits. Et vous perdez certainement beaucoup de personnes en cours de route (car, non, tout le monde n’a pas un compte et ceux qui en ont ne sont pas nécessairement connectés dessus sur tous les appareils qu’ils utilisent). Ces réseaux sont un mensonge !

    Comme le dit très bien Seirdy, le but de ces réseaux est de domestiquer les utilisateurs (ici, il parle de Whatsapp, mais c’est pareil)

    Si vous cherchez une certaine visibilité, la moindre des choses est une page web minimale accessible à tou·te·s. Ou, à défaut, un compte Mastodon. Car, contrairement à tous les réseaux propriétaires susnommés, on peut parcourir un profil Mastodon sans avoir de compte (ni même sans n’avoir jamais entendu parler de Mastodon).

    ChatGPT et Ploum.net

    Un page perso, c’est un truc dont le sociologue des médias Grégoire Lits comprend très bien l’importance.Inspiré par mon blog, mais ne sachant pas coder en python, Grégoire Lits a demandé à ChatGPT de lui fournir le code.

    L’expérience est très intéressante et me renforce dans ma conviction que les IA sont des outils qui ont leur utilité, mais ne sont pas "révolutionnaires". Parce que tout ce que Grégoire a fait, il aurait pu le faire sans ChatGPT, mais en utilisant des forums et des manuels. Il aurait peut-être pris plus de temps pour sa solution initiale (je dis "peut-être" car il déclare avoir passé "4h" dessus, mais je sais d’expérience que le temps de travail effectif peut changer d’un ordre de grandeur selon la manière dont on le mesure et que Grégoire maitrisait déjà beaucoup de choses).

    L’effort se mesure également sur le long terme : j’ai personnellement passé beaucoup du temps au début à produire ce qui génère ce blog (en fait majoritairement pour la production d’emails), mais, désormais, lorsque je dois modifier quelque chose, cela me prend littéralement quelques minutes. Et je ne dois pas faire de mises à jour, m’adapter à une quelconque mise à jour sous-jacente. J’ai déjà rentabilisé au centuple le temps passé par rapport à un Wordpress.

    Grégoire est très conscient de ce qu’il fait et ce qui rend sa démarche hyper intéressante c’est qu’il ne l’a pas vu comme une manière d’être productif, mais une manière de se former. Il utilise ChatGPT pour apprendre à ne plus dépendre de ChatGPT. C’est pour moi un excellent usage de ce genre d’outils.

    Cela semble plus rapide et personnalisé que l’utilisation des forums comme je le faisais il y a 25 ans. Par contre, on perd le côté humain d’apprendre à se connaitre l’un l’autre, de découvrir des trucs inédits par sérendipité et de se rencontrer pour discuter en vrai. Mais on va dire qu’on avait déjà perdu ce côté "communautaire" lorsque les forums ont été remplacés par des géants comme StackOverFlow.

    La question primordiale c’est que, comme Grégoire l’indique, il ne comprend pas le code qui fait tourner son site. Ce code pourrait potentiellement effectuer des actions inutiles, voire nocives. Ce n’est pas nouveau : copier/coller du code de StackOverFlow comporte les mêmes risques.

    Et c’est là tout le paradoxe des AIs : auditer du code est beaucoup beaucoup plus difficile que d’en écrire du neuf. C’était moins fatigant pour moi de construire un générateur de site statique à partir de rien que d’apprendre à utiliser un existant !

    Fatigue attentionnelle

    C’est ce qu’on appelle « la fatigue attentionelle ». Un humain peut être concentré sur sa tâche pendant des heures s’il fait quelque chose. Mais s’il doit uniquement être attentif sans rien faire, son esprit va très vite s’endormir. C’est l’équivalent de compter les moutons pour s’endormir.

    D’ailleurs, nous le savons tous. Préférez-vous être dans un taxi traditionnel, avec un chauffeur qui conduit ou bien un taxi entièrement automatique, mais, comme il n’est pas entièrement sûr, il y a quand même un chauffeur qui ne fait rien, qui se contente de surveiller le pilote automatique du coin de l’œil tout en jouant avec son smartphone ?

    C’est une critique de l’intelligence artificielle dont on ne parle pas assez : si ce qui est produit automatiquement par un algorithme doit être vérifié par un humain, cela coûte très souvent plus cher que de le faire produire par un humain directement. Les IA des fameux magasins physiques Amazon qui permettaient de détecter tout ce que vous mettiez dans votre sac pour vous permettre de sortir sans passer par une caisse étaient en fait… des centaines de travailleurs en Inde scrutant les caméras de surveillance. La blague à la mode est de dire que « IA » est l’acronyme de « Indiens Absents ».

    Pareil pour ce service expérimental de taxis sans-conducteur aux États-Unis. Les voitures étaient, en cas d’urgence, pilotées à distance. Les calculs ont montré qu’au total, la firme employait en moyenne 1,6 chauffeur par voiture. L’IA ne détruit pas l’emploi : elle ne fait que les rendre encore plus merdiques.

    Inclassable

    Car, surtout sur le Web, il a toujours fallu faire attention à ce qu’on lisait. Les blagues potaches étaient la norme, parfois avec un très haut degré de réalisme. Je ne résiste pas à vous partager cette récente trouvaille : le fromage à base de lait de baleine.

    C’est particulièrement réaliste et bien foutu. Qu’en pense Paul Watson ?

    Le prix de notre inculture

    Depuis quelques années, mon objectif n’est pas de découvrir de nouveaux outils informatiques, mais, au contraire, d’en utiliser le moins possible, mais de les utiliser à fond. Avec Neovim comme éditeur, les outils Unix, Pandoc et des scripts Python ou Bash et Git comme gestionnaire, je fais absolument tout ce dont j’ai besoin d’une manière incroyablement efficace. Durant les examens de mes étudiants, je me suis surpris à faire un simple fichier markdown avec mes remarques et à calculer simplement les moyennes en passant le fichier à travers quelques pipes Unix. Bref, à faire de l’Excel sans même y penser.

    Peut-être que mes besoins sont minimes ? Pas nécessairement. Adam Drake a démontré qu’utiliser de relativement simples pipelines Unix pouvait être 100x plus rapide pour faire du traitement massif de données que d’utiliser les outils dédiés.

    C’est comme les AI : toutes les solutions que l’on nous vend ne permettent rien de révolutionnaire. Elles font juste pire que les anciennes solutions tout en se prétendant plus faciles à court terme (ce qui n’est même pas toujours vrai).

    Ce que nous achetons très cher, c’est essentiellement notre inculture informatique.

    Plutôt que de sauter de pages web en pages web à la recherche de la dernière nouveauté révolutionnaire, on devrait passer plus de temps à s’asseoir pour lire un livre dont la qualité est validée par 10, 20 ou 100 ans d’existence. Oui, même en informatique, on apprend plus en lisant des livres qui ont 20 ans qu’en testant toutes les nouveautés à la mode.

    Fatigue oculaire

    D’ailleurs, le livre nous reposerait les yeux. On savait déjà que les réseaux sociaux bouffent votre temps, vous font détruire la planète à cause de la publicité, vous rendent dépressifs. Mais, en plus, ils sont mauvais pour les yeux. Surtout quand il faut scroller.

    J’avoue que je ne supporte pas le scroll. J’ai un téléphone eink et, si je dois lire un site dessus, j’utilise le navigateur einkbro qui permet de naviguer page par page. C’est marrant parce que, au départ, cette fonctionnalité sert à contourner les déficiences techniques de la technologie eink qui est trop lente pour permettre le scroll. Mais, en réalité, c’est bien plus agréable.

    Et sur mon laptop, je n’arrive plus à lire quoi que ce soit en dehors de… less. Une commande Unix qui a presque mon âge (et qui est toujours développée). Comment lire le web dans less ? Tout simplement avec Offpunk, qui m’affiche un texte bien centré. Quand j’arrive au bout de l’écran, j’appuie sur la barre espace pour passer à la page suivante.

    Le truc qui est intéressant avec Offpunk, c’est de constater que la majorité du code sert à tenter de retrouver le texte original que l’auteur a produit avant que cela ne soit transformé en une bouillie vaguement apparentée à du HTML. Offpunk est donc une sorte d’anti-logiciel, de démerdificitateur du web.

    C’est le même principe que le mode "lecture" de votre navigateur ou votre bloqueur de pub : essayer de retrouver l’information originale au milieu de toute la merde rajoutée par les intermédiaires.

    Cette expérience me rend particulièrement dubitatif au sujet de l’utilité des générateurs de texte "intelligents": les deux cas d’usage les plus cités sont, premièrement, la génération d’un texte sur un sujet à partir d’une très courte description (un « prompt ») et, deuxièmement, la faculté de résumer un texte trop long pour en tirer l’information essentielle.

    Vous voyez où je veux en venir…

    Le Web, à la base, c’est « Produire du texte -> Protocole HTTP -> Lire le texte ».

    C’est ensuite devenu : « Produire du texte -> Merdifier avec du JS et des pubs -> protocole HTTP -> démerdifier avec adblocks et mode lecture -> lire le texte ».

    Désormais, on est entré dans la phase « Avoir une idée de texte -> IA pour générer du contenu -> merdifier avec du JS et des pubs -> protocole HTTP -> démerdifier avec adblocks et mode lecture -> IA pour résumé et trouver l’idée originale -> espérer que le résultat est l’intention initiale de l’auteur ».

    C’est peut-être pour cela que j’aime tant bloguer et lire des blogs depuis 20 ans. J’ai l’impression d’échanger des idées directement d’humain à humain, sans intermédiaire. Merci à vous pour cet échange permanent et tellement enrichissant !

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

    Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du coffret libre et éthique « SF en VF ».

  • Thursday 11 April 2024 - 02:00

    Lectures : de la distraction à la destruction (de la planète)

    Art, amusement et distraction

    C’est marrant, je me demandais pourquoi j’entendais du Michael Jackson partout, depuis les magasins de ma ville aux vestiaires de la piscine. La réponse est simple : Sony vient d’acquérir tout le catalogue pour 1,2 milliard de dollars. Un artiste mort, c’est quand même plus rentable qu’un jeune. En France, on fait pareil avec Johnny Hallyday. Comme quoi, quand ça l’arrange, l’industrie est capable de faire du recyclage.

    J’ai appris cela dans cet excellent article de Ted Gioia (The Honest Broker) qui revient sur la différence entre l’art et l’amusement (l’entertainment) et sur le fait que si l’art est menacé par l’entertainment, ce dernier est lui-même menacé par le business de… la distraction.

    Les gens ne paient plus pour l’art, car ils préfèrent l’amusement facile. Mais ils n’ont plus le temps pour l’amusement facile, remplacé par de la distraction distillée, de manière infinie, par touches de quelques secondes. Avec le sentiment de « C’est juste quelques secondes, j’arrête quand je veux » et, au bout de la journée, des heures perdues à ne strictement rien faire. Je comparais d’ailleurs cette propension à celle de s’empiffrer de sucre industriel.

    Et, comme le sucre, l’énorme problème de la distraction, c’est qu’elle est addictive.

    Pour les créateurs et les artistes, il est impossible de lutter. C’est un fait. Mais il est très difficile de l’accepter. De ne pas sombrer dans la mouvance en tentant de créer des contenus de plus en plus courts, formatés sur ce qui est à la mode. L’artiste lui-même devient addict à son compteur de likes, aux statistiques de son site web. Il est distrait et crée lui-même de la distraction.

    Ces 20 années de blog m’ont appris que je finissais toujours par regretter d’avoir cédé aux appels de la mode, des nouvelles tendances, des plateformes propriétaire, de l’autopromotion.

    Cela me demande une certaine discipline de ne pas me demander pourquoi mon compteur de followers Mastodon a soudainement fait un bond ou un creux. De ne pas tenter de discuter ou, pire, de faire une blague pathétique de type « J’espère te revoir bientôt » quand quelqu’un m’écrit pour me dire qu’il n’arrive pas à se désabonner de ma mailing-liste.

    Je suis addict à la reconnaissance. J’adore recevoir vos emails, dédicacer des livres. Mais, et cela me sauve peut-être, je ne supporte pas la « fausse reconnaissance ». Je veux être reconnu pour mon travail, pas pour avoir fait des cumulets à la télévision (je parle d’expérience). Il m’a fallu 20 ans pour comprendre que la meilleure façon d’être reconnu pour mon travail était… de travailler et non chercher la reconnaissance.

    Vingt ans que j’écris publiquement. Vingt années qui ont été nécessaires pour préparer les vingt prochaines, pour me permettre de découvrir ce que j’ai besoin écrire plutôt que de tenter de deviner ce qu’un hypothétique public « veut ». Vingt ans pour apprendre que voir se construire son œuvre sur le long terme m’apporte plus de dopamine que tous les likes instantanés.

    Dédicaces et rencontres

    Puisse qu’on parle dédicaces, justement. Je serai à Paris ce samedi 13 avril. D’abord au Festival du livre de Paris de 13h30 à 15h sur le stand « Livre Suisse » (B21).

    Et puis, à partir de 16h, avec Gee à la librairie « À Livr’Ouvert », boulevard Voltaire.

    Mon éditeur, PVH, offre l’apéro avec des spécialités de Neuchâtel ! Je dédicacerai des exemplaires de Printeurs et de Stagiaire au spatioport Omega 3000. En attendant le prochain, prévu cette année…

    Physique quantique et Relativité

    Dans Printeurs, j’imaginais un système de communications instantanées traversant les cages de Faraday grâce au « quantum entanglement ». Du nom de cette propriété quantique qui fait que deux particules quantiques sont liées et partagent le même état, même à distance.

    Pas de bol, ce n’est théoriquement pas possible.

    En fait, aller plus vite que la lumière remet en cause le principe même de causalité. Ce qui est un petit peu ennuyant.

    Mais Printeurs reste très bien, lisez-le ! SyFantasy en dit que c’est « Un brin plus violent et anticapitaliste que le Neuromancien de Gibson ». J’en suis très fier.

    Parodie

    En parlant de Suisse et de PVH, Julien Hirt débarque dans la collection Ludomire et devient, par la même occasion, mon collègue. Je viens de dévorer son « Carcinopolis » et j’ai adoré cette ambiance sombre, presque lovercraftienne, d’une ville dont les bâtiments sont des cellules cancéreuses. Julien semble détester la cigarette presque autant que moi.

    Julien tient également un blog où il analyse les ressorts de la théorie du récit, un sujet qui me passionne. Bon, sinon, il a aussi pondu un excellent foutage de gueule des récits de Fantasy.

    J’ai éclaté de rire avec le coup de l’épée du destin achetée en solde chez Décathlon. Ça m’a rappelé que j’avais fait un truc similaire sur les chasses au trésor. Il y a… 17 ans. Cela ne nous rajeunit pas !

    L’emprisonnement Discord

    Pour une raison que je n’explique pas, tout le monde semble préférer des salons de discussions propriétaires. Alors que les solutions libres existent, certaines depuis des décennies : IRC, MUC XMPP ou, plus récent, Matrix, Slack reste la norme en entreprise et Discord pour tout le reste, y compris les projets Open Source.

    Pourtant, ce sont de belles saloperies. Slack permet à votre employeur d’avoir accès à tout votre historique de conversation, même privé. Discord, dans ses conditions d’utilisation, stipule que vous abandonnez tout droit de poursuivre Discord en justice en cas de conflit. Légalement, ils sont obligés de vous laisser le choix de refuser cette clause, ce qui doit être fait par email. À chaque fois que les conditions d’utilisation sont modifiées par Discord.

    Et si vous mettiez un peu de pression dans vos communautés Discord/Slack pour migrer vers une alternative libre et décentralisée ? Par exemple Matrix ! Où l’email… J’adore l’email !

    L’email et le texte

    Un email, c’est la plupart du temps un simple texte. Alors, pourquoi se casser la tête à en faire du HTML ? Pire : les mails en HTML sont dangereux, car ils peuvent se modifier lorsque vous les faites suivre.

    Utilisez le texte brut dans vos emails !

    Pour ceux qui, comme moi, n’aiment pas les mails HTML, je rappelle que vous pouvez recevoir mes billets en texte brut en vous abonnant sur la mailing-liste dédiée :

    C’est également top pour votre vie privée et pour mon addiction à la reconnaissance, car je n’ai aucune visibilité sur les abonnés (pas même le nombre). Mais, en toute honnêteté, j’ai l’impression que les amateurs d’emails en texte brut sont également les personnes les plus susceptibles de préférer le RSS voire même Gemini. Allez savoir pourquoi…

    Les mensonges d’Apple

    Le principe de la publicité, c’est de mentir. Lorsqu’Apple prétend protéger votre vie privée, c’est faux. Oh, bien sûr, ils ont décidé de partager moins d’infos avec Meta. Mais ils se font payer l’équivalent d’un Twitter chaque année pour envoyer vos données vers Google. Et puis, bien entendu, ils exploitent eux-mêmes vos données.

    Ce n’est pas moi qui le dis, mais une étude qui a tenté de mesurer l’impact des paramètres de protection de vie privée sur les produits Apple.

    L’humain est paradoxal. Il veut faire comme tout le monde, faire partie du groupe. Mais il veut également avoir une identité propre, être différent. C’est un paradoxe typique de l’adolescence, mais, visiblement, tout le monde n’en sort pas.

    Le génie d’Apple est d’avoir réussi à convaincre plusieurs milliards de clients (qui a dit « pigeons » ?) qu’Apple était un truc de rebelle, un truc unique, différent. Mais que tout le monde l’utilisait. Donc qu’en utilisant Apple, on était un rebelle comme les autres.

    Si ça parait complètement stupide, c’est parce que ça l’est. C’est le principe d’une religion : convaincre les gens d’un truc tellement stupide qu’ils n’oseront jamais s’avouer s’être fait avoir et s’enfonceront. J’appelle cela « Le coût de la conviction ».

    Étant donné son budget, Apple peut payer d’excellents ingénieurs qui produisent parfois d’excellentes choses, il faut le reconnaitre. Dans d’autres cas, on sent que c’est le département marketing qui a pris le dessus.

    Pendant quelques années, j’ai utilisé un mac pour mon travail. Je me suis prêté honnêtement au jeu, je me suis immergé dans le système MacOS. C’est certes très joli. Quand je suis revenu sous Debian et Ubuntu, j’ai réalisé à quel point j’avais inconsciemment accepté de me compliquer la vie ou d’acheter un petit logiciel pour faire des trucs qui prennent une ligne de commande sous Linux. Mais, je le répète, c’était joli. Les produits Apple sont littéralement pensés pour faire cool dans une publicité.

    Censure

    Cette allégeance à Apple, Google, Discord et d’autres est ce que Yanis Varoufakis appelle le capitalisme féodal. En tant que paysan, on prête allégeance à un seigneur (voire plusieurs). On promet d’obéir à leurs lois et, en échange, ils nous protègent et nous permettent d’utiliser leurs services. C’est bien, non ? Et puis, ils font ça pour notre bien. Ceux qui disent que, par exemple, Facebook va censurer ce qui ne lui plait pas sont des conspirationnistes qui exagèrent.

    Sauf que non. Facebook censure désormais les médias qui critiquent Méta. Ils ont également censuré tout ce qui parle de Mastodon. Ah oui, au fait, ils censurent également ce qui parle du réchauffement climatique parce que c’est sujet à « controverse ».

    Au fait, on dit « réchauffement climatique », pas « changement climatique ». Le mot « global warming » était la norme jusqu’à ce que l’industrie du pétrole paie des spécialistes en propagande pour trouver une alternative qui serait moins effrayante. Ils ont pondu « climate change » qui donne l’impression que ce n’est pas dramatique et que c’est un processus naturel. Ils ont ensuite lobbyé de manière intense pour que le mot « global warming » disparaisse du discours officiel.

    Ils ont réussi.

    Un peu comme ont réussi ceux qui, malgré les avertissements de Richard Stallman, ont imposé qu’on dise « open source » au lieu de « logiciel libre ».

    Les intérêts financiers tuent la planète à coup de modifications de notre vocabulaire.

    L’obsolescence programmée d’Android

    À lire sur ce sujet, une longue discussion avec Agnès Crepet, responsable longévité chez Fairphone. Je préviens les puristes, tout est en franglais (ce qui est compréhensible vu qu’elle bosse en anglais aux Pays-Bas), mais Walid a fait un travail de dingue pour retranscrire en expliquant les mots problématiques, c’est super intéressant et cela explique beaucoup des difficultés de Fairphone. Un truc m’a frappé : la principale source d’obsolescence d’un Fairphone est la non-mise à jour des firmwares propriétaires par les fabricants.

    Comme c’est propriétaire, on ne peut rien faire. Mais comme on met à jour la version d’Android, l’ancien firmware ne fonctionne plus ou n’est plus considéré comme sécurisé par le noyau.

    Un exemple de plus pour démontrer en quoi le code propriétaire est fondamentalement néfaste.

    Je n’avais jamais compris pourquoi les fabricants de matériel voulaient garder secrets leurs micrologiciels. Ils ne gagnent de toute façon pas d’argent sur le code, non ?

    Mais si le code est open source, le matériel dure plus longtemps. Et donc on en vend moins. Le code propriétaire est donc une merdification volontaire pour polluer plus. Soyez écolos, exigez du logiciel libre !

    Le texte est également l’occasion de prendre un fameux coup de vieux. Agnès est en effet une co-fondatrice de la (très chouette) conférence Mix-IT, à Lyon. Elle m’avait invité à donner la keynote d’ouverture lors de l’édition de… 2014. Putain, 10 ans !

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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  • Monday 08 April 2024 - 02:00

    About Freedom and Power

    Freedom is the right to do whatever you want. Power is the right to force others to do what you want. Power is, by definition, being able to restrict others’ freedoms.

    Copyleft is a tool that gives you freedom but no power.

    Permissive licenses give freedom and power, allowing already powerful people to restrict the freedoms of others.

    That’s why powerful people (and those dreaming of being powerful) don’t like copyleft. When you are accustomed to the privilege of power, freedom of others sounds like oppression.

    Don’t listen to the powerful people. They will tell you that you need to protect powers just in case you become powerful yourself. They will tell you that you need to be against taxation just in case you become rich yourself. That you are a "temporary embarrassed millionaire". Similarly, they’ve told you to use MIT/BSD license because you could later become a "billionaire proprietary software tycoon" with your lines of code.

    That’s, of course, a lie. They already are the barons. They want to use your own lines of code to restrict your own freedoms. We should not admire powerful people but fight them.

    You may dream of power but all you need is freedom.

    We need to protect freedom, not power. We need to respect humans, not bosses nor commercial interests.

    Offer a little freedom: use copyleft licenses!

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

    If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books and subscribing to my newsletter in French or RSS. I also develop Free Software.

  • Thursday 04 April 2024 - 02:00

    Une bulle d’intelligence artificielle et de stupidité naturelle

    La technologie derrière ChatGPT, Dall-E et autres n’est pas révolutionnaire, elle est spectaculaire. C’est très différent. Et, comme souvent, le spectaculaire attire une attention démesurée du grand public par rapport aux capacités réelles de la technologie. C’est ce qu’on appelle « une bulle ».

    Et une bulle, ça finit toujours par imploser.

    Mais en vrai, c’est quoi l’intelligence artificielle ?

    Rappelons qu’un logiciel est un ensemble d’instructions données à un ordinateur par un programmeur pour donner un résultat (un « output ») basé sur des paramètres modifiables (« l’input »). Un programme « classique » est donc un programme qui donnera toujours un résultat prévisible. Je vous expliquais d’ailleurs cela en détail dans un article précédent.

    Ce que nous appelons « intelligence artificielle » est un ensemble de techniques, parfois très diverses, pour qu’un logiciel puisse être « entrainé ». Au lieu de définir exactement comment va fonctionner le logiciel, on va lui fournir des « données d’apprentissage » pour qu’il en tire une forme de moyenne statistique. Exemple : lui montrer des photos de terroristes et des photos de gens innocents pour, ensuite, tenter de voir s’il détecte des terroristes inconnus parmi une foule sur laquelle on n’a aucune information.

    Mais qui est responsable si le programme développé de cette manière désigne un innocent comme terroriste et entraine son élimination par un drone ? Le programmeur qui a développé l’algorithme ? Il n’avait pas conscience du cadre d’utilisation, il a juste fait un logiciel pour différencier deux types de personnes sur base de photos. Celui qui a sélectionné les données et qui a « oublié » d’inclure des barbus parmi les innocents ? Celui qui, à la base de tout ça, a imaginé qu’un terroriste était reconnaissable à son visage ?

    La fameuse intelligence artificielle, ce n’est que ça : des algorithmes statistiques sont très utiles dans certains cas très spécifiques à condition d’être très surveillés. Mais qui diluent toute responsabilité en cas d’erreur.

    Un algo de type ChatGPT ne fait pas autre chose : pour simplifier à outrance, il prend à chaque fois le texte de la conversation et tente de prédire quel mot a la plus grande probabilité de suivre. Il prend littéralement tous les mots de son dictionnaire, les rajoute à la fin de la phrase et évalue un score pour le texte résultant basé sur la moyenne statistique calculée durant son apprentissage.

    Si je lui demande :

    Ploum: Quelle est la couleur d’un schtroumpf ?

    Il va voir que, dans toutes ses données d’apprentissage, la suite de mot « Quelle est la couleur de X ? La couleur de X est » est plus probable que « Quelle est la couleur de X ? Banane volante à pistons ». Du coup, il répond :

    IA: La couleur de…

    Ben oui, parce que ça fonctionne aussi pour la couleur d’un marsupilami ou de n’importe quoi d’autre. C’est une des raisons qui fait que ChatGPT ne vous répond pas platement « bleu » comme n’importe quel humain le fait. Parce que dans ses données d’apprentissage apparait régulièrement qu’une réponse commence souvent en reformulant sa question.

    IA: La couleur d’un schtroumpf est…

    Cette reformulation reprend des parties de la phrase. Ce n’est pas du tout évident, mais cela donne l’impression que ChatGPT comprend ce qu’il dit. C’est faux. C’est simplement le plus probable parmi les milliards de possibilités de la langue française (ou de la langue schtroumpf).

    IA: La couleur d’un schtroumpf est bleue

    Parce que, dans tous les textes du corpus où apparait le mot « schtroumpf », c’est le mot « bleu » qui revient le plus souvent et qui est souvent associé avec le mot « couleur ».

    Évidemment, ce qui est le plus probable n’est pas toujours ce qui a le plus de sens. Les personnages générés par Dall-E ont, par exemple, souvent bien plus de doigts que nécessaire. Pour une raison toute simple : sur une image, la probabilité est très grande que ce qui est à côté d’un doigt soit un autre doigt. En fait, si vous me montriez une partie de photo représentant un doigt en me demandant de parier sur ce qu’il y a juste à côté, j’aurais tout intérêt à répondre : « un autre doigt ! ». Ce n’est pas une hallucination, c’est un résultat entièrement logique, statistique !

    Quelques exemples de poignées de mains générées par AI. Les doigts sont innombrables.
    Quelques exemples de poignées de mains générées par AI. Les doigts sont innombrables.

    Des résultats techniques spectaculaires…

    Nonobstant ce que nous appelons des « hallucinations » (un mot choisi à dessein pour anthropomorphiser et rendre encore plus attirantes et mystiques les IA), les résultats sont très impressionnants, spectaculaires, imprévus. C’est un véritable show qui nous est offert dont les hallucinations font intégralement partie.

    À la base de tous les ChatGPT et consorts, on trouve une nouvelle méthode de programmation appelée « Transformers » (oui, comme les robots de mon enfance) inventée par 8 types chez Google (qui sont, depuis, tous partis pour fonder leur startup AI sauf un qui a fondé une startup blockchain).

    Le papier décrivant la méthode est devenu un « landmark paper ». Pour les spécialistes, il est bouleversant, car il introduit de nouvelles techniques, de nouvelles perspectives. Mais, pour le grand public, il n’est finalement qu’une énième optimisation (impressionnante, je le répète) de méthodes de machine learning qui existent et s’améliorent depuis 40 ans. La grosse révolution, outre une amélioration significative des performances générales, c’est d’avoir permis une mise en parallèle des calculs. Du coup, plutôt que de devoir sans cesse optimiser des algorithmes ou créer des superordinateurs, on peut se contenter de mettre beaucoup d’ordinateurs en parallèle. Beaucoup comme dans « beaucoup beaucoup beaucoup ». Et donc multiplier les performances des algorithmes existants. Ce qui est très cool mais, selon ma définition, pas vraiment « révolutionnaire ».

    Ces améliorations de performances ont permis d’entrainer les algorithmes sur des quantités astronomiques de données. De l’ordre de « tout ce qui nous tombe sous la main ». Et de créer des produits attractifs pour le grand public (ChatGPT, Dall-E, …) alors qu’à la base, l’algorithme visait surtout à automatiser les traductions.

    Un enthousiasme naïf qui l’est encore plus !

    Si ces nouvelles techniques sont spectaculaires, la vitesse avec laquelle les investisseurs et les entreprises se sont engouffrées dans le buzz l’est encore plus. Comme le dit très bien Cory Doctorow, de nombreuses boites AI se sont créées avec des technologies incapables de remplacer un travailleur humain, mais avec une équipe marketing capable de convaincre votre patron que c’est bien le cas.

    Et chaque patron découvrant ChatGPT se sent soudain dans l’urgence d’investir dans l’AI, de peur que le concurrent le fasse avant lui. C’est parfois très con un CEO. Surtout quand ça a peur de rater le coche.

    Petit aparté : si vous apprenez l’existence d’une technologie à travers la presse généraliste, c’est trop tard. C’est que vous êtes le dernier couillon à en ignorer l’existence. Et c’est vous qui allez constituer la dernière couche de la pyramide de ponzi qu’est la bulle spéculative sur ce sujet. Bref, vous êtes le pigeon. Face à un enthousiasme exubérant dans un domaine qui n’est pas le vôtre et sur lequel vous arrivez sur le tard, il n’y a qu’une chose à faire : rien. Attendre que tout se tasse et tirer les leçons des échecs ou réussites des uns ou des autres.

    Se jeter dans la bulle AI, c’est un peu comme aller voir Titanic en pariant qu’il ne va pas couler à la fin. D’ailleurs, ils sont déjà en train de se casser la gueule : les fournisseurs d’AI ont dépensé 50 milliards de dollars pour des pelles, pardon des puces Nvidia et ont fait… trois milliards de chiffre d’affaires. L’action Nvidia, elle, a vu sa valeur multipliée par 9 en 15 mois. Comme dit le proverbe « Pour s’enrichir durant une ruée vers l’or, vendez des pelles ! »

    Tous les CEO qui ont investi dans l’AI commencent à se rendre compte que c’est, en fait, très compliqué ce machin, qu’il y a peu de résultats, qu’on ne peut pas faire confiance dans ces résultats et qu’ils ne dorment plus la nuit par peur que des données privées soient exposées par les AI ou qu’ils soient attaqués pour non-respect du copyright.

    D’ailleurs, je vous alertais déjà l’année passée sur la problématique d’utiliser des datas privées pour entrainer une IA et sur le fait que, à un moment ou un autre, un petit malin arriverait à les faire ressortir. Ou, du moins, à faire croire qu’il les a ressorties, même si ce sont des hallucinations.

    La fin du film est encore plus prévisible qu’un Marvel du mois d’août : les boites IA commencent à couler.

    La décadence et la chute

    La technologie a beau être géniale, elle nécessite énormément d’électricité et coute un pognon de dingue. Et puis il faut l’entrainer sur le plus de données possible. C’est-à-dire sur tout ce qui a jamais été posté sur Internet auquel on a accès. Sauf que, ben… ce n’est pas suffisant. Surtout que les gens ne postent plus sur Internet, mais sur des plateformes privées avec lesquelles il faut signer des contrats pour avoir accès aux données.

    Pour résumer, on assiste, comme d’habitude, à une belle bulle, une parfaite ruée vers l’or. Avec des vendeurs de pelles (Nvidia) et des vendeurs de mines (Reddit, Facebook et tous ceux qui ont les données). Les mineurs vont, pour la plupart, faire faillite. Toute bulle finit par imploser. La seule question est de savoir si ce que la bulle laissera comme débris sera utile (comme l’ont été les infrastructures réseau financées pendant la bulle du web en 2000) ou s’il ne restera que ruines et destruction (comme la bulle des subprimes en 2008).

    Ces dernières sont les pires bulles : elles détruisent activement une infrastructure existante. Exactement ce que la bulle AI est en train de faire avec le web en le merdifiant au-delà de tout espoir de sauver quoi que ce soit. Et en pourrissant toutes les données avec lesquelles s’entraineront les prochaines générations AI.

    La bulle actuelle est peut-être en train d’utiliser la connaissance accumulée pendant des décennies pour la diluer irrémédiablement dans sa propre merde, détruisant, en quelques mois, le travail de milliers de chercheurs pour les décennies à venir. Car, dans dix ans, comment pourra-t-on créer des jeux de données importants dont on soit sûrs qu’ils ne contiennent pas de données générées par d’autres algorithmes ?

    Finalement, l’AI ne fait que répéter, en vitesse accélérée, ce que le consuméro-capitalisme inspiré d’Ayn Rand applique à toute la planète depuis Thatcher et Reagan : promettre un futur incroyable en détruisant le présent pour en revendre les décombres dix fois le prix, ne léguant finalement que des cadavres, des ruines fumantes, des déserts de déchets et un air irrespirable.

    Je me pose cette simple question : et maintenant ?

    On a ChatGPT, on a Dall-E. On ne peut pas leur donner plus de données d’apprentissage. On ne peut pas leur donner plus d’électricité ni plus d’ordinateurs. Les augmentations de performance purement algorithmique sont incroyablement rares, difficiles et imprévisibles. Du coup, on fait quoi avec nos bots de discussion qui spamment tous le web ? On rend les codeurs plus rapides avec Github Copilot ? Super, on va pondre encore plus de code que personne ne comprend, dont personne n’a la responsabilité. Mais pourquoi ?

    Beaucoup pensent que ChatGPT est l’aube d’une révolution, d’un nouveau paradigme. Je pense, au contraire, qu’il représente la fin, l’aboutissement technologique à la fois des techniques algorithmiques, mais également de la parallélisation et de la mise en réseau globale des connaissances humaines.

    Nous avons trop souvent tendance à confondre l’aube avec le crépuscule.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

    Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.

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  • Tuesday 02 April 2024 - 02:00

    Changements de paradigmes

    Lorsque je lisais, dans les années 1990, des Spirou et Fantasio se passant dans les années 50 ou 60, le monde me semblait très proche du mien. Certes, les voitures avaient des formes différentes, les téléphones avaient des cadrans rotatifs à la place des touches, il y avait des pompistes pour servir l’essence et des juke-box à la place des chaines hifis. Mais, globalement, tout était reconnaissable.

    Lorsque mon aînée a dû passer un test de vue, vers 5-6 ans, l’ophtalmologue lui a demandé de reconnaître des images stylisées sur une vieille diapositive.

    — Une maison !

    Il s’approche alors de nous et nous dit qu’elle a un gros problème de vue. Mon épouse et moi nous écrions en même temps : « Mais c’est un téléphone à cadran ! Un objet qu’elle n’a jamais vu de sa vie et dont elle n’a même pas entendu parler ! »

    En 2007 est apparu le smartphone, qui succédait au GSM lui-même popularisé fin des années 90, début des années 2000. Un GSM qui, jusque là, à cause de son coût et de son manque de réseau, ne remplaçait jamais totalement le téléphone fixe. Je me souviens d’un camp scout où les chefs disposaient d’un GSM en cas d’urgence. Ledit appareil ne fonctionnait qu’en haut de la colline… à côté de la cabine téléphonique.

    Le changement de paradigme des téléphones mobiles est radical, effrayant. Nous sommes en permanence connectés. Nous « chattons » partout et tout le temps, un truc à peine imaginable avant les années 2000.

    Je me souviens d’avoir lu, vers cette époque, un article expliquant que certains nerds de San Francisco discutaient via Internet avec leurs propres colocataires qui étaient dans la chambre d’à côté. C’était hallucinant, incompréhensible. C’est aujourd’hui la norme.

    Le monde de Spirou et Fantasio semble incroyable à mes enfants : pas d’ordinateur, pas d’Internet, pas de téléphone mobile, pas de GPS. Pas moyen de se contacter instantanément ni de savoir où on est ! La plupart des auteurs de fiction modernes en sont réduits à utiliser des subterfuges narratifs pour contourner l’hyperconnexion : il n’y a justement pas de réseau dans la maison hantée, les randonneurs dans la forêt ont justement laissé leur GSM tomber dans la rivière. Parfois, ils utilisent cette psychose qui affecte désormais l’immense majorité de l’humanité : « Mon Dieu, je n’ai presque plus de batterie ! »

    Nous avons vécu, ces 20 dernières années, une révolution comparable à l’électrification des ménages. Il est encore trop tôt pour en tirer les impacts réels à long terme.

    Mais une chose est sûre : ces impacts seront plus importants que tout ce que nous pouvons imaginer.

    Pourtant, la frénésie médiatique autour des blockchains puis de l’IA me fait dire que cela sent la fin de la période « folle », de ce temps d’exubérance, d’enthousiasme où l’on découvre chaque jour de nouvelles applications à ce nouveau paradigme. Un peu comme l’enthousiasme pour la voiture qui a eu lieu entre 1920 et 1960, nous promettant les voitures volantes et, à la place, remplaçant les trains par des autoroutes. Le paradigme une fois installé, le marketing a tenté, avec un succès certain, de maintenir l’enthousiasme sur des détails : le look de la voiture, le confort, l’ordinateur de bord, la frime ou, plus récemment avec les voitures électriques, l’aspect pseudoécologique. Mais toujours avec un paradigme bien installé.

    Ce nouveau paradigme de l’ubiquité d’Internet, nous allons désormais en découvrir le prix à payer, ses inconvénients, les changements qu’il va avoir sur l’espèce toute entière. En bien comme en mal.

    Inutile de lutter : comme pour l’électrification, il n’y aura pas de marche arrière. Ce n’est d’ailleurs certainement pas souhaitable.

    Il est sans doute fini le temps de l’innovation à tout prix comme outil marketing, de la quête de nouvelles manières d’utiliser Internet afin de faire le buzz. La révolution est là, elle a eu lieu. Elle a été tellement rapide qu’elle a laissé de côté beaucoup d’enjeux à long terme, qu’elle a donné un pouvoir démesuré à quelques psychopathes qui comptent bien l’exploiter. Il est temps de consolider, d’observer et d’analyser ce que nous avons fait, de développer plus « sagement » en réfléchissant aux impacts de ce que nous faisons.

    L’ubiquité de l’électricité, l’ubiquité de la voiture, l’ubiquité d’Internet : des changements de paradigme fondamentaux.

    Quel sera le suivant ? C’est la question à plusieurs centaines de milliards. Personnellement, je ne peux que croiser les doigts pour que ce soit remettre en cause l’ubiquité de la voiture.

    Adapté de mon journal du 29 mars 2024

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  • Friday 29 March 2024 - 01:00

    Lectures : de la bouffitude du Web et de l’absurde quête d’une norme sociale

    La quête absurde de norme sociale

    Alexander Plaum appelle les diffuseurs européens à rejoindre Mastodon.

    Une fois de plus, l’article commence par énoncer ce qu’est la "fédération". Je trouve ça déprimant, car, fondamentalement, c’est le fonctionnement même d’Internet et de l’email. Le fait que l’on pense nécessaire de l’expliciter à chaque fois que l’on parle de Mastodon est effrayant : cela prouve que tous ceux qui viennent de comprendre comment fonctionne Mastodon n’avaient, en fait, jamais compris comment fonctionnait Internet et pensent que c’est un truc nouveau. Les plateformes centralisées nous ont infligé un dommage intellectuel peut⁻être irréparable en nous privant de tout modèle mental.

    La conclusion est également déprimante : il ne comprend pas pourquoi personne ne s’intéresse à Mastodon alors que tous ceux qui y vont disent que ça fonctionne, qu’ils ont plein d’interactions.

    Ce qui me fascine, c’est le concept de "normalité". Je constate que beaucoup de personnes autour de moi refusent d’utiliser Signal, Mastodon ou même autre chose que Google, car elles veulent activement être "normales". Elles refusent de dévier de ce qu’elles imaginent être "la norme".

    Or, la norme est par définition la moyenne des comportements avec lesquels vous interagissez. Elle est autocentrée. La norme est donc différente pour chaque individu. Il n’existe aucune normalisation sociale universelle. Les personnes qui cherchent à se normaliser se basent donc sur une norme purement imaginaire. Il en va de même des rebelles réactionnaires qui rejettent par principe ce qu’ils pensent être la norme (alors que ce rejet est, parfois, la norme elle-même).

    Une fois qu’on a compris l’absurdité du concept de norme sociale, on peut commencer à s’affranchir des influences exogènes et se poser des questions personnelles : qu’est-ce qui est juste pour moi ? Qu’est-ce qui respecte mes valeurs humaines ?

    C’est peut-être pour cela que vous voyez dans ces billets autant de liens vers des articles publiés sur Gemini. Par essence, les personnes qui postent sur Gemini ne cherchent pas à se normaliser. Elles ne cherchent pas d’audience (vu qu’elle est à peu près inexistante sur Gemini). Ce manque d’audience libère également de la pression sociale : votre employeur ou votre famille a peu de chances de trouver vos écrits sur Gemini et encore moins de les associer à votre identité si vous utilisez un pseudonyme. Ce n’est certainement pas un hasard si le fondateur de Gemini, Solderpunk, est lui-même pseudoanonyme. La dynamique de ce réseau fait que ce que je lis sur Gemini est essentiellement libre, spontané, naïf.

    Bref, humain.

    Rappelez-vous cela la prochaine fois que l’on vous obligera à mettre votre nom réel sur une plateforme en justifiant que cela rend les débats plus civils. En fait, l’expérience prouve que c’est exactement le contraire : avec notre vrai nom, nous sommes forcés d’obéir à une norme imaginaire sans possibilité d’abandonner nos anciennes idées périmées.

    Vous êtes surveillance

    Piqûre de rappel régulière : votre nom véritable permet d’accentuer le ciblage dont vous êtes l’objet. Car oui, vous êtes sous surveillance permanente et, oui, ça peut avoir un impact. Une auteurice de romance utilisant Google Drive pour écrire ses textes a vu son compte Google suspendu pour avoir écrit des textes sexuellement explicites. Dans son Google Drive.

    Je l’ai déjà dit et je le redis : vos comptes peuvent être suspendus sans aucun avertissement, sans aucun recours et sans même une raison valable. C’est arrivé à un de mes amis chercheur à l’université qui a tout perdu, même l’accès à ses apps et n’a pu récupérer son compte que parce qu’il connaissait quelqu’un travaillant chez Google. Il n’a jamais eu d’explication.

    Et même si vos comptes ne sont pas suspendus, chez les GAFAM, leur contenu est en permanence analysé par des algorithmes qui tentent de vous classifier comme pédophile, terroriste, pirate de contenu voire, linuxien ou écologiste.

    Et c’est bien pire que ce que vous pensez. Dernier exemple en date : Facebook partage avec Netflix et Spotify les messages privés des ses utilisateurs pour les aider à mieux cerner les tendances.

    La pourriture volontaire du marketing

    Sur le Web traditionnel, « normal », j’entends régulièrement des personnes pester contre les lois européennes qui nous pourrissent la vie avec les popups nous forçant à accepter les cookies. Les commerçants se plaignent également de devoir complexifier leur site web.

    Rappelons une chose : le RGPD n’exige en aucun cas de vous ennuyer avec les cookies. En fait, l’immense majorité des bandeaux qui vous embêtent sont illégaux selon le RGPD.

    Sur Ploum.net, vous n’avez rien à accepter et pourtant je respecte le RGPD. Tout simplement parce que je n’utilise pas ni ne revends pas vos données. Et même si je le faisais, je pourrais simplement utiliser la fonctionnalité « Do Not Track » de votre navigateur.

    Les bandeaux d’acceptation de cookies que vous voyez ont tous été conçus par une poignée d’entreprises qui ont, volontairement et consciemment, décidé de vous rendre la vie la plus merdique possible afin de vous faire croire que le RGPD était une mauvaise idée. C’est une manipulation mensongère consciente, assumée et parfaitement illégale.

    Vous sous-estimez à quel point les gens qui travaillent dans le marketing sont de dangereux psychopathes connards et menteurs qui n’ont qu’un seul objectif : vous pourrir la vie pour une poignée d’euros. En fait, c’est la définition même de leur métier.

    Simplifier son usage du téléphone

    Un autre exemple de la merdification que nous acceptons dans nos vies : Corscada a enlevé Facebook Messenger et Instagram de son téléphone. Son autonomie est immédiatement passée de 5-8h à 24h. L’utilisation de ces plateformes à un coût énorme. Non seulement sur votre attention, sur votre temps de vie disponible, mais également sur votre mode de vie : lorsqu’on est addict à son téléphone et qu’on doit le charger toutes les 5h, on ne vit pas la même vie que si on le charge tous les deux jours. Sans compter qu’on sera plus susceptible d’acheter un nouveau téléphone lorsque l’ancien sera « mort » (bah oui, la batterie ne tient plus que 3-4h, il me faut un nouveau).

    Booteille a poussé l’expérimentation encore plus loin en passant 3 ans sans téléphone. Mais, pour être honnête, il n’avait ni femme ni enfant. C’est d’ailleurs à cause de ses sentiments pour une fille qui ne répondait pas à ses emails qu’il a fini par craquer et en reprendre un.

    La « bouffitude » du web

    L’impact du web moderne n’est pas tellement sur la taille des sites web, qui n’a finalement été « que » multipliée par 1000. Mais surtout sur la puissance des processeurs nécessaires à faire le rendu. Dans cet exemple, Dan Luu montre qu’il n’est pas capable d’utiliser un forum Discourse (pourtant pas le site le plus lourd) avec un processeur qui n’est « que » 100.000x plus rapide que son vieux 286. Vieux 286 qui lui permettait exactement le même usage que Discourse à travers les BBS sur une connexion de 1200 bauds.

    Il faut donc des appareils un million de fois plus puissant que ceux d’il y a 40 ans pour accomplir… la même chose ! Nous sommes en train de recréer artificiellement une fracture numérique en excluant celleux qui n’ont pas la possibilité ou la volonté de mettre à jour leurs appareils tous les 4-5 ans. Et cela, sans raison… Dan Luu note que la plupart des appareils qui n’arrivent pas à afficher des pages web « modernes » sont capables de faire tourner des jeux 3D comme PUBG à 40FPS. Des jeux inimaginables il y a 30 ans peuvent tourner sur le processeur. Mais des pages web pas tellement différentes de celles d’il y a 30 ans ne passent plus.

    Le reste de l’article plonge dans les détails et explore les délices des arguments des développeurs qui considèrent qu’on tend vers une puissance CPU infinie et qu’il faut donc optimiser pour la bande passante, pas le CPU. Ce que je trouve fascinant avec cette approche, c’est de considérer que puisqu’il existe des CPUs puissants, il faut absolument les faire travailler ! Et tout le monde peut se les payer. Du moins, les gens qui comptent. Voilà…

    Offline Fur Sock

    Vous savez que je pratique la démarche exactement opposée en développant un navigateur web minimaliste en ligne de commande et fonctionnant déconnecté.

    À propos d’offline, Solderpunk, le créateur du protocole Gemini, annonce la création d’un challenge consistant à développer en un mois une petite application offline permettant de se passer d’une interaction en ligne.

    Quand on y pense, c’est particulièrement absurde que, pour calculer une température en Farenheit ou la valeur en euro d’un prix en dollar, nous chargions une page web bourrée de traqueurs, que nous lancions des centaines de requêtes qui seront interprétées par des algorithmes "intelligents" hyper consommateurs de ressource dans d’immenses data centers. Tout ça pour faire une satanée multiplication que n’importe quel ingénieur de plus de soixante ans fait de manière bien plus rapide avec sa règle à calcul !

    Du coup, grâce à Solderpunk, j’ai découvert l’application en ligne de commande "units" qui est parfaite et hyper intuitive à utiliser (un petit "sudo units_cur" est cependant nécessaire pour mettre à jour les taux de change).

    Être moins en ligne est également incroyablement positif pour la programmation. Je pense que lorsqu’on cherche "comment résoudre un problème" et qu’on trouve plein de solutions à tester, on n’apprend rien. On ne fait que répéter aveuglément. Le problème de base en informatique est de ne pas avoir un modèle intellectuel sous-jacent. Or, ce modèle se crée et s’affine par l’apprentissage. En appliquant aveuglément des solutions, nous n’apprenons pas. Nous n’améliorons pas notre modèle mental.

    En étant déconnecté, je me suis surpris à lire les pages de manuel des applications que j’utilise, forçant la construction d’un modèle mental. Dans certains cas, j’ai même été jusqu’à lire le code source afin de comprendre exactement ce que je devais faire. Cette étape a été une révélation : soudainement, au lieu d’appliquer des paramètres aléatoires en tentant de "deviner" ou retenir par cœur, je me suis surpris à comprendre exactement ce que le code faisait et donc comment il fallait utiliser l’application, gagnant du temps sur le moyen et le long terme.

    Mais il est tellement difficile d’accepter de sacrifier un peu de temps sur le court terme. Il est tellement rare dans notre société de ne pas chercher une solution "rapide", mais, au contraire, d’investir sur le long terme dans la compréhension et la maitrise des outils que nous utilisons.

    D’ailleurs, ce n’est peut-être pas un problème confiné à l’informatique…

    À demain !

    Bon, ce n’est pas tout, mais on se voit samedi à Trolls & Légendes sur le stand PVH ?

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  • Monday 25 March 2024 - 01:00

    Se rencontrer prochainement à Mons ou à Paris

    En bref : je serai à Trolls & Légendes le samedi 30 mars et au Festival du livre de Paris le samedi 13 avril. Avant une soirée ouverte à tou·te·s le même jour à la librairie « À Livr’Ouvert ».

    Ces derniers temps, j’ai l’énorme chance de recevoir pas mal de mails de votre part, dont beaucoup pour me remercier ou m’encourager. Lorsque le message ne le demande pas, je n’y réponds pas. À la fois par besoin de gérer mon temps, mais aussi, en toute honnêteté, parce que c’est un peu absurde de surcharger le réseau avec des « Merci pour votre merci ». Mais que les choses soient claires : je lis (et relis parfois plusieurs fois) chacun de vos messages. Ils m’encouragent et me font chaud au cœur. Que soient ici mille fois remerciés ceux qui prennent le temps de me contacter ! Et je lis tous les liens que vous me recommandez, je suis très intéressé par vos propres écrits.

    Mais ce qui est vraiment chouette, c’est de se rencontrer en chair et en os lorsque l’occasion s’y prête. Et, justement, c’est le cas !

    Trolls & Légendes, Mons, samedi 30 mars

    Le samedi 30 mars, je serai au festival Trolls & Légendes à Mons. Rendez-vous sur le stand des éditions PVH.

    Je ne serai présent que le samedi. Je le précise, car, l’année passée, certains ont demandé après moi le dimanche. Et ça me fait mal au cœur de se rater. Cette année, je prends mes boules quies. Parce qu’une journée complète à se taper des reprises d’Iron Maiden au biniou dans un hangar qui résonne, ça laisse des séquelles.

    Paris, samedi 13 avril

    Le samedi 13 avril à Paris sera pour moi une grosse journée. Tout d’abord, le matin, je vais souhaiter un joyeux anniversaire à ma maman (rappelez-le-moi si j’oublie !).

    Ensuite, je serai au Festival du livre de Paris de 13h30 à 15h sur le stand « Livre Suisse » (B21).

    Si vous êtes dans le coin, venez faire un coucou parce que quand je vois la liste des auteurs présents, j’ai vraiment l’impression d’être le petit belge bouseux qui débarque de sa cambrousse. En plus, je serai sur un stand suisse (parce qu’y’a des blagues, c’est plus rigolo quand c’est un Belge. Si ! Si on est suisse…).

    À 15h, je m’éclipse pour me rendre dans le 11e arrondissement, en compagnie de Gee (mais si, celui de Grisebouille et de Superflu Riteurnz himself!), à la librairie « À Livr’Ouvert » tenue par Bookynette, la présidente de l’April (rien que ça).

    Au menu, une rencontre en toute décontraction avec deux auteurs profondément geeks et libristes ainsi qu’une présentation de la philosophie de l’édition libre et de la maison d’édition PVH par son fondateur, Lionel Jeannerat qui, cerise sur le gâteau, offre un apéro typiquement suisse ! À ne pas manquer si vous êtes sur Paname ce jour-là, ça va vraiment être très cool !

    Les rencontres, comme mes écrits, sont libres

    Je le précise parce qu’on me l’a déjà demandé : l’achat de livres est entièrement facultatif (sauf quand mon éditeur surveille, bien entendu). Vous êtes les bienvenus pour discuter et échanger sans aucune obligation d’achat. Oui, vous avez le droit d’apprécier mon blog et de ne pas être intéressé par des romans de SF (ou de préférer les pirater sur libgen).

    D’ailleurs, entre nous, ça me fait très plaisir de rencontrer des lecteurs de mon blog. Il y a des moments où, sur un stand de dédicace, on se sent parfois seul. Sauf si, bien sûr, on s’appelle Henri Lœvenbruck et qu’on a en permanence trois cents lecteurs qui font la queue en hurlant votre prénom. Ce n’est heureusement pas mon cas, n’hésitez pas à venir faire un coucou, à me conseiller vos lectures ou vos BDs préférées.

    Cette année, je fais l’impasse sur les Imaginales et ne serai finalement pas à Ouest Hurlant, mon prochain roman n’étant disponible qu’en octobre. Il est très différent de Printeurs et je pense qu’il va vous plaire. Je suis impatient de vous le partager. Si vous êtes libraire ou organisateur d’une conf ou d’un festival, n’hésitez pas à me contacter ou à contacter mon éditeur. Ce sera un plaisir de voyager en francophonie pour vous le présenter.

    Au plaisir de vous rencontrer !

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  • Thursday 21 March 2024 - 01:00

    La nouvelle informatique

    Je suis un geek addict. L’informatique est ma passion, ma drogue.

    J’aime la sensation de poser mes doigts sur un clavier. J’aime configurer, mettre à jour, découvrir des nouveautés, investiguer les problèmes, trouver des solutions.

    Comme beaucoup de passionnés d’informatique, j’aime l’outil plus que le résultat.

    Parfois, je tente de me convaincre que mon seul objectif est d’être plus productif ou plus ergonomique. Si je dois accomplir une tâche répétitive et barbante de deux heures, je vais à la place passer deux jours à créer un programme qui le fera pour moi. Avec l’impression d’avoir gagné du temps. Lorsqu’une mise à jour d’un logiciel que j’utilise est annoncée, je suis intéressé, voire, parfois, excité par l’attrait de la nouveauté.

    L’immense majorité de l’humanité n’est pas dans mon cas. Mais l’infrastructure informatique mondiale est conçue par des gens comme moi. Des gens qui aiment chipoter et qui, consciemment ou non, forcent leurs utilisateurs à devenir comme eux.

    Ce chipotage auquel je prenais naturellement du plaisir nous est désormais imposé uniformément. Nous devons tout le temps mettre à jour notre ordinateur, nous habituer aux changements d’interface, regarder les notifications du système lui-même nous annonçant des mises à jour. Les systèmes informatiques, y compris votre montre connectée et votre téléphone, ont été conçus par des geeks comme moi qui aiment la nouveauté, qui aiment améliorer sans cesse. Ces geeks sont désormais noyautés par des designers qui justifient leur salaire en changeant constamment les interactions, en annonçant en fanfare un nouveau logo. Voire en créant le débat sur l’introduction ou le retrait d’une nouvelle fonctionnalité.

    Toutes ces actions ne sont pas anodines. Elles servent à mettre les plateformes elle-même au centre de l’attention. Les modifications des algorithmes Facebook ou le changement de l’icône d’Instagram sont désormais des faits de société qui font la une des plus grands médias. Ce ne sont pas des outils, contrairement à ce qu’ils prétendent. Ce sont des superorganismes qui cherchent à monopoliser l’attention et le pouvoir. Les dénoncer ne fait que les renforcer. La seule lutte valable c’est la seule action qu’ils redoutent : l’indifférence.

    C’est exactement l’effet qu’à eu sur moi la suppression de mes comptes. La plupart des plateformes me sont devenues indifférentes. Je ne suis plus un critique acerbe de Facebook, de Twitter ou de LinkedIn : je n’y suis plus, ces plateformes n’ont plus rien à voir avec moi.

    En tant que développeur logiciel, cette expérience m’a également ouvert les yeux sur la direction globale prise par l’industrie : le non-respect de l’utilisateur. Non seulement ses données sont exploitées, mais le logiciel est souvent intrusif. Les changements permanents empêchent l’utilisateur d’apprendre, de se former, d’acquérir des réflexes. Il est devenu impossible de maitriser l’outil parce que l’outil change constamment, il échappe au contrôle de l’utilisateur. La migration vers ce qu’on appelle "le cloud" ne fait qu’accentuer de manière dramatique cette tendance. L’outil est mis à jour sans aucun contrôle de l’utilisateur. Les données sont arbitrairement confisquées, que ce soit temporairement ("problème technique"), de manière permanente ("compte supprimé pour un non-respect non précisé de clauses de toute façon illisibles") ou lors d’une extorsion ("l’espace des comptes gratuits est désormais réduit, upgradez vers notre offre professionnelle pour récupérer les fonctionnalités auxquelles vous êtes désormais habitué").

    Dans l’école primaire de mes enfants, des initiations à l’informatique enseignent… à créer des présentations PowerPoint. En Belgique, les sites officiels du gouvernement qui ont besoin de situer précisément votre adresse utilisent… Google Maps. Ma commune annonce le don de matériel informatique aux associations en précisant qu’elle fournira également une licence Windows récente. D’une manière générale, il est communément admis que chaque citoyen "normal" dispose d’un compte Google, compte connecté à un appareil contrôlé soit par Apple, soit par Google. Un appareil auquel nous devons en permanence donner le droit de contrôler notre temps et notre emploi du temps.

    Si j’ai abandonné Whatsapp, de plus en plus de mes contacts sont sur Signal. Et Signal n’échappe pas à la "malédiction de la messagerie", à savoir que tout message reçu mérite une réponse immédiate. La propriétaire de la maison que je louais s’est emportée de ne pas recevoir de réponse à ses messages Signal parce que j’ai eu le malheur de couper mon téléphone durant 24h pour cause de maladie. À l’opposé, consultant mon téléphone en voyage pour vérifier l’heure d’un train, il m’est arrivé de recevoir des messages stressants, mais absolument non urgents, me décentrant complètement du moment présent. Ou d’être informé qu’une mise à jour devait absolument avoir lieu juste au moment où je souhaitais trouver en urgence un numéro de téléphone.

    Le fil conducteur de toutes ces interactions est que nous n’avons plus aucun contrôle sur ces couches technologiques. Nous n’en sommes plus des utilisateurs, nous en sommes les ressources exploitées, les victimes. Et nous inculquons à nos enfants à faire de même. Nous nous transmettons une pression sociale permanente les uns aux autres. Avoir le dernier modèle avec les dernières fonctionnalités, la dernière app, le dernier mot dans la discussion. Nous acceptons la grossièreté ultime qu’est une notification intrusive. Ces notifications qui interrompent nos conversations, nos pensées, nos moments, nos méditations, notre travail et que nous infligeons aux autres, n’acceptant plus la moindre latence avant d’obtenir une réponse.

    Ces interruptions permanentes nous empêchent de penser et de réaliser que nous ne contrôlons plus rien, que notre travail lui-même n’est plus qu’une série de microtâches reliées de plus en plus faiblement. Nous perdons toute perspective et c’est bien là l’objectif le plus abject des plateformes monopolistiques. Comme l’explique Danièle Linhart dans « La comédie humaine du travail », cette perte de relation entre les tâches est, dans le monde professionnel, une volonté managériale explicite, une taylorisation du travail intellectuel : l’employé est un rouage qui doit agir sans penser de manière à être facilement remplaçable et à ne pas remettre en question les décisions hiérarchiques.

    Depuis que j’ai décidé de me consacrer à l’écriture, je réalise combien mon temps de vie est compté. Lorsque je souhaite écrire, les outils informatiques deviennent des adversaires. Ils alimentent mes démons en tentant de me distraire de la tâche que je me suis fixée. Mais ils se permettent également de l’interrompre techniquement. Une plateforme sur laquelle se trouve une ressource dont j’ai besoin me dit soudain que mon mot de passe n’est plus valable. Après quelques minutes à vérifier, je contacte le support qui me répond prestement qu’un problème rend certains comptes indisponibles, que ce sera réglé dans quelques heures. Sans aucune malveillance, mes outils viennent de me couper dans mon élan, de me faire perdre au mieux une heure, au pire une journée.

    Depuis trois ans, beaucoup de mes écrits sont désormais réalisés à la machine à écrire mécanique. Parfois, les tiges se coincent ou le mécanisme d’enroulement du ruban se grippe. Pourtant, j’arrive à chaque fois à résoudre le problème en quelques secondes sans perdre ma concentration, sans perdre le fil de mes idées. Mes mains agissent sur un problème mécanique sans interférer avec mon cerveau.

    Sur mon ordinateur, j’accomplis l’essentiel de mes tâches en ligne de commande. Mes écrits, qu’ils soient originaux ou retranscrits depuis un tapuscrit, sont réalisés dans Vim, un éditeur dont les commandes de base sont plus âgées que moi. Il m’a fallu quelques semaines d’apprentissage conscient, mais, depuis, Vim est une extension de mes doigts. Je ne réfléchis plus : j’écris.

    Le design des interfaces modernes a permis aux utilisateurs de se passer de quelques heures d’apprentissage. Mais ces heures donnaient en réalité une réelle compréhension, offraient un réel pouvoir, participaient à l’élaboration d’un modèle mental de l’outil. Elles sont désormais diluées en changements aléatoires arbitraires tout au long de la carrière de l’utilisateur. Il n’y a plus de modèle mental, juste des gestes à apprendre par cœur, nous transformant en la version informatique de Charlie Chaplin dans « Les temps modernes ».

    Je ne sais pas quelle sera la prochaine plateforme web à la mode. Je n’ai aucune idée du framework que tous les développeurs aduleront l’année prochaine. Mais j’ai la certitude que, dans trente ans, je pourrai toujours taper sur mes machines à écrire mécaniques, utiliser Vim et faire tourner des scripts Bash ou Python pour générer mon blog et des PDFs à envoyer aux éditeurs.

    Ce faisant, je suis passé du côté obscur de la force geek. Je suis redevenu l’utilisateur novice que les nouveautés en informatique n’intéressent pas. Les mises à jour m’ennuient, car je me demande le temps qu’elles vont me faire perdre. Je n’ai pas besoin de nouveaux logiciels, mes besoins sont comblés.

    L’informatique technique m’est devenue inintéressante. Elle m’ennuie. J’ai l’impression d’avoir lu mille fois les annonces marketing annonçant le nouveau système à la mode. Le problème de base de l’informatique peut pourtant désormais être considéré comme résolu : nous savons comment nous envoyer des textes, des images et du son.

    La solution est tellement bien connue que toute l’industrie qui nous entoure consiste essentiellement à complexifier cette solution pour que ce ne soit pas trop facile et que les acteurs économiques puissent nous soutirer des rentes sur nos échanges de bits.

    Une nouvelle question se pose, passionnante : comment nous envoyer du texte, des images et du son de la manière la plus simple, la plus efficace, la plus indépendante, la plus pérenne et la plus libre possible ?

    Une question qui n’est plus technologique, cet aspect étant résolu, mais sociologique, morale, éducationnelle, collaborative, éthique, voire écologique. Une question qui remet en cause certains fondements économiques de notre société. Une question qui s’inscrit dans la durée.

    Après soixante années d’explosion technologique, l’informatique est arrivée à un plateau. Nous n’avons plus besoin d’innovation, mais de stabilisation. De démocratisation. D’une nouvelle informatique.

    L’informatique est et reste ma passion. La nouvelle informatique.

    La nouvelle informatique est une science humaine, une exploration en profondeur de l’humanité et de sa psyché. La nouvelle informatique est un projet d’ingénierie visant à construire une plateforme libre et libératrice dont la durée de vie se compterait en décennies, en siècles. La nouvelle informatique est un projet d’émancipation, d’éducation, de collaboration, d’échange.

    La nouvelle informatique est également une lutte. Une lutte pour la création d’un nouveau type de superorganisme qui n’aurait pas pour objectif la maximisation de l’exploitation des ressources.

    Une lutte pour la survie de l’humanité.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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  • Monday 18 March 2024 - 01:00

    A Society That Lost Focus

    Our Mind, the Bottleneck

    In the early 90s, after tweaking my MS-DOS computer, I was able to play games. One of those game was called "Battle Chess". A Chess game were pieces were really fighting against each other. It was fun. I was, and still am, a mediocre chess player. I was mate in less than 10 or 15 turns at the easiest level.

    For the sake of the experiment, I turned the difficulty to the harder level and started playing. Something strange happened: I was still losing but it took a lot more turns. I was able to protect my game, even to manage a few draws.

    Was it a bug in the game?

    Even as a young teenager, I quickly understood the reason. With the setting set to "hard", the game would try a lot harder to find a good move. On my 386 processor, without the mathematical coprocessor, this would take time. Several seconds or even one minute by turn. During that time, I was thinking, anticipating.

    With the easiest setting, computer moves would happen immediately. I knew I had all the time I want but I was compelled to move fast. I could not take the time while the other side was immediately reacting to my moves.

    The world we are living in is that same chess game on the easiest setting. Everything happens immediately, all the time. White-collar work can now be summarised as trying to reply as fast as possible to every single email until calling it a day and starting again in the morning, a process which essentially prevents any deep thinking, as pointed by Cal Newport in his book "A world without email".

    As we don’t have the time to think anymore, we masquerade our lack of ideas with behavioural tricks. We replaced documents with PowerPoints because it allowed lack of structure and emptiness to look professional (just copy paste the data of the last PowerPoint you received in a text file and see by yourself how pitiful it is. PowerPoint communications at NASA were even diagnosed by Edward R. Tufte, author of the "The cognitive style of PowerPoint", as one of the causes that led to Space Shuttle Columbia’s disaster).

    The root problem is that, for the first time in human history, our brain is the bottleneck. For all history, transmitting information was slow. Brains were fasts. After sending a letter, we had days or months to think before receiving an answer. Erasmus wrote his famous "Éloge de la folie" in several days while travelling in Europe. He would never have done it in a couple of hours in a plane while the small screen in the backseat would show him advertisements.

    In 2012, the French writer Thierry Crouzet had one of the first recorded "online burnout". Being connected all the time with interesting strangers and interesting ideas to which he wanted to reply quickly was too much for his brain. One night, he had a strong panic attack and decided to spend six months without the Internet, an experience he told in his book "J’ai débranché".

    The Oversold Internet

    The instant feedback of permanent connectivity is clearly a bad thing. But the worst had yet to come. After the 2000s bubble popped and told us that Internet was not "magic money", the question became "how do we monetise the Internet?" A few idealistic geeks replied, "You don’t monetise it, it’s a non-commercial world." But geeks, as everyone, wanted or needed to be paid.

    To earn money, they handed the reins of the whole new world they were creating to marketers. That’s it: hackers sold the Internet in exchange for a salary. Until 2000, marketers played along with the idea of selling the work hackers were doing. With one small problem: they oversold it completely, diving in the geek fantasy that, soon, everybody would be on that Internet buying stuff online.

    In the 2000s, nobody but geeks wanted to spend their life behind a huge radiating screen. Marketers suddenly waked up to that reality with the dot-com bubble. If not everybody wanted to be on the Internet and nobody would buy anything on the Internet, there were two potential solutions: either monetising the fact that some people were already spending lots of time of the Internet or convincing more people to come on the Internet.

    Surviving companies such as Google decided for the easiest one: monetising what people were already giving to the Internet: their time and attention. Advertising was, of course, already part of the web (mostly through the infamous "popups") but Google innovated by inventing a whole new way of exploiting attention: trying to learn as much as possible about users to show them the advertising they are more likely to click on. The whole story is told in great details in the book "Surveillance Capitalism", by Soshanna Zuboff.

    Whether this "personalised advertisement" really works better than traditional one is up to debate. For Tim Hang, author of "Subtime Attention Crisis" and for Cory Doctorow, author of "How to destroy surveillance capitalism", the real impact on sales is negligible but as marketers think it works, they invest massive money in it, making the whole technology a very lucrative bubble.

    But the real impact is undisputed : as long as someone buys it, it is really lucrative to sell the attention and all the information you could from consumers. As a consequence, the practice has been generalised and nearly every website, every app on the Internet is trying to get both. And they are very scientific about the process.

    We forgot how not to spy and steal attention

    It is now considered as "normal practice" to try to get the attention and the data of your users, even if it doesn’t make sense from a business perspective.

    Banking apps send notifications to show you their new shiny logo, good old e-commerce website ask their customers for the number of children they have or their income bracket. Even non-commercial personal blogs or some websites dedicated to privacy contain analytics software to track their users. Not tracking your users is harder than not! Every single vendor from which you shop, even a brick-and-mortar one, will bury you with their mailings.

    One could assume that buying a new mattress is something you do only every decade and that the prospective market for mattress vendors is those who didn’t buy a mattress in the last five years. So why did anybody think that, right after buying a mattress, I would be interested in receiving news about mattresses every single week of my life?

    The two consequences of all this are that our privacy is invaded as much as it is technologically possible and that our attention is scientifically captured as much as it is technologically possible. And, in both aspects, technology is "improving" as all the smartest minds in the world are hired to do just that.

    While working at Google, Tristan Harris realised how much what they were building was in order to get the focus and the attention of people. He left Google to create the "Center for Humane Technology" that tries to raise attention about the fact that… our attention is captured by monopolist technologies.

    The irony is palpable: Tristan Harris had a very good intuition but can’t imagine doing anything else than either "raising attention" through social networks or building technologies that would notify you that you should be focused. Let’s build yet another layer of complexity above everything else and raise attention so this layer is adopted widely enough to become the foundation of the next complexity paradigm.

    Worshipping Shallow Ideas

    Being distracted all the time prevent us from having any ideas and understanding. We need a catchy slogan. Instead of reading a three-page report, we prefer a 60 slides PowerPoint, containing mostly stock pictures and out-of-context charts.

    We have valorised the heroic image of the CEO that comes in a meeting and tell engineers, "I have ten minutes left before my next meeting. Tell me everything in five and I’ll take a billion dollar decisions."

    In retrospect, it is obvious that taking good decisions in that context is nothing more than rolling a die. Funnily enough, it has been proved multiple times than every high-profile CEO is not better than a random decision algorithm. But, unlike algorithms, CEOs usually have charisma and assurance. They may take a very wrong decision but they can convince everybody that it’s the right one. Which is exactly the definition of a salesman job.

    In "Deep Work", Cal Newport tries to promote the opposite stance, the art of taking the time to think, to ponder. In "The Ideas Industry", Daniel Drezner observes that long, subtle and complex ideas are more and more replaced by simplistic slogans, the epitome being the famous TED conferences. In 18 minutes, people are sold an idea and, if the speaker is a good salesman, feel like they’ve learned something deep and new. The mere fact that you could learn something deeply enough in 18 minutes is an insult to all the academic world. Without surprise, the same academic world is seen by many as boring old people spending their time writing long articles instead of making a catchy slogan to change the world.

    Succumbing to Our Addictions

    Most monopolies were built by removing choices. You could not buy a computer without Microsoft Windows. You could not visit some websites without Internet Explorer. You can’t find a phone without Google in a shop (Google pay many billions dollars every year to be the default search engine on Apple devices). And if you manage to remove Google from your phone, you will lose the ability to run some apps, including most banking apps. Most apps even check at start if Google services are installed on the phone and refuse to start if it’s not the case. If it’s really hard not to use Google, it’s by definition a forced monopoly. Similarly, it is very hard to avoid Amazon when shopping online.

    There’s one exception : Facebook. There’s nothing forcing us to go to Facebook or Instagram. There’s nothing forcing us to spend time on it. It’s like we have choice. But it seems we haven’t.

    Why is this? Why are we playing one hour of what was supposed to be five minutes of a stupid smartphone game instead of reading a book? Why are we spending every minute awake checking our smartphone and replying to mundane chitchat, even if we are in the middle of the conversation with someone else? Why are we compelled to put our life and the lives of our children at risk just to quickly reply while driving?

    Because of the way the human brain is wired. Evolutionary speaking, we are craving for new experiences. Learning new experiences, good or bad, may help your chromosomes to survive more generations than others. We get that famous "dopamine rush", described in great details by Liberman and Long in "The molecule of more".

    Each time there’s a notification, each time there’s a red bubble in some part of the screen, the brain acts like it’s a new vital opportunity. We can’t miss it. A study showed that the sole notification sound was enough to distract a driver as much as if he was texting while driving. Yes, even without looking at your phone, you were distracted as much as if you did (which is not an excuse to look at it).

    The brain has learned that the phone is a random provider of "new experiences". Even in airplane mode, it was demonstrated that having the phone on your desk or in your bag degrades heavily your attention and your thinking performance. Performance went back to normal only when the phone was put in another room.

    Fighting to Get Our Focus Back

    That’s it, the only way to not have any temptation is not to have the phone at arm reach. The aforementioned French writer Thierry Crouzet told me once that it was very difficult to focus on writing when you know you only have to move the word processor window with the mouse to go to the Internet. On the web, writers’ forums are full of discussions about "distraction-less" devices. Some, including your servitor, are going back to old typewriters, a paradigm described as a true resistance by Richard Polt in the excellent book "The Typewriter Revolution".

    One may even wonder if the epidemic of "electro-sensitivity", feeling bad or being sick when exposed to wifi or similar wireless emissions, may simply be a psychological reaction to the overstimulation. It has been observed that the symptoms are real (people are really feeling bad and are not simulating) but that, in double-blind controlled environment, the symptoms are linked to the belief of wireless emissions (if you simulate a blinking wireless router without emitting anything, people feel bad. If you have wireless emission but tell people it’s disabled, they will feel better).

    In his landmark book "Digital Minimalism", Cal Newport offers a framework to rethink the way we use digital technologies. The central idea is to balance costs and benefits consciously, highlighting most hidden costs. Facebook might be free in the sense you don’t have to pay for it. But being exposed to advertising, being exposed to angry political rants, feeling compelled to answer, being exposed to picture of people you once knew and who seems to have an extraordinary (even if virtual) life is a very high cost.

    Simply do the math. If you have 180 friends on Facebook, which seems to be a low amount those days, if your friends take, on average, 10 days of vacation per year, you will have, on average, five friends on vacation every day. Add to this statistic that some people like to re-post pictures of old vacations and it means that you will be bombarded daily by pictures of sunny beaches and beautiful landscapes while you are waiting under neon light for your next boring meeting in a gray office. By design, Facebook makes you feel miserable.

    That’s not to say that Facebook cannot be useful and have benefits. As Cal Newport highlight, you need to adapt your use to maximise the benefits while trying to avoid costs as much as possible. You have to think consciously about what you really want to achieve.

    This idea of digital minimalism prompted a revival of the so-called "dumb phones", phones which are not smart and which are able to make phone call and send/receive SMS. Some brands are even starting to innovate in that particular market like Mudita and Lightphone.

    Ironically, they are advertising mindfulness and being focused. They are trying to catch your attention to sell you back… your own attention.

    Focus Against Consumerism

    One of the consumerist credo is that the market will fix everything. If there’s a problem, someone will quickly sell a solution. As pointed by Evgeny Morozov in "To Save Everything, Click Here", this is not only wrong thinking. This is actually harmful.

    With public money, we are actually actively funding companies and startups thinking they will both create jobs and sell solutions to every problem. It is implied that every solution should be a technological one, should be sellable and should be intuitive. That’s it: you should not think too much about a problem but instead build blindly whatever solution comes to mind using the currently trending technological stack. French Author Antoine Gouritin wrote a funny and interesting book about that whole philosophy he called "Le Startupisme".

    The root cause is there: we don’t have any mental framework left other than spying on people and steal their attention. Business schools are teaching how to do catchy PowerPoints while stealing attention from people. Every business is at war with the other to catch your attention and your brain cycles. Even academy is now fighting to get grants based on catchy PowerPoints and raw number of publications. This was the raw observation of David Graeber: even academics have stopped thinking to play the "catch your attention game".

    There’s no silver bullet. There will not be any technological solution. If we want to claim back our focus and our brain cycles, we will need to walkaway and normalise disconnected times. To recognise and share the work of those who are not seeking attention at all cost, who don’t have catchy slogans nor spectacular conclusions. We need to start to appreciate harder works which don’t offer us immediate short-term profit.

    Our mind, not the technology, is the bottleneck. We need to care about our minds. To dedicate time to think slowly and deeply.

    We need to bring back Sapiens in Home Sapiens Sapiens.

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

    If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books and subscribing to my newsletter in French or RSS. I also develop Free Software.

  • Friday 15 March 2024 - 01:00

    Lectures : Une société de mensonges

    Productivisme

    En lisant ce simplissime et magnifique texte de Bruno Leyval décrivant la condition ouvrière, je ne peux m’empêcher d’avoir « Tranche de vie » de François Béranger en tête. Et de prendre pleinement conscience à quel point le fonctionnement en pause des usines est inhumain.

    Le travail de nuit est nécessaire pour plein de raisons : la santé, la sécurité, l’aide aux personnes. Ou bien dans l’agriculture, dans le soin de tout ce qui est vivant, des plantes aux animaux. Mais que dire du fait qu’on force des humains à travailler de nuit et se détruire irrémédiablement la santé pour fabriquer des bagnoles ou empaqueter des petits pois dont personne ne voudrait s’il n’y avait pas ce matraquage incessant du marketing ? Qui est ce « on » qui force ? Les patrons ? Les politiciens ? Ou nous-mêmes, les consommateurs ?

    Surveillance généralisée

    Les caméras de surveillance partout, ça ne peut pas faire de tort, hein ? Y compris dans les distributeurs automatiques. Et puis voilà qu’à cause d’un bug, la population étudiante d’une université canadienne découvre que les vendeurs automatiques de chocolats font de la reconnaissance faciale. Le visage de chaque client est scanné, à son insu, et des statistiques sur l’âge, le genre et potentiellement plein d’autres choses sont envoyées au département marketing. Afin de nous vendre les merdes produites par les travailleurs passant leurs nuits sur des chaînes de production.

    La question qui se pose : mais qui a accès à ces millions de données qui sont capturées autour de nous en permanence, que ce soit par notre montre, notre voiture, une caméra de surveillance ou un distributeur de boissons ?

    Aram Sinnreich et Jesse Gilbert ont trouvé la réponse. Elle est simple : tout le monde. Il suffit de payer et ce n’est vraiment pas très cher.

    Et même si vous n’avez aucun engin connecté, que vous faites très attention, aux États-Unis il est possible d’acheter les données concernant toutes les personnes se rendant à une adresse. Votre maison par exemple. Et savoir d’où elles viennent. Quel est leur niveau de vie.

    Mais, dans ce cas-ci, le fabriquant du distributeur tente de rassurer : la machine respecte les lois, y compris le RGPD européen.

    En fait, non. Le RGPD ne permet pas le scan de visage sans consentement. Mais si l’entreprise dit respecter le RGPD, qui ira vérifier ? Et comment vérifier ?

    En utilisant le RGPD, j’ai fait effacer plus de 300 comptes en ligne à mon nom (ça m’a pris trois ans). Après plusieurs années, certains comptes soi-disant effacés ont recommencé à m’envoyer des « newsletters ». Donc, en fait, rien n’était effacé du tout. Mention spéciale au restaurant de sushis qui avait remplacé mon login "ploum" par "deleted_ploum" et prétendait que tout était effacé alors que j’avais encore accès au compte via le cookie de mon ordinateur. Ou le site d’immobilier qui a soudainement commencé à m’envoyer journalièrement les résultats d’une recherche que j’avais enregistrée… il y a 10 ans ! (et je ne pouvais pas me désinscrire vu que j’avais officiellement effacé mon compte depuis plus de deux ans).

    Le marketing est, par définition, du mensonge. Les gens travaillant dans le marketing sont des menteurs. Dans les écoles de marketing, on apprend à mentir, le plus outrageusement possible. Tout ce qu’ils disent doit être considéré comme un mensonge. Nous sommes entourés d’un nuage de mensonges. Toute notre société est construite sur le rejet de toute forme de vérité.

    Lorsqu’un menteur est pris en flagrant délit, ce n’est pas le mensonge détecté le problème. C’est, au contraire de réaliser tous les autres mensonges que nous n’avons jamais détectés.

    Les hallucinations de Turing

    Le test de Turing dit qu’une intelligence artificielle est véritablement intelligente si on ne peut pas distinguer ce qu’elle écrit de ce qu’écrirait un humain. Turing n’avait pas envisagé que l’immense majorité des écrits humains seraient des piles de mensonges produits par des départements marketing. Dans tout ce débat, ce qui m’impressionne n’est pas tellement l’intelligence de nos ordinateurs, mais la bêtise humaine…

    Ce n’est même pas caché. Quand un journaliste de The Verge fait un article pour dire qu’une imprimante fonctionne bien (parce qu’elle imprime et pis c’est tout, ce qui est un truc de dingue dans le monde moderne), il est obligé de rajouter, de son propre aveu, du bullshit généré par ChatGPT afin que l’article paraisse sérieux aux yeux de Google. Lui, il le reconnait et préviens de ne pas lire. Mais pour un article comme cela, combien ne le disent pas ?

    Les modèles de langage larges (LLM) sont condamnés à « halluciner », le terme politiquement correct pour « raconter absolument n’importe quoi ». Exactement comme les départements marketing. Ou comme les religions ou n’importe quelle superstition. L’être humain a une propension à aimer le grand n’importe quoi et à y trouver un sens arbitraire (c’est le phénomène de paréidolie, qui permet notamment de voir des formes dans les nuages).

    Donc, ma question : vous espériez quoi, très sincèrement, des intelligences artificielles ?

    Les mensonges que nous nous racontons

    Et vous espérez quoi de l’humanité ? Non seulement nous passons notre temps à nous mentir, mais à « débattre » nos propres actions qui ne devraient même pas être discutables.

    Allez, je vous donne un exemple de comportement que nous trouvons « normal » simplement parce que nous sommes trop crétins pour dire aux marketeux qu’ils sont de dangereux menteurs psychopathes et que donc, on se dit qu’ils ne doivent pas avoir toujours complètement tort.

    Oui, je veux sauver la planète ! Chaque jour, je prends sur mon salaire pour faire un don de dix ou vingt euros à une énorme organisation multinationale qui fait travailler les enfants dans des conditions horribles et qui est responsable de près de 1% de toutes les émissions de CO2 de la planète. Sans compter les polluants : je participe chaque jour à l’une des plus importantes sources de pollution des nappes phréatiques et des océans.

    C’est pour ça que je les soutiens chaque jour. Ça me coûte cher, mais je continue ! Et en les soutenant, je participe à tuer 8 millions de personnes chaque année, à causer 50x plus de cancers en France que n’importe quelle autre pollution et je participe activement à empirer toutes les maladies respiratoires dans mon entourage, surtout les plus jeunes.

    Bref, je fume.

    En plus, je pue. Je dérange tout le monde, mais personne n’ose me le dire, car c’est « ma liberté ». Les non-fumeurs sont tellement bien élevés, ils n’osent pas me dire que, si, ça les dérange que je m’en grille un. Alors, j’emmerde les non-fumeurs, j’emmerde les asthmatiques, j’emmerde la planète, car fumer, c’est ma liberté. Donner mon argent à l’une des entreprises les plus polluantes du monde, c’est ma liberté. Rendre asthmatiques mes enfants, c’est ma liberté. D’ailleurs, je vais manifester pour le climat en m’en grillant une !

    Le tabac est un exemple très symptomatique : il est hyper dangereux, hyper polluant, hyper nocif y compris pour les non-fumeurs et n’a aucune justification pratique. Aucune, zéro, nada. L’interdiction de la vente de tabac aux jeunes ne devrait même pas être discutable. L’interdiction de fumer à moins de cent mètres d’un mineur devrait vous paraître une évidence.

    Ce n’est pas le cas. Et beaucoup trouvent que simplement dire à un fumeur « tu pues, tu m’empestes » c’est « pas très respectueux », mais que se taper une crise d’asthme ou un cancer de tabagisme passif, c’est « normal ». Socialement, je ne comprends pas comment on ne considère pas un type qui allume une clope en public comme quelqu’un qui enlève son pantalon et se met à déféquer au milieu de la rue : comme un gros dégueulasse qui n’a aucune éducation et qui empeste son environnement (avec la différence que la merde n’est pas cancérigène).

    Pour mettre en rapport, le tabac c’est trois crises du COVID chaque année. Rien que les morts annuels du tabagisme passif sont au même niveau que les victimes du COVID. Mais, contrairement au COVID, on ne prend aucune mesure alors que celles-ci sont faciles et évidentes. Pire, on encourage activement notre jeunesse à fumer !

    Il faut en déduire que tant qu’on tolère la vente et la fumée dans l’espace public, c’est qu’on n’a pas envie de sauver la planète ni la vie des humains. Voilà, au moins les choses sont claires. Ce n’est pas qu’on ne peut pas. On ne veut pas. Point. C’est bon ? On peut arrêter de faire semblant et détacher les capuchons des bouteilles en plastique ?

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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