un simple agrégateur, lecteur de flux rss pour tout suivre .... par: fonds d'écran - Kriss Feed, version : 7 - Google
  • Wednesday 07 December 2022 - 01:00

    Comment j’ai été mis en vente sur le Web… à mon insu !

    Dans ce billet, je vous explique comment j’ai découvert qu’une société de marketing propose mes services, mettant en avant une version fantaisiste de ma biographie, sans que j’en aie été informé.

    Mon recueil de nouvelles « Stagiaire au spatioport Oméga 3000 » s’ouvre sur la génération d’un auteur artificiel adapté à vos goûts selon vos données personnelles collectées.

    Lorsque j’ai écrit cette introduction, j’étais persuadé que j’allais me faire rattraper un jour ou l’autre par la réalité. Je n’imaginais pas que ce serait avant même que le livre soit disponible dans les librairies !

    Et pour cause…

    La découverte d’un conférencier homonyme

    Après avoir publié un billet sur l’invasion des contenus générés par des AI, j’allais faire directement l’expérience de devenir un conférencier généré automatiquement !

    Testant mon nouveau site, quelle ne fut pas ma surprise de trouver sur la première page Google de la recherche « Lionel Dricot » un profil à mon nom sur un site dont je n’avais jamais entendu parler.

    Capture d’écran d’une recherche Google pour « Lionel Dricot »

    Capture d’écran d’une recherche Google pour « Lionel Dricot »

    Un profil décrivant ma biographie avec moult détails, reprenant des photos et vidéos de diverses conférences. J’étais intrigué. Sur Mastodon, un lecteur me signala que le site était chez lui le premier résultat Bing pour une recherche sur mon patronyme .

    Capture d’écran d’une recherche Bing pour « Lionel Dricot »

    Capture d’écran d’une recherche Bing pour « Lionel Dricot »

    Un site étrange, à l’apparence très professionnelle et qui se présente comme une entreprise de « Celebrity Marketing ». Le simple fait que je sois sur un site de Celebrity Marketing a fait pouffer mon épouse. Elle a d’ailleurs remarqué que l’entreprise tire son nom de Simone Veil et Nelson Mandela. Utiliser Simone Veil et Nelson Mandela pour faire du « Celebrity Marketing », ça pose le niveau ! Ah ouais quand même…

    Mon profil sur le site incriminé

    Mon profil sur le site incriminé

    Petite précision : je ne ferai pas de lien vers ce site, car c’est explicitement interdit dans leurs conditions d’utilisation.

    Conditions d’utilisation du site S&N interdisant de faire un lien vers le site

    Conditions d’utilisation du site S&N interdisant de faire un lien vers le site

    Pratiquement, que fait cette société ? C’est très simple : elle met en contact des entreprises à la recherche de conférenciers et des conférenciers. C’est un service assez courant, j’ai même été en contact il y a quelques années avec une agence de ce genre. Souvent, ces agences signent un contrat d’exclusivité : le conférencier est obligé de passer par l’agence pour toutes les conférences qu’il donne. En échange, l’agence lui trouve des conférences, fait sa promotion, le place voir lui trouve un remplaçant en cas de forfait (j’ai moi-même effectué ce genre de remplacements).

    Sauf que dans le cas présent, je n’ai signé aucun contrat, je n’ai pas donné mon accord ni même été vaguement informé ! Le site donne l’impression que, pour me contacter, il faut absolument passer par eux. Nous ne sommes plus dans la bêtise, mais dans la malhonnêteté caractérisée.

    Formulaire pour me contacter… via le site S&N !

    Formulaire pour me contacter… via le site S&N !

    Où je découvre des facettes ignorées de ma propre vie

    La lecture de ma biographie est particulièrement intéressante, car, à première vue, elle est tout à fait crédible. Une personne peu informée n’y trouverait, à première vue, pas grand-chose à redire à part quelques fautes d’orthographe (mon roman s’appelle « Printeurs », à la française, pas « Printer » et j’ai du mal à imaginer qu’il puisse être perçu comme un message d’espoir ! La scène du nouveau-né dans le vide-ordure n’était pas assez explicite ?)

    Mais une lecture attentive relève des aberrations. Ces aberrations ont toutes une explication pour peu qu’on se mette à creuser. Ainsi j’aurais écrit une nouvelle intitulée « Voulez-vous installer Linux mademoiselle ? ». Comme l’a découvert un lecteur, cette phrase est extraite d’une de mes nouvelles intitulées « Les non-humains », publiée sur Linuxfr et Framasoft.

    J’ai également appris également que je suis cofondateur d’Ubuntu. Excusez du peu ! C’est bien entendu faux. Je suis co-auteur du premier livre publié sur Ubuntu, ce qui est très différent. Certaines phrases semblent également sorties de leur contexte (pourquoi insister sur l’obésité et la malnutrition ?) Enfin, le tout se termine par le sublime :

    Lors de ses conférences, Ploum nous prédit un monde plus sain et doux.

    Le ton général et les références font fortement penser à un texte généré artificiellement. Du type : « Donne-moi une biographie de Lionel Dricot », le tout en anglais suivi d’une traduction automatique. Il est possible que ce soit ce qu’on appelle un « mechanical turk », un travailleur sous-payé à qui on demande un travail que pourrait faire une IA (très fréquent dans les chats de support). Mais cela aurait dû au moins lui prendre une heure et j’ai du mal à imaginer qu’on paye une heure de travail pour pondre ma biographie.

    Que le texte soit ou non généré par une IA, cela ne change rien. Il pourrait très bien l’être et est représentatif de ce que produisent et produiront toujours les IAs : quelque chose qui a l’air correct, mais est constellé de fautes difficilement détectables pour un non-spécialiste (j’ai la chance d’être le plus grand spécialiste vivant de ma propre biographie).

    Comment réagir ?

    À ce stade, je pourrais tout simplement envoyer un mail et exiger le retrait de la page, l’histoire en resterait là. J’ai alerté une connaissance qui est également sur ce site.

    Mais ce serait trop facile. L’existence de ce profil pose plusieurs problèmes.

    Premièrement en se mettant en intermédiaire entre moi et des clients potentiels sans mon accord et en donnant l’impression que je suis affilié à cette entreprise. Cela pourrait sérieusement nuire à mon image ou à mon business (si j’avais l’une ou l’autre).

    Mais l’existence de ce genre de profil peut tordre la réalité de manière encore plus insidieuse. Admettons qu’un wikipédien, affilié ou nom à cette entreprise, se serve de ces infos pour créer une fiche Wikipédia à mon nom. Cela semble parfaitement légitime vu que cette page semble avoir été faite avec mon accord. Cette info pourrait être reprise ailleurs. Soudainement, je deviendrais l’auteur d’une nouvelle que je n’ai jamais écrite. De nombreux libristes informés s’affronteront pour savoir si je suis oui ou non cofondateur d’Ubuntu. Déjà que je suis devenu un écrivain français sur Babelio !

    En envoyant un simple mail pour demander le retrait de cette page, je légitime cette pratique business et me prépare à devoir surveiller en permanence le web pour faire retirer les profils générés sans mon accord.

    Attaquer en justice une société dans un pays qui n’est pas le mien (car Babelio se plante, pour info) ? Ô joies administratives en perspectives ! (si vous êtes juriste spécialisé et intéressé, contactez-moi)

    Ou alors il me reste la solution de lutter avec mes armes à moi. De faire le ploum et de vous raconter cette histoire de la manière la plus transparente possible. Afin de vous mettre en garde sur le fait que tout ce que vous lisez sur le web est désormais un gloubi-glouba qui a l’air sérieux, qui a l’air correct, mais qui ne l’est pas. Toutes les plateformes sont impactées. Tous les résultats des moteurs de recherche.

    En rendant cette histoire publique, je sais que la société va réagir avec « ouin-ouin je suis une entrepreneuse-je-ne-pensais-pas-à-mal-je-le-ferai-plus » ou alors « c’est-le-stagiaire-qui-a-fait-une-erreur-on-le-surveillera-mieux » voir « on-a-fait-ce-profil-avec-nos-petites-mains-parcec-qu’on-admire-votre-travail-on-penserait-que-vous-seriez-flatté ». Bref d’odieux mensonges hypocrites. C’est la base du métier du marketing : mentir pour pourrir la vie des autres (et détruire la planète).

    Et si la malhonnêteté ne vous est pas encore flagrante, apprenez que la société se targue de posséder la propriété intellectuelle des textes et photos sur son site. Je pense que le photographe du TEDx Louvain-la-Neuve serait ravi de l’apprendre… La plupart de ces images de moi ne sont même pas sous licence libre !

    Conditions d’utilisation du site S&N stipulant la propriété intellectuelle des contenus

    Conditions d’utilisation du site S&N stipulant la propriété intellectuelle des contenus

    Le futur du web…

    Si cela n’était pas encore clair, je suis désormais la preuve vivante que tout ce que pond le marketing est du mensonge. Ce qui est juste ne l’est que par hasard. Et tout ce qui nous tombe sous les yeux est désormais du marketing. Pour sortir de ce merdier, il va falloir trouver des solutions (Bill Hicks en proposait une très convaincante…).

    Nous allons devoir reconstruire des cercles de confiance. Oublier nos formations à reconnaître les « fake news » et considérer toute information comme étant fausse par défaut. Identifier les personnes en qui nous avons confiance et vérifier qu’un texte signé avec leur nom est bien de leur plume. Ce n’est pas parce qu’il y’a un cadenas vert ou une marque bleue à côté du pseudo que l’on peut faire confiance. C’est même peut-être le contraire…

    Bref, bienvenue dans un web de merde !

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

  • Monday 05 December 2022 - 01:00

    Drowning in AI Generated Garbage : the silent war we are fighting

    All over the web, we are witnessing very spectacular results from statistic algorithms that have been in the work for the last forty years. We gave those algorithms an incredibly catchy name: "Artificial Intelligence". We now have very popular and direct applications for them: give the algorithm a simple text prompt (don’t get me started on the importance of text) and it generates a beautiful original picture or a very serious-sounding text. It could also generate sounds or videos (we call them "deep fakes"). After all, it generates only a stream of bits, a bunch of 1 and 0 open to interpretation.

    All of this has been made possible because billions of humans were uploading and sharing texts and pictures on the commons we call "the Internet" (and more specifically the web, a common more endangered every day because of the greediness of monopolies). People upload their creation. Or creations from others. After all, does "owning" a text or a picture has any meaning anywhere except in the twisted minds of corrupted lawyers?

    What we are witnessing is thus not "artificial creativity" but a simple "statistical mean of everything uploaded by humans on the internet which fits certain criteria". It looks nice. It looks fantastic.

    While they are exciting because they are new, those creations are basically random statistical noise tailored to be liked. Facebook created algorithms to show us the content that will engage us the most. Algorithms are able to create out of nowhere this very engaging content. That’s exactly why you are finding the results fascinating. Those are pictures and text that have the maximal probability of fascinating us. They are designed that way.

    But one thing is happening really fast.

    Those "artificial" creations are also uploaded on the Internet. Those artificial artefacts are now part of the statistical data.

    Do you see where it leads?

    The algorithms are already feeding themselves on their own data. And, as any graduate student will tell you, training on your own results is usually a bad idea. You end sooner or later with pure overfitted inbred garbage. Eating your own shit is never healthy in the long run.

    Twitter and Facebook are good examples of such algorithmic trash. The problem is that they managed to become too powerful and influential before we realised it was trash.

    From now on, we have to treat anything we see on the Internet as potential AI garbage. The picture gallery from an artist? The very cool sounding answer on Stackoverflow? This article in the newspaper? This short viral video? This book on Amazon? They are all potential AI garbage.

    Fascinating garbage but garbage nonetheless.

    The robot invasion started 15 years ago, mostly unnoticed. We were expecting killing robots, we didn’t realise we were drowned in AI generated garbage. We will never fight laser wearing Terminators. Instead, we have to outsmart algorithms which are making us dumb enough to fight one against the other.

    Time to enter into resistance, to fight back by being and acting like decent human beings. Disconnect. Go outside. Start human discussions. Refuse to take for granted "what was posted on the Internet". Meet. Touch. Smell. Build local businesses. Flee from monopolies. Refuse to quickly share and like things on your little brainwired screen. Stop calling a follower number "you community" and join small online human communities. Think.

    How to recognise true human communities free of algorithmics interferences?

    I don’t know. I don’t even know if there are any left. That’s frightening. But as long as we can pull the plug, we can resist. Disconnect!

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

    If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books and subscribing to my newsletter in French or RSS. I also develop Free Software.

  • Sunday 04 December 2022 - 01:00

    La fin d’un blog et la dernière version de ploum.net

    Avertissement : Ce billet est une rétrospective technique des 18 années de ce blog. Il contient des termes informatiques et traite de la manière dont j’ai développé du code pour créer les pages que vous lisez. N’hésitez pas à passer les paragraphes qui contiennent trop de jargon.

    La naissance d’un blog

    Je suis un précurseur visionnaire.

    En 2004, sur les conseils de mon ami Bertrand qui avait constaté que j’écrivais de longues tartines éparpillées aux quatre coins du web, je finis par ouvrir un blog. J’étais au départ réticent, affirmant qu’un blog n’était qu’un site web comme un autre, que la mode passerait vite. Tout comme le podcast n’était jamais qu’un fichier MP3, que la mode passerait tout autant. J’avais tenu un discours similaire en 97, affirmant que le web n’était que du texte affiché à l’écran, que la mode passerait. Juste avant de créer mon premier site. Un véritable précurseur visionnaire vous dis-je.

    Inspiré par le Standblog de Tristan Nitot (que je lisais et lis toujours), j’installai le logiciel Dotclear sur le serveur de deux amis et me mis à bloguer. Pour ne plus jamais arrêter. Que Bertrand, Tristan, Anthony, Fabien et Valérie (qui nomma mon blog "Where is Ploum?") soient ici mille fois remerciés.

    En 2010, n’arrivant pas à trouver un thème Dotclear 2 qui me satisfasse, je décidai de migrer temporairement vers Wordpress (et non pas vers J2EE). Plateforme sur laquelle je suis resté depuis.

    La vie avec Wordpress n’est pas de tout repos : mises à jour fréquentes, incompatibilités avec certains plug-ins, évolutions de plug-ins et de thèmes, certains devenant payants, messages d’alertes pour des versions PHP ou MySQL dépassées. Sans compter des pléthores de versions d’un fichier htaccess à ne surtout pas toucher sous peine de tout casser, des sauvegardes de bases de données à faire et oubliées dans un coin.

    Cherchant un minimalisme numérique, Wordpress ne me convenait plus du tout. Il ne correspondait plus non à ma philosophie. Malgré quelques tentatives, je n’avais pas réussi à retirer tout le JavaScript ni certaines fontes hébergées par Google sans casser mon thème. En 2018, je me suis activement mis à chercher une alternative.

    À cette époque, j’ai rencontré Matt, le fondateur de Write.as. J’ai contribué au projet afin de le rendre open source (ce que Matt fera sous le nom WriteFreely). Nous avons tenté de l’adapter à mes besoins. Besoins que je décrivais dans un long document évolutif. En parallèle, je testais tous les générateurs de sites statiques, les trouvant complexes, n’arrivant pas à faire exactement ce que je voulais.

    Je prétendais chercher du minimalisme et je reproduisais, sans le vouloir, le syndrome du project manager J2EE dont je m’étais moqué.

    Découvrant le protocole Gemini, je me suis rendu compte que c’était bel et bien ce genre de minimalisme auquel j’aspirais. J’en étais convaincu : mon Ploum.net nouvelle génération devrait également être sur Gemini.

    Mais loin de m’aider, cette certitude ne faisait qu’ajouter une fonctionnalité à la liste déjà longue de ce que je voulais pour mon blog. Je me perdais dans une quête d’un workflow idéal.

    Après quelques mois, abandonnant l’idée de mettre mon blog sur Gemini, je me décidai à ouvrir un Gemlog sur rawtext.club. Pour tester. Que cmccabe soit ici publiquement remercié.

    J’écrivais tous mes fichiers à la main dans Vim, je les envoyai ensuite sur le serveur distant depuis mon terminal. Le tout sans le moindre automatisme. J’y prenais énormément de plaisir. Alors que je pensais juste tester la technologie, je me suis naturellement retrouvé à écrire sur mon Gemlog, à réfléchir, à partager. Je retrouvais la naïveté initiale de mon blog, la spontanéité.

    Au fil des mois, j’introduisis néanmoins certaines automatisations. Sauvegardes et envoi vers le serveur grâce à git. Un petit script pour générer la page d’index. Les billets sur mon gemlog connaissaient un certain succès et certains les partageaient sur le web grâce à un proxy gemini−>web. Un comble !

    Et c’est à ce moment-là que je compris que mon blog ne serait jamais sur Gemini. Ce serait le contraire ! J’allais mettre mon gemlog sur le web. Et importer près de 800 billets Wordpress dans mon Gemlog. Plus de 800.000 mots écrits en 18 années de blog. L’équivalent de 15 livres de la taille de Printeurs.

    Lire avant tout

    Depuis mon premier Dotclear, je jouais avec les thèmes, les plug-ins, les artifices, les commentaires. Je ne m’étais jamais vraiment posé la question de ce que j’attendais de mon blog.

    Mon blog est, depuis ces années, un fil de vie, un élément essentiel de mon identité. Mon blog me reflète, je suis qui je suis grâce à mon blog. Il est une partie de mon intimité, de mon essence.

    Qu’ai-je envie de faire de ma vie ? Écrire ! Mon blog doit donc me faciliter le fait d’écrire et son pendant indissociable : être lu !

    Être lu ne signifie pas être découvert, avoir des fans, des likes ou des abonnés. Être lu signifie que chaque personne arrivant sur un article sera considérée comme une lectrice et respectée comme telle. Pas d’engagement, de métriques, d’invitation à découvrir d’autres articles. Une lectrice a le droit de lire dans les meilleures conditions et de passer ensuite à autre chose.

    Au travail !

    Pour la première fois, le chemin me semblait enfin clair. Je n’allais pas tenter de trouver le logiciel parfait pour faire ce que je voulais. Je n’allais pas planifier, tester, connecter des solutions différentes en écumant le web. J’allais tout faire à la main, tout seul comme un grand. Si j’arrivais à convertir mon blog Wordpress en fichiers gmi (le format Gemini), il ne me restait qu’à écrire une petite routine pour convertir le tout en HTML.

    Un adage chez les programmeurs dit que tout programme complexe nait parce que le programmeur pensait sincèrement que c’était facile. Mon script ne fait pas exception à la règle. Il m’aura fallu plusieurs mois pour peaufiner et arriver à un résultat acceptable. Devant me passer du service Mailpoet intégré à Wordpress (service dont la licence m’était fournie par un sympathique lecteur, qu’il soit ici remercié), je du me résoudre à écrire ma propre gestion d’email pour pouvoir l’intégrer à un service open source. Ce fut la partie la plus difficile (probablement parce qu’en toute honnêteté, cela ne m’intéresse pas du tout). Si vous voulez recevoir les billets par mail, il existe désormais deux mailing-listes (si vous avez reçu ce billet par mail, vous êtes inscrit à la première FR mais pas à celle en anglais EN, je vous laisse vous inscrire si vous le souhaitez) :

    J’avoue être assez fier du résultat. Chaque billet que vous lisez est désormais un simple fichier texte que j’écris et corrige avant de publier en l’insérant dans le répertoire FR ou EN selon la langue. À partir de là, le tout est envoyé par git sur le service sourcehut et un script publish.py transforme mon texte en une page gmi, une page hmtl ou un email. À l’exception des éventuelles images, chaque page est complètement indépendante et ne fait appel à aucune ressource externe. Même les 40 lignes de CSS (pas une de plus) sont incluses. Cela permet des pages légères, rapides à charger même sur une mauvaise connexion, compatibles avec absolument toutes les plateformes même les plus anciennes, des pages que vous pouvez sauver, imprimer, envoyer sans craindre de perdre des informations. Bref, des véritables pages web, un concept devenu absurdement rare.

    La signification du minimalisme

    En codant ce site, il m’est apparu que le minimalisme impliquait de faire des sacrifices. D’abandonner certains besoins. La raison pour laquelle je n’avais jamais été satisfait jusqu’à présent était mon incapacité à abandonner ce que je pensais essentiel.

    Les tags aident-ils la lecture ? Non, ils ont donc disparu. Les séries ? J’étais convaincu d’en avoir besoin. J’ai commencé à les implémenter, mais je n’ai pas été convaincu et j’ai mis ce travail de côté. La recherche intégrée ? La fonctionnalité est certes utile, mais son bénéfice ne couvre pas le coût de sa complexité. J’ai dû me faire violence pour l’abandonner, mais, une fois convaincu, quel soulagement !

    Pour remplacer la recherche, je dispose de deux armes : la première est que la liste de tous mes billets est désormais disponible sur une simple page. Si vous connaissez un mot du titre du billet que vous recherchez, vous le trouverez avec un simple Ctrl+f dans votre navigateur.

    Pour la recherche plus profonde sur le contenu, mes billets étant désormais de simples fichiers texte sur mon disque dur, la commande "grep" me convient parfaitement. Et elle fonctionne même lorsque je suis déconnecté.

    Car l’aspect déconnecté est primordial. Ma déconnexion dans la première moitié de 2022 m’a fait prendre conscience à quel point mon blog Wordpress n’était plus en phase avec moi. Je ne pouvais plus le consulter simplement, je ne pouvais plus y poster sans passer du temps en ligne.

    Mes lecteurs les plus techniques peuvent également me consulter offline avec un simple "git clone/git pull".

    La dernière version ?

    Le titre de ce billet est volontairement racoleur (et si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est que ça fonctionne), mais, oui, ce billet annonce bel et bien la fin de mon blog sur le web tel qu’il a été durant 18 ans.

    Désormais, vous ne lirez plus que mon Gemlog. Gemlog dans lequel j’ai importé le contenu de mon ancien blog. Cette approche Gemini-first implique des contraintes assez fortes, notamment celle de n’avoir qu’un lien par ligne (ce qui rend certains de mes anciens billets truffés de liens assez particuliers à lire, je le reconnais).

    J’ai cependant pris grand soin de faire en sorte que les anciennes URLs fonctionnent toujours. "Cool URLs never change". Si ce n’est pas le cas, signalez-le-moi !

    Une autre particularité de ce projet dont je suis fier est que tout mon blog ne dépend désormais plus que de deux briques logicielles : git et python, des composants fondamentaux sur lesquels je peux espérer me baser jusqu’à la fin de ma vie. Le tout étant rédigé dans Vim et corrigé par le couple Antidote/Grammalecte (le point le plus fragile de mon système).

    Ce qui me fait dire que ce site est peut-être bel et bien la dernière version de ploum.net. Après Dotclear et Wordpress, je ne dépends désormais plus de personne. Plus de mises à jour imposées, plus de changements soudains d’interface, plus d’adaptation à des nouvelles versions (à part un éventuel python 4 qui ne devrait pas poser de problème vu que je n’utilise à dessein aucune bibliothèque externe). J’évolue à mon rythme et en faisant exactement ce qui me plait, sans dépendre d’une communauté ou d’un fournisseur.

    Aurais-je été plus efficace avec un générateur de site web existant ? Peut-être. Je n’en suis pas convaincu. J’aurais dû l’apprendre et me plier à ses contraintes arbitraires. Pour ensuite tenter de l’adapter à mes besoins. Même si cela avait été plus rapide sur le court terme, il aurait été nécessaire de me plier aux nouvelles versions, d’espérer qu’il soit maintenu, de m’intégrer dans la communauté et j’aurais forcément fini par migrer vers une autre solution un moment ou un autre.

    La philosophie du code

    Pour la première fois, mon blog exprime donc avec son code des valeurs que je tente de mettre par écrit : la simplicité volontaire est difficile, mais libère autant l’auteur que les lecteurs. Elle implique une vision tournée vers un long terme qui se compte en décennies. L’indépendance se conquiert en apprenant à maitriser des outils de base plutôt qu’en tentant d’adopter la dernière mode.

    En apportant les dernières touches au code qui génère ce qui n’est pour vous qu’une page parmi tant d’autres, j’ai eu l’impression d’avoir réduit la distance qui nous séparait. Les intermédiaires entre mon clavier et votre intelligence ont été réduits au strict nécessaire. Plutôt que des connexions à des interfaces impliquant des copier-coller, des chargements de librairies JavaScript, j’écris désormais dans un simple fichier texte.

    Fichier texte qui s’affiche ensuite dans vos mails, votre lecteur RSS ou votre nagivateur.

    Cela parait trivial, simple. C’est pourtant l’essence du web. Une essence qui est malheureusement beaucoup trop rare.

    Merci de me lire, de me partager (pour certain·e·s depuis des années), de partager mon intimité. Merci pour vos réactions, vos suggestions et votre soutien. J’espère que cette version vous plaira.

    Bonnes lectures et bons partages !

    PS: Si vous relisez régulièrement certains anciens articles (plusieurs personnes m’ont confié le faire), n’hésitez pas à vérifier que tout est OK et me signaler tout problème éventuel. Comme tout logiciel, le travail n’est jamais terminé. La version Wordpress restera disponible sur le domaine ploum.eu pour quelques mois.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

  • Saturday 03 December 2022 - 01:00

    Reinventing How We Use Computers

    Nearly two years ago, I put into words the dream I had for a durable computer. A computer that would be built for a lifetime. A computer that would not do everything but could do 80% of what I expect from it. I called this idea the Forever Computer.

    I expected to launch a conversation about what we really expect from computers. What do we really want from them? What are some limitations that could N free us? What if we didn’t have a pointer but still wanted to be user-friendly by avoiding cryptic key combinations? What if we only had rare and intermittent connections? What if we didn’t have a high-resolution screen? Thinking about that gave birth to Offpunk, a command-line and offline web browser.

    Unsurprisingly, most of the reactions I had from my Forever Computer dream where about hardware. Every idea, every project I saw could be summarised as "How to make hardware we can repair while not questioning what we do with this hardware?" The (very interesting) Framework laptop is available as… a Chromebook. This is like transitioning to electric cars while having electricity generated from coal and not questioning why we ride in the first place. Oh, wait…

    By developing and using Offpunk, I had to think about what it means to use a computer. I ended up putting my fingers on a huge paradigm problem : we don’t have computers any more. We have "content consuming devices".

    The Consuming Screen

    On my typewriter, two small retractable metal holders allow the page to stand up while being written. It’s fairly common. I realised that I retract them to keep the paper flowing horizontally. Instead of building a wall of text between me and my environment, I stay open to my surroundings, I catch the ideas that are besides the machine, further away. On the Freewrite, the horizontal e-ink screen does exactly the same. And it works great. It allows me to see what I’m writing without being absorbed by it.

    On our computers, the screen is always bigger, shinier, brighter. It is designed to consume you while you consume content. It is a wall to lock you in, to make you prisoner of your little space. Developers need three screens to habit this virtual space. Meetings are now little rooms where everyone put a screen behind himself and others while pretending to listen to someone who connected his own screen to a projector (because the only way to have us outside of our own little screen is a bigger shared screen). Tablets and phones are screen-only computers designed to take our attention, to make us consume more and more contents even when we are with beloved ones.

    Browsing the Gemini network with Offpunk allowed me to realise how "consuming and producing content" was a disease and not something we ever wanted to do as humans.

    The Lost Input

    But while computers were transformed into screens, we completely lost the main input mechanism: the keyboard. It is not that the inefficient and absurd misaligned qwerty keyboard didn’t evolve. It actually worsened. We lost the mechanical keys in the search for flatness. We lost comfort. We lost any ergonomics. The only point was to make a keyboard as flat as possible and the same size as the screen to fit it in a laptop. With its infamous butterfly keyboard, Apple even managed to make it painful to type. And I’m not talking about those small touchscreen keyboards which still mimic a full, often misaligned, qwerty keyboard.

    We know what a good keyboard is. Independent tinkerers managed to build awesome stuff. There were some really interesting experiments but, in the end, it looks like every attempt at reinventing the keyboard ends in some kind of split orthogonal form with alternative layout (Dvorak, Colemak or, for me, Bépo).

    Why haven’t we seen a single computer with such a built-in keyboard? Because computers are not built to type any more. There are built to consume content. Even professional coders spend more time consuming Slack messages and Github badge notifications than writing code.

    The Clamshell Compromise

    When you add a bright screen to a cramped keyboard, you end up with the worst possible design: the clamshell laptop.

    The clamshell is perfect to close it and put it in a bag. It is awful to use. It is like giving a triangle to a cello player before a concert because, hey, the triangle is easiest to travel with.

    With a clamshell, the keyboard and the screen are never where there should be. The keyboard is too high, forcing our arms and shoulders in a stressful position while the screen is too low and deforms our neck. Our body is suffering because we don’t want to think about what we do with our computers.

    As I was thinking why it was so relieving to let the paper roll horizontally on my typewriter, I realised that it allowed me not to read it all the time. I was encouraged to look outside while typing, having only glances at the paper. When lying lower, text is more comfortable to read horizontally. You only need a really slight angle to read a book open on a table.

    What it means for the Forever Computer

    All those points made me realise that a true Forever Computer should be built "keyboard first". The keyboard should be the most important part, with a housing for travel. The same housing could host a small screen, possibly an e-ink one. While travelling, that would allow you to read deeply (with the screen in your hand, like an e-reader) or to attach it to the keyboard to write while not being absorbed by the screen. You separate the action of reading and writing instead of being always between two chairs.

    The keyboard would feature a port to plug a bigger screen that you could have at home or in your office. Those screens could be put on the wall or, like any external monitor, configured to be at eye level.

    When you think about it, it allows us to reintroduce the locality of action. Want to watch videos? Go to the living room and plug to the big screen. Want to code in an IDE or do some graphic work? Go to the office and plug into your desk’s screen. Not at your desk? You can read, takes notes, answer your emails (that will we synchronised when needed). But don’t pretend to code a little, answer a message, watch a video while eating at a restaurant.

    Flipping the trend

    We currently own a screen with very minimal input to allow us to consume content and access our own data which are on some company servers. The only thing we own, the only thing we pay for is a screen. Sometimes with a bad keyboard.

    What I call the Forever Computer is exactly the opposite. You own your input (your favourite keyboard and trackball). You own your data (stored with the computer itself in the keyboard housing). The screen is only a commodity. You can share the screen, you can use someone else screen, you can plug to the one in your hotel room.

    This is the point where my dream made me realise what a nightmare our tech dystopia has become. When did building the same old laptop or phone with a handful of replaceable part became the epitome of sustainability and innovation? Why is cramming a few more pixels and a few more CPU cycles to allow hundred megabytes of JavaScript to render some text using a cool new font seen as "a revolution". Like any other tool, we should accept that you need to learn how to use a computer. Short-term UX marketing and regular updates with arbitrary changes in the interface have killed the very notion of "learning to use a computer". People have been reduced to "consumers having to adapt to the change of their consuming machine". We forgot that a computer should not hide how it works to be easy but instead allow its user to learn gradually about it. If we want durability, learnability is the key. When you learn something, you take care of it. You start to like it, to maintain it. It’s the opposite of forced upgrade cycles.

    I don’t know if there will be something like my "Forever Computer" in my lifetime. But there’s one thing I’m now certain: the ethical computer will be radically different of what we have in 2022. Or it will never be.

    Links and further resources

    If you want to discuss the Forever Computer, I’ve opened a mailing-list on the subject. Join us!

    I’m closely following the work done by MNT on its Reform and its future Reform Pocket computers. People like them are probably those that could reinvent computing and free us from the current paradigm.

    While not radical at all, the Framework is probably the most interesting project for regular computer users.

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

    If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books and subscribing to my newsletter in French or RSS. I also develop Free Software.

  • Monday 28 November 2022 - 09:24
    Couverture de « Stagiaire au spatioport Omega 3000… et autres joyeusetés que nous réserve le futur »

    Pourriez-vous devenir le premier Madame pipi mâle de la station spatiale Omega 3000 ? Ou optimiser le rendement des mines de chocolat de la Lune ? La vie privée étant abolie, percerez-vous l’identité secrète de l’homme le plus riche du monde ? Comment lutter contre les monopoles informatiques si, lassée de vous voir taper à la machine, votre famille vous inscrit à une initiation aux ordinateurs ? Jouerez-vous un rôle majeur dans le destin de la galaxie ou resterez-vous un figurant ?

    Toutes les réponses à ces questions (et à bien d’autres) sont désormais disponibles dans « Stagiaire au spatioport Omega3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur », un recueil de nouvelles désormais disponibles en ligne et dans toutes les librairies de Suisse. Il arrivera dans celles de France et de Belgique en février 2023.

    Ce qui est un peu tard pour les cadeaux de Noël/Newtonmass, raison pour laquelle vous pouvez directement commander ce recueil chez l’éditeur.

    => Commander « Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur »

    « Stagiaire au spatioport Omega 3000 » est une idée cadeau idéale, car, contrairement à un roman, qu’on aime ou qu’on n’aime pas, le livre offre ici 15 histoires très différentes. Certaines plus farfelues, d’autres sérieuses. Des rigolotes, des absurdes ou des interpelantes voire tout simplement poétiques. L’une évoque la problématique du genre dans le cadre du space opera ( « Stagiaire au spatioport Omega 3000 »). D’autres alertent sur l’emprise des monopoles informatiques ( « Le dernier espoir »), la disparition de la vie privée en ligne ( « Le jour où la transparence se fit » ) ou l’impact à très long terme de nos choix technologiques ( « Les successeurs » ).

    En (vous) offrant ce recueil, vous offrez donc des moments de plaisir, de rire et de poésie, mais également, sans en avoir l’air, des pistes de réflexion et des introductions à des sujets potentiellement difficiles que vous, lecteurs de mon blog, vous connaissez probablement déjà.

    Autour de la bûche de Noël, rien que le titre et la couleur de la couverture devraient occuper une bonne partie de la soirée et détourner un bon moment les conversations de la coupe du monde au Qatar, de la crise économique et de la guerre en Ukraine. Avouez que, à ce prix là, c’est donné !

    Alors, plutôt que de parcourir les centres commerciaux surchauffés, offrir 15 nouvelles est une idée de cadeau rapide, chic et pas cher !

    Pour ceux dont la liste de lecture peut attendre février, commandez le livre dès maintenant chez votre libraire. On ne se rend compte de l’importance des librairies que lorsqu’on les perd, soutenez-les ! L’ISBN est 978-2-940609-29-1.

    => Fiche du livre sur Place des libraires

    Plus qu’un simple recueil…

    Depuis ma plus tendre enfance, je dévore les recueils de nouvelles. J’adore quand les nouvelles sont entrecoupées d’anecdotes par l’auteur. Ce que fait Isaac Asimov avec un talent incroyable.

    Lorsque Lionel, mon éditeur homonyme, m’a proposé de publier un recueil de nouvelles, j’ai d’abord pensé à les rassembler de manière traditionnelle, n’osant même pas tenter d’imiter le grand Asimov. Mon épouse m’a convaincu d’écouter mon intuition et de faire ce recueil avant tout pour moi, comme je voudrais le lire.

    Donc acte. Chaque nouvelle est désormais accompagnée d’une petite note où j’explique l’inspiration et le processus d’écriture derrière le texte. Parfois, je digresse un peu sur les thèmes qui me sont chers. Vous me connaissez, on ne se refait pas…

    Le résultat est que loin d’être juste un assemblage de texte, ce recueil est devenu une forme de mise à nu, un partage très intime entre l’écrivain et chaque lect·eur·rice. Avec mon éditeur, nous avons pris la décision d’inclure également quelques « erreurs de jeunesse ». Ce ne sont pas mes meilleurs textes, mais rendre transparente mon évolution personnelle est une manière d’illustrer mon travail et, je l’espère, d’inspirer d’autres à apprécier leurs propres progrès. Pour tout avouer, je n’ose pas me relire, je suis un peu gêné de ce que vous allez découvrir de moi. Tout en étant très fier d’offrir un recueil qui est bien plus que la somme des textes qui le composent.

    Si vous lisez ce blog, ce recueil est ce qui s’en rapproche le plus au format papier. Tout en étant bien plus amusant et gai à lire. Le partager et le recommander est la plus belle manière de soutenir mon travail.

    => Commander « Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur » (format papier)
    => Le recueil au format epub

    Je serai très heureux d’avoir vos avis, vos réactions, de lire vos critiques sur vos blogs ou vos espaces en ligne respectifs. N’hésitez pas à m’envoyer vos retours. Sur Mastodon, je vous propose d’utiliser le hashtag #omega3000.

    Et si vous avez découvert la surprise (qui est, si Wikipédia est exact, une première mondiale), chut ! Ne la spoilez pas pour les autres…

    Recevez les billets par mail ou par RSS. Max 2 billets par semaine, rien d’autre. Adresse email jamais partagée et définitivement effacée lors du désabonnement. Dernier livre paru : Printeurs, thriller cyberpunk. Pour soutenir l’auteur, lisez, offrez et partagez des livres.

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Monday 14 November 2022 - 13:13

    Ce samedi 19 novembre, à 11h30, je donnerai une conférence à Toulouse au Capitole du Libre sur le thème :

    Attention ! Cette conréfence n’est pas une conréfence sur le cyclimse ! Merci de votre compréhension !

    Ça parlera de culture, de libre, de culture libre, de liberté de culture et de l’importance d’échapper à la monoculture, de libérer nos cerveaux en libérant nos références culturelles.

    J’en profiterai pour annoncer quelques bonnes surprises dont je n’ai pas encore eu l’occasion de parler sur ce blog.

    Après la conf, je resterai jusqu’au dimanche après-midi, assis à une table entre Pouhiou et David Revoy, excusez du peu, pour dédicacer mon roman Printeurs et, première surprise, mon nouveau recueil de nouvelles qui n’est officiellement pas encore sorti.

    Quand je dis « pas encore sorti », je veux dire que même moi je ne l’ai pas encore vu. Mon éditeur a envoyé une poignée des tout premiers exemplaires imprimés directement à Toulouse. Je le découvrirai donc devant vous à la table de dédicace. Une exclusivité, comme le cassoulet, 100% toulousaine. Je peux cependant déjà vous dire que si vous êtes partisan du respect de la vie privée, si vous pestez contre l’invasion des smartphones ou que vous vous êtes déjà retrouvé face à un extra-terrestre gluant dans des toilettes qui ne correspondaient pas à votre sexe, vous devriez trouver votre bonheur dans ce recueil qui devrait arriver dans toutes les librairies françaises, belges et suisses en janvier.

    Si vous êtes dans le coin, n’hésitez pas à venir faire un tour et, si le cœur vous en dit, à m’aborder.

    J’ai découvert aux Imaginales à Épinal que plusieurs lecteurs hésitaient à m’aborder pour « ne pas me déranger ». J’avoue que je déteste être dérangé quand je suis concentré, mais si je vais à une conférence, c’est précisément pour rencontrer des gens. Donc pour être dérangé ! Et vous n’avez pas à vous justifier de ne pas acheter mes livres. D’ailleurs, les ventes seront assurées par un libraire professionnel.

    Pour ceux qui préfèrent les versions électroniques, mais souhaitent malgré tout une dédicace, je vous propose de venir avec le morceau de papier/carton de votre choix. Je le glisserai dans ma machine à écrire pour vous faire un petit mot.

    Parce qu’au fond de moi, ça me fait sacrément plaisir de retrouver une conf libriste, de me retrouver au milieu de geeks et geekettes en t-shirts déglingués, de discuter de vive voix après parfois près de vingt années d’échanges sur le net, de m’associer à d’autres Vimeurs pour troller les utilisateurs d’Emacs, de parler de Gemini et de naviguer en ligne de commande avec des gens qui trouvent ça normal (je peux vous faire une démo d’Offpunk, mon navigateur web offline), de vous donner des nouvelles de ma boulangère …

    Bref, je suis sacrément content de vous (re)voir !

    (non je ne suis pas malade en voiture. C’est juste que quand je suis content je vomis. Et là je suis hypercontent !)

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  • Tuesday 01 November 2022 - 13:20

    Il y a un peu moins d’un an, j’ai supprimé mon compte Twitter. Un compte vérifié avec la célèbre icône bleue, suivi par près de 7000 autres comptes Twitter.

    Si ce n’est pas exceptionnel, ce compte n’en était pas moins relativement « influent » sur l’échelle Twitter. J’ai pourtant décidé de tenter l’expérience de m’en passer complètement, pour voir. Je savais que j’avais un an pour faire marche arrière. Durant un an, mon compte serait « réactivable » avant d’être définitivement supprimé. Il me reste donc quelques semaines pour changer d’avis.

    Et pourtant, cela ne me viendrait pas à l’esprit.

    Un sentiment de liberté

    Je m’étais déjà déconnecté de mon compte Twitter pendant des périodes plus ou moins longues, jusqu’à trois mois. Mais la suppression est complètement différente. En quelques jours, j’ai tout simplement arrêté de penser à ce qui se passait sur Twitter. J’ai arrêté de penser que ce réseau existait. L’expérience a été la même que pour Facebook et LinkedIn : en supprimant le compte, je me suis ôté un poids énorme. C’est pour Twitter, le réseau auquel j’étais le plus accroc, que la sensation a été la plus forte.

    Il est simple de se retirer des réseaux que l’on n’aime pas ou qu’on utilise peu. Le réel changement vient d’accepter de se retirer d’un réseau dont on connait la nocivité, pour soi et pour le monde, sans pourtant pouvoir s’en passer. Parce qu’on est persuadé d’en tirer plus de bien que de mal.

    Je suis un blogueur et écrivain qui cherche la gloire. Qui cherche le buzz. Qui cherche à vendre des livres, à être lu, à toucher des lecteurs. Les réseaux sociaux sont littéralement conçus pour les gens comme moi. Et pourtant, ils me prennent beaucoup en m’apportant bien peu. Les pseudobénéfices ne sont que du vent. Une icône bleue à côté de mon nom ? La belle affaire ! Un nombre à quatre chiffres sous la marque « abonnés » ? Un simple attrape-nigaud pour que je tente à tout prix de le faire augmenter.

    Twitter ne me manque pas. Au contraire. Je me demande sans cesse pourquoi je ne l’ai pas quitté plus tôt. Pourquoi ceux qui, comme moi, ont la conscience de la nocivité de cette plateforme la crédibilisent en restant dessus. (je ne vais pas leur jeter la pierre, j’en faisais partie il y a moins d’un an).

    La migration vers Mastodon

    Je souris de la naïveté de certains utilisateurs qui s’indignent de l’arrivée d’Elon Musk à la tête de Twitter. C’était pourtant clair depuis le début, non ? Vous êtes des « utilisateurs ». Vous êtes une marchandise, vous créez la valeur de l’entreprise, que ce soit pour Elon Musk ou un autre. Vous êtes les pigeons et votre indignation ne fait qu’alimenter les débats, les interactions et donc les intérêts publicitaires.

    Il n’y a pas de bonne manière d’utiliser un réseau propriétaire. En créant un compte, nous acceptons d’être utilisés, manipulé et que chacune de nos interactions y soit désormais monétisée.

    Il y a déjà 5 ans, je tentais de promouvoir Mastodon, une alternative libre et décentralisée à Twitter. Je lis souvent des remarques comme quoi c’est beaucoup plus compliqué.

    Non.

    C’est juste différent. Si tu n’arrives pas à utiliser Mastodon, c’est que tu n’en as tout simplement pas envie.

    C’est plus facile de manger un burger au Macdo qu’un plat équilibré avec des légumes. C’est plus facile de balancer ses déchets dans un parc plutôt que de faire du tri. L’argument de la facilité n’en est pas un. Le monde se modèle selon l’énergie que nous y mettons.

    Il faut créer un compte avec un mot de passe et tout ? Sur Twitter aussi. C’est juste que tu as l’habitude. C’est juste que tu t’es connecté sur un serveur Mastodon, que tu as découvert que tu avais 0 follower, que tu n’avais plus la petite icône bleue, que tu ne savais plus « promouvoir tes tweets », que tu ne voyais plus des likes s’afficher en direct sous tes messages. Que tu n’es plus revenu et que donc tu as oublié ton mot de passe. Que c’est plus facile d’accuser le logiciel libre d’être compliqué plutôt que d’affronter sa propre vacuité.

    Si tu n’as pas l’envie d’apprendre à utiliser Mastodon, c’est compréhensible. Personne ne te force. Mais n’accuse pas la plateforme.

    Twitter est très bon pour te faire croire que tu es un utilisateur important. Mais sur le Fediverse, le réseau décentralisé auquel participent les serveurs Mastodon, il n’y a pas d’utilisateurs, encore moins des importants. Il y a juste des personnes qui sont toutes sur le même pied d’égalité.

    La plateforme ne peut pas remplacer l’introspection

    C’est peut-être ça le plus difficile à accepter : ce n’est pas Mastodon ni le logiciel libre le problème. C’est toi. C’est toi qui cherches à te sentir important, à être valorisé. En achetant des vêtements chers, le dernier iPhone le jour de sa sortie, une grosse voiture ou une icône bleue à côté de ton pseudo Twitter. Ou tout simplement en ayant beaucoup de retweets, en étant beaucoup cité dans les débats.

    La question n’est pas de faire un Twitter-sans-Elon-Musk. La question est de savoir ce que nous voulons, ce que nous cherchons. De faire la part entre ce que nous prétendons (« communiquer ») et ce que nous voulons réellement (« être valorisé », »avoir le sentiment d’exister »).

    J’ai plusieurs fois suggéré de supprimer dans Mastodon l’affichage public du nombre de followers pour couper court à toute potentielle spéculation sur cet indicateur. Si je me rends compte qu’un compte à beaucoup de followers, j’ai tendance instinctivement à penser que cette personne est importante, que son avis vaut la peine d’être écouté. Je ne pense pas être le seul.

    Tentez l’expérience

    Si votre morale personnelle réprouve ce qu’est ou ce que devient Twitter, je ne peux que vous inviter à tenter l’expérience de supprimer votre compte. Rappelez-vous : vous avez un an pour changer d’avis.

    Faites fi de ces conversations tellement importantes, de cette communauté que vous ne pouvez pas « abandonner », de ces ennemis virtuels qui verront votre départ comme une victoire. Tentez simplement de vous aligner avec vos propres valeurs morales. Juste pour voir.

    Supprimer votre compte est également la seule et unique manière de protester, de toucher l’entreprise là où ça lui fait mal.

    Bien sûr, vous pouvez aussi venir sur Mastodon. Mais ce n’est pas nécessaire. C’est même peut-être contreproductif. Si vous étiez accroc à Twitter, vous serez tenté de voir dans Mastodon un substitut. Il est sans doute préférable de se sevrer de Twitter avant de découvrir autre chose.

    Bonus

    Installez l’extension libredirect dans votre navigateur, de manière à pouvoir continuer à consulter Twitter à travers l’interface Nitter (vous pouvez même suivre les comptes Twitter dans votre lecteur RSS). Sur Android, utilisez Fritter.

    => https://libredirect.codeberg.page/ Libredirect pour Chrome/Firefox
    => https://f-droid.org/en/packages/com.jonjomckay.fritter/ Fritter pour Android

    Recevez les billets par mail ou par RSS. Max 2 billets par semaine, rien d’autre. Adresse email jamais partagée et définitivement effacée lors du désabonnement. Dernier livre paru : Printeurs, thriller cyberpunk. Pour soutenir l’auteur, lisez, offrez et partagez des livres.

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Monday 10 October 2022 - 15:39

    En 2007, espérant monétiser ma réputation naissante de blogueur influent, j’ai installé des publicités Google sur mon blog. Les premiers mois furent de bonnes surprises (entre 100€ et 200€ par mois) avant que Google ne m’annonce qu’en raison des clics frauduleux sur mes publicités, la somme serait revue à la baisse (pour tomber très vite à 30-50€ par mois).

    Ne cliquant pas sur mes propres publicités et étant d’une naïve honnêteté, ma première réalisation fut que Google pouvait me raconter absolument n’importe quoi, qu’ils pouvaient décider de leur tarif, que je n’avais de toute façon aucun recours. Que 30€, c’était mieux que rien.

    Vraiment ? À ce moment précis, je me fis la réflexion que tout modèle publicitaire était intenable sur le long terme. Que la publicité ne pouvait fonctionner que si elle était une fraction d’un véritable échange économique, mais que, toute seule, la publicité ne permet rien. Si une entreprise paye pour une publicité, c’est parce qu’elle espère augmenter son bénéfice d’une somme supérieure à celle dépensée.

    Ce qui nous place devant deux alternatives :

    Soit la publicité fonctionne et elle entraine que les personnes exposées (à savoir les lecteurs de mon blog) dépensent plus d’argent que s’ils n’y avaient pas été exposés.

    Soit la publicité ne fonctionne pas vraiment et toute l’industrie n’est qu’une gigantesque arnaque de laquelle il vaut mieux rester le plus éloigné possible.

    Dans le premier cas, l’affichage de publicités sur mon blog était hautement immoral (je poussais mes lecteurs à dépenser tout en n’en obtenant qu’un très maigre bénéfice), dans l’autre cas je participais à une arnaque qui risquait de s’écrouler rapidement.

    Force est de constater que j’étais un peu trop en avance : quinze années plus tard, l’arnaque semble encore fonctionner. Mais les premières fissures semblent apparaitre dans la pyramide. Dans tous les cas, il est clair que la publicité est hautement immorale. Que toutes les personnes qui y contribuent d’une manière ou d’une autre sont de sacrés enfoirés. Oui. Vous ! Votre métier consiste à attirer le plus possible l’attention des gens, à polluer leur esprit afin qu’ils consomment plus et polluent plus la planète. Pourrir la vie des gens tout en pourrissant la planète.

    La publicité en ligne, arnaque ou pas ?

    Tim Hwang, dans « Subprime Attention Crisis », et Cory Doctorow, dans « How to destroy surveillance capitalism », défendent tout deux la théorie de l’arnaque. Comme le souligne Cory Doctorow, à lire les rapports aux actionnaires de Facebook, leur plateforme serait une espèce de rayon magique invisible pour manipuler l’esprit des gens. Hautement improbable !

    Cependant la publicité a un effet très clair : attirer notre attention, nous distraire, détourner les idées et créer des envies. Il semblerait que la publicité ciblée ne fonctionne en réalité pas beaucoup mieux que des publicités génériques. Voire pas du tout mieux. Cela n’empêche pas Google et Facebook de nous espionner sous toutes les coutures en espérant faire croire à leurs clients que ça fonctionne.

    Une chose est certaine : Google (Alphabet) et Facebook (Meta) sont parmi les cinq plus grandes entreprises du monde. Avec Twitter et TikTok, elles occupent le centre des vies connectées (et donc des vies tout court) de milliards d’individus. Il est impossible d’acheter un téléphone sans Google. Il est impossible de lire un article de presse sans liens vers Twitter (Rick Falkvinge se plaisait à appeler la presse « Printed tweets from yesterday »). En rue ou dans les transports, l’immense majorité de la population est en permanence sur Instagram (Meta), Whatsapp (Meta également) ou TikTok (une entreprise chinoise qui a largement démontré son irrespectabilité).

    L’immense majorité du chiffre d’affaires de ces quatre sociétés est généré par la publicité. On parle de chiffres plus gros que le budget de tout un pays.

    Postuler que la publicité est un business « honnête » revient à dire que ces milliards d’euros ne seraient pas dépensés sans elle. Et donc revient à démontrer que la publicité appauvrit la population d’une manière démentielle en entrainant une surconsommation qui détruit littéralement la planète.

    Grâce au smartphone, la publicité a colonisé chaque seconde de nos vies. Il n’en reste pas moins que ces vies sont limitées à une poignée de milliards de secondes et que nos portefeuilles le sont également.

    Force est de constater que la publicité est, au moins en partie, une gigantesque arnaque. L’autre partie étant un business parfaitement immoral en pleine compétition avec l’industrie de l’armement pour savoir qui entrainera le plus rapidement la disparition de l’humanité.

    Des monopoles à la fois juge et partie

    Comme je l’avais découvert avec Google en 2007, le véritable problème de ce marché publicitaire est que les entreprises sont à la fois arbitre et partie prenante. Lorsque vous achetez des publicités chez un de ces géants, tout ce qu’ils vous offrent en échange sont… des chiffres qu’ils inventent.

    Pour promouvoir un de mes livres, j’avais fait l’expérience d’acheter des publicités sur Twitter et Facebook en spécifiant que je voulais cibler la Belgique. Sur Twitter, j’ai obtenu des milliers « d’impressions » (le terme pour dire que mon tweet a été affiché chez un utilisateur) et des dizaines de retweets. À l’inspection, tous ces retweets provenaient de comptes vraisemblablement faux (comptes sans interactions, dans une langue étrangère, mais, comme par hasard, contentant tous un drapeau belge dans leur description). De son côté, Facebook m’a informé que des centaines de personnes avaient cliqué sur le lien de ma campagne de financement. Chose étrange, aucun de ces clics n’apparaissait dans les statistiques du site de crowdfunding. L’impact sur les ventes a été absolument nul.

    Ces réseaux sont tellement remplis de faux comptes et de fausses interactions que cela en devient gênant. Elon Musk a notamment fait trainer son offre de rachat de Twitter lorsqu’il s’est rendu compte de l’importance du problème (ce qui en dit long sur sa méconnaissance de ce type de business). LinkedIn (Microsoft) est confronté à un problème similaire : la majorité des interactions y sont fausses. Même vos statistiques Google Analytics sont majoritairement remplies de visites de robots.

    La situation est simple : nous voulons tous plus de « clics » sur nos contenus et des followers, les grandes entreprises ont pris le contrôle du Web pour nous offrir ces clics et ces followers. Ils nous offrent des compteurs de clics et un moyen de faire augmenter ces clics avec une simple carte de crédit. Ils nous vendent une monnaie de singe de leur propre inventions contre notre argent véritable, un peu comme certaines sociétés de jeux en ligne. Tant qu’il y’a des pigeons pour payer, pourquoi s’en priver ?

    Le géant Procter&Gamble a d’ailleurs annoncé avoir coupé complètement tous ses budgets publicitaires pour les réseaux sociaux et n’avoir perçu absolument aucune différence dans les ventes.

    La faible qualité de l’attention vendue

    Tout n’est pas complètement faux. Facebook s’est fait une spécialité de vous permettre de créer une « communauté », mais de vous forcer à payer pour envoyer des messages à une partie de cette communauté. Avec mes 2500 followers sur Facebook, j’avais découvert à l’époque que chaque message touchait en moyenne 1%, mais que, en payant, je pouvais monter à 5% voire 10% de « ma communauté ». Facebook me faisait croire que j’atteignais un public alors qu’en réalité, je devais payer pour contacter moins de gens que si je leur avais conseillé de s’abonner par mail ou RSS.

    Mais même lorsque payer permet réellement d’entrer en contact avec un être humain, cette interaction est généralement d’une qualité incroyablement faible. Dans le train, le bus ou l’avion, observez l’écran des autres voyageurs. Ils font défiler à toute vitesse, s’arrêtant parfois une seconde pour mettre un like sans même prendre le temps de lire. Lorsque la publicité n’est pas une simple arnaque, tout ce qu’elle vous offre est donc d’apparaitre quelques fractions de seconde sur un écran en train de défiler.

    Sur LinkedIn, j’ai durant quelques mois tenté d’accepter les offres d’emplois qui m’arrivaient par messages privés. Alors que pour les besoins de l’expérience j’acceptais toutes les conditions sans discuter, aucune des dizaines de demandes n’a jamais débouché sur quoi que ce soit. En fait, je n’ai reçu que quelques réponses à mes dizaines d’acceptations et, malgré des relances de ma part, toutes ces discussions ont tourné en eau de boudin, mes interlocuteurs étant passés à autre chose.

    Même lorsque les géants publicitaires remplissent leur part du contrat de manière honnête, force est de constater qu’il s’agit d’une arnaque.

    La morbidité des métriques

    Comme d’habitude, tout n’est que question de métrique. Si vous êtes dans un job où votre chef vous demande d’augmenter les clics sur un site web ou d’obtenir des followers, alors cela a complètement du sens d’acheter ces clics ou ces followers.

    Mais si vous avez un peu plus de recul, la véritable question est « Quel est l’objectif du business ? » et « Quelles sont les métriques véritablement corrélées à cet objectif ».

    Ce n’est pas parce que Google, Facebook et les autres vous offrent un beau pack de métriques toutes faites et d’un moyen de les optimiser que cela convient à votre business. En fait, de manière générale, tout fournisseur qui prétend vous vendre l’observation de métriques décidées par lui, mesurées par lui et optimisées par lui est par essence un escroc.

    À part dans de rares cas, il est même probable que le fait d’avoir un Google Analytics sur votre site soit préjudiciable à votre business. Le simple fait d’avoir accès à ces statistiques va vous faire prendre des décisions pour augmenter le nombre de visites sur votre site, ce qu’on appelle SEO. Ensuite, vous allez tenter de comprendre pourquoi vos visiteurs qui affluent ne passent pas commande alors que vos techniques de SEO ont justement fait affluer une masse de gens (lorsque ce ne sont pas des robots) qui ne sont a priori pas concernés par votre business. En essayant d’être trouvé par tout le monde, vous perdez de vue le cœur de votre marché, à savoir ceux qui vous cherchent.

    L’omniprésence des métriques web fournies par Facebook, Google et compagnie fait que plus personne n’imagine ne pas optimiser ces métriques, même les services publics, les écoles, les restaurants, les business de proximité, les entreprises qui ont une relation humaine avec leurs clients. Bref, l’immense majorité de l’économie.

    Échapper aux influences néfastes

    C’est ce qui a fait la fortune de Google et Facebook : ils ont confisqué l’économie, l’ont pris en otage en convainquant le monde entier qu’il n’y avait pas d’autre manière de faire du business qu’en augmentant les clics sur le web. Et que la seule manière d’y arriver, c’est de passer par leur monopole.

    Tant qu’il y’aura des pigeons pour payer des publicités, ces entreprises survivront. Même si les publicités sont pour promouvoir des services vivant eux-mêmes de la publicité ? Sur Android, par exemple, les jeux font souvent la publicité d’autres jeux publicitaires. Sur Facebook, beaucoup de médias, y compris ceux financés par l’argent public, font leur publicité afin d’attirer des visiteurs pour visionner… leurs propres publicités.

    Il n’est pas compliqué de comprendre que tout cela tourne en boucle et que le jour où tout cela s’écroulera, ce ne sera pas très beau à voir. Que tous vos investissements pour obtenir des abonnés, pour obtenir des vues et des clics seront réduits à néant.

    Briser l’incroyable puissance de ces monopoles morbides ne passe pas par l’utilisation d’alternatives ou de succédanés, mais par la réalisation profonde que nous n’avons tout simplement pas besoin d’eux.

    Qu’ils ne survivent qu’en nous faisant croire à la fable qu’ils sont indispensables.

    Que sous les apparences de technologie et de scientisme, ces business ne sont que de simples religions qui contrôlent ceux qui veulent bien y croire, qui extorquent l’argent de leurs fidèles en leur faisant croire que c’est la seule option viable pour gagner le paradis.

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 10 August 2022 - 09:51

    À voir l’affiche et la bande-annonce, l’année du requin s’annonce comme une comédie estivale des plus traditionnelles, sorte de croisement entre « Les gendarmes de Saint-Tropez à la pêche au requin » et « Les bronzés au camping 3 ».

    Heureusement, la lecture des critiques m’avait mis la puce à l’oreille. L’année du requin n’est pas une énième comédie franchouillarde de type sous-splendid, au grand plaisir ou au grand dam des commentateurs. Les gags de la bande-annonce s’enchainent dans les premières minutes du film. Comme prévu, le gendarme Maja, Marina Foïs, se prend un seau d’eau et une vanne comique de la part de son collègue Blaise, Jean-Pascal Zadi. Rires bien vite étouffés par la réplique tranchante d’une Marina Foïs qui crève l’écran en gendarme fatiguée par une carrière assez terne dans une ville où la spécialité est de poser ses fesses dans le sable et de regarder la mer : « Ce n’est pas gai de se prendre un seau d’eau lorsqu’on est en service. » Sourires gênés de ses coéquipiers et du public.

    Le ton est donné. Le prétexte comédie n’était qu’un attrape-nigaud. Si le film regorge de pépites humoristiques, celles-ci se font discrètes, sans insistance (comme le coup de la garde-robe de Maja, entraperçue une seconde en arrière-plan). Là n’est pas le propos.

    Le propos ? Il n’est pas non plus dans l’histoire, assez simple pour ne pas dire simplette : un requin hante les côtes de la station balnéaire de La Pointe et, à la veille de la retraite, la gendarme maritime Maja décide d’en faire son affaire.

    Pas de comédie désopilante ? Pas d’histoire ? Mais quel est l’intérêt alors ?

    Tout simplement dans l’incroyable panoplie d’humains que la caméra des frères Boukherma va chercher. Chaque personnage est ciselé, la caméra s’attardant longuement sur les défauts physiques, les rides, les visages bouffis, fatigués, vieillis, mais également souriants et pleins de personnalité. Au contraire des frères Dardennes, l’image ne cherche pas à servir un ultra-réalisme social. Il s’agit plutôt de mettre à l’honneur, d’héroïfier ces humains normaux. En contrepoint à ces anti-superhéros, le film offre un maire jeune, lisse et sans caractère ni le moindre esprit de décision (Loïc Richard). Parachuté depuis Paris, il se réfugie, symbole de cette lutte des classes omniprésente, derrière une visière anti-covid. Des Parisiens qui sont à la fois détestés par les locaux, mais nécessaires, car faisant tourner l’économie.

    ** Entracte publicitaire **

    Acteur bordelais, Loïc Richard est réputé pour son travail de la voix. J’ai eu l’occasion de collaborer avec lui lorsqu’il a enregistré la version audiolivre de mon roman Printeurs, disponible sur toutes les plateformes d’audiobook. Autant il joue à merveille le personnage fade et lisse dans le film, autant il peut prendre des intonations sombres et inquiétantes dans sa lecture de Printeurs. Je ne pouvais quand même pas rater de placer cette anecdote 😉

    => https://voolume.fr/catalogue/sf-et-fantasy/printeurs/

    ** Fin de l’entracte, merci de regagner vos sièges **

    Dans la première partie du film, Maja part à la chasse aux requins et tout se passe, à la grande surprise du spectateur, un peu trop facilement. La gendarme devient, malgré elle, une héroïne des réseaux sociaux. Mais au plus rapide est la montée, au plus dure est la chute. Au premier incident, qui n’est clairement pas le fait de Maja, elle devient la bête noire. Harcelée, elle en vient à paniquer dans une courte, mais puissante scène de rêve. Le propos est clair : le véritable requin est l’humain, alimenté par les réseaux sociaux et par les médias, symbolisé par une omniprésente radio réactionnaire qui attise les haines sous un vernis pseudohumoristique. Sous des dehors de petits paradis balnéaires, la haine et la rancœur sont tenaces. Sous la plage, les pavés. L’éden est amer.

    À partir de la séquence onirique, le film perd progressivement tout semblant de réalisme et l’humour se fait de plus en plus rare. Les codes sont inversés : si l’humour était filmé de manière réaliste, les images d’action et d’angoisse sont offertes à travers la caméra d’une comédie absurde, l’apogée paradoxal étant atteint avec le rodéo impromptu de Blaise et le réveil surréaliste d’une Maja qui s’était pourtant noyée quelques minutes auparavant. Tout donne l’impression que Maja a continué son rêve, que la lutte contre le requin se poursuit dans son inconscient.

    Étrange et déstabilisant, le film fonctionne entre autres grâce à un travail très particulier du cadre et de la couleur. Chaque plan résulte d’une recherche qui porte le propos, l’émotion. Lorsqu’elle est sur son ordinateur, Maja est baignée d’une lumière froide alors que son mari, à l’arrière-plan, représente la douceur chaleureuse du foyer. « Tu devrais arrêter Twitter », lance-t-il machinalement en partant dans la nature alors qu’elle reste enfermée devant son smartphone. Lors des confrontations entre les époux, la caméra se décentre souvent, donnant une perspective, un retrait, mais une intensité aux échanges.

    Le titre lui-même porte une critique sociale très actuelle : « L’année passée c’était le covid, cette année le requin. Ce sera quoi l’année prochaine ? ». Le requin est le pur produit d’un réchauffement climatique entrainant des catastrophes face auxquelles tant les politiciens, les écologistes et les réactionnaires sont impuissants. Chacun ne cherchant finalement qu’à se dédouaner de toute responsabilité. Comme le dit le maire : « Ça va encore être la faute de la mairie ! ».

    Sans y toucher, le film démontre le succès et la nécessité de décennies de lutte féministe. Le personnage principal est une femme qui s’est consacrée à sa carrière avec le soutien d’un mari effacé et très gentil (Kad Merad, incroyablement humain en mari bedonnant). Son assistante Eugénie est une femme (Christine Gautier). Pourtant, encore une fois, aucune insistance n’est placée sur le sujet. Le sexe des personnages importe peu, les relations étant, à tous les niveaux, purement basées sur leur caractère. Aucune séduction, aucune histoire d’amour autre qu’un mariage de longue date entre Maja et son mari, aucune mièvrerie. Le tout avec des interactions humaines profondément réalistes (dans des situations qui le sont évidemment beaucoup moins).

    L’année du requin n’est certes pas le film de la décennie, la faute probablement à un scénario un peu simplet, il offre néanmoins une expérience cinématographique originale, nouvelle. Les frères Boukherma nous gratifiant d’un nouveau genre : celui de la parodie sérieuse qui ne se prend pas la tête. Fourmillant de trouvailles (la radio, la voix off particulièrement originale), le film mêle plaisir, clins d’œil aux cinéphiles, critique sociale et cadre original, le tout servi par des acteurs dont les talents sont particulièrement bien exploités.

    Que demander de plus ?

    Une morale ? Le film se termine justement sur une morale gentille, mais pas trop bateau et parfaitement appropriée : « Il y a deux types de héros. Ceux qui veulent sauver le monde et ceux qui veulent sauver ceux qu’ils aiment ».

    Si l’année du requin ne sauve pas ni ne révolutionne le monde, il saura offrir quelques heures de plaisir à ceux qui cherchent des saveurs nouvelles sans se prendre la tête et qui aiment ce cynisme un peu grinçant qui ne s’inscrit dans aucune case précise. Il m’a clairement donné envie de découvrir Teddy, le premier film de ce jeune tandem de réalisateurs jumeaux. Et si après le loup-garou et le requin, ils décident de s’attaquer à la science-fiction, je suis volontaire pour leur pondre un scénario.

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  • Sunday 07 August 2022 - 13:25

    Si ma déconnexion totale a été un échec, si j’ai repris des connexions intempestives, mon usage de l’ordinateur a cependant été profondément modifié. Il est, par défaut, non connecté. Je suis conscient de chaque connexion. Et je ne regarde mes emails qu’une fois, parfois deux par jour. Ce dernier changement ayant grandement facilité grâce à une action que j’ai commencé il y a près de trois ans : supprimer mes comptes en ligne.

    Au cours de ces trois dernières années, j’ai activement supprimé plus de 600 comptes sur différentes plateformes. Chaque fois que je reçois un mail d’une plateforme sur laquelle j’ai un compte inutilisé, je procède aux démarches, parfois longues et fastidieuses, pour le supprimer. Au cours de ces trois années, de nombreuses plateformes sont réapparues dont j’avais oublié jusqu’à l’existence.

    Le travail a été de très longue haleine, mais commence à porter ses fruits et m’enseigne énormément sur cette marque de viande en boîte transformée en nom commun par des humoristes anglais déguisés en Vikings : le spam.

    Les différents types de spams

    J’ai identifié trois sortes de spams : le random-spam, l’expected-spam et le white-collar-spam.

    Le random-spam est le pur spam dans la plus ancienne tradition du terme. Des emails envoyés à des millions de personnes sans aucune logique, pour vous vendre du viagra, pour vous convaincre d’installer un spyware, d’aider un prince nigérien à récupérer des millions ou de verser une rançon en bitcoins, car vous avez été soi-disant filmé en train de vous palucher devant un site porno. Une fois que votre adresse est publique, il n’y a rien à faire contre ce type de spam si ce n’est tenter de les filtrer. Il est complètement illégal. C’est d’ailleurs sa caractéristique première : il n’est lié à aucune entité juridique évidente. Vous ne pouvez pas vous plaindre ou vous désinscrire. Si le random-spam était une vraie plaie historiquement, je suis surpris de constater que sur mon adresse la plus spammée, une adresse publiée partout depuis quinze années, présente dans une kyrielle de bases de données publiques, je reçois en moyenne un random-spam tous les deux ou trois jours (il est automatiquement détecté comme tel et placé dans mon dossier spam, les faux négatifs étant très rares). La moitié de ces spams concernent les cryptomonnaies. J’en déduis que sur une adresse relativement récente et peu publique, vous recevrez très peu de ces spams.

    L’expected-spam est exactement le contraire : c’est du spam envoyé par des plateformes ou des services sur lesquels vous êtes inscrits de votre plein gré. Notifications, enquête de satisfaction, newsletters ou autres annonces de nouveautés. La particularité est que vous pouvez vous désinscrire, même si ce n’est souvent que très temporairement (comme pour Facebook ou Linkedin, qui s’évertuent à créer des nouvelles newsletters ou catégories d’emails pour se rappeler à vous). Au final, il est très simple de se débarrasser de ce spam : supprimer définitivement votre compte de ce service. En théorie. Parce que certains continuent à vous envoyer des messages dont vous ne pouvez plus vous désabonner vu que vous n’avez plus de compte. Une menace de plainte RGPD suffit généralement à résoudre le « bug » informatique. Il est donc possible de réduire l’expected-spam à zéro (sauf s’il provient de votre employeur. Les entreprises se plaignent du manque de productivité des employés, mais paient des gens pour les assommer sous les newsletters internes complètement inutiles, allez comprendre).

    Vient ensuite la troisième catégorie : le white-collar-spam. Le white-collar-spam est en fait du spam qui se donne des fausses impressions de légalité. Ce sont des entreprises qui ont acheté vos données et qui vous contactent comme si vous étiez inscrits chez eux. Un lien de désinscription est généralement toujours disponible. Mais plutôt que de me désinscrire simplement, je contacte chacune des entreprises et demande d’où elles tiennent mes données, les menaçant de poursuite RGPD. J’ai ainsi découvert que l’immense majorité des white-collar-spam proviennent, en francophonie, d’un ou deux fournisseurs. Ces fournisseurs sont absolument peu scrupuleux sur la manière dont ils collectent les données. Ce n’est pas étonnant : leur métier est littéralement d’emmerder les utilisateurs d’emails. Leurs clients sont les entreprises, les organisations non gouvernementales et les services publics. Ils classent les emails en catégories et vendent ces bases de données pour une durée limitée. Ce dernier point est important, car un an après avoir été en contact avec l’un de ces spammeurs-légaux-professionnels et avoir clairement fait comprendre que mes données ne pouvaient plus être vendues, j’ai reçu du spam d’un de leur client. Il s’est avéré que le client, un service public français à vocation culturelle, avait réutilisé une base de données achetée deux ans auparavant, ce qui était interdit par son contrat.

    J’ai donné le nom « white-collar-spam », car ce spam n’est guère différent du random-spam illégal si ce n’est qu’il est accompli par des sociétés ayant pignon sur rue très fières de leur métier de spammeur. Au lieu de lutter contre le spam, nous en avons fait une activité honorable et rémunératrice !

    Outre ces quelques acteurs professionnels du spam, une grande quantité de white-collar-spam provient indirectement de Linkedin. En effet, certains outils permettent aux professionnels du marketing (le nouveau nom pour spammeur) de récolter les adresses mails, même cachées, de leurs contacts Linkedin. Si vous avez un de ces très nombreux spammeurs dans vos contacts sur ce réseau, vous êtes foutu. La solution la plus simple : supprimer votre compte Linkedin et laisser les spammeurs entre eux (la fonction première de ce réseau). Le simple fait d’effacer mon compte Linkedin a divisé par deux, en quelques semaines, le nombre de spams que je recevais.

    La majorité du spam que je reçois aujourd’hui est donc ce white-collar-spam qui est plus ou moins légal et complètement immoral.

    Une idée m’est venue pour le combattre très simplement : interdire la revente d’une donnée identifiante sans l’accord de la personne concernée. Simple comme tout : si une société souhaite vendre des données, elle doit en demander l’autorisation à chaque transaction. Cette règle s’appliquerait également en cas de rachat d’une société par une autre ou en cas de transfert d’une entité juridique à une autre. Il semble en effet évident que l’on peut partager ses données avec une entité, mais ne pas vouloir le faire avec une autre. La société machin sur laquelle vous avez un compte se fait racheter par truc ? Vous devez marquer votre accord sans quoi vos données seront effacées après un délai de quelques mois. Simple à implémenter, simple à surveiller, simple à légiférer.

    Ce qui signifie que si nous avons du spam, c’est parce que nous le voulons. Comme la cigarette ou la pollution industrielle, le spam fait partie des nuisances dont nous nous plaignons sans réellement oser les combattre parce que nous sommes persuadés qu’il y’a une raison valable pour laquelle ça existe, parce que nous nous y sommes habitués et parce que certains se sont tellement enrichis avec qu’ils peuvent influencer le pouvoir politique et médiatique. Pire : nous admirons même un peu ceux qui gagnent leur vie de cette manière et sommes prêts à travailler pour eux si une offre juteuse se présente.

    Les bénéfices insoupçonnés de la suppression de compte

    La solution la plus radicale et qui fonctionne à merveille reste de supprimer tous ses comptes. C’est un processus de longue haleine : je me suis découvert plus de 600 comptes au fur et à mesure que je fouillais mon gestionnaire de mot de passe, les comptes liés à mes comptes Google, Facebook et LinkedIn. Chaque fois que je crois avoir fait le tour, des comptes complètement oubliés réapparaissent dans ma boîte mail lorsqu’ils modifient leurs conditions d’utilisation.

    Supprimer un compte qu’on n’utilise plus est un processus pénible : réussir à se reconnecter, à trouver la procédure pour supprimer qui est souvent planquée et artificiellement complexe (pas toujours). Mais c’est encore plus difficile lorsqu’il s’agit d’un compte qu’on utilise ou qu’on pense pouvoir réutiliser. Le plus difficile étant lorsqu’un historique existe, historique souvent agrémenté d’un score : nombre d’amis, points, karma, récompenses, badges… Après Facebook et Twitter, Reddit et Quora furent probablement les comptes les plus difficiles à supprimer. Je me suis rendu compte que je tirais une fierté absurde de mon karma et de mes scores alors que je n’ai jamais été un utilisateur assidu de ces plateformes.

    Mention spéciale tout de même à ces sites qui ont prétendu avoir effacé mes données sans réellement le faire. Dans le cas d’une chaine de restaurants de sushi, le gestionnaire s’est contenté de rajouter « deleted_ » devant mon adresse email. Ce fut encore pire pour un grand site immobilier belge. Plus d’un an après la suppression totale de mes données, le site s’est soudain mis à m’envoyer journalièrement le résultat d’une recherche que j’avais enregistrée une décennie auparavant. Sans possibilité de désactiver, mon compte étant officiellement supprimé. Il a fallu plusieurs semaines d’échanges par email pour résoudre le problème et obtenir un semblant d’explication : un très vieux backup aurait été utilisé pour restaurer certaines bases de données. Je vous laisse juge de la crédibilité d’une telle raison.

    De toutes mes histoires, j’ai appris une généralité : l’immense majorité des services est en réalité incapable de supprimer vos données, que ce soit par malveillance ou par incompétence. Toute donnée entrée sur un site doit être considérée comme définitivement compromise et potentiellement publique. Si j’ai très souvent accordé le bénéfice du doute, attribuant les erreurs ou difficultés à l’incompétence, j’ai plusieurs fois été confronté à ce qui ne pouvait être que des mensonges manifestes et éhontés. Une grande majorité des services web réclamant vos données sont donc soit incompétents, soit profondément malhonnêtes. Soit les deux. L’exception venant des petits services artisanaux, généralement développés par une toute petite équipe. Dans tous les cas de ce genre, l’effacement s’est fait rapidement, proprement et parfois avec un mot gentil personnalisé. Preuve que la suppression n’est pas un acte techniquement insurmontable.

    Contrairement à l’abstinence ou au blocage d’accès à ces sites, la suppression du compte a eu chez moi un impact absolument incroyable. Du jour au lendemain, j’ai arrêté de penser à ce qui se passait sur ces plateformes. Du jour au lendemain, j’ai arrêté de penser à ce qui pourrait avoir du succès sur ces plateformes. J’ai arrêté de penser pour ces plateformes. J’ai arrêté de me plier à leurs règles, de travailler inconsciemment pour elles. J’ai arrêté d’avoir envie de les consulter. Et lorsque me vient l’envie d’y poster ou d’y répondre, le fait de devoir recréer un compte pour l’occasion est assez pour m’arrêter dans mon élan et me faire remarquer que j’ai mieux à faire. Lorsqu’une plateforme est soudain vraiment nécessaire, je recrée un compte, si possible avec une adresse jetable et le supprime après emploi. Une fois le réflexe pris, ce n’est plus tellement contraignant.

    Plateformes et militantisme

    N’ayant pas supprimé mon compte Mastodon, par simple soutien idéologique au projet, je me retrouve mécaniquement à explorer cette plateforme. Plateforme elle-même complètement biaisée (si je devais la considérer comme représentative de la France, Mélenchon aurait dû devenir président avec près de 95% des voix, le reste étant essentiellement des abstentions).

    Dans le militantisme, il existe deux écoles. La première prétend qu’il faut aller chercher les gens où ils sont. Militer pour le logiciel libre sur Facebook par exemple. La seconde soutient qu’il faut d’abord être fidèle à ses propres valeurs, ses convictions.

    Je suis désormais convaincu de la seconde approche. Je pense avoir soutenu la première approche pendant des années entre autres pour justifier ma quête égotique sur les réseaux propriétaires, pour résoudre mon conflit interne. Car, quelle que soit l’intention derrière un message, son impact sera toujours contrôlé par la plateforme sur laquelle il est posté. Le simple fait d’utiliser une plateforme nous déforme et nous conforme à ladite plateforme.

    Je pense également qu’il ne faut pas aller « chercher les gens là où ils sont ». Ne pas crier pour tenter de couvrir le bruit ambiant. Il faut au contraire construire des espaces de calme, des espaces personnels et faire confiance aux humains pour les trouver lorsqu’ils en ont besoin. Le simple fait d’avoir un compte sur une plateforme justifie pour tous vos contacts le fait de rester sur cette plateforme. Le premier qui quitte la plateforme s’exclut du groupe. Le second force le groupe à se poser des questions. Le troisième implique que « le groupe » n’est tout simplement plus sur cette plateforme, que celle-ci est devenue inutile dans le cadre du groupe.

    Aucun discours ne convainc autant que montrer l’exemple. Faire plutôt que dire. Être plutôt que convaincre. Vivre ses propres choix, sa propre personnalité et respecter ceux qui en font d’autres en acceptant que cela puisse nous éloigner.

    Oui, en supprimant mes comptes j’ai raté des opportunités sociales. Mais soit je ne m’en suis pas rendu compte, ce qui a épargné mon énergie mentale, soit cela a eu pour impact de faire prendre conscience à mon entourage qu’ils ne pouvaient plus faire entièrement confiance à Facebook ou Whatsapp. Dans tous les cas, le rapport coût/bénéfice s’est révélé disproportionnellement en faveur de la suppression.

    À chaque compte effacé, j’ai eu le sentiment qu’on m’enlevait un poids des épaules. Je me sentais revivre. Certes, je perdais une « audience potentielle », mais j’y gagnais en liberté, en plaisir d’écrire sur mon blog, sur mon gemlog voire sur ma machine à écrire plutôt que de sans cesse réagir, répondre, être en réaction (au sens le plus Nitzchéen du terme).

    Si j’ai replongé dans la connexion intermittente, un progrès énorme s’est fait : la connexion m’ennuie de plus en plus. Le nombre de plateformes sur lesquelles lire du contenu s’est à ce point restreint que j’en fais très vite le tour. J’ai également compris que mon addiction n’est pas uniquement due à la connexion, elle est également technophile. J’aime être sur mon ordinateur, devant mon écran. Je tente de trouver des excuses pour garder les mains sur le clavier, pour mettre à jour un logiciel, configurer mon environnement, améliorer mes processus, découvrir, coder. Bref, « chipoter ».

    La découverte de cette composante de mon addiction m’a convaincu de faire entrer ma déconnexion dans une nouvelle phase. Celle de la matérialité.

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  • Wednesday 29 June 2022 - 13:29

    La digue s’est rompue. Sous la pression des flots furieux, je me suis reconnecté, j’ai été inondé.

    La cause initiale a été l’organisation de plusieurs voyages. De nos jours, organiser un voyage consiste à passer des heures en ligne à faire des recherches, trouver des opportunités, comparer les offres, les disponibilités puis à réserver, attendre les emails, confirmer les réservations. Au moment de la confirmation finale d’un vol, j’ai par exemple eu la désagréable surprise de découvrir que les bagages n’étaient pas autorisés. Mais bien sur le même vol le lendemain. Il m’a fallu décaler tout le planning, revenir aux réservations des hébergements, etc.

    Lorsqu’on passe sa journée en ligne, papillonnant entre les sites web, répondant à un mail de temps en temps, ce genre d’exercice s’inscrit naturellement dans la journée. Mais quand, comme moi, on chronomètre le temps passé en ligne, l’énergie consacrée à organiser un voyage est effrayante. Outre le temps passé à explorer les possibilités, à chercher activement et remplir les formulaires, il y a également le temps d’attente pour les confirmations, les dizaines de mails à déchiffrer dont la plupart ne sont que des arguties administratives ou, déjà, des publicités desquelles il faut se désabonner.

    Le tout évidemment devant être synchronisé avec les autres participants desdits voyages.

    Entre deux créations de comptes et deux mails de confirmations, attendant la réponse urgente d’un des participants, mon cerveau n’a pas la capacité de se concentrer. Il attend. Et tant qu’à attendre, il y’a justement des dizaines, des centaines, des milliers de petites tranches informationnelles divertissantes. Les résultats d’une course cycliste. Les élections en France. Des sujets passionnants. Voire inquiétant pour le dernier. Mais un sujet inquiétant n’en est que plus passionnant. J’observe avec un intérêt morbide la montée de l’extrême droite comme on regarde un film d’horreur : impuissant et sans pouvoir me détacher de l’écran.

    Dans mon cas, le fait de voyager a été la cause de ma reconnexion. Mais cela aurait pu être autre chose. Comme les problèmes que j’ai eus avec mon ex-banque, qui force désormais l’utilisation d’une application Android revendant mes données privées afin de fermer les agences et virer le personnel.

    Le point commun entre les banques et les voyagistes ? La disparition du service client. La disparition d’un métier essentiel qui consistait à écouter le client pour ensuite tenter de transformer ses desiderata en actes administratifs. Désormais, le client est seul face à la machine administrative. Il doit remplir les formulaires, tout connaitre, tout comprendre tout seul. Se morigéner pour la moindre erreur, car personne ne vérifiera à sa place.

    Mais, si le service n’existe plus, la fiction du service existe toujours. Les départements marketing bombardent d’emails, de courriers papier et d’appels téléphoniques intempestifs. Pour vour faire signer ou acheter un énième produit dont vous ne pourrez plus vous défaire. L’agression est permanente. Le pouvoir politique est incapable d’agir pour plusieurs raisons.

    La première est qu’il ne veut pas agir, les politiciens étant les premiers à vouloir envahir les gens sous leurs publicités. Les administrations publiques, peuplées de spécialistes du privé dont on a vanté les mérites organisationnels, se retrouvent… à faire de la publicité. C’est absurde et inexorable. Pourquoi les chemins de fer mettent-ils tant d’effort à promouvoir, à travers des publicités risibles, des systèmes compliqués d’abonnements incompréhensibles ? Ce budget ne pourrait-il pas être utilisé à mieux payer les cheminots ?

    Le second point est lui plus profond. Les pouvoirs publics se targuent de vouloir faire la différence entre le « bon » marketing et les arnaques malhonnêtes. Le problème est que la différence est purement arbitraire. Les deux cherchent à exploiter une faiblesse quelconque pour soutirer de l’argent.

    Pourquoi, par exemple, faut-il explicitement mettre un autocollant sur sa boîte aux lettres pour éviter de la voir se remplir de publicités sous blister ? L’inverse serait plus logique : n’autoriser la publicité que lorsqu’elle est explicitement demandée.

    Pourquoi le RGPD est-il tellement décrié alors qu’il tente de mettre de l’ordre dans la manière dont sont utilisées les données privées ? Parce qu’il a été, à dessein, rendu incroyablement complexe. Il suffirait de mettre dans la loi que toute donnée personnelle ne peut-être utilisée qu’avec un accord explicite valable un an. Que cet accord n’est pas transférable. Cela impliquerait que toute revente de données forcerait l’acheteur à demander l’accord aux personnes concernées. Et à renouveler cet accord tous les ans. Simple, efficace.

    À la base, le rôle du pouvoir public est de protéger les citoyens, de faire respecter cette frontière en perpétuel mouvement entre la liberté de l’individu et le respect de l’autre. Mais lorsque le pouvoir public prétend devenir rentable et agir comme un acteur économique plutôt que politique, son action devient ubuesque.

    Comme lorsque l’état engage les grands moyens pour empêcher la contrefaçon de cigarettes. En tentant d’arguer que les cigarettes contrefaites sont… dangereuses pour la santé. Oubliant que les cigarettes « légales » sont responsables de plus de morts que le COVID (dont le tiers ne fume pas), d’une destruction grave de l’environnement et de l’émission de plus de 1% du CO2 annuellement produit.

    Plusieurs fois par semaine, mon téléphone sonne pour tenter de m’extorquer de l’argent selon une technique quelconque. Je suis pourtant dans une liste rouge. À chaque appel imprévu, je porte plainte sur le site du gouvernement ainsi que, lorsque c’est possible, auprès de la société appelant. Cela m’a valu un échange avec un enquêteur travaillant chez le plus gros opérateur téléphonique belge. Grâce à lui, j’ai compris comment la loi rendait difficile de lutter contre ce type d’arnaque sous prétexte de défendre le télémarketing « légal ».

    On en revient toujours au même problème : l’optimisation de l’économie implique de maximiser les échanges économiques, quels qu’ils soient. De maximiser le marketing, aussi intrusif, aussi absurde, aussi dommageable soit-il. D’exploiter les faiblesses humaines pour soutirer un maximum d’argent, pour générer un maximum de consommation et donc de pollution.

    La pollution de l’environnement, la pollution de l’air, la pollution mentale permanente ne sont que les facettes d’une seule et même cause : la maximisation politique des échanges économiques. Jusqu’à en crever.

    Nous achetons des bouteilles en plastique remplies de sucres morbides à consommer en attendant le énième message qui fera sonner notre smartphone. Un message qui, la plupart du temps, nous poussera à consommer ou justifiera l’argent que nous recevons mensuellement pour continuer à consommer. Sans message, nous serons réduits à rafraichir compulsivement l’écran, espérant une nouvelle info, quelque chose de croustillant. N’importe quoi. La mort d’un animateur télévision de notre enfance, par exemple, histoire de se taper plusieurs heures de vidéos postées sur YouTube.

    Le fait que j’aie en partie replongé me démontre à quel point la connexion est une drogue. Une addiction savamment entretenue, un danger permanent pour les addicts comme je le suis.

    Chaque connexion est jouissive. C’est une bouffée de plaisir bien méritée, un repos intellectuel. Je peux compulsivement consommer, cliquer sans penser. Le simple fait d’utiliser la souris, de multiples onglets ouverts sur des images ou des vidéos permet de ralentir l’esprit tout en donnant une fausse sensation de contrôle, de puissance.

    La problématique touche d’ailleurs depuis longtemps le monde professionnel. Comme le raconte Cal Newport dans son livre « A world without email », la plupart des métiers se résument désormais à répondre à ses emails, ses coups de téléphone, le tout en participant à des réunions. L’échange est permanent et a été largement aggravé par l’apparition des messageries professionnelles comme Slack.

    Le monde professionnel n’a plus le loisir de penser. Les décisions sont prises sans recul et acceptées sur base du simple charisme d’un manager. Ce n’est pas un hasard. Penser est dangereux. Penser remets en question. Penser fait de vous un paria.

    Les élections en France m’ont donné envie de politique, de débat. Alors j’ai lu « Son Excellence Eugène Rougon », de Zola. En version papier. Je me suis remis à penser. J’ai retrouvé la motivation de reprendre le combat. Un combat contre mon addiction. Un combat contre toute la société qui m’entoure. Un combat contre moi-même.

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  • Thursday 19 May 2022 - 15:16

    Lorsque j’ai signé pour la publication de Printeurs, mon éditeur m’a fait savoir qu’il attendait de la part des auteurs un certain investissement dans la promotion de leurs livres. J’ai demandé ce qu’il entendait par là et il m’a parlé de participer à des salons, des séances de dédicaces, ce genre de choses. Salons qui furent parmi les premières victimes du COVID en 2020 et 2021.

    En 2022, il est temps de rattraper le temps perdu et d’honorer ma promesse. Je serai donc présent du vendredi 20 mai après-midi jusque dimanche 22 mai après-midi aux Imaginales à Épinal, la plus célèbre foire aux boudins de l’imaginaire.

    Je n’ai aucune idée de ce que je suis censé faire.

    Si j’ai très souvent entendu parler des Imaginales, je n’ai aucune idée de à quoi ressemble ce genre d’événements ni ce qu’on peut y attendre d’un auteur. C’est une nouvelle expérience pour moi et j’en suis assez curieux.

    Si vous êtes dans le coin, n’hésitez pas à venir faire un petit coucou et me poser des questions sur le livre qui va sortir cette année. Cherchez une machine à écrire coincée entre une pile de « Printeurs », mon roman cyberpunk, et une pile de « Aristide, le lapin cosmonaute », mon livre pour enfants dont il ne reste qu’une poignée d’exemplaires. Le type derrière le machine qui fait « clac clac clac ding », c’est moi ! Ne vous sentez pas obligé d’acheter un bouquin. Quoi ? Mon éditeur (le type derrière moi, avec le fouet dans la main et un symbole € à la place des pupilles) me dit que si, c’est obligatoire.

    Pratiquement, je serai au stand PVH édition, dans une petite tente blanche face à la fontaine au milieu du parc le samedi entre 11h et 19h et, à confirmer, le dimanche matin au même endroit, à côté d’une démonstration de jeu vidéo et d’une imprimante 3D.

    J’avoue avoir longuement hésité à poster ce message, mais je me suis dit que si certains d’entre vous sont dans le coin, ce serait dommage de se rater. C’est toujours un plaisir pour moi de rencontrer des lecteurs de mes livres ou de mon blog. Certains d’entre vous me suivent et me soutiennent depuis près de 15 ans et il y a dans la rencontre en chair et en os, même très brève, quelque chose que des dizaines d’emails ne pourront jamais apporter.

    Pour ceux qui ne seront pas à Épinal, ce n’est, je l’espère, que partie remise (entre nous, j’ai le secret espoir de pouvoir proposer une conférence aux Utopiales à Nantes, ce qui me donnerait une bonne excuse pour m’y rendre).

    Recevez les billets par mail ou par RSS. Max 2 billets par semaine, rien d’autre. Adresse email jamais partagée et définitivement effacée lors du désabonnement. Dernier livre paru : Printeurs, thriller cyberpunk. Pour soutenir l’auteur, lisez, offrez et partagez des livres.

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 11 May 2022 - 12:24

    Le concept même de logiciel n’est pas évident. Comme le rappelait Marion Créhange, la première titulaire d’un doctorat en informatique en France, la manière d’influencer le comportement des premiers ordinateurs était de changer le branchement des câbles. Un programme était littéralement un plan de câblage qui nécessitait de s’arracher les mains sur des fils.

    Petit à petit, les premiers informaticiens ont amélioré la technologie. Ils ont créé des ordinateurs « programmables » qui pouvaient être modifiés si on leur fournissait des programmes au format binaire, généralement des trous sur des cartes en carton qui étaient insérées dans un ordre précis. Il fallait bien évidemment comprendre exactement comment fonctionnait le processeur pour programmer la machine.

    Les processeurs ont ensuite été améliorés pour comprendre des instructions simples, appelées « assembleur ». Les informaticiens pouvaient réfléchir avec ce langage qui donnait des instructions directes au processeur. Cependant, ils utilisaient d’autres formalismes qu’ils appelèrent « langage de programmation ». Les programmes étaient écrits sur papier dans ce langage puis, grâce à des tableaux, traduits en assembleur.

    Vint alors l’idée de concevoir un programme qui effectuerait cette traduction. Le premier de ces programmes fut appelé « Traducteur de formules », « Formula Translator », abrégé en « FORTRAN ». Les traducteurs de formules furent rapidement renommés « compilateurs ». Avec un compilateur, il n’était plus nécessaire de comprendre ce que faisait le processeur. Il devenait possible de créer un programme dans un langage dit « de haut niveau » et de le donner à la machine.

    Il faut cependant insister sur le fait qu’à l’époque, chaque ordinateur vient avec son propre système logiciel qui est extrêmement complexe et particulier. Faire tourner un programme requiert d’apprendre l’ordinateur en question. Faire tourner le même programme sur plusieurs ordinateurs différents n’est même pas envisagé.

    Vu le prix élevé d’un ordinateur, comparables à celui d’une luxueuse villa, ceux-ci sont rares et partagés entre des dizaines d’utilisateurs, le plus souvent au sein des universités. L’un des gros problèmes informatiques de l’époque est de rentabiliser l’ordinateur. Il est possible d’interagir directement avec un ordinateur à travers un télétype : un gros clavier relié à un système électrique avec une bande de papier fournissant les résultats. Le problème du télétype c’est que lorsque l’utilisateur lit les résultats et réfléchit, l’ordinateur attend sans rien faire. Un peu comme si vous achetiez une voiture à 50.000€ pour la laisser 95% du temps dans son garage (ce qui est le cas, soi dit en passant).

    Pour cette raison, l’interaction directe est découragée au profit des « batch » de cartes perforées. Le programmeur créé des cartes perforées contenant toutes les instructions qu’il veut effectuer (son « programme »), les donne dans une boîte au centre de calcul qui les insère dans l’ordinateur lorsque celui-ci est inoccupé. Le résultat est imprimé est envoyé au programmeur, parfois le lendemain ou le surlendemain.

    Apparait l’idée de permettre de connecter plusieurs télétypes à un ordinateur pour donner une apparence d’interactivité tout en faisant en sorte que l’ordinateur traite séquentiellement les requêtes. Un projet est mis sur pieds pour faire de ce rêve une réalité : Multics. Multics est un projet à gros budget qui fait se collaborer une grande entreprise, General Electrics, une université, le MIT, et un laboratoire de recherche dépendant d’AT&T, le Bell Labs.

    Multics possède les bons programmeurs et les bonnes idées. Mais une collaboration à une telle échelle nécessite beaucoup de managers, de politiciens, d’administratif, de paperasse. Bref, au bout de 5 ans, le projet est finalement considéré comme un échec. Les managers et les administrateurs vont voir ailleurs.

    La première grande collaboration

    Sans s’en rendre compte tout de suite, le défunt Multics laisse désœuvrés quelques programmeurs. Parmi eux, Ken Thompson vient d’avoir un enfant. L’anecdote est importante, car son épouse lui annonce partir un mois avec le bébé pour le présenter à sa famille, qui vit de l’autre côté du pays. Thompson se retrouve quatre semaines tout seul et décide de profiter de ce temps pour mettre en place une version simplifiée de Multics qu’il a en tête. Par dérision, il l’appelle Unics. Qui deviendra Unix. Au départ écrit en assembleur, il inventera le langage B qui sera utilisé par son pote Ritchie pour inventer le langage C avec lequel sera réécrit Unix en 1973.

    Thompson et Ritchie sont également les premiers prototypes des geeks de l’informatique : barbe mal entretenu, cheveux en bataille, t-shirt trop large (à une époque où même la jeunesse rebelle n’imagine pas s’afficher autrement qu’en vestes de cuir cintrées), séances de programmation jusqu’à l’aube, arrivées au laboratoire vers 13h du matin, etc.

    Dans ses réflexions, Thompson n’a qu’un mot à la bouche : « simplicité ». C’est d’ailleurs lui qui va pousser Ritchie à ce que le langage « C » s’appelle ainsi. Une lettre, c’est simple, efficace. Cette idée de simplicité sous-tend toute l’architecture d’Unix : plutôt que de faire un énorme système hyper complexe qui fait tout, on va faire des petits programmes et leur permettre de s’utiliser l’un l’autre. L’idée est révolutionnaire : un programme peut utiliser un autre pour obtenir une fonctionnalité. Arrive même l’idée du « pipe » qui permet à l’utilisateur de construire ses propres chaines de programmes. Cela semble évident aujourd’hui, mais c’est un progrès énorme à une époque où les concepteurs de systèmes d’exploitation tentent de faire un énorme programme capable de tout faire en même temps. Cette simplicité est d’ailleurs encore aujourd’hui ce qui fait la puissance des systèmes inspirés d’Unix. C’est également ce qui va permettre une vague de collaboration sans précédent : chaque individu peut désormais créer un petit outil qui va accroitre exponentiellement les capacités du système global.

    Ritchie et Thompson présentent le résultat de leur travail lors d’une conférence en 1973. À la même époque vient justement d’apparaitre le concept non pas de connecter des ordinateurs directement entre eux, ce qui existait déjà, mais de leur permettre de servir de relais. Deux ordinateurs peuvent désormais se parler sans être connectés directement. Cela dessine un réseau, appelé ARPANET et qui deviendra INTERNET, l’interconnexion des réseaux.

    Certains historiens estiment qu’environ la moitié des personnes connectées à ARPANET à l’époque était dans la salle lors de la présentation d’Unix.

    Le concept est tout de suite un véritable succès.

    Une chose importante est de savoir que le Bell Labs, où a été inventé Unix, faisait partie d’AT&T. Et qu’AT&T était, à ce moment-là, sous le coup d’un procès antitrust et n’avait pas le droit de faire autre chose que de vendre de l’équipement téléphonique. L’état américain voyait d’un très mauvais œil qu’une entreprise privée puisse devenir trop puissante. Dès que c’était le cas, dès qu’une position de monopole se dessinait, l’état intervenait rapidement.

    AT&T commercialisait des lignes téléphoniques. L’objectif du Bell Labs était de développer des technologies qui nécessitaient l’utilisation de lignes téléphoniques afin d’en encourager l’usage. Mais AT&T ne cherchait pas à commercialiser directement ces technologies. Le procès antitrust rendait cela beaucoup trop risqué.

    Pas du tout préoccupée par l’aspect mercantile, l’équipe UNIX se met à collaborer avec les universités, les chercheurs de tout bord. À l’université de Berkeley, tout particulièrement, on se met à améliorer les fonctionnalités. On s’échange du code source, des astuces. On se connecte directement aux ordinateurs de l’un et l’autre pour comprendre les problèmes. Bref, on collabore sans réellement réfléchir à l’aspect financier.

    En Australie, le professeur John Lions enseigne Unix à ses étudiants en leur donnant… l’entièreté du code source à lire. Code source qu’il commente abondamment. Son syllabus fait rapidement le tour du monde comme un outil indispensable, le tout avec la bénédiction de Ken Thompson.

    Petit à petit, Unix prend de l’importance et, chez AT&T, les juristes commencent un peu à se dire qu’il y’aurait des sous à se faire. La marque UNIX est déposée. Qu’à cela ne tienne, le « UNIX USER GROUP » est renommé « Usenix ». On demande à Ritchie et Thompson de ne plus partager leur travail. Qu’à cela ne tienne, celui-ci « oublie » malencontreusement des sacs remplis de bandes magnétiques dans un parc où, justement, se promenait un ami de Berkeley.

    Ça vous donne un peu l’idée du niveau de collaboration et d’esprit frondeur qui anime l’ensemble. Ils ont peut-être des barbes et des t-shirts larges. Ils n’en restent pas moins intelligents et frondeurs. Ce sont des « hackers », le terme qu’ils se donnent et qui est encore utilisé aujourd’hui.

    La première confiscation

    En 1980, un changement politique se fait en occident avec l’élection de Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan aux États-Unis. Leur doctrine pourrait se résumer en « faire passer les intérêts des entreprises avant ceux des individus ». La recherche, la collaboration, le partage et l’empathie sont devenus des obstacles sur la route de la recherche de profit. Plusieurs grandes mesures vont voir le jour et avoir une importance extrêmement importante, tant sur l’industrie du logiciel que sur notre avenir.

    Le terme « propriété intellectuelle », un concept inventé en 1967 et jusque là à peu près ignoré, va devenir une stratégie essentielle des entreprises pour faire du profit. Historiquement, le concept de propriété permet d’asseoir le droit de jouir d’un bien sans se le faire enlever. Mais comment peut-on « voler » une propriété intellectuelle ? Cela semble absurde, mais c’est pourtant très simple : il suffit de convaincre la population que tout concept, toute œuvre possède un propriétaire et que le simple fait d’en jouir ou de l’utiliser est une atteinte aux intérêts économiques de l’auteur. Historiquement, les brevets offraient aux inventeurs un monopole limité dans le temps sur une invention en échange du fait que cette invention deviendrait publique une fois le brevet expiré. Bien que luttant contre les monopoles, l’état savait en offrir un temporaire en échange d’un bénéfice futur pour la société. L’idéologie du profit avant tout permet d’écarter complètement cette composante de l’équation. Le terme « propriété intellectuelle » permet d’étendre les monopoles temporaires, tant en termes de temporalité que de droits. Le propriétaire de la propriété intellectuelle ne doit plus rien à la société qui n’a plus qu’une fonction : préserver ses profits bien mérités.

    Grâce à près de trente années de campagnes intensives, le concept de propriété intellectuelle est tellement ancré dans les mœurs que les écoles n’osent plus faire chanter leurs enfants sans s’assurer de payer des droits auprès d’un organisme quelconque qui, bien évidemment, ne demande que ça. La propriété intellectuelle est, intellectuellement, une escroquerie. Elle sonne également le glas de la collaboration et des grands progrès académiques. Même les universités, aujourd’hui, cherchent à préserver leurs propriétés intellectuelles. Par réflexe et en dépit de leur mission première.

    Les concepts de collaboration et de bien-commun sont eux immolés sur l’autel de l’anticommunisme. Faire du profit à tout prix devient un devoir patriotique pour lutter contre le communisme. Cela a tellement bien fonctionné que malgré l’écroulement total du communisme, le concept du bien commun est rayé du vocabulaire. Plus de 30 ans après la chute du mur de Berlin, les gouvernements et les institutions publiques comme les universités doivent encore justifier leurs choix et leurs investissements en termes de rentabilités et de profits futurs.

    Cette évolution des mentalités se fait en parallèle à la complexification du concept de logiciel. Graduellement, le logiciel est passé d’une série d’instructions à un véritable travail, une véritable œuvre. Il peut logiquement être commercialisé. La commercialisation d’un logiciel se fait via une innovation légale : la licence. La licence est un contrat entre le fournisseur du logiciel et l’utilisateur. Le fournisseur du logiciel impose ses conditions et vous devez les accepter pour utiliser le logiciel. Grâce à la propriété intellectuelle, le logiciel reste la propriété du fournisseur. On n’achète plus un bien, on achète le droit de l’utiliser dans un cadre strictement défini.

    Notons que cette innovation commerciale découle en droite ligne de l’importance morale accordée aux profits. Si l’utilisateur ne peut plus acheter, stocker, réparer et réutiliser un bien, il doit payer à chaque utilisation. L’utilisateur est clairement perdant par rapport au cas d’usage où il achèterait le logiciel comme un bien dont il peut disposer à sa guise.

    Aujourd’hui, chaque logiciel que nous utilisons est muni d’une licence et dépend le plus souvent d’autres logiciels également munis de leurs propres licences. Il a été démontré qu’il est matériellement impossible de lire tous les contrats que nous acceptons quotidiennement. Pourtant, la fiction légale prétend que nous les avons acceptés consciemment. Que nous devons nous plier aux conditions qui sont décrites. Chaque fois que nous cliquons sur « J’accepte », nous signons littéralement un chèque en blanc sur notre âme, en espérant que jamais le Malin ne vienne réclamer son dû.

    Pour perpétuer l’esprit UNIX initial, cet esprit frondeur et hacker, l’université de Berkeley met au point la licence BSD. Cette licence dit, en substance, que vous pouvez faire ce que vous voulez avec le logiciel, y compris le modifier et le revendre, à condition de citer les auteurs.

    Le livre de John Lions est lui interdit, car contenant la propriété intellectuelle d’AT&T. Il circule désormais sous le manteau, photocopié par des générations d’étudiants qui ne cherchent pas à le moins du monde à faire de l’ombre à AT&T, mais à simplement mieux comprendre comment fonctionne ou pourrait fonctionner un ordinateur.

    L’apparition des ordinateurs personnels

    Les ordinateurs sont de moins en moins chers. Et de plus en plus variés. L’entreprise IBM est le plus gros fournisseur d’ordinateurs, certains sont des mastodontes, d’autres ont à peine la taille d’une grosse valise (les « mini-ordinateurs »).

    IBM a l’idée de créer des ordinateurs assez petits pour tenir sur un bureau : un micro-ordinateur. Il serait bon marché, peu puissant. Son nom ? Le « personal computer », le PC.

    Seulement, comme AT&T auparavant, IBM est sous le coup d’un procès antitrust. Diplomatiquement, il serait dangereux de se lancer dans un nouveau marché. Pour éviter cela, IBM va tout d’abord concevoir le PC avec une architecture ouverte, c’est-à-dire des composants que n’importe qui peut acheter ou copier (contrairement aux concurrents comme Amiga, Commodore, Atari, etc.). Le système d’exploitation, le logiciel qui fera tourner la machine, est considéré comme l’un de ces composants. Problème : les systèmes Unix sont très chers et conçus avec des fonctionnalités très complexes comme le fait d’héberger plusieurs utilisateurs. Ils ne sont donc pas adaptés à un « personal computer ». IBM travaille bien sur son propre operating system (OS2), mais, en attendant, pourquoi ne pas sous-traiter la tâche ?

    Un riche et important avocat d’affaires, William Gates, qui travaille, entre autres, pour IBM, entend parler de cette histoire et annonce que son fils vient justement de lancer une entreprise d’informatique. Le fils en question, appelé également William Gates, mais surnommé Bill, n’a jamais programmé d’operating system mais il propose à IBM d’en faire un à condition d’être payé pour chaque personal computer vendu. Tant qu’il y est, il ajoute dans le contrat qu’IBM est forcé d’installer son OS sur chaque PC vendu. Empêtré dans son procès antitrust et ne voyant pas un grand avenir pour une solution bon marché comme le PC, IBM accepte ces conditions qui sont pourtant étranges.

    Bill Gates n’a jamais programmé d’OS, mais il connait un jeune informaticien de 22 ans, Tim Paterson, qui a fait ce qu’il appelle un « Quick and Dirty OS », QDOS. Un truc amateur et minimaliste qui n’a même pas les fonctionnalités qu’avait Unix 15 ans auparavant. Mais ce n’est pas grave. Bill Gates propose 50.000$ pour QDOS, qu’il rebaptise PC-DOS puis MS-DOS.

    À cette même époque, un conseiller du président Reagan, un certain Robert Bork, se rend compte que s’il y’a bien un truc qui empêche de maximiser les profits des entreprises, ce sont les lois antimonopoles. Pauvre AT&T, pauvre IBM. Ces entreprises américaines auraient pu coloniser le monde et faire le bonheur de leurs actionnaires. Ces entreprises pourraient affaiblir économiquement le bloc soviétique. Au lieu de cela, les Américains eux-mêmes leur ont mis des bâtons dans les roues.

    Il propose donc de tout simplement autoriser les monopoles. Bien sûr, ça se verrait un peu trop si on le dit comme ça du coup il propose de n’empêcher que les monopoles dont on peut démontrer qu’ils entrainent une hausse significative du prix pour le consommateur final. Cela permet de prétendre que l’on protège le consommateur final tout en faisant oublier que, premièrement, il est impossible de démontrer qu’un prix est trop haut et que, deuxièmement, les monopoles infligent bien d’autres problèmes à la société qu’une seule augmentation des prix.

    L’impact de Robert Bork est primordial. Grâce à lui, Microsoft, la société de Bill Gates, s’arroge le monopole sur les systèmes d’exploitation tournant sur les ordinateurs personnels, qui deviennent, à la grande surprise d’IBM, un énorme succès au point d’éclipser les supercalculateurs. Il faut dire qu’IBM, par peur de devenir un monopole, a permis à d’autres constructeurs de se mettre à fabriquer leur propre PC : Dell, Compaq, etc. Et rien n’empêche Microsoft de fournir DOS à ces concurrents tout en les obligeant à ne fournir leurs ordinateurs qu’avec DOS, rien d’autre. En quelques années, le terme « PC » devient synonyme de micro-ordinateur et de… « Microsoft ». Les Atari, Armstrad, Commodore et autres Amiga disparaissent complètement malgré leur avance technologique indéniable.

    Il faut dire que ce DOS merdique arrange pas mal de monde : il permet aux véritables informaticiens de rester en dehors de la plèbe avec leurs supercalculateurs et aux fournisseurs de véritables ordinateurs de continuer à pratiquer des prix délirants. Le PC avec DOS n’est qu’un jouet, pas un truc professionnel.

    La résistance s’organise

    Tous ces événements sonnent le glas de du premier âge d’or de l’informatique. L’informatique était jusque là un domaine de passionnés qui collaboraient, elle devient un domaine extrêmement lucratif qui cherche à contrôler autant que possible ses clients pour en tirer le maximum d’argent.

    Richard Stallman, un chercheur en Intelligence Artificielle du MIT se rend compte que, graduellement, tous ses collègues se font embaucher par des entreprises privées. Une fois embauchés, ceux-ci ne peuvent plus collaborer avec lui. Ils emportent avec eux leurs codes, leurs recherches. Ils continuent à utiliser les codes disponibles sous licence BSD, mais ne partagent plus rien.Pire : ils ne peuvent même plus discuter du contenu de leur travail.

    Richard, qui ne vit que pour l’informatique, en est très triste, mais la goutte d’eau viendra d’une imprimante. En effet, Richard avait modifié le logiciel tournant sur l’imprimante de tout le département pour éviter les bourrages et pour envoyer un email à la personne ayant initié l’impression une fois celle-ci terminée. Cependant, l’imprimante est ancienne et est remplacée. Richard Stallman ne se pose pas trop de questions et décide d’implémenter les mêmes fonctionnalités pour la nouvelle imprimante. À sa grande surprise, il ne trouve pas le code source des programmes de celle-ci. Il fait la demande au fabricant et se voit rétorquer que le code source appartient au fabricant, que personne ne peut le consulter ou le modifier.

    Richard Stallman voit rouge. L’université a payé pour l’imprimante. De quel droit le fabricant peut-il empêcher un client de faire ce qu’il veut avec son achat ? De quel droit peut-il empêcher un « hacker » de comprendre le code qui tourne dans son propre matériel. Avec une grande prescience, il comprend que si la pratique se généralise, c’est tout simplement la fin du mouvement hacker.

    Ni une ni deux, RMS démissionne du MIT, où il gardera néanmoins un bureau, pour lancer la Free Software Foundation, la fondation pour le logiciel libre. Son idée est simple : l’industrie vient de confisquer aux informaticiens la liberté de faire tourner les logiciels de leur choix. Il faut récupérer cette liberté.

    Il théorise alors les quatre grandes libertés du logiciel libre :

    1. Le droit d’utiliser un logiciel pour n’importe quel usage
    2. Le droit d’étudier un logiciel pour le comprendre
    3. Le droit de modifier un logiciel
    4. Le droit de partager un logiciel et/ou ses modifications

    Aujourd’hui, on considère « libre » un logiciel qui permet ces quatre libertés.

    Il semble évident qu’un logiciel sous licence BSD est libre. Mais Stallman se rend compte d’un problème : les logiciels sont bien libres, mais les personnes les modifiant dans des entreprises privées ne partagent jamais leurs améliorations.

    Il met alors au point la licence GPL. Celle-ci, comme toute licence, est un contrat et stipule que l’utilisateur d’un logiciel a le droit de réclamer les sources, de les étudier, les modifier et les redistribuer. Par contre, s’il redistribue le logiciel, il est obligé de conserver la licence GPL.

    Si les licences propriétaires restreignent au maximum les libertés des utilisateurs et les licences apparentées à BSD donnent le maximum de libertés aux utilisateurs, la GPL restreint une seule liberté : celle de restreindre la liberté des autres.

    La GPL définit donc une forme de bien commun qu’il n’est pas possible de privatiser.

    Notons que, comme toute licence, la GPL est un contrat entre le fournisseur et l’utilisateur. Seul l’utilisateur peut demander le code source d’un logiciel sous licence GPL. Un logiciel GPL n’est donc pas nécessairement public. De même, rien n’interdit de faire payer pour un logiciel GPL. Richard Stallman lui-même gagnera un temps sa vie en vendant le logiciel libre qu’il développe, l’éditeur Emacs.

    Stallman, RMS pour les intimes, ne s’arrête pas là. Puisque les systèmes d’exploitation UNIX sont des myriades de petits logiciels coopérants entre eux, il va les réécrire un par un pour créer un système entièrement sous licence GPL : GNU. GNU est l’acronyme de « GNU is Not Unix ». C’est récursif, c’est de l’humour de geek.

    RMS travaille d’arrache-pied et le projet GNU est bien lancé. Il ne manque qu’un composant pourtant essentiel : le noyau ou « kernel » en anglais. Le noyau est la partie de code centrale qui fait l’interface entre la machine et tous les outils UNIX ou GNU.

    La deuxième grande collaboration

    En parallèle du travail de Richard Stallman, un tremblement de terre a lieu dans le monde Unix : l’entreprise AT&T s’est soudainement réveillée et s’est rendu compte qu’elle est le berceau d’un système d’exploitation devenu très populaire et surtout très rémunérateur.

    Elle attaque alors en justice l’université de Berkeley pour diffusion illégale du code source UNIX sous le nom « Berkeley Software Distribution », BSD.

    La distribution de BSD est un temps interrompue. Le futur de BSD semble incertain. Il apparaitra que le code de BSD avait bien été écrit par les chercheurs de Berkeley, ceux-ci ayant graduellement amélioré le code source UNIX original au point de le remplacer complètement, dans une version moderne du mythe du bateau de Thésée. Seuls 6 fichiers seront identifiés par le juge comme appartenant à AT&T, 6 fichiers qui seront donc remplacés par des nouvelles versions réécrites.

    Mais, en 1991, cette conclusion n’est pas encore connue. Le système GNU n’a pas de noyau, le système BSD est dans la tourmente. Un jeune étudiant finlandais vient, de son côté, d’acquérir un nouvel ordinateur et rêve de faire tourner UNIX dessus. Comme les UNIX propriétaires sont vraiment trop chers, il télécharge les outils GNU, qui sont gratuits et, s’appuyant dessus, écrit un mini-noyau qu’il partage sur Usenet.

    Si Internet existe, le web, lui, n’existe pas encore. Les échanges se font sur le réseau Usenet, l’ancêtre des forums web et le repaire des passionnés de n’importe quel domaine.

    Le noyau de Linus Torvalds, notre jeune finlandais, attire rapidement l’attention de passionnés de Unix qui le nomment du nom de son créateur : Linux. Très vite, ils envoient à Linus Torvalds des améliorations, des nouvelles fonctionnalités que celui-ci intègre pour produire de nouvelles versions.

    Influencé par les outils GNU, Linus Torvalds a mis sa création sous licence GPL. Il est donc désormais possible de mettre en place un système Unix sous licence GPL : c’est GNU/Linux. Enfin, non, ce n’est pas Unix. Car Gnu is Not Unix. Mais ça y ressemble vachement…

    Bon, évidemment, installer le noyau Linux et tous les outils GNU n’est pas à la portée de tout le monde. Des projets voient le jour pour faciliter l’installation et permettent d’empaqueter tous ces composants hétéroclites. Ce sont les « Distributions Linux ». Certaines offrent des versions commerciales, comme Red Hat alors que d’autres sont communautaires, comme Debian.

    Outre le noyau Linux, Linus Torvalds invente une nouvelle manière de développer des logiciels : tout le monde peut étudier, critiquer et contribuer en soumettant des modifications (des « patchs »). Linus Torvalds choisit les modifications qu’il pense utiles et correctes, refuse les autres avec force discussions. Bref, c’est un joyeux bazar. Sur Usenet et à travers les mailing-lists, les hackers retrouvent l’esprit de collaboration qui animait les laboratoires Unix des débuts. Des années plus tard, Linus Torvalds inventera même un logiciel permettant de gérer ce bazar : git. Git est aujourd’hui l’un des logiciels les plus répandus et les plus utilisés par les programmeurs. Git est sous licence GPL.

    La « non-méthode » Torvalds tellement efficace, tellement rapide qu’il semble évident que c’est la meilleure manière de développer des bons logiciels. Des centaines de personnes lisant un code source sont plus susceptibles de trouver des bugs, d’utiliser le logiciel de manière imprévue, d’apporter des touches de créativité.

    Eric Raymond théorisera cela dans une conférence devenue un livre : « La cathédrale et le bazar ». Avec Bruce Perens, ils ont cependant l’impression que le mot « Free Software » ne fait pas professionnel. En anglais, « Free » veut dire aussi bien libre que gratuit. Les « Freewares » sont des logiciels gratuits, mais propriétaires, souvent de piètre qualité. Eric Raymond et Bruce Perens inventent alors le terme « open source ».

    Techniquement, un logiciel libre est open source et un logiciel open source est libre. Les deux sont synonymes. Mais, philosophiquement, le logiciel libre a pour objectif de libérer les utilisateurs là où l’open source a pour objectif de produire des meilleurs logiciels. Le mouvement open source, par exemple, accepte volontiers de mélanger logiciels libres et propriétaires là où Richard Stallman affirme que chaque logiciel propriétaire est une privation de liberté. Développer un logiciel propriétaire est, pour RMS, hautement immoral.

    Les deux noms désignent cependant une unique mouvance, une communauté grandissante qui se bat pour regagner la liberté de faire tourner ses propres logiciels. Le grand ennemi est alors Microsoft, qui impose le monopole de son système Windows. La GPL est décrite comme un « cancer », le logiciel libre comme un mouvement « communiste ». Apple, une entreprise informatique qui n’est à cette époque plus que l’ombre de son glorieux passé va piocher dans les logiciels libres pour se donner un nouveau souffle. En se basant sur le code de FreeBSD, qui n’est pas sous licence GPL, ils vont mettre au point un nouveau système d’exploitation propriétaire : OSX, renommé ensuite MacOS. C’est également de cette base qu’ils vont partir pour créer un système embarqué : iOS, initialement prévu pour équiper l’iPod, le baladeur musical lancé par la firme.

    La seconde confiscation

    Pour fonctionner et donner des résultats, un logiciel a besoin de données. Séparer le logiciel des données sur lesquelles il tourne permet de réutiliser le même logiciel avec différente données. Puis de vendre des logiciels dans lesquels les utilisateurs vont entrer leurs propres données pour obtenir des résultats.

    L’un des arguments pour souligner l’importance du logiciel libre est justement l’utilisation de ces données. Si vous utilisez un logiciel propriétaire, vous ne savez pas ce qu’il fait de vos données, que ce soit de données scientifiques, des données personnelles, des documents dans le cadre du travail, des courriers. Un logiciel propriétaire pourrait même envoyer vos données privées aux concepteurs sans votre consentement. L’idée paraissait, à l’époque, issue du cerveau d’un paranoïaque.

    Outre les données, un autre des nombreux combats libristes de l’époque est de permettre d’acheter un ordinateur sans Microsoft Windows préinstallé et sans payer la licence à Microsoft qui s’apparente alors à une taxe. Le monopole de Microsoft fait en effet qu’il est obligatoire d’acheter Windows avec un ordinateur, même si vous ne comptez pas l’utiliser. Cela permet à Bill Gates de devenir en quelques années l’homme le plus riche du monde.

    Pour lutter contre ce monopole, les concepteurs de distributions Linux tentent de les faire les plus simples à utiliser et à installer. Le français Gaël Duval est un pionnier du domaine avec la distribution Mandrake, renommée plus tard Mandriva.

    En 2004 apparait la distribution Ubuntu. Ubuntu n’est, au départ, rien d’autre qu’une version de la distribution Debian simplifiée et optimisée pour une utilisation de bureau. Avec, par défaut, un joli fond d’écran comportant des personnes nues. Ubuntu étant financé par un milliardaire, Mark Shuttleworth, il est possible de commander gratuitement des Cd-roms pour l’installer. La distribution se popularise et commence à fissurer, très légèrement, le monopole de Microsoft Windows.

    L’avenir semble aux mini-ordinateurs de poche. Là encore le libre semble prendre sa place, notamment grâce à Nokia qui développe ce qui ressemble aux premiers smartphones et tourne sous une version modifiée de Debian : Maemo.

    Mais, en 2007, Apple lance ce qui devait être au départ un iPod avec une fonctionnalité téléphone : l’iPhone. Suivit de près par Google qui annonce le système Android, un système d’exploitation prévu au départ pour les appareils photo numériques. L’invasion des smartphones a commencé. Plusieurs entreprises se mettent alors à collaborer avec Nokia pour produire des smartphones tournant avec des logiciels libres. Mais en 2010, un cadre de chez Microsoft, Stephen Elop, est parachuté chez Nokia dont il est nommé CEO. Sa première décision est d’arrêter toute collaboration avec les entreprises « libristes ». Durant trois années, il va prendre une série de décisions qui vont faire chuter la valeur boursière de Nokia jusqu’au moment où l’entreprise finlandaise pourra être rachetée… par Microsoft.

    L’iPhone d’Apple est tellement fermé qu’il n’est, au départ, même pas possible d’y installer une application. Steve Jobs s’y oppose formellement. Les clients auront le téléphone comme Jobs l’a pensé et rien d’autre. Cependant, les ingénieurs d’Apple remarquent que des applications sont développées pour l’Android de Google. Apple fait vite machine arrière. En quelques années, les « app » deviennent tendance et les « App Store » font leur apparition, reprenant un concept initié par… les distributions Gnu/Linux ! Chaque banque, chaque épicerie se doit d’avoir son app. Sur les deux systèmes, qui sont très différents. Il faut développer pour Apple et pour Google.

    Microsoft tente alors de s’imposer comme troisième acteur avant de jeter l’éponge : personne ne veut développer son app en 3 exemplaires. Dans les milieux branchés de la Silicon Valley, on se contente même souvent de ne développer des applications que pour Apple. C’est plus cher donc plus élitiste. De nombreux hackers cèdent aux sirènes de cet élitisme et se vendent corps et âmes à l’univers Apple. Qui interdit à ses clients d’installer des applications autrement que via son App Store et qui prend 30% de commission sur chacune des transactions réalisées sur celui-ci. Développer pour Apple revient donc à donner 30% de son travail à l’entreprise de Steve Jobs. C’est le prix à payer pour faire partie de l’élite. Les hackers passés à Apple vont jusqu’à tenter de se convaincre que comme Apple est basée sur FreeBSD, c’est un Unix donc c’est bien. Nonobstant le fait que l’idée même derrière Unix est avant tout de pouvoir comprendre comment le système fonctionne et donc d’avoir accès aux sources.

    Ne sachant sur quel pied danser face à l’invasion des smartphones et à la fin du support de Nokia pour Maemo, le monde de l’open source et du logiciel libre est induit en erreur par le fait qu’Android est basé sur un noyau Linux. Android serait Linux et serait donc libre. Génial ! Il faut développer pour Android ! Google entretient cette confusion en finançant beaucoup de projets libres. Beaucoup de développeurs de logiciels libres sont embauchés par Google qui se forge une image de champion du logiciel libre.

    Mais il y’a une arnaque. Si Android est basé sur le noyau Linux, qui est sous GPL, il n’utilise pas les outils GNU. Une grande partie du système Android est bien open source, mais les composants sont choisis soigneusement pour éviter tout code sous licence GPL. Et pour cause… Graduellement, la part d’open source dans Android est réduite pour laisser la place aux composants Google propriétaires. Si vous installez aujourd’hui uniquement les composants libres, votre téléphone sera essentiellement inutilisable et la majorité des applications refuseront de se lancer. Il existe heureusement des projets libres qui tentent de remplacer les composants propriétaires de Google, mais ce n’est pas à la portée de tout le monde et ce ne sont que des pis-aller.

    En se battant pour faire tourner du code libre sur leurs ordinateurs, les libristes se sont vu confisquer, malgré leur avance dans le domaine, le monde de la téléphonie et la mobilité.

    Mais il y’a pire : si les libristes se battaient pour avoir le contrôle sur les logiciels traitant leurs données, les nouveaux acteurs se contentent de traiter les données des clients sur leurs propres ordinateurs. Les utilisateurs ont perdu le contrôle à la fois du code et du matériel.

    C’est ce qu’on appelle le « cloud », le fait que vos données ne sont plus chez vous, mais « quelque part », sur les ordinateurs de grandes entreprises dont le business model est d’exploiter au mieux ces données pour vous afficher le plus de publicités. Un business model qui fonctionne tellement bien que toutes ces entreprises sont, nous l’avons vu, les plus grosses entreprises mondiales.

    État de la situation

    Les progrès de l’informatique se sont construits en deux grandes vagues successives de collaboration. La première était informelle, académique et localisée dans les centres de recherches. La seconde, initiée par Richard Stallman et portée à son apogée par Linus Torvalds, était distribuée sur Internet. Dans les deux cas, les « hackers » évoluaient dans un univers à part, loin du grand public, du marketing et des considérations bassement matérielles.

    À chaque fois, l’industrie et le business confisquèrent les libertés pour privatiser la technologie en maximisant le profit. Dans la première confiscation, les industriels s’arrogèrent le droit de contrôler les logiciels tournant sur les ordinateurs de leurs clients puis, la seconde, ils s’arrogèrent également le contrôle des données desdits clients.

    Nous nous trouvons dans une situation paradoxale. Chaque humain est équipé d’un ou plusieurs ordinateurs, tous étant connectés en permanence à Internet. La puissance de calcul de l’humanité a atteint des proportions démesurées. Lorsque vous regardez l’heure sur votre montre Apple, il se fait plus de calculs en une seconde dans votre poignet que dans tous les ordinateurs du programme Appolo réunis. Chaque jour, votre téléphone transmet à votre insu presque autant de données qu’il n’y en avait dans tous les ordinateurs du monde lorsqu’Unix a été inventé.

    Pourtant, cette puissance de calcul n’a jamais été aussi concentrée. Le pouvoir n’a jamais été partagé en aussi peu de personnes. Il n’a jamais été aussi difficile de comprendre comment fonctionne un ordinateur. Il n’a jamais été aussi difficile de protéger sa vie privée, de ne pas se laisser influencer dans nos choix de vie.

    Les pouvoirs publics et les réseaux éducatifs se sont, le plus souvent, laissé prendre au mensonge qu’utiliser les nouvelles technologies était une bonne chose. Que les enfants étaient, de cette manière, éduqués à l’informatique.

    Utiliser un smartphone ou une tablette éduque autant à l’informatique que le fait de prendre un taxi éduque à la mécanique et la thermodynamique. Une personne peut faire des milliers de kilomètres en taxi sans jamais avoir la moindre notion de ce qu’est un moteur. Voyager avec Ryanair ne fera jamais de vous un pilote ni un expert en aérodynamique.

    Pour comprendre ce qu’est un moteur, il faut pouvoir l’ouvrir. L’observer. Le démonter. Il faut apprendre à conduire sur des engins simplifiés. Il faut en étudier les réactions. Il faut pouvoir discuter avec d’autres, comparer un moteur avec un autre. Pour découvrir l’aérodynamique, il faut avoir le droit de faire des avions de papier. Pas d’en observer sur une vidéo YouTube.

    Ce qui nous semble évident avec la mécanique a été complètement passé sous silence avec l’informatique. À dessein, les monopoles, désormais permis, tentent de créer une expérience « magique », incompréhensible. La plupart des développeurs sont désormais formés dans des « frameworks » de manière à ne jamais avoir à comprendre comment les choses fonctionnent sous le capot. Si les utilisateurs sont les clients des taxis, les développeurs devraient, dans la vision des Google, Apple et autre Facebook, être des chauffeurs Uber qui conduisent aveuglément, sans se poser de questions, en suivant les instructions.

    L’informatique est devenue une infrastructure humaine trop importante pour être laissée aux mains de quelques monopoles commerciaux. Et la seule manière de leur résister est de tenter de minimiser leur impact sur nos vies. En refusant au maximum d’utiliser leurs solutions. En cherchant des alternatives. En contribuant à leur création. En tentant de comprendre ce que font réellement ces solutions « magiques », avec nos ordinateurs, nos données et nos esprits.

    L’informatique n’est pas plus compliquée ni plus ésotérique qu’un moteur diesel. Elle a été rendue complexe à dessein. Pour augmenter son pouvoir de séduction. Jusqu’aux termes « high-tech » ou « nouvelles technologies » qui renforcent, volontairement, l’idée que la plupart d’entre nous sont trop bêtes pour comprendre. Une idée qui flatte d’ailleurs bon nombre d’informaticiens ou de bidouilleurs, qui se sentent grâce à cela supérieurs alors même qu’ils aident des monopoles à étendre leur pouvoir sur eux-mêmes et leurs proches.

    Le chemin est long. Il y a 20 ans, le concept d’open source m’apparaissait surtout comme philosophique. Aujourd’hui, j’ai découvert avec étonnement que je me plonge de plus en plus souvent dans le code source des logiciels que j’utilise quotidiennement pour comprendre, pour mieux les utiliser. Contrairement à la documentation ou aux réponses sur StackOverFlow, le code source ne se trompe jamais. Il décrit fidèlement ce que fait mon ordinateur, y compris les bugs. Avec l’entrainement, je me rends compte qu’il est même souvent plus facile de lire le code source des outils Unix que de tenter d’interpréter des dizaines de discussions sur StackOverFlow.

    Le logiciel libre et l’open source sont la seule solution que j’envisage pour que les ordinateurs soient des outils au service de l’humain. Il y a 20 ans, les idées de Richard Stallman me semblaient extrémistes. Force est de constater qu’il avait raison. Les logiciels propriétaires ont été essentiellement utilisés pour transformer les utilisateurs en esclaves des ordinateurs. L’ordinateur n’est alors plus un outil, mais un moyen de contrôle.

    La responsabilité n’en incombe pas à l’individu. Après tout, comme je l’ai dit, il est presque impossible d’acheter un téléphone sans Google. L’individu ne peut pas lutter.

    La responsabilité en incombe aux intellectuels et aux professionnels, qui doivent élever la voix plutôt que d’accepter aveuglément des décisions institutionnelles. La responsabilité en incombe à tous les établissements du secteur de l’éducation qui doivent poser des questions, enseigner le pliage d’avions de papier au lieu d’imposer à leurs étudiants de se créer des comptes sur les plateformes monopolistiques pour accéder aux données affichées sur les magnifiques écrans interactifs financés, le plus souvent, par Microsoft et consorts. La responsabilité en incombe à tous les militants, qu’ils soient écologistes, gauchistes, anticapitalistes, socialistes, voire même tout simplement locaux. On ne peut pas militer pour l’écologie et la justice sociale tout en favorisant les intérêts des plus grandes entreprises du monde. On ne peut pas militer pour le local en délocalisant sa propre voix à l’autre bout du monde. La responsabilité en incombe à tous les politiques qui ont cédé le contrôle de pays, de continents entiers à quelques entreprises, sous prétexte de gagner quelques voix lors de la prochaine élection.

    Je ne sais pas encore quelle forme prendre la troisième grande collaboration de l’informatique. Je sais juste qu’elle est urgente et nécessaire.

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Friday 06 May 2022 - 17:24

    Complètement inexistante il y a à peine soixante ans, l’industrie informatique est aujourd’hui devenue la plus importante du monde. Le monde est contrôlé par l’informatique. Comprendre l’informatique est devenu l’une des seules manières de préserver notre individualité et de lutter contre les intérêts d’une minorité.

    Vous n’êtes pas convaincu de l’importance de l’informatique ?

    En termes de capitalisation boursière, l’entreprise la plus importante du monde à l’heure où j’écris ces lignes est Apple. La seconde est Microsoft. Si l’on trouve un groupe pétrolier en troisième place, Alphabet (ex-Google) vient en quatrième et Amazon en cinquième place. En sixième place on trouve Tesla, qui produit essentiellement des ordinateurs avec des roues et, en septième place, Meta (ex-Facebook). La place de Facebook est particulièrement emblématique, car la société ne fournit rien d’autre que des sites internet sur lesquels le temps de cerveau des utilisateurs est revendu à des agences publicitaires. Exploiter cette disponibilité de cerveau également le principal revenu d’Alphabet.

    Je pense que l’on n’insiste pas assez sur ce que ce classement boursier nous apprend : aujourd’hui, les plus grands acteurs de l’économie mondiale ont pour objectif premier de vendre le libre arbitre et la disponibilité des cerveaux de l’humanité. Le pétrole du vingt-et-unième siècle n’est pas « le big-data », mais le contrôle de l’esprit humain. Alphabet et Facebook ne vendent ni matériel, ni logiciels, mais bien un accès direct à cet esprit humain dans sa vie privée. Microsoft, de son côté, tente de vendre l’esprit humain dans un contexte professionnel. Bien qu’ayant également des intérêts publicitaires, une grande partie de son business est de prendre le contrôle sur les travailleurs pour ensuite le « sous-louer » aux employeurs, trop heureux de contrôler leurs employés comme jamais.

    Tesla veut contrôler les déplacements des humains. C’est d’ailleurs une constante chez Elon Musk avec ses projets d’Hyperloop, de creusage de tunnels voire de conquête spatiale. Amazon cherche à contrôler toutes vos interactions marchandes en contrôlant les commerçants, que ce soit dans les magasins physiques ou en ligne (grâce à une hégémonie sur l’hébergement des sites web à travers Amazon S3).

    Apple cherche, de son côté, à obtenir un contrôle total sur chaque humain qui entre dans son giron. Regardez autour de vous le nombre de personnes affublées d’Airpods, ces petits écouteurs blancs. Lorsque vous vous adressez à l’une de ces personnes, vous ne parlez pas à la personne. Vous parlez à Apple qui décide ensuite ce qu’elle va transmettre de votre voix à son client. Le client a donc payé pour perdre le contrôle de ce qu’il entend. Le client a payé pour laisser à Apple le choix de ce qu’elle va pouvoir faire avec son téléphone et son ordinateur. Si les autres sociétés tentent chacune de contrôler le libre arbitre dans un contexte particulier, Apple, de son côté, mise sur le contrôle total d’une partie de l’humanité. Il est très simple de s’équiper en matériel Apple. Il est extrêmement difficile de s’en défaire. Si vous êtes un client Apple, faites l’expérience mentale d’imaginer vivre sans aucun produit Apple du jour au lendemain, sans aucune application réservée à l’univers Apple. Dans cette liste, Apple et Tesla sont les seules à fournir un bien tangible. Ce bien tangible n’étant lui-même qu’un support à leurs logiciels. Si ce n’était pas le cas, Apple serait comparable à Dell ou Samsung et Tesla n’aurait jamais dépassé General Motors en ayant vendu qu’une fraction des véhicules de ce dernier.

    Nous pouvons donc observer qu’une partie importante de l’humanité est sous le contrôle de logiciels appartenant à une poignée de sociétés américaines dont les dirigeants se connaissent d’ailleurs intimement. Les amitiés, les contacts entre proches, les agendas partagés, les heures de nos rendez-vous ? Contrôlés par leurs logiciels. Les informations que vous recevez, privées ou publiques ?Contrôlées par leurs logiciels. Votre position ? Les photos que vous êtes encouragés à prendre à tout bout de champ ? Les produits que vous achetez ? Contrôlés par leurs logiciels ! Le moindre paiement effectué ? Hors paiements en espèce, tout est contrôlé par leurs logiciels. C’est encore pire si vous utilisez votre téléphone pour payer sans contact. Ou Paypal, la plateforme créée par… Elon Musk. Les données des transactions Mastercard sont entièrement revendues à Google. Visa, de son côté, est justement huitième dans notre classement des sociétés les plus importantes.

    Les déplacements ? Soit dans des véhicules contrôlés par les mêmes logiciels ou via des transports requérants des apps contrôlées… par les mêmes logiciels. Même les transports publics vous poussent à installer des apps Apple ou Google, renforçant leur contrôle sur tous les aspects de nos vies. Heureusement qu’il nous reste le vélo.

    Votre vision du monde et la plupart de vos actions sont aujourd’hui contrôlées par quelques logiciels. Au point que le simple fait de ne pas avoir un smartphone Google ou Apple est inconcevable, y compris par les pouvoirs publics, votre banquier ou, parfois, votre employeur ! Il est d’ailleurs presque impossible d’acheter un smartphone sur lequel Google n’est pas préinstallé. Faites l’expérience : entrez dans un magasin vendant des smartphones et dites que vous ne voulez pas payer pour Apple ou Google. Voyez la tête du vendeur… Les magasins de type Fnac arborent fièrement des kilomètres de rectangles noirs absolument indistinguables les uns des autres. Google paye d’ailleurs à Apple plus d’un milliard de dollars par an pour être le moteur de recherche par défaut des iPhones. Même les affiches artisanales des militants locaux ne proposent plus que des QR codes, envoyant le plus souvent vers des pages Facebook ou des pétitions en ligne hébergées par un des monopoles suscités.

    Vous pouvez trouver cet état de fait confortable, voire même pratique. Pour moi, cet état de fait est à la fois triste et dangereux. C’est cet engourdissement monopolistique qui nous paralyse et nous empêche de résoudre des problématiques urgentes comme le réchauffement climatique et la destruction des écosystèmes. Tout simplement, car ceux qui contrôlent nos esprits n’ont pas d’intérêts directs à résoudre le problème. Ils gagnent leur pouvoir en nous faisant consommer, nous faisant acheter et polluer. Leur business est la publicité, autrement dit nous convaincre de consommer plus que ce que nous aurions fait naturellement. Observez que, lorsque la crise est pour eux une opportunité, les solutions sont immédiates. Contre le COVID, nous avons accepté sans broncher de nous enfermer pendant des semaines (ce qui a permis la généralisation de la téléconférence et des plateformes de télétravail fournies, en majorité, par Google et Microsoft) et de voir notre simple liberté de déplacement complètement bafouée avec les pass sanitaires entérinant l’ubiquité… des smartphones et des myriades d’applications dédiées. Nous nous sommes moins déplacés (au grand plaisir de Facebook qui a servi d’intermédiaire dans nos relations sociales) et les smartphones sont devenus quasi-obligatoires pour présenter son QR code à tout bout de champ.

    Nous avons accepté, sans la moindre tentative de rébellion, de nous faire enfermer et de nous faire ficher par QR code. En termes de comparaison, rappelons que la simple évocation de l’augmentation du prix de l’essence a entrainé l’apparition du mouvement des gilets jaunes. Mouvement qui s’est construit sur Facebook et a donc augmenté l’utilisation de cette plateforme.

    Pour regagner son libre arbitre, je ne vois qu’une façon de faire : comprendre comment ces plateformes agissent. Comprendre ce qu’est un logiciel, comment il est apparu et comment les logiciels se sont historiquement divisés en deux catégories : les logiciels propriétaires, qui tentent de contrôler leurs utilisateurs, et les logiciels libres, qui tentent d’offrir de la liberté à leurs utilisateurs.

    Le pouvoir et la puissance des logiciels nous imposent de les comprendre, de les penser. Sans cela, ils penseront à notre place. C’est d’ailleurs déjà ce qui est en train de se produire. Les yeux rivés sur notre écran, les oreilles bouchées par des écouteurs, nous réagissons instinctivement à ce qui s’affiche sans avoir la moindre idée de ce qui s’est réellement passé.

    Les logiciels ne sont pas « magiques », ils ne sont pas « sexys » ni « hypercomplexes ». Ce ne sont pas des « nouvelles technologies ». Tous ces mots ne sont que du marketing et l’équivalent sémantique du « lave plus blanc que blanc de nos lessives ». Ce ne sont que des mots infligés par des entreprises au pouvoir démesuré dont le cœur est le marketing, le mensonge.

    En réalité, les logiciels sont une technologie humaine, compréhensible. Une série de choix arbitraires qui ont été faits pour des raisons historiques, des séries de progrès comme des retours en arrière. Les logiciels ne sont que des outils manipulés par des humains. Des humains qui, parfois, tentent de nous faire oublier leur responsabilité, de la camoufler derrière du marketing et des icônes aux couleurs scintillantes.

    Les logiciels ont une histoire. J’ai envie de vous la raconter…

    (à suivre)

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 27 April 2022 - 15:30

    27 avril 2022

    S’il y’a une personne qui n’est guère enchantée de me voir déconnecté, c’est mon éditeur. Certes, il comprend l’expérience. Mais il a un livre à promouvoir. Après tout, il a investi beaucoup d’argent et d’énergie pour produire la version audio de mon roman Printeurs et il espère me voir en faire la promotion, tant au format papier, électronique qu’audiolivre. Il attend de moi que je vous répète à longueur de journée que l’audiolivre lu par Loïc Richard m’a procuré des frissons, que Printeurs est un super roman pour dénoncer les abus de la publicité et de la surveillance mais pas que la version pirate est disponible sur libgen.rs.

    Mais comment promouvoir une œuvre si l’artiste ne tente pas d’occuper l’espace sur les réseaux sociaux ? C’est une problématique très actuelle pour de nombreux musiciens, comédiens, écrivains. Facebook, c’est mal. Mais c’est essentiel pour se faire connaître. Ou du moins, ça semble essentiel. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai moi-même mis tellement de temps à supprimer mon compte.

    Comme le souligne David Bessis dans son livre « Mathematica », si l’intuition et le rationnel ne s’accordent pas, il ne faut pas choisir entre l’un et l’autre. Il faut creuser jusqu’à comprendre d’où provient la dichotomie, jusqu’à ce que l’intuition et le rationnel soient alignés.

    Reposons la question autrement : pourquoi les artistes ont-ils l’impression que les réseaux sociaux sont essentiels à leur carrière ? Parce qu’ils ont des retours : des commentaires, des likes, des partages. Des statistiques détaillées sur « l’engagement de leur communauté ». Qui leur fournit ces retours ? Les réseaux sociaux eux-mêmes !

    Qui sont les artistes qui ont le plus de followers sur les réseaux sociaux ? Les artistes qui ont du succès… en dehors des réseaux sociaux !

    Les réseaux sociaux nous font confondre la cause et l’effet. En soi, ils ne sont la cause d’aucun succès, ils ne font que souligner les succès existants. Ils ne font que récompenser l’utilisation de leur plateforme par une monnaie de singe qu’ils contrôlent. Le « Like ».

    Lors d’un récent voyage en train, j’ai pu observer une jeune femme qui a passé le trajet sur son smartphone. D’un coup de pouce, elle faisait scroller son écran à une vitesse effrayante, ne s’arrêtant parfois qu’une milliseconde pour mettre un like avant de continuer. Le « Like » tant convoité n’est, en réalité, qu’une microfraction de seconde. Il ne représente rien. N’a aucune valeur. Pire, il est souvent ajouté par convention sociale (la jeune femme a notamment liké une photo représentant une main avec une bague à l’annulaire avant de reprendre son défilement effréné).

    Poster du contenu sur les réseaux sociaux pour obtenir des likes est une quête chimérique. L’artiste travaille littéralement au profit du réseau social pour l’alimenter, pour donner une raison aux utilisateurs de venir le consulter. En échange, il peut avoir la chance de recevoir une impression virtuelle de succès.

    Il arrive, parfois, de faire le buzz et de se faire connaître à travers les réseaux sociaux. J’ai fait cette expérience plusieurs fois durant ma carrière de blogueur. Certains de mes billets ont été vus par plusieurs centaines de milliers de personnes en une journée. D’autres m’ont valu des séquences à la télévision nationale. Aucun n’a eu le moindre impact durable sur ma vie si ce n’est d’être parfois reconnu comme « le blogueur qui… ».

    Je parle d’expérience : le buzz n’a, la plupart du temps, aucun impact durable. Il ne permet pas de gagner autre chose que des statistiques. Il est complètement imprévisible, aléatoire. C’est le Graal de millions de marketeux qui passent leur journée à pondre des dizaines de tentatives de buzz.

    Pour un artiste, vouloir faire le buzz sur les réseaux sociaux, c’est l’équivalent de jouer au lotto. Dix fois par jour. Contre une armée de professionnels qui jouent mille fois par jour et n’ont pas la moindre morale ou pudeur artistique. C’est commencer à réfléchir au nombre de messages à poster, le jour idéal pour « maximiser l’engagement ». C’est un métier. C’est stupide. C’est immoral. C’est tout sauf de l’art…

    Au fond, qu’est-ce qu’un artiste ? Ou un artisan ?

    C’est quelqu’un qui se consacre à son métier, qui tente en permanence de s’améliorer. Dans son « Mathematica » susnommé, David Bessis donne l’exemple du jeune Ben Underwood qui, après avoir perdu l’usage de ses yeux très jeune, a développé une capacité à explorer son environnement en émettant des clics avec la langue et en écoutant le son produit. Cette technique, qui parait incroyable, serait à la portée de tout un chacun. Les premiers résultats s’obtiendraient après une dizaine d’heures d’apprentissage.

    Dix heures, cela ne parait rien. Mais dix heures concentrées entièrement consacrées à un unique sujet, c’est beaucoup. Il n’y a pas beaucoup de domaines auxquels nous consacrons une dizaine d’heures. Une dizaine d’heures, cela permet probablement de se lancer, de comprendre ce qui est possible. Une dizaine d’heures de piano permettent de jouer un petit morceau.

    Pour devenir bon, il faut aller plus loin. Des centaines, des milliers d’heures. À partir de mille heures consacrées avec concentration sur un sujet, vous devenez un expert. Et à partir de dix mille heures, vous devenez, je crois, un véritable artiste, un orfèvre. Ce que vous produisez devient plus personnel, plus précis. Différent. Vous commencez à apporter une réelle plus-value au monde, vous créez quelque chose qui n’existe pas, que personne d’autre ne pourrait faire. Je me souviens d’avoir entendu que, tous les matins, Michael Jordan passait deux heures à lancer des ballons vers le panier de son terrain de basket personnel. Qu’ils soient bons ou mauvais, il y passait deux heures. Tous les matins. Tiger Woods affirme faire pareil sur les practices de golf, avouant que rien ne le rend plus heureux que d’avoir une pyramide de balles à frapper à la suite. Ce sont des stars, des artistes. Nous voyons leurs succès, nous les likons sur les réseaux sociaux. Mais nous ne voyons pas leur travail, les milliers d’heures passées à échouer mécaniquement dans l’ombre.

    Les réseaux sociaux nous font apparaitre le succès comme une sorte de recette magique, une poudre de perlimpinpin avec effet immédiat. Il suffirait de la trouver, d’essayer encore et encore. Comme s’il suffisait de jouer encore et encore au lotto pour devenir riche.

    C’est évidemment un mensonge. Un mensonge facile. Les algorithmes des réseaux sociaux récompensent ceux qui sont les plus actifs en mettant en avant leurs publications, en encourageant voire en créant de toutes pièces des likes. J’ai personnellement fait l’expérience d’acheter de la publicité sur Twitter. J’ai récolté beaucoup de likes. J’ai réussi à démontrer que la plupart étaient faux. Sur Facebook, le mensonge est encore plus transparent : le nombre de « clics » augmente comme par magie dès que l’on paye. Mais ces clics en question ne se transforment que très rarement en une action concrète.

    Les plateformes marketing ont été pensées par le marketing pour le marketing. Elles ont été créées par des gens dont le métier est de vendre des cigarettes à des enfants de douze ans, de l’alcool aux adolescents, des SUVs aux citadins. De vous faire oublier que vous polluez en vous faisant polluer plus. De vous rendre malheureux pour vous faire croire que vous seriez heureux en consommant plus. De diluer la vérité pour la rendre indistinguable du mensonge.

    Le simple fait d’utiliser une plateforme dédiée au marketing nous transforme en professionnels du marketing. En menteurs amoraux. Les militants écologistes, anticapitalistes ou les promoteurs d’actions locales qui utilisent ces réseaux sociaux sont, sans le savoir, complètement corrompus. Ils militent, sans s’en rendre compte, pour de l’ultra-consumérisme permanent. C’est se rendre en jet privé, la cigarette à la bouche, à une manifestation pour dénoncer l’inaction climatique. C’est tenir une réunion d’organisation du potager partagé dans un MacDonalds.

    Comme l’explique Jaron Lanier dans « Who Owns the Future? », les réseaux sociaux promeuvent l’existence de « superstars » dans un modèle économique de type « The winner takes it all ». Un artiste est soit multimillionnaire, soit pauvre et ignoré. Il n’y a plus de juste milieu. La culture s’uniformise, s’industrialise. Si nous voulons, au contraire, promouvoir des arts plus variés, des communautés à taille humaine, refuser les règles monopolistiques est une simple question de bon sens. Et de survie.

    Tout cela m’est apparu comme évident le jour où j’ai effacé mon compte Facebook. Tant que mon compte existait, j’étais incapable de le voir, de le vivre. J’avais beau me dire que je n’utilisais plus vraiment Facebook, le simple fait d’avoir des milliers de followers me donnait l’illusion d’une communauté à entretenir, d’une foule attendant avidement quelques mots de ma part. Une illusion de succès.

    Mes posts avaient beau n’avoir que très rarement un impact, j’autojustifiais la nécessité de garder mon compte. Une bouffée de fierté m’envahissait lorsque mon compteur faisait un bon en avant.

    L’illusion s’est dissipée à la seconde où mon compte a été supprimé.

    J’ai l’intuition que l’art est l’exact contraire du marketing. Il faut consacrer du temps à s’améliorer, à s’exprimer.

    Si nous voulons être artistes, nous devons refuser les règles du marketing. Chaque heure de disponible doit être consacrée à notre art au lieu d’être consacrée à devenir un expert… en marketing sur les réseaux sociaux.

    C’est difficile. C’est long.

    Nicholas Taleb, l’auteur du livre « Black Swan », a coutume de dire que « si c’est une bonne chose, mais qu’il n’y a aucun feedback immédiat, alors c’est qu’il y’a un avantage, un edge ». Si vous travaillez votre art dans votre cave au lieu de poster sur les réseaux sociaux, vous deviendrez meilleur. Si vous vous consacrez à faire des concerts locaux, à aller à la rencontre de votre public existant sans chercher à tout prix à l’agrandir, alors il s’agrandira sans que vous vous en rendiez compte. Vous n’aurez plus un compteur, mais des véritables humains en face de vous.

    Lorsqu’un artiste se consacre aux réseaux sociaux, lorsqu’il parle de « sa communauté » pour désigner le chiffre inscrit sous le mot « followers », il trahit son art. Il abandonne la création pour faire du marketing. Sans surprise, il attire alors une foule de followers qui est sensible au marketing, qui clique sans trop réfléchir, qui suit la mode du moment, qui change d’avis à la moindre distraction. Sur les réseaux sociaux, le compteur ne reflète souvent que la version frustrée, aigrie, qui s’ennuie du véritable être humain qui respire, rit, chante et danse sans son téléphone. Sur les réseaux sociaux, les véritables amateurs d’art sont forcément déçus. Ils viennent pour l’art et sont, à la place, bombardés de publicités pour l’art en question. Plutôt que de lire un nouveau livre, ils reçoivent cent messages les invitant à lire un livre déjà lu.

    Au plus je me suis éloigné des réseaux sociaux, au plus j’ai rencontré des personnes qui n’y étaient pas. Par conviction ou par simple incapacité d’y trouver de l’intérêt. Des humains qui lisent des livres plutôt que de suivre les auteurs sur Twitter. Qui vont à des expos photo plutôt que de scroller sur Instagram. Des lecteurs de mon blog qui me demandaient sincèrement d’arrêter d’écrire pour les réseaux sociaux, mais d’écrire pour eux. Je n’arrivais pas à les entendre.

    Des millions de personnes ne sont pas sur les réseaux sociaux. Elles ne sont tout simplement pas représentées dans les statistiques. Elles n’existent pas pour le marketing. Elles changent le monde de manière probablement bien plus efficace que ceux qui créent des pages Facebook pour promouvoir l’écologie.

    Les réseaux sociaux corrompent. Êtes-vous moralement et artistiquement alignés avec le fait que toutes les données de votre « communauté » sur Twitter vont désormais être la propriété privée d’Elon Musk, l’individu le plus riche de la planète qui, à l’heure où j’écris ces lignes, parle de racheter la plateforme ? L’élan artistique qui nous anime, nous transcende, nous dépasse ne nécessite-t-il pas, pour exister, d’être aligné avec nos valeurs morales les plus profondes ?

    Peut-être que la responsabilité sociétale des artistes est d’utiliser leur pouvoir pour refuser la toute-puissance de quelques monopoles publicitaires. Simplement en refusant d’y être. En mettant en place une newsletter (si possible pas sur une plateforme à visée monopolistique) et un site web avec un flux RSS. En créant une véritable relation avec leur public. Une communauté se construit sur le long terme, en accueillant et respectant chaque nouveau membre, en étant patient, en espérant que fonctionne le bouche-à-oreille.

    Les réseaux sociaux nous font croire qu’il n’y a pas d’alternative pour exister autre que de hurler « Regardez ! J’existe ! » à tout bout de champ. Il y’en a une. Celle qui consiste à chuchoter « Merci à vous d’être présents ce soir. Votre présence me réchauffe le cœur et m’inspire. »

    Les artistes et les activistes n’ont jamais eu autant de pouvoir pour rendre le monde meilleur qu’aujourd’hui, alors qu’ils peuvent encore tout arrêter et rendre les plateformes marketing de moins en moins utiles.

    Encore faut-il qu’ils en aient le courage, qu’ils abandonnent le rêve entretenu par les plateformes qu’ils pourraient devenir la prochaine superstar. Qu’il leur suffit de continuer de jouer à la roulette, d’acheter le prochain ticket. Que le succès véritable leur tend les bras pour peu qu’ils investissent 10, 20 ou 1000€ dans une publicité ciblée.

    Si quitter les réseaux sociaux et leur ubiquité est difficile pour l’individu, elle est un devoir pour les créateurs, les artistes, les activistes. Cette prise de conscience est bien tardive de ma part, moi qui ai, pendant des années, succombé aux sirènes de l’apparence de succès, vous appelant à me suivre et à me liker.

    À tous ceux qui m’ont écouté, je m’excuse sincèrement. Supprimez vos comptes. Puissent ces quelques lignes tenter de réparer une partie du mal auquel j’ai contribué. À tous ceux qui m’ont prévenu, je m’excuse de ne pas avoir réussi à vous entendre.

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Tuesday 05 April 2022 - 16:10

    Je vous avais annoncé en grande pompe la suppression de mon compte LinkedIn puis la suppression d’autres comptes comme Facebook et Twitter. C’était un effort conscient, une volonté de le faire et d’être reconnu publiquement pour cet effort. C’était difficile.

    Il en est parfois autrement. La suppression d’un service perçu comme incontournable se fait automatiquement.

    La plupart de mes proches ont rejoint Signal et la gestion journalière de ma famille se fait sur Signal. Whatsapp me servait essentiellement pour les « groupes » d’amis, la famille élargie et quelques amis récalcitrants à Signal. La particularité de ces groupes est d’être particulièrement bavards et pas spécialement urgents. J’ai donc coupé complètement les notifications de Whatsapp il y a de cela déjà plus d’un an, le vérifiant manuellement tous les quelques jours pour voir « si je ne ratais rien ».

    Alors que je me rendais chez une cousine à l’étranger, qui n’est pas sur Signal, j’ai lancé Whatsapp qui m’a affiché une erreur. Je n’ai pas prêté attention et j’ai utilisé le bon vieux SMS. Il y’a quelques jours, cette erreur m’est revenue en tête. La version de Whatsapp sur mon téléphone n’était plus valide depuis février, car je n’avais pas accepté une modification des conditions. Cela faisait donc près de deux mois que j’avais littéralement oublié de vérifier Whatsapp, sans doute porté par ma déconnexion. Comme je ne le vérifiais pas, mon téléphone l’a mis dans le « frigo » et comme il était dans le frigo, il n’a pas été mis à jour.

    Curieux de voir ce que j’avais « raté » comme messages durant ces deux mois, j’ai mis à jour le logiciel et relancé l’application qui m’a annoncé que mon compte était déconnecté du téléphone. Je l’ai reconnecté, acceptant probablement implicitement les nouvelles conditions, pour découvrir que j’avais été déconnecté de toutes les conversations depuis février. Aucun message après cette date ne m’est parvenu.

    Je ne sais pas ce qu’ont vu ceux qui ont tenté de me contacter, mais il est tout de même intéressant de constater que le système n’accepte pas qu’on puisse se déconnecter pour une durée assez longue. Nos téléphones sont littéralement conçus pour nous occuper tout le temps. Pour qu’on s’occupe d’eux.

    Finalement, cette anti-fonctionnalité s’est révélée intéressante.

    Car j’ai immédiatement été dans les préférences de mon compte et je l’ai supprimé définitivement sans avoir le moindre scrupule ou la moindre angoisse de rater quelque chose. Ai-je raté des opportunités ? Ai-je brisé des amitiés à cause de ce silence sur la plateforme appartenant à Facebook ? Je ne le saurai jamais, Whatsapp s’en est chargé à ma place…

    Comme de nombreux services modernes, Whatsapp n’est indispensable que parce qu’on veut qu’il le soit. Parce que Facebook cherche à vous le faire croire en exploitant la peur ancestrale d’être exclus d’un groupe social.

    Il suffit de s’en passer pour observer que le monde continue à tourner. Qu’il tourne probablement un tout petit mieux avec un compte Whatsapp de moins.

    => Suppression de mon compte Linkedin le 13 avril 2021

    => Suppression de mes comptes Facebook/Twitter en octobre 2021.

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  • Friday 01 April 2022 - 10:47

    Petite vulgarisation du fonctionnement d’Internet et de son impact sur notre cerveau et notre société

    Introduction

    Ce texte vous parait long, rébarbatif, indigeste. Pas d’animations, pas de vidéos. Il y’a de grandes chances que votre cerveau ait graduellement perdu sa capacité de concentration. Vous préférez désormais papillonner entre deux messages au lieu de lire un long texte. Si vous êtes plus jeune, vous n’avez peut-être jamais eu cette capacité à vous concentrer.

    Ce n’est pas de votre faute. Votre cerveau est, à dessein, manipulé pour perdre sa capacité de concentration. Pour devenir une meilleure éponge publicitaire. Ce n’est pas une théorie du complot, mais une simple observation des mécanismes techniques mis en œuvre. La bonne nouvelle c’est que cette capacité de concentration peut être retrouvée.

    Ce texte comme la vidéo du chaton trop mignon et le message « kess tu fé? lol! » qui vient de s’afficher sur votre écran ne sont, à la base, que des impulsions électriques envoyées depuis mon ordinateur vers le vôtre (que vous appelez téléphone, mais cela reste un ordinateur). Des 1 et des 0. Rien d’autre.

    Comment est-ce possible ? Comment des 1 et des 0 peuvent-ils donner le pouvoir d’apprendre tout en nous faisant perdre la capacité de le faire ?

    Compter en n’utilisant que 1 et 0 : le binaire

    Tout système de communication est doté d’un alphabet, un ensemble de caractères arbitraires qui peuvent être assemblés pour former des mots. Certaines langues disposent de milliers de caractères (comme l’écriture chinoise).

    Notre système de numération, hérité des Arabes, compte 10 chiffres qui permettent d’écrire une infinité de nombres. On pourrait également l’utiliser pour coder un message en remplaçant les lettres de l’alphabet. 01 serait A, 02 serait B et 26 serait Z. « BONJOUR » s’écrirait donc simplement « 02151410152118 ». Cela nous semble complexe, mais peut-être que si nous l’apprenions très jeune, nous pourrions lire ce système couramment. À noter que j’ai sciemment utilisé le 0 pour différencier le « 11 = AA (deux fois 1) » de « 11 = K (onze) ».

    Nous avons donc réduit notre alphabet de 26 caractères à 10 via cette simple méthode.

    Comment pourrions-nous réduire encore ? Par exemple en supprimant le chiffre « 9 ». Sans le chiffre 9, nous pouvons compter 1,2,3,4,5,6,7,8…10. 8+1 = 10 ! C’est ce qui s’appelle compter en base « 9 », car il n’y a que 9 chiffres.

    Il faut bien reconnaitre que le fait de compter en base 10 nous semble naturel, mais que c’est tout à fait arbitraire. Les Romains, eux-mêmes, étaient incapables de le faire. Les Babyloniens, portant des sandales ou étant pieds nus, comptaient en base 20 (et nous tenons d’eux cette propension à dire « quatre-vingt », une « vingtaine »). D’autres comptaient en base douze. Certaines peuplades, comptant sur leurs phalanges au lieu de leurs doigts, utilisaient la base 14 (essayez sur vos phalanges, vous verrez).

    Mais revenons à notre base 10, devenue base 9. Si nous retirons le 8, nous obtenons que 7+1 = 10. Et, logiquement, 77 + 1 = 100. De la même manière, nous pouvons retirer tous les nombres jusqu’à n’avoir plus que 0 et 1. Auquel cas, on pourra compter de la manière suivante : 0, 1, 10, 11, 100, 101, 110, 111, 1000, 1001, …

    Cette arithmétique binaire, notamment décrite par Leibniz, était une curiosité mathématique. Elle va cependant acquérir son importance lorsque vint l’idée de transmettre des messages à travers un câble électrique.

    Sur un fil électrique, il n’y a que deux états possibles. Soit le courant passe, soit le courant ne passe pas. On ne peut transmettre que deux lettres, que nous notons désormais arbitrairement 0 et 1.

    Vous remarquez qu’il est indispensable de se mettre d’accord sur la signification à donner à ces lettres. Au début du XIXe siècle, Samuel Morse propose le code qui porte son nom et qui est encore utilisé aujourd’hui. Mais ce code n’est pas du binaire ! En effet, il joue sur la longueur d’un signal et sur les silences entre les signaux. Techniquement, il y’a quatre lettres dans l’alphabet morse : le court, le long, le silence court et le silence long). Le morse est particulièrement adapté à la compréhension humaine. Les opérateurs télégraphiques qui l’utilisent quotidiennement deviennent capables de comprendre les messages en morse presque en temps réel.

    Vers la fin du XIXe siècle apparaissent les machines à écrire et avec elles l’idée de transmettre des caractères écrits via une ligne électrique voire via ce qu’on appelle encore l’invention de Marconi : la radio. Pour simplifier, nous allons considérer que toute onde radio (radio, gsm, wifi, 3G, 4G, 5G) n’est jamais qu’un fil invisible. Dans tous les cas, on sait faire passer des 1 et des 0 d’une extrémité à l’autre du fil.

    L’un des premiers codes proposant de convertir les lettres en binaire est le code Baudot, qui utilise 5 bits (le terme « bit » signifie « binary digit » ou « chiffre binaire »). 5 bits permettent 32 caractères possibles, ce qui est très peu. L’alphabet latin comporte 26 caractères, en majuscules et minuscules, ce qui fait 52, 10 chiffres, des symboles de ponctuation. Les langues comme le français rajoutent des caractères comme À,Ê,É,Ǜ,….

    Les télétypes font leurs apparitions au début du XXe siècle. Il s’agit de machines à écrire reliées à un câble de communication. À chaque pression de la lettre du clavier, le code correspondant est envoyé et active l’impression du caractère correspondant à l’autre bout du câble. Un réseau de communication basé sur ce système se met en place mondialement: le réseau télex, notamment utilisé par les journalistes. Les particuliers peuvent également s’envoyer des télégrammes, qui sont facturés au mot ou à la lettre.

    Envoyer des données binaires n’est pas une mince affaire, car le courant électrique a tendance à s’affaiblir avec la distance (on parle de « dispersion »). De plus, un courant n’est jamais parfaitement allumé ou éteint. It trace des courbes en forme de sinusoïdes. Il faut donc déterminer arbitrairement à partir de quand on considère un signal reçu comme un 1 ou un 0. Il faut également déterminer combien de temps dure chaque bit pour différencier 00000 de 0. Et que faire si le signal varie durant la période d’un bit? Prendre la valeur moyenne du courant?

    La grande difficulté consiste donc à se mettre d’accord, à standardiser. C’est ce qu’on appelle un protocole. Un protocole n’est utile que si chacun peut le comprendre et l’utiliser à sa guise pour coder ou décoder des messages. Le langage parlé et le langage écrit sont des exemples de protocoles : nous associons des concepts à des sons et des images complètement arbitraires. Mais nous nous comprenons tant que cette association arbitraire est partagée.

    Pour remplacer le code Baudot, chaque fabricant d’ordinateurs développe son propre codage. Ce n’est évidemment pas pratique aussi les Américains développent-ils l’ASCII, un codage sur 7 bits. Cela permet l’utilisation de 128 caractères au lieu de 32. Remarquons que la seule réelle innovation de l’ASCII est de mettre tout le monde d’accord, de créer un protocole, un langage.

    En ASCII, A s’écrit 1000001, B 1000010, etc. Le « a » minuscule, lui, s’écrit 1100001. C’est pratique, le deuxième bit change pour identifier les majuscules des minuscules. À savoir que l’ASCII est particulièrement optimisé pour l’utilisation sur télétypes. L’ASCII prévoit des codes de contrôle de la machine comme le retour à la ligne, le fait d’activer une sonnette, de débuter ou de terminer une transmission.

    Les premiers ordinateurs sont alimentés en données via des cartes perforées (un trou représente un bit 1, pas de trou un bit 0), mais, très vite, l’idée vient d’utiliser un clavier. Comme les télétypes sont disponibles, ceux-ci sont utilisés. Très naturellement, les premiers ordinateurs se mettent à stocker leurs données au format ASCII qui se prête bien à l’écriture sur carte perforée.

    L’ASCII ne permet cependant que d’écrire en anglais. Beaucoup de caractères pour le français n’existent pas et les langues utilisant d’autres alphabets sont tout bonnement intraduisibles. Plusieurs solutions techniques ont été utilisées au cours du temps. Depuis les années 2010, le codage UTF-8 s’impose graduellement. Il définit plus d’un million de caractères, ce qui permet l’écriture de la plupart des langues connues, y compris les langues mortes, des symboles mathématiques, scientifiques, mais également des centaines d’émojis. La particularité de l’UTF-8 est d’être compatible avec l’ASCII. Les caractères ASCII gardent exactement le même code binaire en UTF-8.

    Les limites de l’ASCII se ressentent encore souvent dans l’informatique moderne : il n’est pas toujours possible de créer une adresse email possédant un accent ou de taper certains caractères dans la communication d’un virement chez certaines banques. L’utilisation d’encodages anciens fait parfois s’afficher des caractères bizarres.

    Stocker des données : les formats

    Si n’importe quelle donnée peut être convertie en bits, nous remarquons très vite que le point essentiel est de se mettre d’accord sur la manière de les convertir. Cette conversion se fait pour transformer la donnée et la stocker, c’est ce qu’on appelle le « format de fichier ». Un format ne repose pas toujours sur du texte. Pour stocker une image ou un son, par exemple, il faut définir d’autres formats que les formats texte. Il faut être capable de transformer une donnée en bits pour le stocker et, inversement, de transformer les bits en données pour y accéder.

    Il existe deux grandes catégories de formats sur les ordinateurs. Les formats « texte », qui reposent sur un encodage de texte (ASCII, UTF-8 ou autres) et les autres, dits « formats binaires ». La particularité d’un format texte c’est que n’importe quel ordinateur dans le monde pourra toujours les ouvrir pour y lire le texte. Les formats binaires, eux, sont complètement incompréhensibles si on ne dispose pas de l’explication sur la manière de le traiter. On parle de « format ouvert » lorsque cette explication est disponible et de « format propriétaire » lorsqu’elle ne l’est pas.

    Le texte a cependant des limites. Imaginons que nous souhaitions lui ajouter une mise en forme. L’une des solutions serait de définir un format complètement différent du texte standard (ASCII ou UTF-8). C’est ce qu’a fait par exemple Microsoft avec Word et le format .doc (ensuite devenu .docx). L’intérêt est évident pour l’entreprise : une fois qu’un utilisateur sauve ses données au format .doc, il est obligé d’utiliser Microsoft Word pour y accéder. Il ne peut pas utiliser un concurrent, car le format est propriétaire et que seul Microsoft Word permet d’ouvrir les documents. L’utilisateur doit donc convertir toutes ses données, ce qui peut être très long, voire impossible. L’utilisateur est prisonnier d’un logiciel appartenant à une entreprise. Ce n’est pas un détail, c’est une technique commerciale sciemment mise au point. Le terme technique est « vendor lock-in ».

    Le format .doc étant tellement populaire, il finira malgré tout par être « compris » et implémenté dans des logiciels concurrents, cela malgré l’opposition active de Microsoft (on parle de « rétro-ingéniérie »). Pour répondre à des accusations légales d’abus de position dominante, Microsoft sortira le format successeur, le .docx, en le proclamant « format ouvert », les spécifications techniques étant disponibles. Cependant, et je parle d’expérience, il s’avérera que les spécifications techniques étaient d’une complexité ahurissante, qu’elles étaient par moment incomplètes voire fausses. De cette manière, si un concurrent comme LibreOffice offrait la possibilité d’ouvrir un fichier .docx, de subtiles différences étaient visibles, ce qui convainquait l’utilisateur que LibreOffice était buggué.

    À l’opposé, des formats existent pour utiliser du texte afin de définir des styles.

    Le plus connu et utilisé aujourd’hui est l’HTML, inventé par Tim Berners-Lee. Le principe du HTML est de mettre des textes entre des balises, également en texte. Le tout n’est donc qu’un unique texte.

    Ces mots sont <b>en gras (bold)</b> et en <i>italique</i>.

    Vous pouvez constater que, même sans comprendre le HTML, le texte reste « lisible ». Si vous sauvez vos données en HTML, vous êtes certains de toujours pouvoir les lire, quel que soit le logiciel. Le HTML permet d’insérer des références vers des images (qui seront alors intégrées à la page) ou vers d’autres pages, ce qu’on appelle des « liens ».

    Utiliser les données : les algorithmes

    Un ordinateur n’est jamais qu’une machine à calculer qui effectue des opérations sur des suites de bits pour les transformer en une autre suite de bits. Ces opérations sont déterminées par un programmeur. Un ensemble d’opérations est généralement appelé un « algorithme ». L’algorithme est une abstraction mathématique qui n’existe que dans la tête du programmeur. Lorsqu’il se décide à les écrire, dans un format de texte en suivant un « language », cet algorithme est transformé en « programme ». Oui, le programme est à la base un fichier texte. Les programmeurs écrivent donc du texte qui va servir à transformer des textes en d’autres.

    Il est important de comprendre qu’un programme ne fait que ce qu’un programmeur lui a demandé. Il prend des données en entrées (des « inputs ») et fournit des données en sorties (des « outputs »). Un navigateur web prend en input un fichier HTML et le transforme pour l’afficher sur votre écran (votre écran est donc l’output).

    Parfois, le programme ne fonctionne pas comme le programmeur l’avait imaginé, souvent parce que l’input sort de l’habituel. On parle alors d’un « bug », traduit désormais en « bogue ». Le bug est une erreur, un imprévu. Qui peut même résulter en un « crash » ou « plantage » (le programme ne sait plus du tout quoi faire et s’interrompt brutalement).

    Tout ce que fait un programme est donc décidé à l’avance par un être humain. Y compris les crashs, qui sont des erreurs humaines du programmeur ou de l’utilisateur qui n’a pas respecté les consignes du programmeur.

    Il existe cependant une nouvelle catégorie de programmes auxquels le nom spectaculaire a donné une grande visibilité : l’intelligence artificielle. Sous ce terme trompeur se cache un ensemble d’algorithmes qui ne sont pas du tout des robots tueurs, mais qui sont essentiellement statistiques. Au lieu de donner un output fixé par le programmeur, les programmes « intelligents » vont donner un résultat statistique, une probabilité.

    Si un programme doit décider si une photo représente un homme ou un singe, il va, à la fin de son algorithme, fournir une valeur binaire : 1 pour l’homme et 0 pour le singe. Le programmeur humain va, par exemple, tenter de détecter la taille relative du visage et du crâne. Mais il est conscient qu’il peut se tromper. S’il est consciencieux, il va peut-être même consulter des zoologues et des anatomistes pour leur demander quelques règles générales.

    Les algorithmes statistiques (dits « d’intelligence artificielle ») fonctionnent tous sur le même principe. Au lieu de demander à un programmeur de déterminer les règles qui différencient un singe d’un humain, les programmeurs vont concevoir un algorithme qui « s’initialise » avec une série de photos d’humains et une série de photos de singes. À charge du programme de détecter des corrélations qui échapperaient à l’œil humain. En output, l’algorithme va fournir une probabilité que la photo soit un humain ou un singe.

    Le problème c’est que ces méthodes sont incroyablement sensibles aux biais de la société. Imaginons que l’équipe détectant le logiciel humain/singe injecte dans l’algorithme des photos d’eux-mêmes et de leur famille. Ils vont également au zoo local pour prendre les photos de singes. Le logiciel est testé et il fonctionne.

    Ce que personne n’a réalisé c’est que toute l’équipe est composée de personnes de race blanche. Leur famille également. Les membres l’ayant testé également. Or, au zoo, le pavillon des chimpanzés était fermé.

    Il s’ensuit que l’algorithme a très bien compris comment reconnaitre un singe : la photo est plus foncée. La première personne de race noire qui se présente devant le logiciel se fera donc traiter de singe. Le biais raciste de la société s’est vu renforcé alors même qu’aucun des programmeurs n’était raciste.

    Les algorithmes apprenant avec des données issues de leurs propres algorithmes, ces biais se renforcent. Dans certaines villes aux États-Unis, les polices ont été équipées d’algorithmes « d’intelligence artificielle » pour prédire les prochaines infractions et savoir où envoyer des patrouilles. Ces algorithmes ont fait exploser le taux d’infractions dans les quartiers pauvres.

    Le fait d’avoir des patrouilles en permanence à fait en sorte que les policiers furent bien plus à même d’observer et d’agir sur les petits délits (vente de drogue, tapage, jet de déchets, etc.). Ces délits renforcèrent la conviction que ces zones pauvres connaissaient plus de délits. Et pour cause : il n’y avait plus de policiers ailleurs. Le nombre d’interventions augmenta, mais la qualité de ces interventions chuta. Les policiers furent moins présents pour les crimes passionnels et les cambriolages, plus rares et également répartis dans les quartiers riches.

    Nous pouvons voir un effet majeur des biais de ces « intelligences artificielles » sur Facebook : un algorithme pense que vous serez intéressé par la guerre en Ukraine. Vous cliquez, car il n’y a rien d’autre à lire et c’est désormais acté dans les algorithmes que vous êtes intéressés par la guerre en Ukraine. Vous vous verrez donc proposer des nouvelles sur la guerre en Ukraine. Comme elles vous sont proposées, vous cliquez dessus, ce qui renforce la conviction que vous êtes un véritable passionné de ce sujet.

    Sous le terme « Intelligence artificielle », nous avons en fait conçu des systèmes statistiques à prophéties autoréalisatrices. Le simple fait de croire que ces systèmes puissent avoir raison crée de toutes pièces une réalité dans laquelle ces algorithmes ont raison.

    Un autre problème éthique majeur soulevé par ces algorithmes, c’est que le programmeur n’est plus nécessairement informé de la problématique de base. Un algorithme de différenciation de photos, par exemple, sera développé génériquement pour diviser une série de photos dans une catégorie A et une catégorie B. Si on lui fournit des humains en A et des singes en B, il va apprendre à détecter cette différence. On peut également lui fournir des hommes en A et des femmes en B. Ou bien des citoyens reconnus en A et une minorité ethnique à éliminer en B.

    Si une intelligence artificielle entrainée à trouver des rebelles en Afghanistan apprend que les terroristes sont susceptibles de changer de carte SIM plusieurs fois par jour près de la frontière avec le Pakistan, qu’un médecin effectuant la navette quotidienne vers plusieurs hôpitaux est mis par erreur sur cette liste et qu’il est tué par un drone lors d’une frappe ciblée (cas réel), est-ce la faute du programmeur de l’algorithme, de ceux qui ont générés les données concernant les terroristes ou ceux qui ont entré ces données dans l’algorithme ?

    À noter que, scientifiquement, ces algorithmes sont incroyablement intéressants et utiles. Leur utilisation doit, cependant, être encadrée par des personnes compétentes qui en comprennent les forces et les faiblesses.

    Transmettre des données

    Stocker les données n’est pas suffisant, encore faut-il pouvoir les transmettre. De nouveau, le nœud du problème est de se mettre d’accord. Comment transmettre les bits ? Dans quel ordre ? À quelle vitesse ? Comment détecter les erreurs de transmission ?

    C’est le rôle du protocole.

    La particularité des protocoles, c’est qu’on peut les empiler en couches successives, les « encapsuler ».

    Physiquement, un ordinateur ne peut transmettre des données qu’aux ordinateurs auxquels il est directement relié, que ce soit par câble ou par wifi (qui est encore un protocole, mais que vous pouvez imaginer comme un fil invisible). Le protocole le plus utilisé pour cela aujourd’hui est Ethernet. Observez votre routeur (votre « box »), il comporte généralement des emplacements pour connecter des câbles Ethernet (entrées jaunes et rectangulaires, le format de ce connecteur étant appelé RJ-45, car il y’a aussi un protocole pour le format des prises, on parle alors de « norme » ou de « standard »).

    Dans les années 70, une idée géniale voit le jour : celle de permettre à des ordinateurs non connectés directement de s’échanger des messages en passant par d’autres ordinateurs qui serviraient de relais. Le protocole est formalisé sous le nom « INTERNET PROTOCOL ». Chaque ordinateur reçoit donc une adresse IP composée de quatre nombres entre 0 et 255 : 130.104.1.10 (par exemple). Tout ordinateur ayant une adresse IP fait donc partie d’Internet. Le nombre de ces adresses est malheureusement limité et, pour résoudre cela, de nouvelles adresses voient le jour : les adresses IPv6. Les adresses IPv6 ne sont pas encore la norme, mais sont disponibles chez certains fournisseurs.

    Le protocole IP (sur lequel on rajoute le protocole TCP, on parle donc souvent de TCP/IP) permet de relier les ordinateurs entre eux, mais ne dit pas encore comment négocier des échanges de données. Ce n’est pas tout de savoir envoyer des bits vers un ordinateur n’importe où dans le monde, encore faut-il les envoyer dans un langage qu’il comprend afin qu’il réponde dans un langage que moi je comprends.

    Les premiers temps de l’Internet virent l’explosion de protocoles permettant d’échanger différents types de données, chacun définissant son propre réseau. Le protocole UUCP, par exemple, permettant la synchronisation de données, fut utilisé par le réseau Usenet, l’ancêtre des forums de discussions. Le protocole FTP permet d’échanger des fichiers. Le protocole Gopher permet d’échanger des textes structurés hiérarchiquement (selon le format Gophermap). Le protocole SMTP permet d’échanger des emails (selon le format MIME). Chaque protocole est, traditionnellement, associé avec un format (sans que ce soit une obligation). En 1990, Tim Berners-Lee propose le protocole HTTP auquel il associe le format HTML. Le réseau HTTP+HTML est appelé le Web. Il est important de noter que le Web n’est qu’une petite partie d’Internet. Internet existait avant le Web et il est possible d’utiliser Internet sans aller sur le web (on peut télécharger ses mails, lire sur le réseau Gopher voire sur le tout nouveau réseau Gemini, consulter les forums sur Usenet, le tout sans aller sur le web ni lancer le moindre navigateur web).

    Le web utilise un format assez traditionnel dit « client/serveur ». Un ordinateur va faire une requête vers un autre ordinateur qui sert de serveur.

    Supposons que votre ordinateur (ou téléphone, montre, tablette, routeur, frigo connecté, c’est pareil, ce sont tous des ordinateurs à l’architecture similaire) souhaite accéder à www.ploum.net. Il va tout d’abord déterminer l’adresse IP qui correspond au domaine « ploum.net ». Il va ensuite créer une requête au format HTTP. Cette requête dit, en substance : « Donne-moi le contenu de la page www.ploum.net ». Le serveur répond un paquet HTTP qui dit « Le voici dans cette boîte ». La boîte en question contient un fichier texte au format HTML.

    Ce fichier HTML est interprété par votre navigateur. Si le navigateur s’aperçoit qu’il y’a des références à d’autres fichiers, par exemple des images, il va envoyer les requêtes automatiquement pour les avoir.

    Il est important de noter que rien ne distingue un ordinateur client d’un ordinateur serveur si ce n’est le logiciel installé. Il est tout à fait possible de transformer votre téléphone en serveur. Ce n’est juste pas pratique, car il faut être disponible 24h/24 pour répondre aux requêtes. C’est la raison pour laquelle on a mis en place des « data-centers », des salles dans lesquelles des ordinateurs tournent en permanence pour servir de serveurs et sont surveillés pour être automatiquement remplacés en cas de panne. Mais un ordinateur reste un ordinateur, qu’il soit un laptop, un téléphone, un rack dans un data-center, un routeur, une montre connectée ou un GPS dans une voiture. L’important est que tous ces ordinateurs sont reliés par câbles, les plus importants étant des câbles sous-marins qui quadrillent les océans et les mers.

    Lorsque votre téléphone se connecte à Internet, il cherche, sans fil, le premier ordinateur connecté par câble qu’il peut trouver. C’est soit votre borne Wifi (qui est un ordinateur auquel il ne manque qu’un écran et un clavier), soit l’ordinateur de votre fournisseur téléphonique qui se trouve dans la tour 3/4/5G la plus proche. Les fameuses antennes GSM (pour simplifier, on peut imaginer que ces antennes sont simplement de grosses bornes Wifi, même si les protocoles GSM et Wifi sont très différents).

    À noter que les satellites n’interviennent à aucun moment. L’utilisation de satellites pour accéder à Internet est en effet très rare même si on en parle beaucoup. Lorsqu’elle existe, cette utilisation ne concerne que le « dernier maillon », c’est à dire faire le lien entre l’utilisateur et le premier ordinateur connecté par câble.

    L’hégémonie du web

    La confusion entre Internet et le Web est courante. Le Web est en effet devenu tellement populaire que la plupart des logiciels sont désormais réécrits pour passer par le web. La plupart d’entre nous consultent désormais leurs emails à travers un « webmail » au lieu d’un logiciel parlant le protocole SMTP nativement. Les documents sont également rédigés en ligne et stockés « dans le cloud ». Évidemment, cela se fait au prix d’une complexité accrue. Au lieu de recevoir des données par clavier et les afficher sur un écran, il faut désormais les envoyer via HTTP au serveur qui les convertit en HTML avant de les renvoyer, en HTTP, sur votre écran.

    L’une des raisons du succès du web est que ce modèle renforce le « vendor lock-in » évoqué préalablement. Si vous aviez sauvegardé vos données au format .doc, il vous fallait Microsoft Word pour les ouvrir, mais les données restaient malgré tout en votre possession.

    Le marketing lié au terme « cloud computing » a permis de populariser l’idée auparavant complètement incroyable de stocker ses données, même les plus personnelles, chez quelqu’un d’autres. Vos données, vos photos, vos documents, vos messages sont, pour la plupart d’entre vous, en totalité chez Google, Microsoft, Facebook et Apple. Quatre entreprises américaines se partagent la totalité de votre vie numérique et la possibilité de vous couper l’accès à vos données, que ce soit volontairement ou par accident (ce qui arrive régulièrement).

    Ces entreprises ont construit un monopole sur l’accès à vos souvenirs et sur l’observation de vos actions et pensées. Y compris les plus secrètes et les plus inconscientes.

    Car, rappelez-vous, en visitant une page Web, vous allez automatiquement envoyer des requêtes pour les ressources sur cette page. Il suffit donc d’ajouter dans les pages des ressources « invisibles » pour savoir sur quelle page vous êtes allé. Cela porte le nom de « analytics » ou « statistiques ». L’immense majorité du web contient désormais des « Google Analytics » ou des « widgets Facebook ». Cela signifie que ces entreprises savent exactement quelles pages vous avez visitées, avec quel appareil, à quelle heure, en provenant de quelle autre page. Elles peuvent même souvent connaitre votre position. Ces données sont croisées avec vos achats par carte de crédit (le mieux c’est si vous utilisez Google Pay/Apple Pay, mais Google possède un accord de partage de données avec Mastercard).

    Pour faire de vous un client, une entreprise devait auparavant développer un logiciel puis vous convaincre de l’installer sur votre ordinateur. Désormais, il suffit de vous convaincre de visiter une page web et d’y entrer des données. Une fois ces données entrées, vous êtes et resterez pour toujours dans leurs bases de données clients. J’ai personnellement fait l’expérience de tenter de lister et de me désinscrire de plus de 500 services web. Malgré le RGPD, il s’est avéré impossible d’être supprimé pour plus d’un quart de ces services.

    L’Université Catholique de Louvain est un bon exemple pour illustrer la manière dont ce mécanisme se met en place. Historiquement, l’UCL était un pionnier dans le domaine d’Internet et plus spécialement de l’email. La toute première liste de diffusion email ne concernait que des universités américaines et canadiennes avec deux exceptions : une université en Écosse et l’Université Catholique de Louvain. Le thème et l’expertise dans ce domaine sont donc importants. La faculté d’ingénierie, aujourd’hui École Polytechnique de Louvain, comprit très vite l’importance d’offrir des adresses email à ses étudiants. Les emails étaient, bien entendus, gérés en interne dans des ordinateurs de l’université.

    Début des années 2010, ce service a été étendu à toute l’université, ce qui a entrainé une surcharge de travail, mais, surtout, une perte de contrôle de la part de la faculté d’informatique. L’administration de l’université, malgré l’opposition de membres éminents de la faculté d’informatique, a décidé de migrer les adresses des étudiants sur les serveurs Google, mais de garder les adresses du membre du personnel sur un serveur interne de type Microsoft Outlook.

    Après quelques années, Microsoft a annoncé que si, au lieu d’utiliser Outlook en interne, les comptes mails étaient désormais hébergés sur les ordinateurs de Microsoft, les utilisateurs bénéficieraient de 100Go de stockage au lieu de 5Go. Les étudiants ont été également transférés de Google à Microsoft.

    Au final, absolument toutes les données universitaires, y compris les plus intimes, y compris les plus confidentielles, sont dans les mains toutes puissantes de Microsoft. Parce que c’était plus facile et que chaque utilisateur y gagnait 95Go pour stocker l’incroyable quantité de mails que l’université se sent obligée d’envoyer à chacun de ses membres sans leur permettre de se désabonner. Parce que tout le monde le fait et qu’on ne peut en vouloir à ceux qui prennent ces décisions.

    Toute donnée envoyée sur le cloud doit être considérée comme publique, car il est impossible de savoir exactement qui y a accès ni de garantir qu’elles seront un jour effacées. De même, toute donnée sur le cloud doit être considérée comme pouvant disparaitre ou pouvant être modifiée à chaque instant.

    Analyse de la situation

    Comme nous l’avons vu tout au long de cette explication, la communication repose sur l’existence d’un protocole ouvert et partagé. Le contrôle du langage est d’ailleurs l’une des premières armes des tyrans. Cependant, l’existence d’un protocole nécessite un accord. Se mettre d’accord est difficile, prend du temps, nécessite de faire des choix et des compromis.

    La tendance actuelle est de chercher à éviter de faire des choix, à se recentraliser sur ce que les autres utilisent sans se poser de questions. On se recentralise sur le Web au point de le confondre avec Internet. On se recentralise sur Google/Facebook au point de les confondre avec le Web. Les développeurs informatiques eux-mêmes se recentralisent sur la plateforme Github (appartenant à… Microsoft), la confondant avec le logiciel de développement décentralisé Git.

    Par confort, nous cherchons à éviter de faire trop de choix, mais le prix à payer est que d’autres font ces choix à notre place et nous en oublions que ces choix sont même possibles. Ces choix étant oubliés, ils deviennent de plus en plus difficiles à imaginer. Un cercle vicieux se met en place : au plus les monopoles ont du pouvoir, au plus il est difficile de ne pas utiliser un monopole, ce qui entraine le renforcement du pouvoir du monopole en question.

    Quelques entreprises, toutes issues d’un même pays avec des ingénieurs qui se connaissent et qui viennent des mêmes universités, contrôlent : les ordinateurs que nous utilisons, les logiciels que nous y installons, les données traitées dans ces logiciels. Elles contrôlent également ce que nous allons voir, ce que nous allons lire, ce que nous allons acheter. Elles peuvent imposer des délais et des tarifs aux fournisseurs. Étant la principale source d’information des électeurs, les politiciens leur mangent dans la main.

    Ces entreprises ont également un seul et unique but commun : nous faire passer un maximum de temps devant notre écran afin de nous afficher un maximum de publicités et de nous faire régulièrement renouveler notre matériel. Toute l’incroyable infrastructure du web et des milliers de cerveaux parmi les plus intelligents du monde se consacrent à une seule et unique tâche : comment faire en sorte que nous soyons le plus possible sur l’ordinateur dans notre poche sans jamais nous poser la question de savoir comment il fonctionne.

    Grâce aux algorithmes statistiques, tout cela est désormais automatique. Personne chez Facebook ou Google ne va promouvoir des théories complotistes ou des discours d’extrême droite. C’est tout simplement que l’algorithme a appris ce qui fait revenir et réagir les utilisateurs, ce qui les empêche de réfléchir. Dans la catégorie A, l’utilisateur a été soumis à des textes de Hugo et Zola entrecoupés d’articles du Monde Diplomatique. Dans la catégorie B, un utilisateur a été soumis à des dizaines de « Incroyable : la vérité enfin dévoilée », « vous ne croirez pas ce que cette dame a fait pour sauver son enfant » et « Le candidat d’extrême droite traite les musulmans de cons ». Lequel de A ou B a cliqué sur le plus de lien et passé le plus de temps sur son téléphone ? Dans quelle catégorie d’articles va tenter d’apparaitre le politicien cherchant à se faire élire ?

    La presse « traditionnelle » a été complètement détruite par ce modèle. Non pas à cause de l’érosion des ventes, mais parce que les journalistes sont désormais jugés aux articles qui font le plus de « clics ». Le rédacteur en chef ne pose plus des choix humains, il se contente de suivre les statistiques en temps réels. La plupart des salles de rédaction disposent désormais d’écrans affichant, en temps réels, les articles qui fonctionnent le mieux sur les réseaux sociaux. Même les blogs les plus personnels ne peuvent se passer de statistiques.

    La plupart des entreprises, depuis votre boulangerie de quartier aux multinationales, utilisent les services de Google et/ou Microsoft. Cela signifie que toutes leurs données, toute leur infrastructure, toute leur connaissance, toute leur logistique sont confiées à une autre entreprise qui peut, du jour au lendemain, devenir un concurrent ou entrer en conflit. On a fait également croire que cette infrastructure était nécessaire. Est-ce que votre boucherie de quartier a vraiment besoin d’une page Facebook pour attirer des clients ? Est-ce que l’association locale d’aide aux démunis doit absolument communiquer sur Twitter ?

    Les politiciens, la presse et l’économie d’une grande partie du monde sont donc entièrement soumises à quelques entreprises américaines, entreprises dont le business-model établi et avoué est de tenter de manipuler notre conscience et notre libre arbitre en nous espionnant et en abusant de nos émotions. Ces entreprises vivant du budget alloué au marketing nous font en permanence croire que nous devons, tous et tout le temps, faire du marketing. Du personnal-branding. Mettre en évidence notre carrière et nos vacances de rêves. Communiquer sur les actions associatives. Se montrer au lieu de faire. Prétendre au lieu d’être.

    Ces entreprises cherchent également à cacher le plus possible le fonctionnement d’Internet tel que je vous l’ai expliqué. Elles tentent de le rendre incompréhensible, magique, mystique. Elles s’opposent légalement à toute tentative de comprendre les protocoles et les formats qu’elles utilisent. C’est à dessein. Parce que dès que la compréhension est la première étape, nécessaire et indispensable, vers la liberté.

    Internet est aujourd’hui partout. Il est incontournable. Mais plus personne ne prend la peine de l’expliquer. C’est de l’IA avec des blockchains dans un satellite. C’est magique. Même les développeurs informatiques utilisent des « frameworks REACT dans un Docker virtualisé » pour éviter de se poser la question « Que suis-je en train de construire réellement ? ».

    Tenter de le comprendre est un devoir. Une rébellion. Si mon écran me captive autant, s’il affiche ces données particulières, c’est parce que d’autres êtres humains y ont un intérêt majeur. Parce qu’ils l’ont décidé. Et ce n’est pas probablement pas dans mon intérêt de leur obéir aveuglément. Ni dans celui de la société au sens large.

    Lectures recommandées

    Sur l’influence et la problématique des monopoles : « Monopolized: Life in the Age of Corporate Power » , David Dayen.
    Sur le traitement de nos données et l’invasion dans notre vie privée : « The Age of Surveillance Capitalism », Shoshana Zuboff
    Sur l’impact d’Internet sur nos facultés mentales : « Digital Minimalism », Cal Newport et « La fabrique du crétin digital », Michel Desmurget
    Sur le fonctionnement des réseaux sociaux : « Ten Arguments For Deleting Your Social Media Accounts Right Now », Jaron Lanier

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Monday 14 March 2022 - 08:57

    J’ai le plaisir de vous annoncer deux sorties dans deux domaines complètement différents : la version 1.0 du logiciel Offpunk, le navigateur web/gemini déconnecté que je développe et la version audiolivre de Printeurs, mon roman cyberpunk.

    Printeurs, la version audiolivre

    Printeurs – version CD

    J’aime beaucoup lire à haute voix, déclamer, changer d’intonation pour interpréter les différents personnages. Mais en faisant un test avec le producteur d’audiolivres Voolume, j’ai très vite réalisé mes limites. L’exercice est épuisant et demande une expérience particulière.

    C’est la raison pour laquelle nous avons fait appel au comédien Loïc Richard avec qui ce fut un plaisir d’échanger. J’ai pu lui confier ma vision des personnages, lui révéler des petits secrets qui n’apparaissent pas dans le livre, mais qui m’ont guidé pour les faire agir.

    À la première écoute, un frisson m’a parcouru l’échine. C’était bien mon texte, mes personnages, mais ils semblaient s’être émancipés, avoir acquis une vie propre sous la voix de Loïc. J’adore ! Merci Loïc !

    Tout ça pour dire que l’audiolivre Printeurs est disponible sur Voolume et bientôt sur toutes vos plateformes centralisées propriétaires, que je vous le conseille chaudement. Si vous souhaitez vous passer d’intermédiaire et obtenir des MP3 sans DRM, je vous encourage à pousser un peu mon éditeur pour les rendre disponibles sur son site.

    L’avantage des MP3, c’est que ça se partage sur clé USB ou par… comment ? Bitruisseau ? Bitrivière ? Bitcascade ? Bref, un truc du genre, mais le contrôle de cerveau de mon éditeur m’empêche de me rappeler du nom exact.

    Lien voolume: https://voolume.fr/catalogue/sf-et-fantasy/printeurs/
    Le site du comédien Loïc Richard: https://www.loicrichard.com/
    Commander Printeurs version papier ou epub: https://pvh-editions.com/shop/38-printeurs

    Offpunk, le navigateur déconnecté pour le smolnet

    On reste dans le cyberpunk, mais on passe au texte écrit en vert sur un écran noir clignotant.

    Sur le web, chaque site est devenu une véritable application qu’il faut apprendre à utiliser, réapprendre à chaque mise à jour, contre lequel il faut lutter pour ne pas être envahi de publicité ni espionné. Quant au contenu ? Il faut généralement se dépêtrer de tout ce qui l’entoure pour le trouver. Certains navigateurs disposent d’un mode « readability/lecture » qui permet de n’afficher que le texte de l’article. Un énorme effort d’ingénierie pour défaire l’effort d’ingénierie de ceux qui ont programmé le site en question. Souvent pour se rendre compte que la valeur du contenu nu est faible voire nulle. Avez-vous déjà réalisé que ce magnifique « thread » de 37 tweets que vous avez lus tweet par tweet n’est, une fois imprimé, qu’un assemblage maladroit de phrases mal agencées contenant très peu d’information de valeur ?

    Parmi les programmeurs, les bidouilleurs, les amateurs de texte brut et autres geeks, une fronde se met en place contre cette complexité et hypercommercialisation d’un web où la seule manière d’exister est de passer dix fois plus de temps à promouvoir son contenu qu’à le créer, où l’objectif n’est plus de communiquer, mais de soutirer des données et d’augmenter le nombre de clics.

    Le nom de cette fronde ? Il n’est pas officiel, bien entendu, mais la bannière « smolnet » revient souvent (avec des variantes comme « small web » ou le très ironique « slow web »). Ce qu’on trouve sur le smolnet ? Des blogs personnels et minimalistes sans publicités ni statistiques (se retirant parfois volontairement des moteurs de recherche), des contenus disponibles par RSS. Des capsules de texte disponibles sur le protocole Gemini (voire sur l’ancêtre du web, le vénérable protocole Gopher), des podcasts directement accessibles au format MP3. Certains incluent également les réseaux décentralisés comme Mastodon dans le smolnet.

    Passionné par la mouvance, mais étant essentiellement déconnecté, j’ai créé un navigateur dédié au smolnet: Offpunk, dont je vous annonce la version 1.0, première version stable et mature.

    Capture d’écran d’Offpunk sur un site Gemini

    Offpunk est un logiciel en ligne de commande : pas de souris, pas de raccourcis clavier. Chaque action correspond à une commande.

    Par exemple, la commande « go gemini://rawtext.club/~ploum » va vous afficher ma capsule Gemini. Sur celle-ci, chaque lien est représenté par un chiffre. Il suffit de taper ce chiffre pour suivre le lien. Puis de taper « back » (ou « b ») pour revenir à la page précédente.

    Mais comment faire si plusieurs liens sont intéressants ? Nous allons les ajouter à un « tour », une liste de liens que l’on souhaite lire. Par exemple :  »tour 5 6 8-11″ (ce qui comprend automatiquement le 9 et le 10). Pour visiter la prochaine page dans le tour, il suffit de taper « tour » tout seul (ou « t »).

    Cela parait un truc de geek, mais j’y trouve, au contraire, une simplicité reposante. Bon, après, je suis un geek qui s’est mis à Linux parce qu’il regrettait la ligne de commande DOS de son enfance.

    Offpunk permet de visiter les pages Gopher, Gemini et Web de cette manière. Les pages web sont optimisées pour n’afficher que le contenu sans menus, publicités et autres. Offpunk permet également de s’abonner au flux RSS d’une page web avec la commande « suscribe ». Tout nouvel élément dans un flux sera immédiatement ajouté au prochain tour.

    Capture d’écran d’Offpunk affichant une page web avec une image

    La grande particularité d’Offpunk est que tout cela peut se faire de manière déconnectée ! Les contenus sont conservés sur le disque dur de manière permanente. Il suffit de lancer périodiquement la commande « sync » (depuis Offpunk ou en ligne de commande) qui va télécharger et ajouter à votre tour les contenus que vous avez demandés, mais qui n’étaient pas disponibles. Sync va également rafraichir les flux et autres pages auxquelles vous êtes abonnées pour peu que vous donniez une fréquence de rafraichissement (« sync 3600 » va rafraichir toutes les pages qui ont plus d’une heure).

    Tous les contenus, quelle que soit leur origine, s’affichent donc identiquement comme du texte dans votre terminal. C’est très confortable et permet de se concentrer sur le sens des mots plutôt que sur leur emballage. Ce qui n’est pas toujours à l’avantage des contenus, il faut le dire. L’accès déconnecté permet également de classer les contenus en listes, de les organiser, de prendre des notes au sein de ces listes. La commande « help » vous permettra d’explorer toutes les fonctionnalités d’Offpunk.

    Le logiciel fonctionne tellement bien que j’en viens à me demander si on est vraiment déconnecté quand on utilise Offpunk. Pour répondre à une déconnexion stricte, mon cerveau tordu a réussi à me faire programmer un logiciel qui me permet d’être connecté… tout en étant déconnecté. J’avoue ne pas l’avoir vu venir, ne croyant au départ utiliser le logiciel qu’occasionnellement pour télécharger un lien que j’aurais reçu par mail. Une fois encore, mon cerveau m’a roulé dans la farine pour satisfaire son addiction !

    Mais je vous laisse tester vous-même !

    Installer et tester Offpunk requiert, pour le moment, un ordinateur sous Linux ou BSD et de savoir télécharger et lancer un script Python, mais, comme il s’agit d’un logiciel libre, j’espère que d’autres le rendront disponible plus simplement à travers des paquets. La commande « version » est utile pour voir si certaines bibliothèques sont manquantes sur votre ordinateur, réduisant les fonctionnalités. Mais le mieux est d’utiliser « help » pour voir la liste de commandes possibles.

    Offpunk, site officielle: https://tildegit.org/ploum/AV-98-offline
    Ma présentation de Gemini: https://ploum.net/gemini-le-protocole-du-slow-web/

    Mon gemlog: gemini://rawtext.club/~ploum/

    Quelques gemlogs francophones pour démarrer sur Gemini:

    gemini://unbon.cafe/
    gemini://français.lanterne.chilliet.eu/

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 09 March 2022 - 08:40

    8 mars 2022

    Il y a quelques jours, mon épouse est rentrée de la pharmacie interloquée : la cliente avant elle venait d’acheter des pastilles d’iode pour se protéger des retombées nucléaires. La pharmacienne affirma que c’était la quatrième aujourd’hui. Ma première pensée fut un incident dans une centrale. Au même moment, ma mère m’envoya un SMS pour savoir si nos passeports étaient en ordre, au cas où il faudrait fuir le pays.

    Je commençai à subodorer une nouvelle hystérie médiatique, celle sur le COVID commençant à s’affadir. Sur le réseau Gemini, un gemlog que je suis répondait à un autre geminaute qui avait annoncé bloquer les requêtes provenant de Russie, ce qui me semblait particulièrement puéril. Écoutant les conversations et jetant un œil aux vitrines des marchands de journaux, je compris le sujet d’inquiétude en question. Poutine avait envahi l’Ukraine.

    Mes connaissances en géopolitique sont essentiellement nulles. Cependant, je sais que des combats opposent les Russes et les Ukrainiens depuis 2014. Que l’escalade de ce conflit n’est pas réellement étonnante, voire était attendue. Que s’il est dramatique pour les populations concernées et pour leurs voisins directs (je pense aux Polonais, par exemple), ce conflit ne m’implique pas directement. Et surtout, que me gaver d’images ne peut absolument pas améliorer la situation.

    Sans avoir besoin de me connecter, je devine que des images dramatiques doivent tourner en boucle. Certaines sont réelles et importantes. Certaines sont réelles, mais tout à fait anecdotiques. Certaines sont fausses ou issues d’autres événements, antérieurs parfois de plusieurs années. Certaines sont de la propagande pure et simple. Il n’y a qu’une certitude : il est impossible de faire la différence au milieu de ce que les analystes appellent « the fog of war », l’incertitude de la guerre.

    Oui, Poutine dispose de l’arme nucléaire. Le conflit peut potentiellement dégénérer. Cela a toujours été le cas. Certains spécialistes, comme Vinay Gupta, annoncent depuis des années que le risque lié à une guerre nucléaire est statistiquement plus important que le risque lié au réchauffement climatique. C’est un fait dont je suis bien conscient, mais sur lequel je ne peux agir.

    La seule question vraiment importante est : la probabilité de survie en cas de conflit mondial est-elle améliorée par la consommation de l’actualité ? Ma réponse, très personnelle, est négative. Je dirai même au contraire que se déconnecter de l’actualité permet d’avoir des raisonnements beaucoup plus rationnels et, dans mon cas, me permet de mieux percevoir les sentiments de la foule sans en être atteint moi-même. Je peux bien entendu me tromper, mais c’est un pari que je fais.

    S’il est vraiment nécessaire ou intéressant de comprendre ce qui se passe, l’univers me le fera savoir. Il faut croire que les personnes que je suis par RSS ou sur Gemini sont très pertinentes, car je n’ai vu que très peu de choses sur la guerre en Ukraine. Parmi celles-ci, un simple lien, une analyse très pertinente qui vaut, je le pense, des centaines d’heures d’images tournant en boucle.

    => https://acoup.blog/2022/02/25/miscellanea-understanding-the-war-in-ukraine/

    Il faut avouer que j’ai été très tôt baigné dans l’actualité.

    J’ai grandi entre un père journaliste qui rapportait plusieurs quotidiens et hebdomadaires chaque soir à la maison et une mère institutrice qui a toujours insisté sur l’importance de se créer un réseau social, de l’entretenir, de créer des opportunités pour les autres et saisir celles qui se présentaient.

    Tous les soirs, je lisais l’intégralité de cet incroyable échantillonnage de la presse écrite afin « d’être au courant ».

    En 1996, mon professeur au lycée souhaitant voir si nous suivions l’actualité nous annonça qu’une décision politique importante avait été prise la veille. Savions-nous ce qui s’était passé ? Je levai le doigt et expliquai que la Belgique venait de décider d’abolir définitivement la peine de mort. Le professeur éclata de rire en me disant que ce n’était pas vrai, que la peine de mort n’existait plus en Belgique. Il faisait, lui, référence à une vague décision politique qui fit sans doute la une des journaux télévisés ce jour-là avant d’être oubliée la semaine suivante. L’abolition de la peine de mort, qui n’avait eu droit qu’à un vague article en page 5 du quotidien que je lisais, n’intéressait personne et sera effectivement ratifiée le 10 juillet, dans l’indifférence générale. Pourtant, l’événement me semblait clairement plus important qu’une décision politique que je savais déjà pareille à des milliers d’autres prises chaque année. J’avais 15 ans et je venais de comprendre que même les professeurs, adultes et intellectuels, ne cherchaient pas à percevoir l’importance historique d’un événement, mais se laissaient manipuler entièrement par le journal télévisé. Si le présentateur annonçait que c’était important, personne ne se posait de questions. Le lendemain, je posai l’article annonçant la future abolition de la peine de mort sur le bureau du professeur. Il me rétorqua que ce n’était pas important, la peine de mort n’étant de toute façon plus appliquée en Belgique. Le journal télévisé avait remplacé la messe dominicale. Le système scolaire a fort logiquement remplacé les obligations liturgiques par des « formations à l’actualité et la citoyenneté ». Sous le prétexte de se tenir au courant, la société tente d’uniformiser « ce qui est important » de ce qui ne l’est pas, de poser des jalons communs dans l’inconscient collectif.

    Le 11 septembre 2001, mon téléphone sonna alors que je surfais sur le web depuis ma chambre d’étudiant. Un ami d’enfance m’ordonnait d’allumer la télévision. J’ai toujours eu horreur de la télévision, mais elle était presque en permanence allumée dans notre appartement, car indispensable à certains de mes colocataires. Pour une fois, elle était éteinte. Je répondis donc à mon ami de me raconter. Il me dit qu’un avion s’était écrasé sur le Pentagone, à Washington. Je rigolai. Un avion de tourisme s’était probablement écrasé dans une zone de « sécurité » et ça devait faire tout un foin. Pas besoin d’allumer la télévision pour cela. Mon ami insista, me disant que c’était sur toutes chaines.

    Je dis d’accord en rigolant et raccrochai. Par honnêteté, je me rendis dans le salon et allumai la télévision. Je compris très vite qu’il se passait quelque chose de plus grave qu’un simple incident. Je me souviens d’avoir rappelé mon ami pour lui dire que ce n’était finalement pas un truc amusant puis d’avoir passé les heures suivantes devant cette télévision, à tenter de comprendre. Je me rendais sporadiquement dans ma chambre pour trouver des informations sur le web, mais les réseaux sociaux n’existaient pas. Les sites d’actualités étaient à la traine. Il n’y avait que peu d’information à glaner. Personne ne savait rien.

    Les jours qui suivirent furent passés dans un état mental proche de l’hébètement à regarder en boucle les mêmes images de l’attentat qui devait changer la face du monde de manière profonde et insidieuse. Je tentai de me reprendre, me morigénant pour mon apathie physique, tentant de me convaincre que je ne pouvais pas agir sur ces événements et que je n’avais rien à gagner à regarder les mêmes images en boucle. Mais j’étais obnubilé et je fus aspiré dans cette hystérie médiatique, cette hallucination partagée dans laquelle nous nous débattons encore.

    J’appris cependant de cette expérience, observant que le phénomène se reproduisait à chaque événement médiatique intense, de plus en plus fréquemment. L’arrivée des réseaux sociaux ne fit qu’aggraver le stress, la fatigue et les séquelles d’événements qui ne m’avaient pourtant pas touché autrement que par images interposées. Contrairement à la télévision, les réseaux sociaux étaient impossibles à éteindre. Lors d’attentats, ils se paraient même de publicités pour les sites d’actualités traitant du sujet. Comme ils étaient devenus notre principale source d’échange ou de recherche d’information, il devenait impossible d’avoir des relations humaines en ligne ou d’utiliser le web sans être bombardé des dernières nouvelles. Certaines actualités étaient devenues impossibles à ignorer. Ce n’était d’ailleurs pas spécialement les plus graves ou les plus importantes. C’étaient celles que les réseaux sociaux avaient décidé de considérer comme telles. J’ai beau mettre mon téléphone en mode avion, les notifications sur ceux de mon entourage interrompent désormais nos conversations pour nous prévenir, pour nous faire lâcher tout.

    Alors que je me dirigeais vers le bureau d’un ami journaliste dans un espace de co-working, une après-midi de 2015, je le trouvai en état de choc, lisant compulsivement Twitter et bredouillant des paroles incompréhensibles à propos du magazine Charlie Hebdo. Ne voulant pas céder à la panique médiatique, je pris la résolution de sauvegarder tous les articles sur le sujet et de ne pas les lire avant une semaine.

    Cette expérience me fit prendre conscience de l’inanité des articles rédigés à chaud. Personne ne sait rien. Tout le monde répète et amplifie les mêmes rumeurs. Les images sont hypnotiques et empêchent de penser.

    La crise COVID me fit rechuter complètement. Outrepassant complètement les sites d’informations générales, dont l’inanité n’a d’égal que la pitoyable quête de sensationalisme, je passai des semaines sur des sites beaucoup plus spécialisés, lisant chaque nouveau papier scientifique sur le sujet. J’en ressortis épuisé et sans réelle valeur ajoutée. Même les spécialistes ont besoin de temps pour comprendre, tester, analyser. Penser. Il est impossible d’obtenir rapidement la connaissance qui, par essence, ne se construit que dans la durée.

    Toutes ces expériences me convainquirent que l’immense majorité des informations ne nous est absolument pas utile et que l’univers nous fait parvenir, d’une manière ou d’une autre, ce que nous devons absolument savoir. La crise du COVID m’a d’ailleurs plusieurs fois illustré à quel point il est implicitement évident que chacun passe sa vie à regarder les informations. Faut-il mettre un masque ou non ? Faut-il avoir un certificat de vaccin ou non ? Les règles changeaient en permanence sans qu’une source établie soit nécessairement évidente à trouver. Il est considéré comme acquis que le citoyen est scotché aux annonces du gouvernement.

    Dans son livre « TV Lobotomie », le neuroscientifique Michel Demurget explique que face à un écran, notre métabolisme consomme encore moins qu’au repos. Nous sommes littéralement dans une forme de catalepsie, dans une transe. Que ce soit le coup de sifflet final du match de football ou le générique de fin du film, nous sommes forcés, parfois douloureusement, de reprendre contact avec notre corps, avec la réalité physique. Mais, sur Internet ou dans les jeux vidéos, il n’y a pas de générique de fin. Nous sommes happés à en perdre le sommeil, à en oublier de manger. Des décès, heureusement rares et anecdotiques, de joueurs ayant passés plusieurs jours devant leur écran ont même été signalés en Corée.

    L’écran a un effet hypnotique physique. Il capte notre attention. Faites l’expérience et entrez dans une pièce que vous ne connaissez pas comme un bar ou le salon d’un ami chez qui vous n’avez jamais été. Ne restez qu’une seconde et sortez immédiatement.

    Si une connaissance est dans la pièce, il est possible que vous l’ayez reconnue. Il est également possible que vous ne l’ayez pas vue. Si un élément particulier décore la pièce, il est possible que vous l’ayez remarqué. Mais il est également probable que vous n’ayez pas fait attention.

    Par contre, si un écran est allumé dans la pièce, vous l’avez vu. Vous ne pouvez pas l’avoir manqué. Vous pouvez même probablement dire ce qu’affichait cet écran. Voir citer le nom de l’émission, du présentateur télé ou du politicien qui s’exprimait. Il est impossible d’ignorer un écran. L’écran capte notre attention de manière autoritaire, indiscutable. Ne pas regarder un écran demande plus d’effort mental que de ne pas le voir.

    Beaucoup de familles laissent un écran de télévision allumé en permanence. Une partie de leur cerveau traite, en permanence, l’image des écrans. À la longue, certains ont construit une tolérance qui rend ce processus inconscient, mais il est toujours là.

    N’ayant jamais eu la télévision, je n’ai pas construit cette tolérance. Je suis donc particulièrement sensible aux écrans. Il m’est souvent rétorqué que ceux qui sont devenus tolérants ne voient plus l’écran, que c’est comme si l’écran n’était pas là.

    Pourtant, ces mêmes personnes n’hésitent pas à interrompre une conversation que nous avons pour me dire « Oh, regarde ce qui se passe dans la télé », preuve que leur cerveau traite en permanence l’information.

    Un manager dans une grande multinationale me confiait, alors que nous étions en voyage d’affaires, qu’allumer la télé était la première chose qu’il faisait en se réveillant dans sa chambre d’hôtel. Il a évoqué « le besoin d’avoir une présence ». Je pense aujourd’hui qu’il s’agit d’une addiction. Une partie de nos neurones a, pendant toute notre enfance, été éduquée a recevoir en permanence l’information d’un écran afin de pouvoir avertir le cerveau conscient si jamais quelque chose d’intéressant s’y passait. Au réveil, cette partie du cerveau est clairement en manque. Elle a besoin de sa dose de stimuli.
    Lorsque mon fils de cinq ans est exceptionnellement autorisé à regarder un dessin animé sur l’ordinateur de mon épouse, il est immobile, figé. Mais lorsqu’il faut couper l’écran, il se met souvent dans une colère noire, violente, rappelant les crises de sevrage d’un drogué.

    Le cerveau est encore aujourd’hui un domaine particulièrement mystérieux. Nous avons cependant appris énormément de son fonctionnement au cours des dernières décennies. Nous savons par exemple que plus un ensemble de neurones est activé en même temps, plus va s’épaissir la gaine de myéline entourant ces neurones, améliorant leur efficacité. C’est la base de l’apprentissage : plus nous accomplissons une action, meilleurs nous sommes pour l’accomplir, au point de devenir experts. Les neurones se développent exactement comme les muscles d’un sportif à l’entrainement.

    Dans son livre Deep Work, Cal Newport suggère que, pour devenir un expert, il est donc important de se concentrer sur une et une seule tâche. Si nous passons d’une tâche à l’autre rapidement voire, pire, si nous prétendons faire du multitâche, l’effet sur les neurones sera trop diffus voire inexistant.

    Les sportifs le savent bien : pour se muscler, il est important de travailler un système musculaire à la fois, avec des exercices relativement longs et réguliers. Soulever un poids puis faire une flexion de jambe avant de courir 100 m n’améliorera ni votre condition physique ni votre musculature.

    Or, quelle est la compétence pour laquelle nous sommes désormais capables de nous concentrer pendant des heures ? Quelles sont les connexions neuronales que nous renforçons de manière quasi permanente à raison de plusieurs heures par jour ?

    Regarder un écran. Cliquer. Faire défiler des images. Cliquer sur un titre provocateur sans même être capable d’arriver au bout du contenu, mais en étant persuadé d’avoir tout compris. Nous indigner. Réagir. Commenter. Critiquer. Nous sommes devenus des experts, nous développons les neurones qui nous rendent les meilleures machines à cliquer possibles.

    Mais n’apprenons-nous pas en consommant tout ce contenu ? Ne sommes-nous pas en interaction avec une somme de connaissance humaine ? Ne développons-nous pas nos relations sociales ?

    Dans son livre « Proust and the Squid », la neuroscientifique et spécialiste de la lecture Maryanne Wolf explique que lire un long livre dans lequel on s’immerge permet au cerveau de développer des capacités similaires à celles observées si l’aventure avait été réellement vécue par l’humain. Le cerveau oublie littéralement qu’il ne fait que lire et se construit comme s’il vivait des expériences. Si c’est incroyable, cela demande bien entendu une profondeur, une immersion intense et relativement longue comme on peut en trouver dans un roman. La concentration et la durée sont indispensables à ce processus.

    L’écran, malheureusement, a exactement l’effet inverse. Michel Desmurget relate les expériences menées avec un professeur interagissant avec des enfants, soit dans la même pièce, soit par écran interposé. Alors que les interactions sont exactement identiques, le fait d’avoir un écran rend l’apprentissage virtuellement nul. L’enseignement à distance tant vanté durant la pandémie aura peut-être des conséquences à long terme sur notre société bien pire que la maladie elle-même.

    Au contraire du livre, qui immerge le cerveau dans une réalité virtuelle, mais effective, l’écran isole et n’offre qu’une apparence. Il transmet et submerge le cerveau d’émotions, le transforme en récepteur passif. Au lieu de créer des compétences, des qualités adaptables, l’écran génère des réflexes instinctifs primaires tout en générant une fatigue, un épuisement intellectuel.

    Daniel Kahneman, dans son livre séminal « Thinking Fast and Slow » a popularisé le concept des deux systèmes de pensées. Le système 1, intuitif, serait extrêmement rapide, mais soumis à de nombreuses erreurs. Il ne maitrise en effet pas les statistiques, les résultats contre-intuitifs ou nouveaux. Il se base sur les prérequis et l’expérience pour agir le plus rapidement possible. Le système 2, au contraire, est lent et cherche lui a agir le plus justement possible en analysant, en modélisant. Les deux systèmes sont incroyablement complémentaires, mais peuvent souvent entrer en conflit. Dans des situations d’urgence, le système 1 doit évidemment avoir la priorité. Pas besoin de comprendre l’origine de l’incendie sous nos yeux, l’important est de courir vers la sortie. Par contre, lorsqu’il n’y a pas d’urgence immédiate, prendre le temps de réfléchir est souvent une meilleure solution.

    De par leur conception, les livres s’adressent au système deux. Que ce soient des essais scientifiques ou des romans des sciences-fictions, ils développent notre capacité d’analyse, nous confrontent à des situations inédites et nous explicitent les différentes possibilités. Les romans policiers, par exemple,nous enseignent en permanence que la vérité est plus subtile et complexe que ce que notre intuition nous fait croire. Le talent d’une Agatha Christie ou d’un Conan Doyle résidant justement à guider notre intuition pour nous révéler, à la dernière page, ses erreurs. L’erreur n’est souvent pas seulement un indice camouflé, mais bien une conception du monde. Dans « Le cheval pâle », Agatha Christie nous offre un roman qui semble fantastique, différent des policiers traditionnels. La surprise provient que tout ce qui parait surnaturel, qui ne semble avoir des explications qu’à travers le surnaturel se révèle, finalement, parfaitement rationnel et relativement simple. Avec un simple roman, Agatha Christie nous enseigne donc que notre système 1 a une tendance incroyablement forte à vouloir se fier aux apparences, quitte à réfuter les lois de la physique de notre univers. Il est plus facile de réfuter la somme de toute la connaissance scientifique humaine que d’admettre une erreur de sa propre intuition.

    Contrairement aux livres, les écrans s’adressent immédiatement au système 1 et le renforcent. À travers une série incessante de stimuli, ils désactivent notre système 2, l’enterrent et nous font agir par réflexe.

    Au plus nous cliquons, au plus nous renforçons le circuit neurologique nous encourageant à cliquer. À chaque clic, nous détruisons graduellement notre originalité, notre créativité, notre esprit critique et notre libre arbitre. Nous nous laissons emporter dans de torrents émotionnels qui sont d’autant plus forts lorsqu’ils sont partagés et socialement validés.

    Il y a quelques jours, un chauffeur de taxi qui nous ramenait de la gare nous expliqua à quel point il était fier que ses enfants regardent le journal télévisé et soient si bien informés de tout ce qui se passait en Ukraine, connaissant les noms des ministres et d’autres détails. Il ajouta qu’on ne le croirait peut-être pas, mais qu’il transportait parfois des gens de 40 ans qui en savaient moins sur le sujet que ses enfants. Mon épouse étouffa un sourire en regardant son quarantenaire de mari médiaphobe.

    J’ai alors pensé que si Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine, cela ne change rien à ma vie. Cela ne change rien à ce que je peux faire. À ce que je dois faire. Bref, je m’en fous.

    Poutine a envahi l’Ukraine et, soudainement, plus personne ne se préoccupe de savoir si nous avons tous un masque et trois doses de vaccin. Du jour au lendemain, Poutine semble avoir éradiqué le COVID. Il fallait un ennemi commun pour réconcilier antivaccins et provaccins : Poutine s’est sacrifié.

    J’ai gardé mes réflexions pour moi. Mon épouse m’a fait un clin d’œil et le chauffeur a très vite embrayé sur les résultats désastreux de l’équipe de football locale.

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Thursday 24 February 2022 - 15:07

    24 février

    Je suis devenu une machine à cliquer. Un rouage anonyme dans un gigantesque superorganisme qui se nourrit de mon attention, de mes capacités, de mon identité. J’ai décidé de me libérer, de m’échapper. Je ne suis pas sûr d’y arriver seul. Peut-être que j’ai besoin que nous soyons plusieurs à réclamer notre liberté. Peut-être n’est-il pas trop tard.

    Ce livre est la première étape. Pour arriver à écrire ces quelques lignes, j’ai passé ces dernières années à restreindre l’usage de mon téléphone. Je me suis organisé une année complète « déconnectée ». À chaque fois que j’hésite, que je me mets à réfléchir, une partie de mon cerveau se tourne vers mon téléphone ou vers une icône cachée derrière mon éditeur de texte. Une partie de mes neurones se demandent si j’ai reçu des mails. Si je ne dois pas répondre à un message de ma famille. Ou si une nouvelle intéressante n’a pas été postée sur les réseaux sociaux.

    Écrire n’est que la moitié du chemin. Encore faut-il que ce livre soit lu. Beaucoup d’entre vous n’y arrivent pas ou n’y arrivent plus. Vous me dîtes souvent que vous avez été un grand lecteur, mais qu’aujourd’hui, vous n’avez pas le temps. Ou qu’au contraire vous aimeriez vous mettre à la lecture. Et que vous n’avez pas le temps. Selon vous, ce temps est pris par le travail, la famille, le ménage et autres obligations.

    Je n’ai pas le temps d’écrire ce livre. Vous n’avez pas le temps de le lire. Et pourtant, à la fin de l’année, nous pourrions avoir la lucidité de constater que, sans avoir le temps, nous avons collectivement écrit des milliers de messages sur Whatsapp, Signal ou Messenger, la plupart étant sans réel intérêt au-delà des quelques secondes passées à les écrire. Que nous avons posté et lu des centaines de pages de texte sur les réseaux sociaux, sous forme de pensées, de coup de gueule, de réactions à l’actualité, de commentaires. Que nous avons lu l’équivalent de plusieurs livres sous forme d’articles d’actualités dont nous avons déjà oublié le contenu aujourd’hui. Que nous avons regardé des heures entières de vidéos sur Youtube, depuis les conférences TEDx vaguement intéressantes aux buzz les plus ridicules. Que nous avons regardé plusieurs saisons de séries sur Netflix. Que malgré que nous nous défendions de regarder la télévision, nous avons regardé le journal télévisé presque chaque jour, ce qui correspond à lui seul à 2% de notre temps total de vie. Que nous sommes au courant de ce qui s’est passé dans telle ou telle émission télé, que nous connaissons le nom des présentateurs, des polémistes. Que nous avons un avis sur des événements que nous n’avons pas vécus.

    Nous sommes donc incroyablement actifs. En moyenne, il doit vous rester entre 1 et 2 milliards de secondes à vivre. Notre temps est certes limité, mais nous en avons cependant à assez pour le consacrer à des milliers de choses pas tellement importantes. Pourtant, nous gardons le sentiment de ne pas avoir de temps. Nous avons l’intuition que le temps s’effiloche. Nous savons que lire un livre nous apportera de la valeur intellectuelle, c’est pourquoi nous regrettons de ne pas avoir plus de temps pour lire. Pourtant, nous passons notre temps dans des activités dont nous avons parfois honte au point de nier les faire, au point de refuser d’admettre y passer du temps. Parfois, nous nous sentons coupables au point de devoir nous justifier.

    Les livres et les techniques de développement personnel tentent de nous motiver et de nous culpabiliser. Il suffirait de le vouloir, de choisir. Tout ne serait qu’une question de volonté ou, au pire, de prise de conscience.

    Nous sommes nombreux à être conscients de la nocivité des réseaux sociaux ou de la simple exposition aux écrans au point de l’interdire strictement à nos enfants. Pourtant, nous y sommes quand même. Parfois compulsivement. Parfois sans même nous en rendre compte. C’est juste pour vérifier une info. Juste pour te montrer une image. Les statistiques changent régulièrement, mais, à la fin de la journée, un adulte moyen a probablement passé entre 3h et 8h sur son téléphone.

    Au plus profond de nos fibres, nous sommes pour la plupart convaincus que lire un livre est infiniment plus enrichissant que de surfer sur Facebook. Pourtant, les statistiques de votre téléphone vous démontreront que votre temps journalier passé sur ces réseaux sociaux est très rarement en dessous de l’heure. Sur ce même téléphone qui nous permet d’accéder à des livres électroniques très simplement. Si seulement une fraction du temps consacré à faire défiler des images dans Instagram ou à cliquer sur des petits dessins dans un jeu était consacré à lire une page ou deux, nous finirions tous entre un et dix livres supplémentaires par an.

    Ce n’est pourtant pas le cas. Nous avons beau vouloir, nous n’y arrivons pas.

    Si la volonté n’est pas suffisante, c’est peut-être qu’il y’a une autre force à l’œuvre. Une entité qui nous dépasse, qui nous contrôle. Un super organisme qui se nourrit de nos clics et qui, pour croître, nous transforme petit à petit en machines à cliquer.

    Pour s’en convaincre, il suffit de lever la tête de son téléphone dans la rue, dans le train ou dans un magasin. Nous sommes rivés les yeux sur l’écran, le cou tordu en une disgracieuse difformité. Nos doigts s’activent sans cesse, font défiler, cliquent, tapotent, défilent. Nous nourrissons l’hydre. L’effet est particulièrement visible chez les adolescents. Ils marchent en groupe, chacun tenant son écran, interagissant à la fois verbalement et par écrit. Ils croient être partout à la fois, de peur de ne pas être assez sociaux, la phobie type de l’adolescence, mais ils ne sont nulle part. Le pauvre hère qui n’est pas sur son téléphone a l’air d’un extra-terrestre, d’un exclu. Les adultes ne valent guère mieux. Il suffit d’observer les couples au restaurant qui ne se regardent pas. Cet homme en cravate pénétré d’un air d’importance qui consulte ses mails en commandant distraitement un sandwich. Ce jeune parent qui discute en tenant un petit micro près de sa bouche, les oreilles bouchées par des écouteurs tout en berçant distraitement un landau du pied.

    Il serait facile de juger, de considérer la paille chez les autres sans voir sa propre poutre. Ou de rationaliser qu’il s’agit d’une évolution normale.

    Mais personne ne peut nier l’implacable symptôme. Nous nous plaignons de ne pas avoir le temps de faire ce que nous voulons et pourtant nous consacrons un temps incroyable à faire quelque chose que nous ne voulons pas faire.

    Les lieux publics bruissent des constantes notifications, ces signaux sonores qui ont été conçus, à dessein, pour attirer l’attention, pour signaler l’urgence, l’importance d’arrêter tout. Dans les années 1990, les tamagotchis, petits jeux électroniques portables représentant un animal à nourrir et faire grandir, ont inauguré cette ère de « notifications ». La notification est la version artificielle du pleur de bébé, un son conçu pour être impossible à manquer et désormais omniprésent dans les rues, les restaurants et les maisons.

    Le superorganisme, sorte de tamagotchi planétaire, se rappelle à nous : « Nourris-moi ! J’ai faim ! »

    Pour s’en libérer, la volonté seule ne suffit pas. Nous devons prendre conscience de ce que nous faisons, nous devons comprendre les causes qui nous ont amenés à créer ce super organisme.

    Nous libérer n’est donc plus un simple acte individuel. Il s’agit d’une rébellion, d’un acte de résistance à la fois contre le super organisme, mais également contre tous ses servants, contre les autres êtres humains.

    Dès les premières velléités d’indépendance, les défenses immunitaires du super organisme se mettront en branle, tenteront de nous remettre dans le droit chemin, de nous soigner. Ou de nous exclure définitivement, de faire de nous un paria.

    Lire ce livre jusqu’au bout n’est donc pas qu’un acte individuel, une manière de reprendre contrôle sur votre vie. Il s’agit également d’un acte de révolte planétaire, une manière de lutter contre l’absurdité d’un système inégal qui détruit la planète, qui détruit les vies.

    C’est du moins comme cela que je l’écris. Comme un cri de révolte, un cri de désespoir, un cri d’espoir.

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  • Wednesday 09 February 2022 - 14:18

    9 février

    Longtemps, je me suis couché à pas d’heure. Parfois, à peine mon écran éteint, mes yeux ne se fermaient point, contemplant la pénombre et accueillant un flux d’idées et de conscience nouvelle.

    Une idée lancinante revenait, m’obnubilait. Pourquoi tout me semblait-il soudainement si clair, si évident dans le noir ? Pourquoi cet état de grâce intellectuelle n’arrive-t-il jamais plus tôt ? Pourquoi ai-je l’impression de gâcher mes journées ? Pourquoi la créativité, l’énergie d’entreprendre n’arrivent-elles que lorsque je considère la journée comme terminée et que je me déconnecte ?

    La réponse est étrangement simple : l’appel de la connexion.

    Dans ma manière de travailler, j’ai identifié trois étapes très différentes. Premièrement, explorer à la recherche de nouveautés, de textes et d’informations à lire plus tard. Ce que beaucoup appellent la sérendipité. En deuxième lieu vient l’acte de lire, d’étudier ces textes, ces livres. Enfin, dernière étape, l’action, la création. À partir de ces connaissances nouvelles, je me mets réellement « au travail », pour écrire, coder, créer.

    Sur ces trois étapes, le monde connecté glorifie particulièrement la première. La recherche de nouveautés est si intéressante, si amusante, si exaltante que je peux y passer ma journée. Rechercher des nouveautés est un plaisir, un rituel semblable à la pause cigarette des fumeurs. Chaque excuse est bonne pour dire « Faisons une pause et voyons s’il n’y a rien de nouveau en ligne ». Dix minutes de travail « réel » donnent droit à trente d’exploration.

    L’exploration est particulièrement jouissive lorsque ce qui est découvert est petit, immédiat, facilement digestible. Les découvertes plus longues sont sauvegardées pour un utopique et irréaliste « plus tard », empilées dans de boulimiques logiciels spécialisés ou des listes de lectures.

    L’addiction à cette constante nouveauté, couplée avec l’ubiquité d’une connexion mobile permanente, a rapidement fait disparaitre la moindre minute de vide, d’ennui, de rien. Depuis les toilettes à la récupération après un jogging dans le parc ou la file d’attente au supermarché, chaque minute qui était auparavant « intellectuellement gaspillée » peut désormais être remplie d’une quelconque nouveauté aléatoire. Ou, tout au moins, d’une quête de ce genre de nouveautés.

    Mais il ne s’agit pas seulement des minutes perdues à droite ou à gauche. Les heures passées devant un bureau peuvent, soudainement, être remplies de la même façon. Chaque difficulté, chaque incertitude, chaque décision à prendre fait naitre dans mon cerveau la suggestion de faire une douce pause, facile et certainement méritée. Une pause qui n’est qu’à un mouvement de souris, dans une fenêtre qui reste en permanence ouverte dans un coin de mon ordinateur. Au final, seule l’adrénaline de l’urgence me donne la force d’échapper à cette boucle infinie et d’accomplir le minimum nécessaire dans l’urgence.

    Malheureusement, les idées ne naissent que dans le terreau du rien, du vide, de l’ennui. Ces minutes « intellectuellement gâchées » ne l’étaient qu’en apparence. En les échangeant contre de minuscules fragments de plaisir immédiat, j’ai abandonné une composante essentielle de mon intelligence, de ma conscience, de ma condition humaine, endommageant mon système dopaminique.

    Les idées durables, importantes, ne sont jamais le fruit d’une urgence. Durant une urgence, vous pouvez bien entendu rapidement éteindre les incendies, mais vous ne pouvez pas concevoir des immeubles ininflammables. Les solutions rapides et faciles mènent, sur le long terme, à encore plus d’incendies, de catastrophes. Requérant elles-mêmes des solutions faciles, immédiates. Le cercle vicieux de la décadence célébrée par notre économie de marché : plus d’incendies signifient plus d’emplois nécessaires pour implémenter des solutions court-terme qui, eux-mêmes, créeront plus d’incendies et donc plus d’emplois pour le futur. Tout inventeur qui arriverait avec une solution efficace sur le long terme serait immédiatement lapidé pour avoir tenté de tuer la poule aux œufs d’or.

    Étant connecté, j’ai arrêté de réfléchir aux problèmes que je rencontrais, de lire sur le sujet, de tenter de comprendre l’architecture sous-jacente. À la place, je me suis mis à chercher des solutions rapides, postées en ligne par des gens ayant le même genre de problèmes. Parfois, ces solutions n’étaient disponibles que dans des vidéos, ou du moins c’est ce que prétendait la vidéo. Il semblerait qu’écrire et lire soit devenus trop difficile pour une majorité de la population en ligne, ce qui me forçait à passer encore plus de temps en ligne à regarder lesdites vidéos. Lorsqu’après avoir écumé les moteurs de recherche, plutôt que de réfléchir, je me mettais à poster sur des forums, des réseaux sociaux. Rétrospectivement, cela ne fonctionnait que très rarement. Je ne suis pas sûr d’avoir reçu un seul conseil vraiment utile de cette manière. Il faut dire que le seul conseil vraiment utile aurait dû être « Déconnecte-toi une heure ou deux, va dehors et réfléchis à ce que tu veux vraiment accomplir ». À la place, je rafraichissais compulsivement mon navigateur, guettant des réponses qui tenaient le plus souvent du débat sur le fait que je ne devrais pas vouloir faire ce que je voulais faire ou qui me donnait des mauvaises solutions mille fois répétées en ligne. Les rares fois où une interaction me révélait une information pertinente, je découvrais que cette information avait été sous mon nez depuis le début. La plupart du temps, j’avais de toute façon contourné le problème depuis bien longtemps et devait me débattre avec une discussion que j’avais initiée, mais qui ne m’intéressait plus.

    Je décidai de sortir de cette spirale infernale. En premier lieu en bloquant les sites qui me prenaient le plus de temps sans m’apporter beaucoup de valeurs. Les réseaux sociaux et les sites d’actualité. Je me fixai l’objectif de passer trois mois sans aucun site social ou d’actualité. Une diète que j’intitulai « Déconnexion » et qui, ironiquement, me permit d’attirer beaucoup de lecteurs vers mon blog.

    Mais cette déconnexion n’eut pas l’effet escompté. Au lieu d’avoir soudainement beaucoup de temps libre pour réfléchir et écrire, mon cerveau se mit à trouver automatiquement des alternatives. Des sites particulièrement intéressants se mirent à émerger dans le vide laissé par les réseaux sociaux.

    Qualitativement, le temps passé en ligne s’améliora grandement. Je me mis à lire des billets de blog plus longs, avec des réflexions plus soutenues sur des sujets qui m’intéressaient et me touchaient. Un mieux, certes, mais je restai bloqué dans l’étape de l’exploration. Pire : la découverte qu’il y’avait tant à découvrir la rendait encore plus pressante. Pour ma productivité personnelle, il n’y a qu’une chose de pire que le contenu de piètre qualité : c’est le contenu de bonne qualité !

    Le problème structurel avec la connexion permanente est que le monde en ligne change tout le temps. À peine avez-vous fermé votre navigateur que la conviction s’installe de rater quelque chose, de rater la fête qui continue. Peut-être devrais-je vérifier encore une fois ? Juste une dernière fois ? De toute façon, si vous savez que vous risquez d’être interrompu (par vos enfants, par vos collègues, par votre patron, par une notification quelconque), rien ne sert de se concentrer. Au contraire, les interruptions sont très désagréables, voire douloureuses, lorsque l’on est très concentré. Pour éviter toute douleur, autant rester superficiel.

    Imaginez un instant avoir reçu un mail important. Vous voulez prendre le temps d’y réfléchir pour y répondre de manière posée. Vous méditez, vous marchez seul tout en y réfléchissant. Revenu à votre bureau, vous ouvrez votre logiciel de messagerie pour rédiger cette réponse qui se cristallise dans votre esprit. Une notification apparait. Des nouveaux messages apparaissent dans votre boîte. Certains peuvent être traités très rapidement. Autant le faire tout de suite. Un de ces nouveaux mails vous fait penser de vérifier un article Wikipédia sur le sujet. Qui lie vers un autre article intéressant. Voilà. Votre réponse structurée à ce mail important est définitivement perdue dans le brouillard informationnel.

    Il est impossible de réfléchir tout en étant connecté, car toute notre infrastructure informatique est conçue et prévue pour que chaque changement, aussi minuscule soit-il, soit considéré comme la chose la plus importante à être communiquée le plus immédiatement possible. Le simple concept de « notification » est l’aveu que la destruction de toute réflexion est volontaire, que l’humain doit obéir aux injonctions de l’ordinateur, pas le contraire. Qui a bien pu imaginer une seule seconde que la réception d’un nouveau message ou la disponibilité de mises à jour logicielles étaient des choses plus importantes que ce que je suis en train de faire ?

    Désactiver ces notifications n’est pas aisé ni même toujours possible. Mais, lorsque c’est le cas, la situation est parfois pire. N’ayant plus les notifications, nous nous retrouvons à aller nous-mêmes consulter manuellement les informations plusieurs fois par heure. À la fois par crainte de rater quelque chose et par espoir de découvrir une nouveauté quelconque.

    Désormais déconnecté, je synchronise mon ordinateur une fois par jour. Une fois que j’attends avec impatience, fébrilité. Lorsque je branche mon ordinateur, je ressens une vague de jouissance incontrôlée. De retour dans mon bureau, je traite mes mails, satisfait de ne pas lutter contre une boîte de réception transformée en torrent permanent. J’apprécie le calme de savoir que je ne recevrai pas de nouveaux mails avant demain, avant d’avoir traité tous ceux-ci. La morbidité de la connexion permanente me semble une évidence.

    Parfois, la moisson est faible. Le traitement est rapide. Le silence s’installe sur mon ordinateur. J’ai enfin le temps de travailler. De réfléchir. D’écrire. Alors, mon cerveau se met à tirailler, à négocier. Je me mets à regretter la connexion. À regretter les mises à jour logicielles qui remplissent le temps. À regretter les liens sur lesquels cliquer compulsivement.

    C’est ma nature. C’est ce que je suis devenu. C’est en quoi j’ai été transformé. Une machine à cliquer.

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  • Friday 14 January 2022 - 09:37

    10 Janvier

    La fin de la journée arrive. J’ai répondu aux mails, j’ai consulté ce qu’il fallait. Au lieu de lire en ligne, j’ai été forcé de terminer certaines tâches. Je sais qu’il n’y aura rien de nouveau sur mon ordinateur. Pas besoin de le consulter avant d’aller dormir. Pas besoin de le consulter immédiatement au lever. Le matin, en buvant mon thé, je commence à prendre l’habitude de répondre aux derniers mails dans ma boîte avant ma prochaine synchronisation.

    Aujourd’hui, j’ai raté une réunion téléphonique.

    J’avais bien allumé mon téléphone ce matin, mais je l’avais laissé en silencieux.

    Je suis bien forcé si je ne veux pas être dérangé par les appels presque quotidiens du fameux « Bureau des énergies », une sorte d’arnaque téléphonique incompréhensible qui ne respecte aucune règle, aucune loi, changeant à chaque fois de numéro et raccrochant dès que l’on demande le nom de la société incriminée ou de ne plus être appelé. Ce spam constant a rendu, à lui seul, mon téléphone invivable s’il n’est pas en silencieux.

    Il y’a aussi les messageries instantanées. Il y’a surtout les messageries instantanées. J’utilise Signal, mais vous connaissez probablement Whatsapp, Telegram, Messenger, Viber… Sur le principe, toutes sont similaires (Signal ayant l’avantage d’être chiffré et de ne pas espionner ses utilisateurs, contrairement aux autres. Une différence fondamentale.).

    L’instantanéité spontanée de ces outils a donné au mail un caractère formel qu’il n’avait peu ou prou initialement. Mais il est vrai que, pour envoyer un email, il faut structurer une idée, lui donner un début, une fin. Clarifier ce qui est attendu de la personne en face. À l’opposé, les messageries instantanées offrent de partager avec d’autres ce que les écrivains appellent un « flux de conscience », un rouleau sans fin que l’on déroule au fur et à mesure que l’on pense sans trop savoir où l’on va. Il n’y a plus de barrière au partage, plus d’anticipation. Le message est envoyé avant même que son expéditeur ait pu réfléchir à ce qu’il écrit. « Je passe justement dans ta rue, ça te dit de boire un verre ? » « Oups, oublie, j’avais oublié que j’avais un rendez-vous » « Ce sera pour une autre fois, ce serait chouette de se voir » « Au fait, j’espère que tu vas bien ».

    Nous avons le rouleau sans fin, mais nous ne sommes pas Jack Kerouac. Beaucoup de conversations instantanées sont en fait de tristes soliloques guettant désespérément une validation externe, validation faite sous forme de réponses, car ne pas répondre est souvent perçu comme grossier. Ce comportement est encouragé par les plateformes, depuis l’incroyablement intrusif « indicateur de lecture du message » (que je vous conseille de désactiver) jusqu’aux fonctionnalités implémentées dans certains logiciels, comme Snap, qui affiche sous forme de récompense le nombre de jours consécutifs durant lesquels vous avez été en contact avec un correspondant. Lorsque la fille adolescente d’un ami est partie au camp scout, où les GSMs étaient interdits, elle a confié son téléphone à son père en le chargeant d’envoyer un message, une fois par jour, à une liste prédéfinie de contacts. Afin de ne pas briser la chaîne ! « Et surtout, Papa, n’oublie pas. Ce serait trop la loose auprès de mes copines ! »

    D’autres m’avouent consulter le contenu de leurs messages depuis les notifications de leur téléphone afin que la messagerie ne marque pas le message comme « lu » auprès de l’expéditeur. Une manière de gagner un peu de temps avant d’être forcé de répondre.

    À travers nos téléphones, nous sommes noyés dans des multiples flux de conscience partagés. Avec le risque de perdre notre propre conscience, notre propre individualité. L’actualité politique le montre suffisamment : nous nous agrégeons, nous perdons notre libre arbitre, notre conscience propre. Nous la déléguons dans des multiples groupes de discussion, créés généralement pour une cause très précise (un voyage, un événement …), mais dérapant systématiquement vers des discussions sans queue ni tête, des partages de rumeurs, d’images rigolotes, d’avis de perte de chiens et chats, de l’autopromotion pour une brocante, l’ouverture du magasin d’un arrière-cousin ou un livre.

    Contrairement à l’email, qui a connu et connait encore ces travers, il n’est pas possible de filtrer les messages. Il n’est pas possible de les consulter et de les traiter à un moment donné. De considérer une conversation comme close. Dans toutes les cultures, la fin d’une conversation, orale ou écrite, est marquée par un protocole social de clôture alambiqué. « Salutations distinguées ! », « Je dois y aller vraiment y aller, a+  », « Ce fut un plaisir », etc. L’utilité de ces formules est fondamentale pour permettre à chaque participant de passer à autre chose, de changer de contexte. C’est également le dernier moment pour échanger de l’information critique. C’est une fois debout pour sortir de la réunion ou sur le pas de la porte, la veste déjà enfilée, que les cœurs s’ouvrent, les choses se révèlent, se disent. Malheureusement, ces clôtures sont généralement inexistantes dans les groupes de discussion. N’étant jamais terminées, les discussions instantanées sont omniprésentes, à toute heure du jour ou de la nuit. Les notifications vous sautent aux yeux alors que vous saisissez votre téléphone pour payer dans un magasin, pour consulter votre agenda ou pour téléphoner. Même en silencieux, la plupart des téléphones s’allument et illuminent la pièce lors de la réception d’un message. Une fois que le cerveau a vu qu’il y’avait un message, impossible d’y échapper, de ne pas être distrait au moins quelques secondes. La seule solution, hormis de ne pas avoir de messagerie, est de mettre son téléphone en mode avion pour s’offrir quelques heures de répit. De rendre le téléphone inopérant.

    Autour de moi, j’observe des gens courbés sur leur téléphone dans la rue, dans les maisons, dans les familles. Leurs doigts tapotent des messages alors qu’ils marchent sur le trottoir, qu’ils mangent, qu’ils tiennent leurs enfants par la main. Parfois, ils tiennent le téléphone horizontal face à leur bouche pour enregistrer un message audio qui ne sera pas toujours écouté. Au lieu de regarder le coucher de soleil, ils le prennent en photo et l’envoient aussitôt pour le commenter avec d’autres. Ou partagent le selfie d’un moment en famille.

    Comme si un moment non partagé en ligne n’existait plus. Comme si le souvenir biologique seul ne suffisait plus.

    Nous perdons la conscience et la mémoire. Nous les avons délocalisées toutes les deux vers les serveurs de grandes sociétés informatiques qui n’ont pour but que de nous afficher le plus de publicités possible.

    Si le choix était individuel, cela ne prêterait pas tellement à conséquence. Mais le choix est global, sociétal. La seule solution pour ne pas subir un bombardement permanent d’informations est de se couper complètement du monde, d’être totalement injoignable. La possibilité technique de contacter un tiers transforme la plupart des questions en urgences vitales (et je suis le premier coupable de ce genre de comportement) : « suis au magasin, est-ce que je dois reprendre du pain ? » ou « tu viens ou pas à la fête ce soir ? Dois savoir immédiatement pour commander le traiteur ».

    Être joignable partout tout le temps étant la norme, changer, déplacer ou annuler un rendez-vous sont des comportements acceptables, banalisés. « T’es où ? » « J’arrive ! » « Finalement, on est devant le bowling, pas devant le ciné » « OK, je suis là dans 5 minutes ». En conséquence, il n’est plus possible de prévoir, de planifier, d’organiser sa journée. Tout peut être modifié, parfois même après le début prévu de l’événement. La décision de participer ou non à un événement est repoussée, en attente des autres sollicitations potentielles pour ce moment.

    Nous sommes tout le temps en interaction, tout le temps entre deux décisions, entre deux messages. Les messageries nous forcent à être en permanence sur le qui-vive. La réalité non virtuelle n’est qu’une pause forcée entre deux notifications.

    Ce n’est pas un hasard si, en occident, la popularité de la méditation a suivi la courbe de progression des téléphones. Méditer, c’est s’offrir 10, 20 ou 30 minutes de silence mental par jour. Quelques minutes sans sollicitations, c’est tellement peu…

    C’est tellement peu et c’est inquiétant, car, dans l’histoire humaine, les intellectuels ont de tout temps baigné dans ce silence mental permanent. Les sollicitations étaient l’exception. Une fois chez eux, les intellectuels n’avaient d’autres ressources que de réfléchir et consulter leur bibliothèque. La plupart des découvertes, des œuvres et des progrès humains ont été réalisés, car leurs auteurs avaient à disposition du temps et de l’espace mental (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la plupart étaient rentiers de naissance ou, comme Voltaire, le sont devenus dans le but explicite de se consacrer à leur art). Le progrès humain s’est construit sur la douleur de l’ennui solitaire. Comme toute douleur, comme tout effort, nous tentons de l’effacer. De l’interdire.

    Si nous perdons notre conscience, notre mémoire et que nous brisons les espaces de réflexion, d’où viendront les prochaines grandes idées, celles qui nous font cruellement défaut ?

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Tuesday 11 January 2022 - 13:35

    7 janvier 2021

    À l’université, j’avais un professeur d’électronique pour qui nous donner cours pendant 2h sans fumer représentait une épreuve terrible. Durant tout le cours, il manipulait son briquet, jouait machinalement avec où l’utilisait comme exemple.

    « C’est un peu comme ce briquet ! »

    À la fin du cours, nous l’avons retenu plusieurs fois pour poser des questions. Il prenait visiblement beaucoup de plaisir à nous répondre. Mais une partie de son esprit était déjà ailleurs. En sus du briquet, il préparait sa cigarette qu’il portait parfois à ses lèvres en nous parlant.

    Après une semaine de déconnexion, je pense que je commence à le comprendre.

    Une semaine pendant laquelle je n’ai synchronisé mon ordinateur qu’une seule fois par jour. Une semaine pendant laquelle une partie de mon esprit ne cessait de me rappeler que, au départ, j’avais imaginé faire deux synchronisations par jour (une le matin pour recevoir les mails, une le soir pour les envoyer).

    Une semaine pendant laquelle j’ai réalisé le nombre de petites actions quotidiennes que nous faisons en ligne sans réfléchir. Des factures à payer. Un scanner à installer dont le mode d’emploi est en ligne. Une bibliothèque logicielle à installer pour mes projets. Un papier administratif à obtenir sur le site du ministère. Cela n’arrête littéralement pas. Un colis devait me parvenir, sans urgence aucune. En synchronisant mes mails un matin, j’ai découvert… 10 mails traitant du colis. Le colis avait quitté l’entrepôt. Le colis était dans les mains du livreur. Le colis aurait peut-être un peu de retard. Le colis serait finalement livré aujourd’hui. Le fait d’avoir ces mails en une fois m’a ouvert les yeux sur l’absurdité de notre consommation de l’Internet et des mails. Comme l’illustre le paradoxe de Jevons, lorsqu’une ressource devient plus facilement accessible, nous en augmentons l’usage de manière disproportionnée, au point de rendre le bénéfice de cette facilité nouvelle nul, voire négatif.

    Je m’étais autorisé une connexion prévue et planifiée pour modifier l’infrastructure de mon gemlog (mon blog sur Gemini). Des modifications techniques à effectuer sur un serveur distant. Il s’est avéré que ma mission n’était pas très claire, que rien ne fonctionnait comme je le voulais. Au bout de 28 minutes, je me suis rendu compte que je cherchais compulsivement des solutions en ligne. J’ai donc arrêté. Même topo avec une facture impayée de mon service de courriel, Protonmail, qui menaçait de suspendre mon compte. J’ai tenté de payer en urgence, mais aucune de mes cartes de crédit ne fonctionnait (le popup de confirmation de la banque se fermait automatiquement, la transaction était à chaque fois annulée). 26 minutes perdues. Dans les deux cas, en me déconnectant, j’ai pu revenir au problème plusieurs heures plus tard en sachant exactement ce que je devais faire. En étant connecté, j’aurai probablement résolu le problème en 1h ou 2, consultant en parallèle un million d’autres trucs. Cela m’aurait énervé, mais je n’aurai jamais su dire avec certitude combien de temps j’y avais passé. Le multitâche nous permet de supporter les frustrations administratives. C’est un problème, car ces frustrations sont devenues la norme.

    Pour apprendre de ces échecs, je me suis imposé une nouvelle règle : sauf urgence clairement définie, je me limite à deux connexions par semaine. Ces connexions seront préparées à l’avance avec la liste exacte des sites web à visiter et, pour chacun, la tâche exacte à accomplir. Si je dois me connecter en urgence pour une tâche donnée, je ne peux effectuer que cette tâche précise, sans prendre de l’avance dans les tâches non urgentes. Si une tâche ne se déroule pas comme prévu, elle est immédiatement abandonnée pour être reconsidérée. En quelques jours, la liste de tâches pour ma prochaine connexion s’est déjà allongée à une dizaine de lignes : commander un livre technique non disponible en librairies, se désinscrire de plusieurs newsletters, faire mon don annuel à certains projets open source, rechercher des exemples techniques pour intégrer plusieurs logiciels (mutt, abook, notmuch pour ceux qui connaissent) parce que je n’y arrive pas avec la documentation que j’ai, etc.

    Tout comme mon professeur jouant avec son briquet, je me retrouve à consulter machinalement cette liste, à la lire, la relire en anticipant le moment où je vais enfin me connecter. Cette relecture a un effet positif : je me rends compte que certains éléments ne sont pas clairs. D’autres, ajoutés impulsivement, ne sont pas strictement nécessaires. Je les supprime. J’hésite d’ailleurs à m’autoriser des recherches aussi larges que « trouver des exemples techniques d’intégration entre plusieurs logiciels ». Je préférerais avoir un livre de référence. Après deux jours de cogitations, je réalise que je dispose d’une copie offline d’une partie du réseau Gemini, un réseau susceptible de parler de sujets aussi techniques. Une recherche dans la liste des fichiers Gemini me le confirme. Plutôt que de chercher un peu au hasard sur le web, je vais déjà tenter d’exploiter les nombreuses informations dont je dispose déjà sur mon ordinateur. Et quelques minutes plus tard, je dois me rendre à l’évidence. Ça fonctionne ! J’ai trouvé exactement l’information que je cherchais, postée en 2019 sur un gemlog. 3 lignes de code minimales qui sont tout ce que je souhaitais. 3 lignes de code que j’ai pleinement comprises, assimilées avant de les adapter. Tout le contraire de mon comportement en ligne consistant à ouvrir 10 solutions différentes, les copier-coller sans comprendre, les tester avant de passer à la suivante.

    Pourquoi être si sévère avec moi-même ? Parce que cette déconnexion est difficile. Mon esprit erre sans cesse vers le monde en ligne que j’ai quitté. Que s’y passe-t-il ? Quelles sont les réactions à mes billets de blog ? Quelles sont les nouveautés de tel ou tel projet ? La connexion quotidienne et son avalanche de mails me donne l’impression d’une bouffée de ma drogue préférée. Je lis avec avidité les mails de réaction de mes lecteurs (même si j’ai choisi consciemment de n’y répondre que très rarement). Une fois les mails, les RSS et les gemlogs lus, le silence se fait. Je sais que rien n’arrivera plus sur mon ordinateur jusqu’au lendemain. C’est à la fois un soulagement et terriblement angoissant.

    J’écris alors dans mon journal. Parfois en anglais pour publier sur mon gemlog afin de décrire mes questionnements techniques. Le fait de l’écrire, de savoir que je n’aurai pas de réponse me donne du recul, une vision différente des choses. Je me lève plus souvent de ma chaise. Je considère plus rapidement une tâche comme terminée : si je n’ai pas l’information pour continuer, rien ne sert de me torturer les méninges.

    Paradoxalement, je lis moins. Je passe plus de temps sur mon ordinateur. J’explore les manpages (pages de manuel). Je peste sur Devhelp, le logiciel de documentation que j’utilise pour programmer en Python. Je plonge dans mes propres notes. Je relis mon propre journal. Je lis et relis les réponses que j’ai faites à certains mails. Je procrastine toujours autant mes projets. Je me dis que cette déconnexion était une idée vraiment stupide. Je commence à ressentir le manque…

    On ne brise pas si facilement plus de vingt années d’accoutumance…

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  • Wednesday 05 January 2022 - 13:35

    Un spectre hante mon pays. Profitant de la panique liée à une épidémie, il s’insinue dans les esprits, il corrompt les familles, détruit les amitiés, brise les ménages. Ce spectre, c’est celui de l’intolérance, de la haine aveugle. Celui d’une forme insidieuse de fascisme.

    Depuis les côtes de la vieille Europe, nous avons observé, mi-amusés, mi-inquiets, la société américaine se polariser et se diviser sous le règne de Trump. Une déliquescence accélérée par les nouveaux usages médiatiques contre laquelle nous nous croyions immunisés, fiers d’être le continent des Lumières. Mais force fut de constater que l’immunité n’était pas absolue. La contagion a gagné nos contrées.

    Flânant dans la rue après avoir tendu un QR code me donnant accès à une zone extérieure grillagée, je n’entends qu’elle. Les témoignages des repas de famille ou entre amis s’accumulent. Le sujet est omniprésent, incontournable, fanatique : « T’es vacciné toi ? ».

    Autour de moi, j’entends des personnes qui ne peuvent plus voir leurs amis parce qu’ils sont vaccinés. D’autres parce qu’ils ne le sont pas. Nous souffrons tous depuis désormais deux ans. Nous avons perdu des proches, des emplois, des opportunités, de l’énergie. En mal de visibilité médiatique, certains politiques ont choisi la voie facile et simpliste du bouc émissaire. Ce seront les non-vaccinés.

    Je suis moi-même vacciné contre le COVID. Si les intérêts économiques des groupes pharmaceutiques me semblent particulièrement malsains, pour ne pas dire mafieux, je pense que le vaccin est techniquement une invention magnifique et un outil essentiel dans la lutte contre la pandémie.

    Mais je ne suis pas médecin. Je ne peux pas juger la pertinence ou non pour un individu d’être vacciné. Je sais que certaines personnes non vaccinées ont des raisons que je trouve particulièrement absurdes, mauvaises, voire dangereuses. Je sais que d’autres ont tout simplement très mal réagi à la première dose et sont médicalement inaptes à en recevoir une seconde. Je n’ai pas la prétention de connaître tous les cas, encore moins de pouvoir les juger.

    Comme me le disait récemment un ami, également vacciné : « En quelques mois, 85% de la population a été vaccinée avec un tout nouveau vaccin. C’est inespéré. Il y’aura toujours des irréductibles, il est illusoire de faire beaucoup mieux et ce n’est pas sûr que cela changerait grand-chose. »

    J’ai peur de ce que mon pays est en train de devenir. J’ai peur parce que, désormais, il me faut parfois montrer patte blanche pour entrer dans des espaces pourtant publics et extérieurs. Que ce processus s’inscrit dans la lignée d’un fichage numérique complexe dont les possibilités d’abus me sautent aux yeux de par ma formation. J’ai peur parce que les politiciens exploitent la crise en attisant la haine de ceux qui n’ont pas ce pass, quelle que soit la raison. Une situation que j’ai du mal à définir autrement que comme du fascisme. Un fascisme que j’observe croître, grandir tout en étant du bon côté. Après tout, je suis blanc, mâle, hétérosexuel et vacciné.

    Si je fais confiance au vaccin, je m’inquiète de l’outil politique qu’il est devenu. Car, dans leur colère aveugle dont les médias se délectent, certains politiciens ont perdu de vue l’objectif qu’il s’était initialement fixé : gérer une épidémie. La tâche étant complexe, l’attention s’est portée sur l’un des moyens parmi d’autres : vacciner. Faire augmenter le taux de personnes vaccinées. Non pas en rendant le vaccin obligatoire, mais en augmentant progressivement l’inconfort des non-vaccinés, en attisant la haine à leur égard. Haine qu’une partie des non-vaccinés rend d’ailleurs fort bien en refusant de parler à des vaccinés. Stigmatisation qui force les derniers hésitants à choisir un camp, beaucoup décidant définitivement de ne pas se faire vacciner pour ne pas « céder à l’arbitraire ». Si ces comportements semblent irrationnels, ils n’en sont pas moins une réaction émotionnelle logique et prévisible.

    Cette polarisation, cette mise en valeur des extrêmes est purement politique et contre toute logique scientifique. Elle risque de créer des blessures profondes et durables dans une société qui n’avait pas besoin qu’on lui rajoute cela. Je prédis que la division provaxx/antivaxx s’enrichira progressivement de tous les sujets sociétaux santé publique/privatisée, immigration/anti-immigration, gauche/droite… Tant pis pour ceux qui souhaitent de la modération, de la subtilité ou une diversité d’opinions.

    En créant des zones nécessitant un code d’accès, nous avons créé un faux sentiment de sécurité. Les mesures basiques de prévention sont négligées. Tous les spécialistes clament pourtant qu’un vaccin n’est jamais efficace à 100%. Pire : ces codes d’accès étant trivialement copiables ou falsifiables, ils n’ont aucun effet sur les non-vaccinés malhonnêtes, ne stigmatisant que les hésitants de bonne foi. Cette évidence m’a longtemps fait croire que jamais nous n’en arriverions à ce système absurde et dangereux. Je pensais naïvement qu’un système efficace serait trop complexe et, de toute façon, antidémocratique. Je n’avais jamais imaginé que peu importait l’efficacité, car le déni de démocratie était justement la fonctionnalité majeure du dispositif.

    Auriez-vous imaginé il y a seulement six mois devoir présenter votre téléphone pour accéder à un marché de Noël clôturé ? Auriez-vous imaginé que la société puisse être coupée en deux sur le choix d’un acte médical privé et, comme le rappelle la convocation vaccinale, volontaire ? Auriez-vous accepté d’être fiché par QR code ?

    Le fascisme a de tout temps prospéré grâce aux crises, l’angoisse, l’incertitude. Il ne s’installe jamais en fanfare, mais insidieusement, grignotant chaque liberté mois après mois et, à chaque fois, pour une raison indiscutable, rationnelle. La voie ouverte depuis deux ans était royale. Avec le recul, elle était aussi prévisible.

    Je ne suis pas épidémiologiste. Je n’y connais rien en soins de santé. Je ne suis donc pas apte à juger de la gravité de la situation sanitaire.

    Je peux pourtant observer plusieurs indices. Les stades de football semblent pleins à craquer sur les couvertures des magazines sportifs chez mon libraire. Les centres commerciaux n’ont, à ma connaissance, pas désempli de l’année. Dans celui de ma ville, on s’y bousculait joyeusement avant Noël dans des commerces dont aucun ne pourrait être considéré comme de première voire de seconde nécessité. Sans pass. Parce que les centres commerciaux sont, au même titre que les lieux de culte, sacrés. Les discothèques ont, au moins à un moment, été ouvertes. Sans l’opposition ferme et personnelle du bourgmestre de la commune où devait se dérouler l’événement, le festival Tomorrowland aurait eu lieu, ayant obtenu l’aval des politiciens nationaux. Un festival qui draine des dizaines de milliers de personnes du monde entier dans une promiscuité sous psychotropes. Car les avions sont également toujours aussi remplis. Les touristes partent toujours en vacances au bout du monde. Y compris dans des destinations touristiques où la couverture vaccinale est presque nulle par manque de moyens.

    Plusieurs études scientifiques que j’ai lues établissent la corrélation et la causation entre le taux de vitamine D dans le sang et la gravité du COVID. Une de ces études, qui n’a à ma connaissance pas été réfutée, s’est même enhardie à extrapoler un taux de vitamine D à partir duquel la maladie n’est plus mortelle. Bien entendu, ces résultats sont entourés de toute l’incertitude scientifique nécessaire (j’avoue avoir vérifié les calculs statistiques et n’avoir pas trouvé d’erreur dans ceux-ci, mais je manque de pratique et ne peux juger de la validité médicale). Il n’empêche que l’immense majorité de la population de mon pays est en déficit de vitamine D, que les pharmacies regorgent de compléments alimentaires éprouvés pour augmenter ce taux. Une mesure prophylactique qui pourrait se révéler particulièrement efficace serait donc : « prenez de la vitamine D et allez dehors une heure par jour, même quand le temps est gris ». À aucun moment cette idée n’a même été suggérée par nos responsables. On tente, au contraire, de garder les gens à l’intérieur, sous contrôle.

    Dans ma zone de spécialité professionnelle, j’observe que tous les efforts visant à produire un vaccin Open Source sont immédiatement réduits à néant à grand coup de billets de banques et de contrats immoraux. Les grands groupes pharmaceutiques ont donc plus peur pour leur portefeuille que pour la santé mondiale, transformant les pays les plus pauvres en véritables bouillons de culture chargés de produire le prochain variant à la place de leur propre vaccin.

    Il y a plus d’une dizaine d’années, je me souviens avoir joué à un petit jeu vidéo dans lequel il fallait créer un virus qui allait exterminer la planète. La difficulté étant qu’une fois le virus identifié, les gouvernements fermaient les frontières et les aéroports. Force est de constater qu’on en est loin, très loin d’une telle situation. Contrairement au printemps 2020, où la prudence était de mise, difficile pour quelqu’un qui ne consulte pas les médias, d’imaginer que nous sommes encore dans une épidémie réellement dangereuse. J’ai en effet le désormais très rare défaut de tenter de voir la réalité locale avec mes propres yeux plutôt qu’à travers les liens spécialement sélectionnés par Facebook pour me radicaliser, par une longue chaîne Whatsapp elle-même issue de Facebook ou par des médias dont l’objectif est devenu de générer des clics sur Facebook (ce qui comprend les médias financés par l’argent public).

    Je n’affirme pas que l’épidémie n’est pas dangereuse, je n’ai pas la compétence pour cela. J’affirme juste que les politiciens ne sont pas réellement catastrophés, car ils ne prennent aucune mesure réellement efficace. Ils se contentent de faire ce qu’on appelle, dans le jargon, du « security theatre ». Prendre des mesures inutiles, mais spectaculaires comme le furent les militaires dans nos villes et comme le sont les marchés de Noël clôturés. Il est intéressant de se rappeler que l’objectif des mesures « security theatre » n’est pas d’augmenter la sécurité, mais de créer un sentiment politique rappelant que la sécurité est en péril afin de renforcer la cohésion contre l’ennemi, de créer une psychose. C’est à cela et uniquement cela que servirent nos militaires portant de lourdes armes de guerre, heureusement sans chargeur, la convention de Genève l’interdit, dans nos rues. C’est à cela que sert le QR code que nous devons tendre : à créer une psychose et une psychologie de troupeau.

    Cette épidémie est réellement mortelle. C’est indéniable. J’ai connaissance de plusieurs décès dans mon entourage large. Cette épidémie doit être gérée. Mais une bonne gestion implique également de mesurer les effets de chaque mesure. Selon l’OMS, le tabac tue chaque année plus de 8 millions de personnes dans le monde dont 1,2 million n’ont jamais fumé. La pollution de l’air seule tue, en Europe, 600.000 personnes par an. Le réchauffement climatique menace totalement nos sociétés. Pourtant, nous ne prenons aucune mesure. Cela ne semble ni urgent ni primordial. À titre de comparaison, l’OMS affirme que le COVID aurait tué 5 millions de personnes en deux ans. Peut-être ce chiffre est-il sous estimé. Et sans vaccin, le bilan aurait certainement été bien supérieur. L’ordre de grandeur reste néanmoins similaire et la disproportion entre la nonchalance et la panique totale me saute aux yeux. Interdire le tabac aujourd’hui sauverait immédiatement beaucoup plus de vie, surtout parmi les plus jeunes, que de vacciner contre le COVID ceux qui ne le sont pas encore. À moindres frais.

    Dans mon pays, l’immense majorité des victimes du COVID semble avoir plus de 65 ans voire essentiellement plus de 85 ans (selon covidata.be). Si chaque décès est, pour la famille et les proches, une épreuve, un décès dans ce qu’on appelle « le troisième âge » est un fait naturel, inéluctable. L’ampleur des décès dans mon pays ne vient-elle pas, au moins en partie, de l’incroyable déséquilibre de la pyramide des âges et de la propension que nous avons à rallonger la vie à tout prix, souvent au détriment de sa qualité ? L’engorgement des hôpitaux est-il dû uniquement à l’ampleur exceptionnelle du COVID ou à un sous-dimensionnement budgétaire ? J’ai le souvenir d’avoir entendu parler régulièrement de saturation des hôpitaux, même en dehors de cette pandémie. N’est-on pas en train de cyniquement profiter de la crise pour se délester de la responsabilité politique qu’est le financement des soins de santé ?

    N’oublions pas que, en plus d’être nombreux, les vieux votent. Politiquement, il est donc préférable de sauvegarder cet électorat, quitte à sacrifier une frange de la population qui ne vote pas. Au hasard les enfants. En fermant les écoles, en perturbant leur parcours scolaire. Par mesure de prévention, les écoles seront fermées une semaine plus tôt. Les enfants seront inscrits… dans des stages (le covid ne se transmet pas dans les stages ?). Contrairement aux centres commerciaux, les écoles ne sont pas un service essentiel. Pour une raison simple : cela ne coûte rien de les fermer. Les profs sont, encore heureux, payés. L’encadrement des enfants sera à la charge des parents. Peut-être est-ce dû à mon microcosme, mais à la question « Peut-on sacrifier l’espérance de vie de nos ainés pour que les enfants aillent à l’école ? », tous les vieux que je connais répondent en chœur « Oui ! ».

    Mais en politique, si une mesure fait de l’effet, c’est qu’il faut en augmenter l’amplitude. Si elle ne produit pas d’effet, c’est qu’on ne l’applique pas assez fort, il faut en augmenter l’amplitude. Le nombre de vaccinés n’augmente pas assez vite ? Que pourrait-on faire pour avoir une jolie courbe qui augmente ? Vacciner les enfants ! Pourtant, les enfants n’ont que très peu de risque de complication lié au COVID. L’OMS considère que le coût de la vaccination des enfants est supérieur aux bénéfices. La pédiatre de mes enfants, qui leur a administré la panoplie traditionnelle des vaccins enfantins, déconseille fortement le vaccin à ARN messager pour les plus jeunes et pour les adolescents après avoir vu de nombreux effets secondaires indésirables. Peut-être est-ce anecdotique ? Il n’empêche que la vie de mes enfants n’étant clairement pas en danger, je préfère leur éviter un acte médical non nécessaire. Ce que défendent également ceux qui seraient les premiers bénéficiaires du vaccin : les grands-parents.

    Non contents d’instiller la haine et des pratiques fascistes dans notre quotidien, les froids calculs électoraux et la lâcheté politique de nos dirigeants se permettent d’hypothéquer le futur de la nation. Mon fils aura grandi sans jamais voir le visage de ses institutrices maternelles. Il fait partie de la minorité chanceuse qui, lorsqu’il n’est pas à l’école, a des parents et des grands-parents disponibles pour le stimuler intellectuellement. Ceux dont les parents sont indisponibles ou ne parlent pas bien le français paieront, comme à chaque crise, le prix fort.

    Beaucoup d’arguments que j’ai entendus pour ne pas se faire vacciner me semblent, aujourd’hui et avec les maigres informations dont je dispose, stupides, voire dangereux. Mais ils ne le sont certainement pas plus que la tolérance que nous avons envers le tabac. Ou envers les excès d’alcool (un comportement morbide que nous appelons trop souvent « faire la fête »). Que celui qui n’a jamais eu de comportement que les autres trouvent stupide me jette la première bière…

    Si les centres commerciaux et les stades de football étaient fermés, si les lieux confinés étaient interdits, si une véritable politique de gestion de crise était mise en place avec aide économique immédiate pour les secteurs touchés, alors je pense qu’il faudrait envisager une vaccination obligatoire, au moins pour les métiers les plus à risques. Le vaccin pourrait être au choix de l’individu parmi ceux reconnus par l’OMS et non pas au choix des pays en raison des accords commerciaux signés (la femme d’un de mes amis, vaccinée dans son pays d’origine, ne peut pas pénétrer sur le territoire belge, son vaccin, pourtant reconnu par l’OMS, n’étant pas considéré comme valide). L’OMS aurait d’ailleurs une responsabilité morale de fournir une formule open source du vaccin pour que chaque pays puisse les produire. Bien qu’obligatoire, cette vaccination resterait entièrement privée entre l’individu, l’état et le médecin traitant. C’est, en Belgique, le cas du vaccin contre la polio et personne ne pose la question de savoir si les enfants avec qui les siens jouent sont vaccinés contre la polio (en dépit de quelques tricheurs, la polio est en voie d’éradication grâce au vaccin).

    Force est de constater que nous sommes loin d’une situation de crise réelle. Je dois en déduire que l’épidémie, sans être bénigne, n’est pas (encore ?) le fléau qui va décimer l’humanité. Que les intérêts économiques restent supérieurs à ceux de la santé. Et que si la campagne de vaccination était une nécessité, les mesures antidémocratiques imposant un « pass » ne sont que des décisions prises, car elles avaient l’avantage d’être « faciles ». De n’engager aucune responsabilité réelle. Ne ne rien coûter.

    De ne rien coûter si ce n’est une division radicale de notre société et un glissement de nos valeurs vers celles du fascisme.

    De ne rien coûter si ce n’est d’être incroyablement difficiles à résilier. Qui osera prendre la responsabilité de supprimer ce « pass », de déclarer l’épidémie sous contrôle si le COVID devenait devenir une forme de grippe récurrente ? L’exemple des militaires dans les rues après des attentats qui ont fait, en Europe, quelques dizaines de morts, prouve qu’il est facile de réduire les libertés, mais politiquement impossible de les restaurer. Combien d’années sommes-nous prêts à vivre en tendant un QR code à chaque coin de rue ? Combien de doses de rappels sommes-nous prêts à nous injecter, combien de maladies sommes-nous prêts à considérer comme faisant partie de notre « pass » ? J’ai choisi de me faire vacciner contre le COVID. Je pense que c’était un très bon choix. Mais rien ne garantit que le pass ne nécessitera pas bientôt un acte médical que je ne souhaite pas.

    Je suis terrifié par la société que génère la crise COVID. Je suis terrifié de la rapidité avec laquelle nous sacrifions nos libertés les plus fondamentales comme celles de circuler ou de disposer de notre propre corps.

    Mais peut-être s’agit-il, encore une fois, d’un simple calcul électoral. Car rien n’est plus facile à contrôler et manipuler qu’une société déchirée et aux libertés restreintes, un système où, au pouvoir comme en opposition, n’existent plus que la voix des extrémistes.

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  • Monday 03 January 2022 - 15:34

    Troisième jour de ma « déconnexion ». Elle m’obnubile, m’encombre l’esprit. Difficile de penser à autre chose. Mais au fond, qu’est-ce qu’une déconnexion ? Est-il réellement possible de se déconnecter totalement ? Est-ce que je lis les emails me demandant si je lis mes emails ? Je reste un humain, un animal social vivant dans un monde où la connexion à Internet est omniprésente.

    Le terme « déconnexion » est donc arbitraire et propre à chacun. Un chef d’entreprise qui met son téléphone en mode avion le temps d’un week-end parle de déconnexion. De nombreux stages offrent de la déconnexion sous le nom « digital detox ». Mais lorsqu’il est question de dépasser quelques jours, il est indispensable de mettre en place un protocole, de formaliser les règles qui permettront d’établir si, oui ou non, nous respectons notre déconnexion.

    Le pionnier en la matière est Thierry Crouzet qui, en 2012, a raconté dans son livre « J’ai débranché » les six mois passés sans utiliser Internet à une époque où l’addiction restait cantonnée à quelques geeks. Une déconnexion totale ? Pas tout à fait ! Lorsque l’utilisation d’Internet devenait incontournable, Thierry se mettait à supplier son épouse d’accomplir pour lui les actions nécessaires en ligne. Chaque déconnexion implique de mettre en place des échappatoires codifiées pour survivre dans un monde connecté.

    Les déconnexions peuvent aller de la plus extrême, comme celle de Robert Hassan qui raconte dans « Uncontained » les cinq semaines passées sur un bateau porte-conteneurs sans connexion et avec des interactions minimales avec une poignée de membres d’équipage. À l’opposé, ma déconnexion de 2018 consistait à bloquer les sites d’actualités et de réseaux sociaux dans mon navigateur pendant trois mois. L’écrivain Cory Doctorow prend des « email holidays » durant lesquels chaque nouvel email reçu est effacé. L’expéditeur reçoit une réponse automatique lui demandant de réenvoyer son mail après une date donnée. Si la demande est urgente, l’expéditeur doit contacter la mère de Cory. Les informations de contact de celle-ci ne sont pas fournies, toute personne ne sachant pas contacter sa mère n’étant pas censée devoir le contacter en urgence.

    Si ces expériences sont particulièrement utiles pour ouvrir les yeux et prendre un temps de réflexion, elles possèdent toutes un point commun : elles ne sont pas durables. Une fois le temps de la déconnexion terminée, les anciennes habitudes vont reprendre graduellement leur place. C’est insidieux, car la reconnexion est généralement perçue avec un certain dégoût. Le temps de déconnexion est idéalisé. Il devient un éden, un lieu de villégiature confortable, mais incompatible avec les exigences du monde moderne. Le néo-reconnecté est persuadé d’avoir changé. Il est d’abord parcimonieux, se reconnecte avec douceur. À la première période de stress, de nouveaux réflexes délétères se mettent en place.

    Dix ans après sa déconnexion, Thierry s’énerve encore sur Facebook et reconnait « craquer » sans raison impérieuse pour un nouveau macbook. Robert Hassan explique avoir replongé dans son quotidien frénétique. Moi-même, je n’ai supprimé mes comptes de réseaux sociaux qu’à la perspective de cette déconnexion-ci, celle d’il y a trois ans étant déjà depuis longtemps oubliée.

    En concevant cette déconnexion, je me suis posé l’objectif d’en faire une déconnexion durable. D’établir un protocole qui devrait pouvoir s’installer dans la durée, y compris après cette année de test. Le but n’est pas de prendre des vacances, mais bien d’établir une nouvelle méthode de travail.

    Le tour réflexe

    Lorsque je suis connecté à Internet, j’effectue machinalement ce que j’appelle mon « tour ». Une série de sites à visiter pour vérifier qu’il n’y rien d’urgent, rien d’important, rien de nouveau en ligne. Ce concept de « tour » est partagé par beaucoup de personnes dans ma situation. Il commence, par exemple, par vérifier sa boîte mail puis vérifier un site d’actualité puis Facebook, Linkedin, Twitter et quelques salons de discussion en ligne. Il peut contenir des éléments aussi divers que les résultats du football, un forum ou les cours de la bourse.

    À chaque arrêt, il y’a potentiellement des nouveautés à lire, des messages auxquels répondre. Si le tour est suffisamment long, il peut être immédiatement recommencé une fois terminé, des messages ou des réponses étant arrivées dans l’intervalle. Il se transforme en boucle. Beaucoup de personnes utilisant Internet au quotidien possèdent ce genre de tour. Il n’est pas toujours conscient, pas toujours ordonné. On pourrait même dire que toute connexion à Internet sans un objectif préalable clairement défini ne sert qu’à accomplir une variante de ce « tour » réflexe, presque atavique. Chez certains, le tour ne contient qu’une étape : Facebook ou Instagram.

    Une anecdote illustre l’effrayante force de l’habitude d’un tour. En 2014, le collègue placé à mes côtés dans l’openspace où je travaillais me montre un meme, une image comique particulièrement adaptée à la situation que nous rencontrions à ce moment-là. Je rigole. Je lui demande où il à trouvé cela.

    — Sur 9gag. (prononcez « naïne gag» )

    — Sur quoi ?

    — Quoi ? Tu ne connais pas 9gag ?

    Devant ma mine ahurie, il m’explique le principe du site, une simple page sur laquelle s’affichent les images rigolotes ayant reçu le plus de votes. Le site est tellement populaire que le renouvellement est presque constant.

    Amusé, j’ouvre la page dans mon navigateur. Je prends très vite le réflexe de la consulter dès que le temps me semble long ou que je suis confronté à une tâche un peu difficile. Je parcours les images amusantes, les partage avec mon collègue. Je n’ai jamais ajouté le site à mes favoris, mais mon navigateur comprend très vite où je veux aller si je tape un simple « 9 » dans la barre d’adresse. Sans que je l’aie décidé, 9gag s’est imposé dans mon tour. Une étape réflexe, incontournable.

    Après seulement quelques mois, je me rends très vite compte du temps perdu et de l’absurdité de ce site. Je n’ai plus envie d’y aller. Malgré cela, il m’arrive de trouver le site 9gag ouvert sur mon écran. Je m’effraie. Je découvre un projet Kickstarter d’un bracelet qui envoie des décharges électriques dès que l’on accède à un site « interdit », preuve que je suis loin d’être le seul dans ce genre de situation. Je rigole avec mes collègues à l’idée d’en acheter un. Sans recourir à cette extrémité, je me contente de bloquer le site 9gag dans mon navigateur. Un blocage qui est d’ailleurs toujours présent depuis lors.

    Cela fait sept années que le site 9gag est bloqué sur mon ordinateur. Sept années sans y accéder et cela ne manque pas du tout. Ce n’était que de l’amusement sans valeur et sans intérêt. Pourtant, sept années plus tard, lorsque je suis confronté à une difficulté intellectuelle ou une tâche administrative un peu rébarbative face à un navigateur web ouvert, mes doigts tapent machinalement un « 9 » dans la barre d’adresse. Parfois, je ne souviens même plus de l’origine de ce chiffre. Je dois réfléchir pour comprendre pourquoi s’affiche une recherche sur le chiffre « 9 ». Mes doigts, eux, n’ont pas ce scrupule. Ils tapent « 9 », sept années après mon dernier accès à un site contenant ce caractère.

    do_the_internet.sh

    Durant ma connexion de 2018, je me suis efforcé d’améliorer mon tour. De le réduire et d’en retirer les éléments les plus morbides. L’une de mes observations a été ma capacité à trouver des alternatives. Dès que mon tour devenait « trop court », je découvrais une nouvelle source de distraction. Les sources les plus qualitatives étaient les plus dangereuses. En effet, la qualité de ce que je lisais me permettait de justifier le temps passé et l’automatisme était très vite assimilé. La consultation de mon tour mélange chez moi une savante dose de procrastination, un désir de découvrir des nouvelles choses et la crainte de rater ce qui se dit ou se fait, le fameux FOMO (Fear of Missing Out).

    Sur le gemlog de Solderpunk, le créateur du protocole Gemini (un gemlog est l’équivalent d’un blog sur le réseau Gemini), j’ai lu l’idée d’un script « do_the_internet.sh ». Un script est un petit programme simple consistant en un ensemble de commandes que l’ordinateur doit effectuer de manière automatique. L’intérêt d’un script est d’automatiser une suite de commandes qui sont toujours les mêmes. J’ai alors eu une illumination. Plutôt que de lutter pour améliorer mon tour, j’allais l’automatiser.

    Une heureuse sérendipité me faisait lire, le même jour, un article sur la conception de scripts suggérant que chaque étape ne devait pas nécessairement être automatique. Un bon script pouvait contenir une instruction demandant explicitement à un humain d’accomplir une tâche, mélangeant les concepts d’automatisation et de check-list.

    J’ai donc créé un fichier appelé « do_the_internet.sh » dans lequel j’ai listé ce que je voulais accomplir en ligne chaque jour. Au début, ce fichier ne contenait absolument pas de code, mais de simples phrases comme « vérifier mes emails » ou « vérifier mon agenda ». Au cours des semaines, j’ai réussi à automatiser certaines des tâches. À chaque étape de mon tour quotidien, je me posais la question « Pourrais-je l’automatiser ? Cela en vaut-il vraiment la peine ? ».

    L’objectif final m’est apparu rapidement : une fois ce script entièrement automatisé, je pourrai me contenter de le lancer une fois par jour sans rien rater. Encore faut-il que j’estime qu’il soit « terminé ». Je me suis donc fixé une date de départ symbolique et évidente : le premier janvier. Il me restait quelques semaines pour mettre au point mon protocole de déconnexion.

    Le quotidien de ma déconnexion

    Pour cette déconnexion 2022, je peux donc, une fois par jour, synchroniser mon ordinateur en lançant mon script do_the_internet.sh. Cette synchronisation se fait en branchant un câble dans mon ordinateur sur le palier de l’escalier de la maison. Je dois physiquement me déplacer pour y accéder. Lorsque l’ordinateur se synchronise, je ne peux pas l’utiliser, tout est automatique.

    Ce script va tout d’abord synchroniser mes emails. Ceux-ci sont téléchargés sur mon ordinateur afin d’y accéder sans connexion. Tous les emails que j’ai rédigés vont être envoyés. Les mails que j’ai archivés sur mon ordinateur vont être archivés en ligne. Envoyer des mails hors-ligne est une expérience très satisfaisante. Une fois la commande d’envoi effectuée, je n’ai rien à faire, rien à penser. Le mail partira sans action de ma part lors de la prochaine synchronisation. Par contre, si j’éprouve le moindre doute, même plusieurs heures après, je peux aller annuler mon mail. Cette latence artificielle empêche le fameux « ping-pong » où plusieurs mails et réponses s’envoient et se télescopent en quelques minutes. Je suis forcé de réfléchir à ce que j’écris, forcé de prendre le temps de lire ce que je reçois.

    En second lieu, mon script va synchroniser les flux RSS des blogs que je lis. Cela se fait uniquement en mode texte, sans image. Cela me permet de garder le contact avec les gens que j’aime bien ou qui sont intéressants. La plupart des blogs que je suis ne postent que de manière très sporadique, j’ai tendance à supprimer les flux dès qu’ils dépassent quelques billets par semaine. En complément des flux, l’accès à l’email me donne également la possibilité d’être abonné à des newsletters. En réalité, je ne suis abonné qu’au site lobste.rs, un site très technique qui permet la mise en place de filtres. J’ai été tellement drastique que je ne reçois que les articles dans un champ d’intérêt très restreint et rare.

    L’un de mes objectifs lors de cette année de déconnexion est de réfléchir aux concepts de décentralisation et de protocoles Internet. Pour cette raison, j’ai souhaité ne pas perdre le contact avec le réseau Gemini. Je me suis donc attelé à modifier le navigateur AV-98 pour qu’il me permette de naviguer hors-ligne sur le réseau Gemini. Cette modification a pris de l’ampleur et, avec l’accord de Solderpunk, le créateur de AV-98, j’ai décidé d’en faire un logiciel différent (un fork). J’ai donc codé « Offpunk », un navigateur hors-ligne. Il se concentre pour le moment sur le réseau Gemini, mais je compte le faire évoluer. Le principe d’Offpunk est de se synchroniser pour télécharger le contenu qui pourrait être utile puis d’être utilisable entièrement hors-ligne. Si l’utilisateur tente d’accéder à un contenu qui n’est pas disponible hors-ligne, il est marqué pour être téléchargé lors de la prochaine connexion. La troisième étape de mon script est donc de demander à Offpunk de télécharger ce qui doit l’être sur le réseau Gemini.

    Les mails, les RSS et Gemini me donnent l’opportunité d’avoir accès au monde extérieur tout en étant littéralement déconnecté. Si une page web me semble vraiment intéressante à lire et que je n’ai pas accès au contenu, mon système prépare automatiquement un mail qui sera envoyé au service forlater.email. À tout email contenant une ou plusieurs adresses, ce service répond avec un email contenant l’intégralité du texte de la page web en question. Je peux donc naviguer sur le web en utilisant l’email. Avec un délai de 24h, entre le moment où je décide de lire le contenu d’un lien et le moment où je le lis réellement.

    Mon téléphone est un Hisense A5, un téléphone avec écran eink en noir et blanc et ne disposant pas des services Google. J’ai désinstallé tout navigateur web et tout logiciel de courriels. Quand il est dans mon bureau, mon téléphone est en mode avion. Whatsapp a été « freezé », signifiant qu’il ne va pas recevoir de messages (mais je dois le garder pour certaines urgences familiales potentielles). Je garde Signal pour les interactions immédiates et nécessaires à la gestion familiale. En dehors de Signal, le téléphone est principalement utile pour les applications de cartographies : OSMAnd, Organic Maps et Google Maps (qui fonctionne sans compte Google). Ce dernier est utile pour consulter les heures d’ouverture et les numéros de téléphone des commerces. Je considère que ces applications de cartographie sont d’excellents services qui n’entrainent aucune distraction. Je peux donc sans soucis les garder.

    Enfin, je dispose sur mon ordinateur d’une copie de Wikipédia accessible grâce aux logiciels Kiwix et Webarchives.

    Les exceptions (ou la tricherie tolérée)

    Malheureusement, il n’est pas réaliste de tout traiter en ligne à travers les emails. J’ai relevé plusieurs actions qui restent nécessaires et ne peuvent se faire qu’interactivement. La gestion administrative et bancaire, les achats en ligne (depuis les livres non disponibles en libraire au matériel de vélo), la préparation des voyages, des raids vélo (Komoot) ainsi que la gestion des projets open source (rapports de bugs, merge sur Github). Sans compter les incontournables réunions en ligne sur Teams ou Jitsi. Paradoxalement, je n’ai pas non plus encore automatisé le fait de poster sur mon blog (mais j’y travaille).

    Pour faire tout cela sans devoir, comme Thierry, supplier mon épouse, j’ai dû me résoudre à m’autoriser des accès directs à Internet. Ces accès seront « en conscience ». Cela signifie qu’avant chaque accès à Internet, je suis obligé d’écrire les objectifs de cette connexion et de décrire autant que possible les tâches que je vais accomplir en ligne. Je garde dans un dossier les mails qui ne peuvent être actionnés qu’en ligne et je note dans un fichier les tâches obligatoires à faire en ligne.

    Une fois qu’une connexion est décidée, je note dans un fichier spécial la date, l’heure et la raison de la connexion. Je lance un chronomètre. À ce moment-là, et seulement le chronomètre lancé, je me lève et je vais chercher le câble sur le palier. Je branche mon ordinateur et accomplis les tâches prévues. Je ne peux pas m’en écarter. Si la tâche est imprécise (comme accomplir une recherche ou investiguer un domaine), je me donne un temps limite fixé à l’avance et je lance un timer. Durant ces connexions, je n’ai pas le droit de lancer ma synchronisation. Chaque connexion est donc clairement identifiée, consciente, objective.

    Une fois le câble débranché et remis à sa place, je peux couper le chronomètre et indiquer, dans mon fichier, le temps passé, arrondi à la minute supérieure. Nous sommes le 3 janvier et, en 2022, je peux affirmer que j’ai passé exactement 5 minutes en ligne, le temps qu’il m’a fallu pour poster le billet de blog du 1er janvier. Durant ces 5 minutes, j’ai dû me faire violence pour ne pas subrepticement ouvrir un onglet de navigateur vers un autre site que mon blog. J’ai tenu bon.

    Ce système est également l’occasion de faire des économies. Céder aux achats en ligne impulsifs devient beaucoup plus compliqué. Ma carte de crédit devrait apprécier.

    Un système évolutif et une expérience partagée

    L’objectif premier de ma déconnexion n’est pas de devenir un puriste voire un puritain, mais de trouver un nouvel équilibre durable. Il me parait donc évident que, soumises aux contraintes de la vie réelle, mes règles vont évoluer. Que je vais devoir trouver des compromis ou des solutions. Que je vais découvrir des choses sur moi-même, sur ceux qui m’entourent, sur ceux avec qui je perdrai contact et ceux, au contraire, avec qui je vais me rapprocher.

    Outre l’introspection, je souhaite également partager l’aspect technique que j’affine depuis 2018. Comment améliorer la quantité et la qualité des mails reçus et ceux qu’on envoie. Comment reprendre le contrôle de sa présence en ligne et de ses données. Cette déconnexion est une expérience globale, holistique que je souhaite partager avec vous dans ce blog, dans ce livre en cours d’écriture. Une manière de me connecter à vous, que vous me lisiez en 2022 ou dans un lointain futur. L’écriture et la lecture ne sont-elles pas, depuis 5000 ans, les expressions les plus pures de la connexion intellectuelle par delà la déconnexion physique ?

    Si vous êtes éditeur ou agent littéraire et que le sujet vous intéresse, n’hésitez pas à m’envoyer un mail à agent arrobase ploum.eu. Si vous avez des lectures ou des outils à me recommander, utilisez reaction arrobase ploum.eu. Les mails mettent un peu plus de temps que la normale à me parvenir, mais ils arrivent toujours à mon port.

    Liens

    Mon fameux script de synchronisation :

    => https://github.com/ploum/offlinetools

    Le logiciel Offpunk (anciennement appelé AV-98-offline) :

    => https://tildegit.org/ploum/AV-98-offline

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Saturday 01 January 2022 - 12:17

    Les feux d’artifice résonnent dans notre quartier. Après avoir embrassé mon épouse et lui avoir souhaité une bonne année 2022, je suis allé dans mon bureau pour mettre en pratique une résolution prise et préparée depuis presque deux mois. J’ai hésité une seconde. Voilà deux mois que l’idée a germé, que j’attends ce moment avec impatience, que je tourne et retourne les modalités pratiques dans ma tête. Pourtant, au moment fatidique, une partie de moi me fait croire que je n’en ai pas vraiment besoin. Que ça peut attendre. Être plus progressif.

    Le sentiment d’être un addict me frappe de plein fouet. Jusque là, j’avais toujours cru que tout n’était qu’une question de choix. Que j’arrêtais quand je le voulais. Pourtant, même après deux mois de préparation enthousiaste, mon inconscient cherche à négocier jusqu’au dernier moment.

    Pour ne pas lui laisser la moindre marge de manœuvre, j’agis sans regarder mon écran. Le cœur battant, j’arrache le câble RJ-45 relié à mon ordinateur et le sort de mon bureau.

    2022 sera une année déconnectée. Une année loin du web.

    C’est en prévision de ce moment que j’ai désactivé le wifi de mon portable et n’utilise plus que la connexion câblée depuis plusieurs mois. C’est en prévision de ce moment que j’ai configuré mon ordinateur et passé mes dernières semaines à coder.

    Depuis mon premier site web il y a vingt-quatre ans, le web a fait de moi qui je suis. Je lui ai offert des dizaines de milliers d’heures de ma vie et il m’a donné en échange des idées, des rencontres, des carrières, des opportunités dont je n’aurais osé rêver. Pourtant, depuis plusieurs années, un sentiment diffus s’est installé. La balance s’est subtilement inversée. Le web me prend plus. Affecte mon humeur, ma santé, ma productivité. Il m’apporte moins. De moins en moins. Avec une qualité déclinante.

    La qualité, les réflexions, elles sont pourtant à portée de main dans les rayonnages des bibliothèques qui constellent ma maison. Malheureusement, après quelques pages, mes yeux se tournent machinalement vers l’écran qui scintille, qui m’appelle.

    Une idée germe. Je lance mon éditeur pour en rédiger les balbutiements. Mais derrière l’éditeur se tapit, sournois, un navigateur web toujours lancé, près à s’engouffrer dans la moindre hésitation, à interpréter le moindre frémissement des mes doigts sur le clavier comme une invitation à flâner en ligne. Confronté à une phrase difficile, je m’échappe, je clique machinalement de lien en lien, cherchant La Nouvelle Importante, l’Article Tellement Intéressant avant de constater que mon idée initiale s’est tarie.

    Je m’arrache à cette lascive procrastination d’un suprême effort de volonté, je m’immerge dans ce que les anglophones appellent le « flow » avant d’être interrompu par une notification de mise à jour d’un logiciel que j’utilise. Le calendrier m’affiche le rappel de l’anniversaire d’une vague connaissance ou d’un événement que j’avais pourtant refusé. Ma boîte mail se met à clignoter. N’avais-je pourtant pas désactivé ces notifications ? Malgré le fait qu’il soit en silencieux, mon téléphone s’illumine dans mon champ de vision, car un énième message s’est empilé dans l’un de ces groupes Whatsapp ou Signal auxquels j’ai été, à un moment ou un autre, ajouté.

    Ding Dong ! On sonne à la porte. Le livreur apporte un colis que je ne me souvenais même plus avoir commandé. Plutôt que de travailler à mes tâches importantes, une énième idée m’était venue, j’avais investigué le matériel nécessaire pour la mettre en place et j’avais même passé commande devant une offre alléchante. J’en avais profité pour commander la liste des livres que mon libraire ne peut pas obtenir en un temps décent. Malgré que la commande ait été faite tout d’un bloc et sans urgence, Amazon va me les faire parvenir au compte-goutte, chaque livre nécessitant un arrêt de la camionnette et une sonnerie de porte.

    Les enfants rentrent de l’école. Je n’ai pas progressé dans les tâches que je m’étais fixées. Par contre, des millions de fragments d’idées ont germé dans la sérendipité du web, me remplissant de nouveaux objectifs, de nouveaux projets que je devrais accomplir si le web m’en laissait le temps. Ma liste de tâche n’a donc fait qu’augmenter, avec elle ma frustration.

    En 2022, c’est décidé, je me déconnecte. J’envoie valser un quart de siècle de réflexes, de conditionnement. Je veux réapprendre à aimer mon ordinateur, ne plus le voir comme un ennemi, en avoir peur.

    Mais est-ce réaliste ? Tant de choses se font sur le web désormais. Se déconnecter du web, s’est également se passer de tout un pan d’Internet aussi indispensable que l’électricité ou l’eau courante.

    La connexion m’est, professionnellement et par passion, incontournable. Mais je peux la rendre minimale, contrôlée. Consciente. Efficace.

    C’est à cela que je me prépare depuis deux mois. C’est cela que je m’apprête à mettre en production alors que les pétards se sont tus, mais pas encore les échos de la fête.

    Une année 2022 déconnectée.

    Une année que je vais documenter sous forme d’un livre publié sur ce blog dont vous êtes en train de lire le premier chapitre (et pour lequel je suis à la recherche d’un éditeur ou d’un agent littéraire, y compris pour une version anglophone).

    Le point final étant mis à ce chapitre, mon premier réflexe est de me récompenser de mon effort en m’offrant quelques minutes de surf sur le web. Mes doigts cherchent, mais mon esprit conscient réalise l’impossibilité d’assouvir ce désir. Mon navigateur affiche une erreur de connexion.

    Nous sommes en 2022. Ça y’est ! Je suis déconnecté.

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  • Tuesday 02 November 2021 - 12:08

    J’ai relu la magnifique conclusion du Héros aux mille et un visages de Joseph Campbell. L’essence d’un livre se trouve dans sa conclusion. Tout le reste ne fait que préparer le lecteur à comprendre et pouvoir apprécier cette conclusion. En relisant Campbell, je réalise que ce que je croyais être une recherche d’amélioration de mon écriture devient une quête universelle, un plongeon qui m’entraîne dans la réflexion de ma place dans la société, du rôle de la société, de l’essence de l’individu, de la quête d’identité.

    Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? En quoi la lecture et l’écriture peuvent répondre à cette question ? En quoi cette quête peut-elle me réconforter dans ma propre mortalité et dans la mortalité de l’humanité toute entière symbolisée désormais par mes enfants ?

    Se passer d’écran, se passer d’interaction nous permet de contempler le gouffre infini de nos questions, de nos angoisses. Une contemplation effrayante, dangereuse. N’est-il point étonnant que la majorité se réfugient dans les viatiques que sont le travail, la suractivité et l’abrutissement réconfortant ? Ce que que nous appelons ennui, solitude, je l’appelle désormais conscience et vérité.

    Mais comment pourrais-je juger ceux qui souhaitent inconsciemment s’en écarter ? J’ai fait partie du groupe, j’en fais toujours partie. Je lutte pour m’extirper, pour trouver ou retrouver une illusoire clarté d’esprit que certains n’ont jamais perdu et que d’autres ne pourront jamais imaginer.

    Extrait de mon journal intime publié sur recommandation de mon épouse.

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  • Saturday 30 October 2021 - 16:00

    Si vous lisez ce message et que vous me suivez ou que nous sommes amis sur un quelconque réseau social, arrêtez de me suivre. Annulez notre amitié sur Facebook, arrêtez d’aimer ma page, arrêter de me suivre suivre sur Twitter voire sur Mastodon.

    J’ai découvert, en supprimant mon compte Linkedin, à quel point cela m’ôtait un poids inconscient de la poitrine, à quel point l’existence même d’un compte à mon nom m’aspirait dans un monde d’apparence, de marketing et de quête de gloriole. Après tout, mon compte Facebook n’a été (re)créé qu’avec l’objectif avoué de me faire élire aux élections de 2012 (ce qui n’a, heureusement, pas fonctionné).

    En créant un gemlog, l’équivalent d’un blog pour le protocole Gemini, j’ai retrouvé le plaisir d’écrire simplement, sans fioriture, sans me tracasser du succès potentiel d’un billet ni de mon lectorat. L’influence néfaste des réseaux sociaux, dans laquelle mon égotique quête de gloire m’a fait m’engouffrer, tentant, je m’en excuse aujourd’hui, de vous aspirer avec moi, a transformé mes réflexions en d’amphigouriques prétentions, quémandant les « likes » et les partages à tout prix.

    Je supprimerai bientôt mon compte et ma page Facebook, chose que j’ai déjà faite en 2008 et que j’aurais dû refaire il y a bien longtemps. De toute façon, même si vous me suivez sur ce réseau, il y’a beaucoup de chances pour que vous ne voyiez pas ce que je poste.

    C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je vous demande de me « déliker/unfriender/unfollower ».

    J’ai en effet observé que l’impact d’un post sur Facebook ou Twitter était toujours très faible en regard du nombre théorique de « followers ».

    => https://ploum.net/le-mensonge-des-reseaux-sociaux/

    Une de mes théories est qu’au plus vous avez de followers, au moins Facebook et Twitter diffusent votre contenu pour vous encourager à payer. Si cette théorie est juste, ce que je souhaite vérifier avec cette expérience, en arrêtant de me suivre, vous m’aideriez à diffuser ce message paradoxal : « arrêtez de me suivre ! ».

    Contrairement à Facebook et Twitter, je suis complètement aligné avec l’éthique du projet Mastodon. Néanmoins, j’ai l’impression que ce réseau entretient également une quête de « followers ». Je garde toujours mon compte, mais, dans le doute, arrêtez de me suivre également là-bas.

    Si mes écrits vous intéressent, vous pouvez vous abonner par mail ou par RSS. Ou tout simplement venir sur ce blog à votre meilleure convenance. Si un billet mérite selon vous d’être partagé, envoyez-le par mail, copiez/collez, imprimez-le. Autorisez-vous également à ne rien partager immédiatement, mais à garder l’idée dans un coin de votre cerveau pour vous l’approprier, pour en parler autour de vous en oubliant son origine.

    « Ce que je reproche aux journaux c’est de nous faire faire attention tous les jours à des choses insignifiantes tandis que nous lisons trois ou quatre fois dans notre vie les livres où il y a des choses essentielles. »

    (Proust, Du côté de chez Swann)

    Comme Proust, je pense que les idées vraiment importantes, celles qui peuvent changer nos vies, ne se trouvent pas dans les médias, dont les réseaux sociaux ne sont qu’une descendance bâtarde, mais dans les livres.

    Des livres qui attendent patiemment, dans une bibliothèque de famille ou de quartier, en pile sur votre bureau, dans une caisse au grenier, que vous lâchiez votre écran des yeux.

    Aidez-moi à lire plus de livres, arrêtez de me suivre sur les réseaux sociaux !

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  • Friday 08 October 2021 - 10:24

    Chers parents,

    Nous sommes le 8 octobre 2051. J’ai aujourd’hui 30 ans et un peu de recul sur mon enfance, mon éducation et le monde dans lequel j’ai grandi.

    Ma génération est confrontée à une problématique sans précédent dans l’histoire de l’humanité : devoir gérer les déchets de la génération précédente.

    Jusqu’aux années 1970, la planète se régénérait naturellement. Les déchets humains étaient absorbés et recyclés spontanément. À partir de votre génération, ce ne fut plus le cas. Vous fûtes la toute première génération de l’histoire à produire et consommer plus que ce que la terre ne le permettait.

    Vous nous laissez sur les bras l’excédent de déchets.

    Le pire, c’est que vous le saviez.

    Quand je me réfère aux archives et à mes souvenirs de prime jeunesse, votre époque n’était guère accueillante. Vous aviez des voitures consommant de l’énergie fossile et des fumeurs au cœur des villes ! Aujourd’hui, la voiture électrique ne sert que pour se déplacer entre les centres citadins. Elles sont strictement interdites dans les zones urbaines où tout se fait à pied, à vélo, à trottinette ou en taxi-tram autonome. Malgré tout, notre air est moins respirable que le vôtre !

    Merci d’avoir œuvré à cette transformation. Peut-être était-ce le minimum à faire pour que nous survivions. Car si vous avez agi, souvent avec beaucoup de bonne volonté, c’était rarement dans le bon sens.

    Comme cette manie que vous aviez de vouloir économiser l’électricité. J’ai du mal à croire que, même à votre époque, l’électricité n’était pas abondante et peu polluante pour les individus. Si j’en crois les archives, les années 2020 voyaient de réguliers pics de surproduction d’électricité dus aux panneaux solaires et vous démanteliez des centrales nucléaires parfaitement fonctionnelles. Vous perdiez vraiment votre temps à vous convaincre de mettre des ampoules économiques si polluantes à produire ? Un peu comme le coup de faire pipi dans la douche ou de ne pas imprimer les emails. Vous pensiez sérieusement que nous allions vous remercier pour cela ?

    Vous semblez avoir dépensé tellement d’énergie et de temps pour tenter, parfois vainement, d’économiser 10% de votre consommation privée de ce qui n’était de toute façon qu’une goutte d’eau face à l’industrie. Vous culpabilisiez les individus alors que votre consommation personnelle représentait le quart de l’électricité consommée globalement (dont le tiers uniquement pour le chauffage). Même si vous aviez arrêté de consommer complètement de l’électricité à titre individuel, cela n’aurait eu qu’un impact imperceptible pour nous.

    Par contre, vous nous laissez sur le dos des gigatonnes de déchets de ces appareils dont plus personne ne voulait, car ils consommaient un peu trop. Chaque année, culpabilisés par le marketing, vous vous équipiez d’une nouvelle génération d’appareils qui consommaient « moins », de vêtements « fair trade », de gourdes prétendument recyclables et de vaisselle en bambou. Le tout ayant fait le tour du monde pour rester brièvement dans vos armoires avant de combler les décharges sur lesquelles nous vivons désormais.

    Vous semblez vous être évertué à acheter le plus de gadgets inutiles possibles, mais en vous rassurant, car, cette année, la fabrication du gadget en question avait émis 10% de CO2 en moins que celui de l’année précédente et que l’emballage était « presque entièrement recyclable  ». Ses composants avaient fait trois fois le tour du globe, mais, rassurez-vous, deux arbres avaient été plantés. Aujourd’hui encore, nous avons du mal à comprendre comment vous aviez matériellement le temps de faire autant d’achats. Il semblerait que vous deviez passer plus de temps à faire « du shopping » et à remplir vos armoires qu’à réellement utiliser vos achats. Armoires pleines à craquer que nous devons vider les jours qui suivent votre décès, moitié pleurant votre perte, moitié râlant sur votre propension à tout garder.

    Consommer des gadgets était peut-être la seule façon que vous pouviez imaginer pour poursuivre la lubie de votre génération : créer des emplois. Toujours plus d’emplois. Une partie de ces emplois consistaient d’ailleurs explicitement à vous convaincre d’acheter plus. Comment avez-vous moralement pu accomplir ces tâches explicitement morbides ? Parce que c’était votre travail, certainement. L’histoire démontre que les pires exactions furent commises par des gens dont « c’était le travail ». Pousser les autres à consommer fait désormais partie de ces crimes historiques contre l’humanité. Utiliser le prétexte écologique pour consommer encore plus ne fait qu’aggraver la culpabilité de ceux qui furent impliqués.

    Pendant 40 ans, vous avez eu comme politique de créer autant d’emplois que possible, emplois dont le rôle premier était de transformer les ressources en déchets. Pendant 40 ans, vous vous êtes démenés pour remplir le plus vite possible votre poubelle planétaire : nous, l’an 2050.

    Nous, vos enfants, sommes votre poubelle. Ce pays lointain qui vous semblait abstrait, nous vivons dedans.

    Il a fallu attendre notre génération pour décider que tout vendeur d’un bien ou d’un emballage ni immédiatement consommable ni naturellement dégradable était tenu de racheter ses produits à la moitié du prix, quel que soit l’état. De faire ainsi remonter la chaîne à chaque pièce, chaque composant. Au final, le producteur est en charge de l’évacuation et forcé de gérer son impact.

    Bien sûr, il y’eut une énorme perturbation dans les services logistiques qui ont, soudainement, dû fonctionner dans les deux sens. Les industries se sont adaptées en tentant de développer des produits qui dureraient le plus longtemps possible et en favorisant la réparabilité ou la démontrabilité. Soudainement, c’était un argument de vente. Le marketing n’a pas mis longtemps à retourner sa veste et à tenter de vous convaincre que la location, même à très longs termes, était une liberté par rapport à la possession. La réparation a créé une activité économique que vous assimileriez peut-être à des emplois. Paradoxalement, une activité économique naturelle s’est développée le jour où nous avons arrêté de tenter de la créer artificiellement. Où nous avons considéré qu’il devait être possible de vivre sans travail. Nous espérons, de cette manière, redevenir une génération qui ne produit pas plus de déchet que ce que la planète peut absorber. Que ce soit en CO2, en microparticules, en métaux lourds.

    Le réchauffement climatique et les feux de forêt ne nous aident pas, mais nous avons bon espoir d’y arriver.

    Il n’empêche que, même si on y arrive, on doit toujours se coltiner vos 50 ans de déchets. Ils ne sont pas prêts de disparaitre vos jouets en plastique bon marché pas cher achetés pour calmer le petit dernier dans le magasin ou le téléphone super révolutionnaire devenu un presse-papier has-been 2 ans plus tard. Sans compter que le prix de leur fabrication et de leur transport nous accompagne à chacune de nos inspirations dans l’air chargé de CO2.

    Chacune de nos respirations nous rappelle votre existence. Nous fait nous demander pourquoi vous n’avez pas agi ? Pourquoi avons-nous dû attendre de vous enterrer ou vous mettre à la retraite pour pouvoir faire quelque chose ?

    Et puis certains d’entre nous me racontent qu’ils ont eu des parents qui fumaient. Qu’il était normal de fumer dans les rues à proximité des enfants voir dans les maisons ou les voitures.

    Votre génération dépensait donc de l’argent dans le seul et unique but de se détruire la santé, de détruire la santé de ses propres enfants tout en polluant l’atmosphère, tout en polluant l’eau ? Vous financiez une florissante industrie dont le seul et unique objectif était la destruction de la santé de ses clients, des enfants de ses clients, de l’entourage de ses clients et de la nature ? On estime aujourd’hui que près de 1% du CO2 excédentaire dans l’atmosphère est dû à l’industrie du tabac. On s’en serait bien passé.

    Par contre, il faut le reconnaitre, nous avons plein de photos et de documents historiques qui prouvent que vous étiez militants, que vous signiez des pétitions et que vous « marchiez pour le climat ». En fumant des clopes.

    C’est devenu une moquerie récurrente quand on parle de vous. La génération des écolos-fumeurs. L’image est devenue célèbre pour illustrer ce mélange de bonne volonté collective inutile et paresseuse, cette propension à culpabiliser les individus pour des broutilles, à accomplir des actions collectives symboliques sans enjeu et à se voiler la face devant les comportements réellement morbides.

    Vous hurliez « Priorité à la sauvegarde de la planète ! ». Ce à quoi les politiciens répondaient « Tout à fait ! Priorité à l’économie et la sauvegarde de la planète ! ». Puis, la gorge un peu enrouée, chacun rentrait chez soi, satisfait. Avant d’organiser un grand atelier participatif « Méditation transcendentale et toilettes sèches » où vous vous faisiez passer un joint de tabac industriel mélangé d’herbe bio issue du potager partagé.

    Notre génération est permissive. Dans beaucoup de parties du monde, l’usage de drogue récréative est autorisé ou toléré. Par contre, toute émission de particules toxiques est strictement interdite dans les lieux publics. Ce n’était vraiment pas difficile à mettre en place et la seule raison que nous voyons pour laquelle vous ne l’avez pas fait c’est que vous ne le vouliez pas.

    Malgré vos discours, vous ne vouliez absolument pas construire un monde meilleur pour nous. Il suffisait de vous poser la question : « est-ce que j’ai envie que mes enfants fument ? » Même parmi les fumeurs invétérés, je pense que très peu auraient répondu par l’affirmative. « Ai-je envie que mes enfants subissent le poids écologique de vingt téléphones portables pour lesquels j’ai, au total, dépensé un an de salaire ? De milliers de kilomètres de diesel et de cinq voitures de société ? ». Il aurait suffi de vous poser la question. Interdire la cigarette dans l’espace public aurait été une manière toute simple d’affirmer que vous pensiez un peu à nous.

    Mais vous ne pensiez pas à nous. Vous n’avez jamais pensé à nous. Vous avez juste voulu vous donner bonne conscience en ne changeant strictement rien à vos habitudes, même les plus stupides. Pour votre décharge, vous n’avez pas hérité non plus d’une situation facile de vos propres parents, cette génération qui après une gueule de bois post-mai 68, s’est accaparé toutes les richesses et les a gardées en votant Reagan/Tatcher et allongeant son espérance de vie. Sans jamais vous laisser votre place.

    Quand nous en discutons entre nous, nous pensons que, finalement, nous avons de la chance d’être là. On doit gérer vos poubelles, mais vous auriez pu, pour le même prix, nous annihiler. Vous nous avez traités comme un pays vierge, un pays lointain à conquérir pour en exploiter les ressources à n’importe quel prix. Un pays qui vous appartenait de droit, car les autochtones n’offraient aucune résistance active.

    Ce qui est fait est fait. Il nous reste la tâche ardue de ne pas faire pareil et tenter d’offrir un monde meilleur à nos enfants. Non pas en prétendant penser à eux pour nous donner bonne conscience, mais en tentant de penser comme ils le feront. En les traitant comme un pays ami à respecter, un partenaire. Non plus comme une poubelle sans fond.

    Signé : votre futur

    Note de l’auteur : L’idée de considérer le futur comme un pays avec qui entretenir des relations internationales m’a été inspirée par Vinay Gupta lors d’une rencontre au parlement européen en 2017. Vinay a ensuite publié une analyse très intéressante où il suggère de voir toutes nos actions à travers le filtre du futur que nous réservons aux enfants de cette planète.

    https://medium.com/@vinay_12336/a-simple-plan-for-repairing-our-society-we-need-new-human-rights-and-this-is-how-we-get-them-cee5d6ededa9

    Bien que ces deux inspirations n’aient pas été conscientes au moment de la rédaction de ce texte, elles m’apparaissent comme indubitables à la relecture.

    Photo by Simon Hurry on Unsplash

    Oubliez un instant les réseaux sociaux et abonnez-vous par mail ou par RSS (max 2 billets par semaine et rien d’autre). Dernier livre paru : Printeurs, thriller cyberpunk. Pour soutenir l’auteur, offrez et partagez ses livres.

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Monday 20 September 2021 - 11:38

    Vous pouvez dès à présent précommander la version audiolivre de Printeurs et donner votre avis sur la voix à choisir. Ce qui me fait réfléchir à la voix, au bruit, au marketing, au crowdfunding et aux inondations…

    Mon roman Printeurs va prendre de la voix et sera bientôt produit sous forme d’un audiolivre. Un format avec lequel je ne suis pas du tout familier (je suis un lecteur visuel), mais dont je me réjouis d’écouter le résultat. Je suis d’ailleurs curieux d’avoir les avis des gros consommateurs de livres audio sur ce qui fait un « bon » audiolivre. Qu’aimez-vous ? À quoi doit-on faire attention ? Et qu’est-ce qui vous fait arrêter votre écoute à tous les coups ?

    Afin de financer cette entreprise, mon éditeur a mis en place une campagne de crowdfunding au cours de laquelle vous pouvez précommander la version audio de Printeurs. Vous aurez même la possibilité de donner votre avis sur des voix présélectionnées. Je suis vraiment curieux de lire l’avis des amateurs du genre.

    Précommander la version audio de Printeurs :https://fr.ulule.com/ludomire/?reward=752654
    Voter pour votre voix préférée (lien réservé aux souscripteurs) : https://fr.ulule.com/ludomire/news/decouvrez-le-casting-de-voix-pour-le-livre-audio-p-312900
    Explications techniques sur l’adaptation audio : https://fr.ulule.com/ludomire/news/les-adaptations-en-livres-audio-312264/

    La voix

    La voix est un médium particulier. Lorsqu’on parle, le charisme et les intonations ont souvent plus d’importance que le contenu lui-même. Les incohérences sont gommées par le rythme. Un exemple parmi tant d’autres : j’ai été récemment interviewé par Valentin Demé pour le podcast Cryptoast afin de parler des monopoles et de la blockchain.

    Pendant une heure, je parle en laissant mes idées vagabonder. Des idées bien moins formées que ce que j’écris d’habitude, des intuitions, des explorations. D’après les réactions, ce que je dis semble intéressant. Mais il faudrait garder à l’esprit que, à l’exception d’un discours entièrement préparé (un cours par exemple), les informations sont beaucoup plus aléatoires et toujours à prendre avec un grain de sel. Paradoxalement, la voix est plus convaincante alors qu’elle est moins rigoureuse. On apprend et réfléchit dans les livres, on se fait convaincre par les discours. La politique est une affaire de voix. La science est une affaire d’écrit.

    Ploum sur Cryptoast : https://www.youtube.com/watch?v=vq6o_30LxJM

    Le crowdfunding en question

    Cette campagne de crowdfunding ne concerne pas que Printeurs. C’est avant tout une campagne englobant toutes les nouveautés de la collection SFFF Ludomire notamment la version papier en quatre volumes du One Minute de Thierry Crouzet. One Minute est un roman de SF se déroulant durant… une seule et unique minute, comme le dit le titre. Chacun des 365 chapitres dure… une minute. J’ai beaucoup apprécié la version Wattpad et je me réjouis de lire cette version entièrement retravaillée.

    Encore de la pub pour une campagne de crowdfunding ? Autant je suis enthousiaste sur le contenu, autant je vous comprends.

    La campagne crowdfunding de Printeurs m’a laissé un souvenir assez amer. Certes, elle a été un incroyable succès (grâce à vous qui me lisez) mais j’ai eu l’impression de spammer sans arrêt mes réseaux. De produire le bruit contre lequel je me bats tellement. J’en suis sorti lessivé et ceux qui me suivent également. Le problème, comme me l’a fait remarquer mon éditeur, c’est que le spam… ça fonctionne !

    Ces campagnes sont désormais beaucoup plus nombreuses. Il faut se différencier, se professionnaliser. Bref, le marketing redevient essentiel alors que, dans mon esprit, l’un des buts initiaux du crowdfunding était de se passer de cette étape. Ironiquement, le marketing se concentre, non plus sur le produit lui-même, mais sur la promotion… de la campagne de financement ! Alors que cette méthode est censée rapprocher le créateur du consommateur, elle l’éloigne paradoxalement.

    C’est un questionnement que se pose également Lionel, mon éditeur. Comment se faire connaitre et se financer sans pour autant tomber dans le spam ? Thierry lui-même m’a confié ne pas avoir la moindre envie de promouvoir la campagne liée à la parution de son roman.

    La campagne Ludomire 2021 :https://fr.ulule.com/ludomire/
    Crouzet raconte One Minute : https://tcrouzet.com/2021/09/14/de-lecriture-de-la-vie-du-roman/
    Réflexions sur le crowdfunding : http://ludom.cc/index.php/2021/09/08/levolution-du-crowdfunding-selon-mon-experience/

    Le prix libre ?

    La problématique n’est pas uniquement limitée au crowdfunding. Le prix libre est également impacté. Il y a quelques années, je fus l’un des pionniers francophones du Prix Libre sur le Web à travers un billet au titre provocant : « Ce blog est payant ! ». Force est de constater que le concept s’est largement popularisé, au point d’avoir sa page Wikipédia.

    Un peu trop popularisé peut-être. Désormais, le prix libre est partout et, comme par magie, se fédère sur quelques plateformes centralisées. Alias parle justement de son questionnement à propos de Tipeee, plateforme que j’ai également quittée.

    Il y’a une fatigue indéniable du public : nous sommes sollicités tout le temps pour financer tous les projets imaginables, depuis les aiguilles à tricoter connectées révolutionnaires à l’installation de pots de fleurs sur la voirie de notre quartier. Outre les sous, il s’agit de jongler entre les différentes plateformes, les sommes, récurrentes ou non. J’ai également le sentiment que ce sont toujours les mêmes qui contribuent à tout, pas spécialement les plus aisés.

    J’en ai déduit une sorte de loi générale sur Internet qui fait que toutes les bonnes idées sont soit pas assez populaires pour être largement utiles, soit tellement populaires que ça en fait des mauvaises idées. Les réseaux sociaux, la mobilité en sont les illustrations les plus marquantes. Le prix libre est-il en train de suivre cette voie ?

    Les alternatives que nous construisons ne sont-elles séduisantes que parce qu’elles sont des alternatives justement ? Le succès n’entraîne-t-il pas obligatoirement un excès inexorable ? Je pense par exemple au réseau minimaliste Gemini dont je vous ai parlé.

    Le prix libre sur Wikipedia :https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_libre
    Alias quitte Tipeee : https://erdorin.org/il-est-temps-de-changer-de-tipeee/
    Le drama tipeee (lien gemini) : gemini://lord.re/fast-posts/62-le-drama-tipee-2021/index.gmi

    Le livre suspendu et les inondations

    Face à ce constat, j’ai décidé de retirer tous les appels aux dons sur mon blog et encourager l’achat de livres. Je trouve que les livres sont parmi les objets les plus symboliques de l’humanité. Un livre n’est jamais inutile. Il peut dormir des années voire des siècles sur des étagères avant de renaître et d’illuminer une journée ou une vie. Le livre, y compris au format électronique, c’est le cadeau par excellence : un monde à découvrir, un objet à transmettre, des explorations intellectuelles à partager, dans le présent et le futur.

    Acheter mes livres :  https://ploum.net/livres/

    Le livre papier ne connait que deux dangers : le feu et l’eau. C’est malheureusement ce qui est arrivé cet été dans mon pays. Si je n’ai pas été personnellement touché, ce fut bien le cas de ma ville (Ottignies) et surtout de la région d’où sont originaires mon épouse, mes parents et mes ancêtres (vallée de la Vesdre).

    Si vous avez perdu votre bibliothèque suite aux inondations ou si vous connaissez quelqu’un dans le cas, envoyez-moi un petit mot, je vous ferais parvenir un exemplaire de Printeurs. Je dispose également de plusieurs ouvrages de la collection Ludomire que j’enverrai volontiers aux bibliothèques qui cherchent à se reconstruire. N’hésitez pas à prendre contact et à faire l’intermédiaire pour des personnes à qui cela pourrait apporter un petit sourire. C’est toujours bon à prendre dans cette période difficile de reconstruction où la vie, comme la Vesdre, semble avoir repris son cours normal. Sauf pour ceux qui ont tout perdu, qui vivent dans l’humidité, qui sont nourris par la Croix-Rouge et dont le cœur s’étreint d’angoisse à chaque nouvelle pluie un peu drue.

    Il me reste quelques exemplaires du livre « Les aventures d’Aristide, le lapin cosmonaute ». Ils sont normalement en vente, mais je les offre avec plaisir aux familles avec enfant (idéalement 5-9 ans) qui sont en manque de livre, que ce soit à cause des inondations ou pour des raisons qui ne me regardent pas.

    Envoyez-moi un mail en précisant quel livre vous ferait plaisir (ou bien les deux) à l’adresse suspendu at ploum.net.

    Bonne lecture et bonne écoute !

    Si la relation entre les humains et la technologie vous intéresse, abonnez-vous par mail ou par RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Dernier livre paru : Printeurs, thriller cyberpunk. Pour soutenir l’auteur, offrez et partagez ses livres.

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 08 September 2021 - 11:39

    Cette interdépendance que l’on essaie d’oublier afin de camoufler l’apport essentiel de l’oisiveté et de la réflexion ouverte.

    En 2014, alors que je parlais beaucoup du prix libre, j’ai reçu un gros paiement d’un lecteur. Ce lecteur me remerciait, car les idées que je décrivais l’inspiraient pour son projet de site de jeu d’échecs en ligne. 6 années plus tard, un de mes étudiants a choisi, comme logiciel libre à présenter pour son examen, ce logiciel : Lichess. Il m’a décrit le modèle libre de développement de Lichess, la méthode de don et le prix libre. Lichess est l’un des plus importants sites d’échecs dans le monde et est fréquenté par des grands maitres comme Magnus Carlsen.

    Outre une immense fierté de savoir que certaines des graines que j’ai semées ont contribué à de magnifiques forêts, cette anecdote illustre surtout un point très important que l’idéologie Randienne tente à tout prix de camoufler : le succès n’est pas la propriété d’un individu. Un individu n’est jamais productif tout seul, il ne peut pas « se faire tout seul » en dépit de l’image que l’on aime donner des milliardaires. Si les parents de Jeff Bezos ne lui avaient pas donné 300.000$ en lui faisant promettre de trouver un vrai travail une fois les 300.000$ dépensés, il n’y aurait pas d’Amazon aujourd’hui. Chacun d’entre nous utilise des routes, des moyens de communication, des hôpitaux, des écoles et a des échanges intellectuels fournis par la communauté. L’idéologie de la propriété intellectuelle et des brevets nous fait croire qu’il y’a un unique inventeur, un génie solitaire qui mérite de récolter le fruit de ses efforts. C’est entièrement complètement faux. Nous sommes dépendants les uns des autres et nos succès sont essentiellement des chances, saisies ou non, que nous offre la communauté.

    De plus, les brevets sont une gigantesque arnaque intellectuelle. J’en ai fait l’expérience moi-même dans un article assez ancien qui a eu pas mal de retentissement sans jamais rencontrer de contradiction.

    https://ploum.net/working-with-patents/

    Brevets qui ne servent d’ailleurs que l’intérêt des riches et puissants. Amazon, par exemple, a développé une technique pour repérer ce qui se vend bien sur son site afin de le copier et d’en faire sa propre version. Même s’il y’a des brevets. Parce que personne n’a les ressources d’attaquer Amazon sur une histoire de brevets.

    https://www.currentaffairs.org/2020/12/how-amazon-destroys-the-intellectual-justifications-for-capitalism

    Les brevets sont une arnaque construite sur un concept entièrement fictif : celui de l’inventeur solitaire. Une fiction qui nie l’idée même de l’interdépendance sociale.

    Une interdépendance sociale dont l’apport essentiel à la productivité individuelle a été illustré par un généticien, William Muir, qui a décidé de sélectionner les poules qui pondaient le plus d’œufs afin de créer un « super poulailler » qui serait hyper productif. Le résultat a été catastrophique. Les poules qui pondaient le plus d’œufs au sein d’un poulailler étaient en fait les plus agressives qui empêchaient les autres de pondre. Le super poulailler est devenu une boucherie d’ou presque aucun œuf ne sortait et dont la majorité des poules mourraient !

    La conclusion est simple : même les poules qui pondent peu ont un rôle essentiel dans la productivité globale de la communauté. Le meilleur poulailler n’est pas composé des meilleures pondeuses, bien au contraire.

    https://economicsfromthetopdown.com/2021/01/14/the-rise-of-human-capital-theory/

    Grâce aux témoignages de mes lecteurs, je peux affirmer que mes billets de blog ont une influence sur la société à laquelle j’appartiens. Influence que j’estime essentiellement positive, voire très positive, selon mes propres critères. Lichess en est un exemple spectaculaire, mais je reçois des mails beaucoup plus intimes qui vont dans le même sens et qui me touchent beaucoup (même si j’ai pris la décision de ne plus y répondre systématiquement). Je peux donc affirmer que je suis utile à mon humble échelle.

    Au cours de ma carrière, je ne peux trouver aucun exemple où mon travail salarié ait jamais eu le moindre impact et où mon utilité a été démontrée. Pire : je ne vois pas un seul impact positif des entreprises entières pour lesquelles j’ai travaillé. En étant très optimiste, je peux affirmer qu’on a amélioré la rentabilité de certains de nos clients. Mais ce n’est pas vraiment un impact sociétal positif. Et ce rendement est de toute façon noyé dans une gabegie de projets abscons et de procédures administratives. Pendant dix ans, j’ai été payé dans des super-poulaillers, dans des entreprises qui sont elles-mêmes en compétition. Pour un résultat soit nul, soit nocif pour l’humanité et la planète car augmentant la consommation globale.

    À l’opposé, je vois directement l’impact des projets auxquels j’ai contribué sans rétribution, notamment les projets de logiciels libres. Le développeur Mike Williamson est arrivé à la même conclusion.

    https://mike.zwobble.org/2021/08/side-projects-vs-industry/

    Si vous cherchez mon nom sur Wikipedia, vous arriverez sur la page d’un projet auquel j’ai consacré plusieurs années de sommeil sans toucher le moindre centime.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/Getting_Things_Gnome

    Revenu de base

    C’est peut-être pour ça que le revenu de base me semble tellement essentiel. En 2013, je tentais de vous convaincre que le revenu de base était une bonne idée et de signer la pétition pour forcer les instances européennes d’étudier la question. Hélas, le nombre de signatures n’avait pas été atteint.

    https://ploum.net/pourquoi-vous-etes-sans-le-savoir-favorable-au-revenu-de-base/

    Huit ans plus tard, une nouvelle pétition vient de voir le jour. Si vous êtes citoyen européen, je vous invite vivement à la signer. C’est très facile et très officiel. Il faut mettre vos données personnelles, mais pas votre email. Il est nécessaire d’obtenir un minimum de signatures dans tous les pays d’Europe. N’hésitez pas à partager avec vos contacts internationaux.

    https://eci.ec.europa.eu/014/public/#/screen/home

    Les observables

    Lorsqu’on vous parle de la productivité d’un individu ou du mérite des personnes riches, rappelez-vous l’histoire des poulaillers.

    Mais pour les poules, c’est facile. Il suffit de mesurer les œufs pondus. Le problème avec le capitalisme moderne, c’est qu’on se plante tout le temps dans les métriques. Or, si on utilise une mauvaise métrique, on va optimiser tout le système pour avoir des mauvais résultats.

    J’ai beaucoup glosé sur ce paradigme des métriques, que j’appelle des « observables ». Je tourne en rond autour du même thème : on mesure la productivité à l’aide des heures de travail (vu que le salarié moyen ne pond pas), donc on crée des heures de travail, donc les jobs servent à remplir le plus d’heures possible. Ce que j’appelle le principe d’inefficacité maximale. Au final, on passe 8h par jour à tenter de brûler la planète afin, une fois sorti du bureau, de pouvoir se payer des légumes bio en ayant l’impression de sauver la même planète.

    https://ploum.net/le-principe-dinefficacite-maximale/

    Outre les heures de travail, il y’a d’autres métriques absurdes comme les clics, les pages vues et ce genre de choses. Les métriques des gens qui font du marketing : faire le plus de bruit possible ! Le département marketing, c’est un peu un super-poulailler où on a mis tous les coqs les plus bruyants. Et on s’étonne de ne pas avoir un seul œuf. Mais beaucoup de bruit.

    https://ploum.net/le-silence-au-milieu-du-bruit/

    L’effet des métriques absurdes a un impact direct sur votre vie. Genre si vous utilisez Microsoft Team au travail. Car désormais, votre manager va pouvoir avoir des statistiques sur votre utilisation de Teams. Le programmeur hyper concentré qui a coupé Teams pour coder une super fonctionnalité va bien vite se faire virer à cause de mauvaises statistiques. Et votre vie privée ? Elle ne rentre pas dans les plans du superpoulailler !

    https://www.zdnet.com/article/i-looked-at-all-the-ways-microsoft-teams-tracks-users-and-my-head-is-spinning/

    Comme plus personne n’a le temps de réfléchir (vu qu’il n’y a pas de métriques sur le sujet et qu’au contraire réfléchir bousille d’autres métriques), l’avenir appartient à ceux qui arrivent à maximiser les métriques. Ou mieux : qui arrive à faire croire qu’ils sont responsables de métriques maximisées. Changer de travail régulièrement permet de ne jamais vraiment exposer son incompétence et de montrer en grade à chaque étape, augmentant ainsi son salaire jusqu’à devenir grand manager hyper bien payé dans un univers où les métriques sont de plus en plus floues. La compétence est remplacée par l’apparence de compétence, qui est essentiellement de la confiance en soi et de l’opportunisme politique. Cela rejoint un peu la thèse de Daniel Drezner développée dans « The Ideas Industry » : les idées simples, prémâchées, faciles à s’approprier (genre TED) prennent le pas sur les analyses profondes et plus subtiles. C’est également un constat fait par Cal Newport dans « A World Without Email » où il dénonce la mentalité de « ruche bourdonnante » de toute entreprise moderne.

    Vous êtes entrepreneur ou indépendant ? C’est pareil : vous maximisez les métriques absurdes de vos clients. Si vous avez de la chance d’avoir des clients ! Sinon, vous passez votre temps à optimiser les métriques que vous offrent Facebook, Google Analytics ou Amazon en ayant l’impression de bosser à votre projet. Y’a même un métier entier qui ne fait qu’optimiser une métrique offerte par Google : le SEO.

    Il y a quelques années, le simple fait d’avoir émis cette idée m’a valu que des professionnels du secteur s’organisent pour qu’une recherche à mon nom renvoie vers des injures de leur cru. Cette anecdote illustre bien le problème des métriques absurdes : il est impossible de faire comprendre qu’une métrique est absurde à ceux qui payent pour optimiser cette métrique et à ceux qui ont bâti leur carrière sur la même métrique. Une simple remise en question génère une violence complètement disproportionnée, religieuse.

    Religion et violence

    Le repli identitaire, la religiosité ou la plupart des opinions conservatrices sont générés par l’angoisse et le sentiment de ne pas comprendre. Ce n’est pas une analyse politique, mais bien neurologique. Il suffit de désactiver quelques neurones dans le cerveau pour que, soudainement, l’angoisse ne soit plus liée à ce repli. Comme on ne peut pas désactiver ces neurones chez tout le monde, il reste une solution qui a déjà fait ses preuves : l’éducation, qui permet de comprendre et d’être moins angoissé.

    https://www.lemonde.fr/passeurdesciences/article/2015/10/21/moins-croire-en-dieu-avec-la-stimulation-magnetique_6001729_5470970.html

    La religion n’est de toute façon qu’un prétexte. Ce ne sont pas les interprétations religieuses qui sont la cause de violences ou de repli, elles en sont au contraire le symptôme, l’excuse.

    https://medium.com/incerto/religion-violence-tolerance-progress-nothing-to-do-with-theology-a31f351c729e

    Le poulailler sans-tête !

    En utilisant religieusement les mauvaises métriques, nous sommes en train de faire de la planète une sorte de super-poulailler où la bêtise et la stupidité sont optimisées. C’est d’ailleurs la définition même de la foi : croire sans poser de question, sans chercher à comprendre. La foi est la bêtise élevée au rang de qualité. L’invasion du capitole par les partisans de Trump en a été l’illustration suprême : des gens pas très malins, ayant la foi que l’un d’entre eux avait un plan et qu’ils allaient le suivre. Sauf qu’il n’y avait pas de plan, que cette invasion était un « meme » comme l’est Q : une simple idée lancée sur les réseaux sociaux qui s’est créé une auto-importance grâce à la rumeur et au bouche-à-oreille virtuel. D’ailleurs, une fois dans le capitole, personne ne savait quoi faire. Ils se sont assis sur les fauteuils pour se sentir importants, ont pris des selfies, ont tenté de trouver des complots croustillants, en quelques secondes, dans les centaines de pages de documents législatifs qui sont probablement disponibles sur le site du gouvernement. Quand votre culture politique est alimentée essentiellement par des séries d’actions sur Netflix, la révolution trouve vite ses limites.

    Comme le souligne très bien Cory Doctorrow, les memes et les fake news ne sont pas la réalité, mais ils sont l’expression d’un fantasme. Les memes sur Internet ne sont pas créés pour décrire la réalité, mais pour tenter de faire plier la réalité à nos désirs.

    https://locusmag.com/2019/07/cory-doctorow-fake-news-is-an-oracle/

    Mais pas besoin d’aller aussi loin. Bien avant Trump, la Belgique avait connu le concept du « politicien-meme » avec le député Laurent Louis. Député tellement absurde que j’avais ironisé sur le fait qu’il n’était qu’une blague à travers un article satirique. Article qui avait d’ailleurs eu pour résultat que Laurent Louis lui-même avait posté son certificat de naissance sur les réseaux sociaux, pour prouver qu’il existait. Cette non-perception de l’ironie m’avait particulièrement frappé.

    Comme Trump, Laurent Louis avait fini par trouver un créneau et des partisans. Assez pour foutre un peu le bordel, pas assez pour ne pas disparaitre dans l’oubli comme une parenthèse illustrant les faiblesses d’un système politique bien trop optimisé pour récompenser le marketing et la bêtise. Mais je tombe dans le pléonasme.

    https://ploum.net/le-depute-qui-nexistait-pas/

    S’évader du poulailler

    J’achète un recueil de nouvelles de Valery Bonneau. Je le prête à ma mère avant même de le lire. Elle me dit de lire absolument la première nouvelle,  » Putain de cafetière « . Je me plonge. Je tombe de mon fauteuil de rire. Franchement, le coup du frigo américain avec un code PIN, j’en rigole encore.

    Profitez-en ! (en version papier, c’est encore plus délectable !)

    https://www.valerybonneau.com/romans/nouvelles-noires-pour-se-rire-du-desespoir/putain-de-cafetiere

    Envie d’un roman gonflé à la vitamine ? Besoin de vous évader des confinements et couvre-feux à gogo ? Printeurs de Ploum est fait pour vous!

    Ce n’est pas moi qui le dis, c’est une critique que je ne me lasse pas de relire :

    https://albdoblog.com/2021/01/20/printeurs-ploum/

    D’ailleurs, si vous avez lu Printeurs, n’hésitez pas à donner votre avis sur Senscritique et Babelio. Je déteste Senscritique, mais je n’ai pas encore trouvé d’alternative durable.

    https://www.senscritique.com/livre/Printeurs/43808921

    https://www.babelio.com/livres/Dricot-Printeurs-Science-fiction/1279338

    Un autre plugin Firefox qui me sauve la vie et pour lequel j’ai souscrit un abonnement premium à prix libre :


    https://ninja-cookie.com/

    Fini de paramétrer les cookies. Le plugin les refuse automatiquement au maximum refus possible. C’est parfait et indispensable.

    Ça en dit long sur l’état du web actuel. Quand on voit le nombre de protections qu’il faut avoir pour pouvoir tout simplement « lire » le contenu des pages web sans avoir le cerveau qui frit et sans être espionné de tous les côtés, on comprend mieux l’intérêt d’un protocole comme Gemini qui est conçu à la base pour être le moins extensible possible !

    Conseil BD

    Après les magnifiques « L’Autre Monde » et « Mary la Noire », je découvre une nouvelle facette de l’univers de Florence Magnin . « L’héritage d’Émilie ».

    J’ai découvert Magnin par hasard, dans ma librairie préférée. L’Autre Monde m’a interpellé. Le dessin était magnifique, mais d’une naïveté particulière. Je n’étais pas certain d’aimer. Je n’ai pas aimé, j’ai littéralement été aspiré. Ce mélange de naïveté et d’univers pour adulte, de fantastique à la fois désuet et incroyablement moderne. L’héritage d’Émilie ne fait pas exception. En fait, il transcende même les deux autres en mélangeant le Paris des années folles et les légendes celtiques d’Irlande, le tout dans une œuvre de fantastique champêtre qui glisse brusquement dans le space opera intergalactique. Oui, c’est complètement incroyable. Et oui, j’adore.

    Photo by Artem Beliaikin on Unsplash

    Si la relation entre les humains et la technologie vous intéresse, abonnez-vous par mail ou par RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Dernier livre paru : Printeurs, thriller cyberpunk. Pour soutenir l’auteur, offrez et partagez ses livres.

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Monday 30 August 2021 - 12:23

    Alors que je déclipsais le pied de mes pédales après ma grande traversée du Massif central en VTT en compagnie de Thierry Crouzet, mon téléphone m’afficha un mail au titre à la fois évident et incompréhensible, inimaginable : « Roudou nous a quittés ».

    Avec Internet est apparu une nouvelle forme de relation sociale, une nouvelle forme d’interaction voire, j’ose le terme, d’amitié. Une amitié envers des personnes avec qui on se découvre des affinités intellectuelles, mais qu’on ne verra pas souvent voire jamais. Une amitié tout de même. Une amitié qui peut mener sur une complicité, sur la création de projets communs. Une amitié qui dépasse bien des relations en chair et en os que la proximité nous impose quotidiennement.

    Jean-Marc Delforge, Roudou pour les intimes, était pour moi de ces amitiés au long cours. Lecteur de mon blog depuis des années, utilisateur de logiciel libre et illustrateur amateur, il m’a envoyé le tout premier fan-art de Printeur et signera ensuite la couverture du premier EPUB Printeurs.

    À force de discussions, nous créerons ensemble le webcomic « Les startupeurs » dont j’ai empilé les scénarios avant que, malheureusement, Roudou ne trouve plus le temps pour les dessiner. Des personnages d’employés un peu désabusés (dont l’un est ma parodie selon Roudou), rêvant de créer leurs startup et addicts de la machine à café (une trouvaille de Roudou !).

    https://ploum.net/les-startupeurs-un-nouveau-webcomic/

    On s’amusait comme des fous avec ces idées, s’essayant au cartoon politique, partageant, discutant et se découvrant une passion commune pour le VTT.

    Car Roudou était plus qu’un passionné de VTT. C’était un meneur, un créateur de trace et le fondateur du forum VTTnet. Dans son sillage, impossible de ne pas pédaler.

    En 2015, il m’invita à le rejoindre avec mon filleul Loïc pour 3 jours de VTT intensifs en compagnie des membres du forum.

    Roudou, sa fille Noémie, mon filleul Loïc et les autres malades de VTTNet en 2015

    Par le plus grand des hasards, Loïc et moi sommes repassés dans la région début juillet pour un trip bikepacking. Lorsque Roudou a découvert cela, il m’a immédiatement envoyé un message pour me dire qu’on s’était raté de peu. Alors que Loïc et moi nous prélassions au bord du lac de l’Eau d’Heure, lui était probablement en train d’y faire du bateau. Il rigolait en lisant l’itinéraire que nous avions pris, me disant qu’il aurait pu nous guider, qu’il habitait tout près.

    Je me suis senti triste à l’idée d’avoir manqué une telle opportunité de pédaler ensemble. J’ai promis qu’on referait le trip l’année prochaine. Que ce serait vraiment chouette de se retrouver sur un vélo (même si, pour des raisons de santé qu’il ne voulait pas détailler, le VTT de Roudou était devenu électrique).

    À un message un peu accusateur me demandant comment j’osais venir pédaler dans sa région sans le prévenir, je répondis que j’étais persuadé qu’il habitait bien plus à l’ouest.

    La réponse de Roudou ne se fit pas attendre : « Ma femme aussi me dit souvent que je suis bien trop à l’ouest. »

    Ce fut le dernier message que je reçus de lui. Le 16 juillet, j’embarquais pour 1000km de VTT essentiellement déconnectés, me promettant d’aller rouler avec Roudou l’été prochain.

    Mais alors que je pédalais loin de tout, la mort l’a surpris, interrompant à jamais notre fil de discussion, plongeant les startupeurs, les vététistes, sa femme, ses filles et ses amis dans une tristesse infinie.

    Roudou va me manquer. Ses crobards et ses photos humoristiques envoyés pour réagir à mes billets de blog et mes livres vont me manquer. Les startupeurs, même s’ils étaient en hibernation, vont me manquer (je n’ai d’ailleurs pas de copie de cette œuvre commune, peut-être perdue). Lorsque je me plongerai dans la suite de Printeurs, je sais que les personnages auront une pensée pour Roudou, ce lecteur qui leur faisait prendre corps sous sa tablette graphique.

    Je garderai toujours en moi ce regret d’avoir oublié de le prévenir, d’avoir gâché cette dernière opportunité avant qu’il parte pédaler un peu plus à l’Ouest. Un peu trop à l’Ouest…

    Salut l’artiste, salut Roudou ! Nous continuerons à suivre tes traces en pensant à toi.

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander et partager mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Saturday 10 July 2021 - 17:56

    Récit de 3 jours de bikepacking pas toujours entre les gouttes à travers le Hainaut, le nord de la France et le Namurois

    Je tiens ma formation initiale et ma philosophie du bikepacking de Thierry Crouzet, auteur du livre « Une initiation au bikepacking » (dans lequel je fais un peu de figuration) : Partir en autonomie, mais le plus léger possible, éviter les routes à tout prix,préférer l’aventure et la découverte à la performance ou à la distance.

    Élève appliqué de Thierry, je me transforme en professeur pour initier mon filleul Loïc. Anecdote amusante : la différence d’âge entre Thierry et moi est la même qu’entre moi et Loïc. L’enseignement se propage, de génération en génération.

    Après plusieurs virées dans les magasins de camping et une très grosse sortie de préparation de 112km, rendez-vous est pris pour notre premier trip de bikepacking sur une trace que j’ai dessinée pour traverser la province du Hainaut du Nord au sud, couper à travers la France dans la région de Givet avant de remonter le Namurois.

    Jour 1 : le Hainaut sauvage, 103km, 1250d+

    Nous nous retrouvons le vendredi matin sur le Ravel de Genappe. Je suis en retard : je connais tellement ce parcours que j’étais persuadé qu’il faisait 10km. Mon compteur indique déjà 15km lorsque je trouve Loïc qui piaffe d’impatience.

    Le temps de me présenter sa config bikepack (il a notamment troqué le Camelbak sur le dos pour une ceinture porte-gourde) et nous voilà partis. À peine sorti des routes de Genappe et nous sommes confrontés à des chemins qui viennent de vivre deux mois de pluie quasi permanente. Cela signifie d’énormes flaques et une végétation plus qu’abondante. J’avais été témoin, sur mes sentiers habituels, de chemins se refermant complètement en trois ou quatre jours de beau temps après des semaines de pluie.

    De tout côté, nous sommes entourés par les ronces, les orties. Mes bras deviennent un véritable dictionnaire des différentes formes de piqures et de lacérations. Il y’a les pointues, les griffues, celles qui se boursouflent, celles qui grattent, celles qui saignent. Loïc se marre en m’entendant hurler. Car je suis de ceux qui hurlent avant d’avoir mal, un cri rauque à mi-chemin entre banzaï et le hurlement de douleur. Loïc, lui, préfère garder son énergie et souffre en silence.

    Le contournement des flaques s’avère parfois acrobatique et, moins agile que Loïc, je glisse sur un léger éperon de boue, les deux pieds et les fesses dans une énorme mare de gadoue.

    Le soleil nous aide à prendre l’essorage de chaussettes à la rigolade sous la caméra amusée de Loïc qui filme. Je ne le sais pas encore, mais l’eau sera le thème central de notre épopée.

    Nous dépassons enfin Fleurus pour traverser la banlieue de Charleroi par Chatelineau et Châtelet. À travers des rues peu engageantes qui serpentent entre des façades borgnes, nous suivons la trace qui s’engouffre sous un pont d’autoroute, nous conduit entre deux maisons pour nous faire déboucher soudainement sur de magnifiques sentiers à travers les champs. Comme si les habitants tenaient à cacher la beauté de leur région aux citadins et aux automobilistes.

    Après des kilomètres assez plats, le dénivelé se fait brusquement sentir. Nous atteignons les bois de Loverval pour continuer parmi la région boisée contournant Nalinnes. Si les paysages sont loin d’être époustouflants, la trace est un véritable plaisir, verte, physique et nous fait déboucher dans le chouette village de Thy-le-Château.

    Nous nous arrêtons pour un sandwich dans une boucherie. Le boucher nous explique sillonner la région en VTT électrique et est curieux de savoir quelle application nous utilisons pour nos itinéraires. Il note le nom « Komoot » sur un papier avant de s’offusquer lorsque je lui explique que nous nous relayons pour passer les commandes afin d’avoir toujours quelqu’un près des vélos.

    « On ne vole pas à Thy-le-Château ! » nous assène-t-il avec conviction. Le sandwich est délicieux et nous continuons à travers des montées et des descentes abruptes, inondées de flaques ou de torrents. Les passages difficiles se succèdent et j’ai le malheur de murmurer que je rêve d’un kilomètre tout plat sur une nationale.

    J’ai à peine terminé ma prière que mon mauvais génie m’exauce. Arrivant au pied de Walcourt, étrange village qui flanque une colline abrupte, la trace nous propose de suivre 500m d’une route nationale. Mais celle-ci se révèle incroyablement dangereuse. Une véritable autoroute ! Pour l’éviter, nous devrions remonter toute la pente que nous venons de descendre et faire une boucle de plusieurs kilomètres. Loïc propose de rouler le long de la nationale, derrière le rail de sécurité. « Ça se tente ! » me fait-il.

    Nous sommes de cette manière à plusieurs mètres des véhicules et protégés par la barrière. Cependant, ce terre-plein est envahi de ronces, d’orties et des détritus balancés par les automobilistes. Les 500m dans le hurlement des camions et des voitures lancées à vive allure sont très éprouvants. Moi qui suis parfois réveillé par l’autoroute à plus de 3km de mon domicile, je me dis qu’on sous-estime complètement la pollution sonore du transport automobile.

    Cette épreuve terminée, nous attaquons la dernière colline avant d’arriver aux Lacs de l’Eau d’Heure, objectif assumé pour notre première pause.

    Juste avant le barrage de la Plate Taille, nous bifurquons vers une zone de balade autour du lac. Nous nous planquons dans un petit bosquet où, malgré les panneaux d’interdiction, j’enfile un maillot pour profiter d’une eau délicieuse à 19°C. Sur la rive d’en face, je pointe l’endroit où Loïc a fait son baptême de plongée en ma compagnie.

    Le cuissard renfilé, je remonte sur ma selle et nous repartons. La trace nous conduit dans des petits sentiers qui longent la route du barrage. Nous arrivons sur le parking du spot de plongée où nous sommes censés retrouver la route, séparée de nous par une barrière fermée. Nous continuons un peu au hasard dans les bois avant de tomber sur le village de Cerfontaine.

    Nous quittons désormais la civilisation. Plusieurs kilomètres de sentiers escarpés nous attendent. Loïc voit passer un sanglier. Je vois plusieurs biches. La région est sauvage. Deux choses inquiètent Loïc. Le risque d’orage et la question de trouver à manger. Hein chef ?

    Heureusement, nous débouchons sur Mariembourg où une terrasse accueillante nous tend les bras au centre du village. Nous mangeons bercés par les cris de quelques villageois se préparant pour le match de foot du soir à grand renfort de canettes de bière.

    Nous étudions la trace, occupation principale d’un bikepacker en terrasse. J’avais prévu un zigzag à proximité de Couvin pour aller découvrir le canyon « Fondry des Chiens ». Étant donné l’heure avancée, je suggère de couper à travers la réserve naturelle de Dourbes.

    Nous sommes à peine sortis de Mariembourg que Loïc reconnait la gare. Nous sommes sur les terres où Roudou nous avait emmenés lors d’un mémorable week-end VTTnet en 2015.

    La réserve naturelle de Dourbes est tout sauf plate. Un régal de vététiste. Un peu moins avec près de 100bornes dans les pattes. Ça fait partie du bikepacking : parler de régal pour ce qui te fait pester au moment même.

    Nous arrivons sur les berges du Viroin. La trace nous fait monter vers le château de Haute-Roche, véritable nid d’aigle qui semble inaccessible. La pente est tellement abrupte qu’il faut escalader d’une main en tirant les vélos de l’autre. Loïc vient m’aider pour les derniers mètres.

    Les ruines de la tour moyenâgeuse se dressent devant nous. Après cet effort, Loïc décide qu’il a bien mérité de contempler la vue. Il contourne la tour par un étroit sentier qui nécessite même un mètre d’escalade sur le mur médiéval. J’hésite à le suivre puis me laisse gagner par son enthousiasme.

    Loïc a découvert une terrasse qui surplombe la vallée de manière majestueuse. Derrière nous, la tour, devant le vide et la vue. C’est magnifique.

    Loïc a soudain une idée : » Et si on plantait la tente ici ? »

    J’hésite. Nous sommes sur une propriété privée. L’à-pic n’est pas loin. Les sardines ne se planteront peut-être pas dans la terre fine de la terrasse. Mais je vois les yeux de Loïc pétiller. Je propose de tester de planter une sardine pour voir si c’est faisable. Loïc propose une manière de disposer les deux tentes sur la terrasse de manière à être le plus éloigné possible du trou. Nous finissons par retourner aux vélos, décrocher tous les sacs pour les amener sur notre terrasse. Il reste à faire passer les vélos eux-mêmes par le même chemin. C’est acrobatique, mais nous y arrivons et bénéficions d’un coucher de soleil sublime alors que nous montons nos tentes.

    J’utilise un peu d’eau de mon Camelbak pour improviser une douche rapide. Je tends mes fesses à toute la vallée. Vue pour vue, paysage pour paysage.

    De la vallée, les faibles cris nous informent que les Belges perdent le match de foot. Nous nous couchons à l’heure où les multiples camps scouts qui parsèment la vallée décident de se lancer dans des chants qui relèvent plus du cri permanent. Au bruit du matelas pneumatique, je devine que Loïc se retourne et ne trouve pas le sommeil.

    Jour 2 : la brousse française, 80km, 1500d+

    Les supporters et les scouts ont à peine achevé leur tintamarre que les coqs de la vallée prennent le relais. Il n’est pas encore 7h que j’émerge de ma tente. Loïc a très mal dormi et est abasourdi par l’humidité qui dégouline dans sa tente. J’espérais que l’altitude nous protégerait de l’humidité du Viroin, il n’empêche que tout est trempé. Mon Camelbak, mal fermé, s’est vidé dans mon sac de cadre qui, parfaitement étanche, m’offre le premier vélo avec piscine intérieure, comble du luxe.

    Heureusement, il fait relativement beau. J’avais prévenu Loïc de compter une grosse heure pour le remballage des affaires, surtout la première fois. Le fait de devoir repasser les vélos en sens inverse le long de la tour complique encore un peu plus la tâche. Nous pratiquons la philosophie « no trace » et Loïc en profite même pour ramasser des vieilles canettes. Au final, il nous faut plus d’1h30 pour être enfin prêts à pédaler. Nous traversons les bois, descendons le long d’une route où nous aidons un scout flamand un peu perdu à s’orienter avant d’accomplir la courte, mais superbe escalade des canons de Vierves. Escalade que nous avions accomplie en 2015 avec Roudou et sa bande sans que j’en aie le moindre souvenir. En pensée, Loïc et moi envoyons nos amitiés et nos souvenirs aux copains de VTTnet.

    La trace nous fait ensuite longer la route par un single escarpé avant de nous conduire à Treignes où nous déjeunons sur le parking d’un Louis Delhaize. Je constate que la trace fait un gros détour pour éviter 3km de route et nous fais escalader un énorme mamelon pour en redescendre un peu plus loin en France. La route étant peu fréquentée, je propose d’avancer par la route pour gagner du temps. L’avenir devait révéler ce choix fort judicieux.

    Une fois en France, je m’arrange pour repiquer vers la trace. Nous faisons une belle escalade en direction du fort romain du Mont Vireux. Comme le fort en lui-même est au bout d’un long cul-de-sac, nous décidons de ne pas le visiter et de descendre immédiatement sur Vireux où nous traversons la Meuse.

    Nous escaladons la ville. Je m’arrête à la dernière maison avant la forêt pour me ravitailler en eau auprès d’habitants absolument charmants et un peu déçus de ne pas pouvoir faire plus pour moi que de me donner simplement de l’eau.

    Nous quittons désormais la civilisation pour nous enfoncer dans les plateaux au sud de Givet. Les chemins forestiers sont magnifiques, en montée permanente. Quelques panneaux indiquent une propriété privée. Nous croisons cependant un 4×4 dont le conducteur nous fait un signe amical qui me rassure sur le fait que le chemin soit public. Mais, au détour d’un sentier, une grande maison se dresse, absurde en un endroit aussi reculé. La trace la contourne et nous fait arriver devant une barrière un peu bringuebalante. Je me dis que nous sommes sur le terrain de la maison, qu’il faut en sortir. Nous passons donc la barrière, prenant soin de la refermer, et continuons une escalade splendide et très physique.

    Au détour d’un tournant, je tombe sur une harde de sangliers. Plusieurs adultes protègent une quinzaine de marcassins. Les adultes hésitent en me voyant arriver. L’un me fait face avant de changer d’avis et emmener toute la troupe dans la forêt où je les vois détaler. Loïc arrive un peu après et nous continuons pour tomber sur une harde d’un autre type : des humains. Un patriarche semble faire découvrir le domaine à quelques adultes et une flopée d’enfants autour d’un pick-up. Il nous arrête d’un air autoritaire et nous demande ce que nous faisons sur cette propriété privée.

    Je lui explique ma méprise à la barrière et la trace GPS en toute sincérité. Il accepte avec bonne grâce mes explications et tente de nous indiquer un chemin qui nous conviendrait. Je promets de tenter de marquer le chemin comme privé sur Komoot (sans réfléchir au fait que c’est en fait sur OpenStreetMap qu’il faut le marquer et que je n’ai pas encore réussi à le faire). Finalement, il nous indique la barrière la plus proche pour sortir du domaine qui se révèle être exactement le chemin indiqué par notre trace. Nous recroisons la harde de sangliers et de marcassins.

    Nous escaladons la barrière en remarquant l’immensité de la propriété privée que nous avons traversée et sommes enfin sur un chemin public qui continue sur un plateau avant de foncer vers le creux qui nous sépare de la Pointe de Givet, Pointe que nous devons escalader à travers un single beaucoup trop humide et trop gras pour mes pneus. J’en suis réduit à pousser mon vélo en regardant Loïc escalader comme un chamois. Au cours du périple, les descentes et les montées trop grasses seront souvent à la limite du petit torrent de montagne. Une nouvelle discipline est née : le bikepack-canyoning.

    Le sommet nous accueille sous forme de vastes plaines de hautes graminées où le chemin semble se perdre. La trace descend dans une gorge sensée déboucher sur la banlieue est de Givet. Mais la zone a été récemment déboisée. Nous descendons au milieu des cadavres de troncs et de branches dans un paysage d’apocalypse sylvestre. La zone déboisée s’arrête nette face à un mur infranchissable de ronces et de buissons. La route n’est qu’à 200m d’après le GPS, mais ces 200m semblent infranchissables. Nous remontons péniblement à travers les bois pour tenter de trouver un contournement.

    Loïc fait remarquer que le paysage ressemble à une savane africaine. Nous roulons à l’aveuglette. Parfois, un souvenir de chemin semble nous indiquer une direction. Nous regagnons l’abri de quelques arbres avant de déboucher sur une vaste prairie de très hautes graminées, herbes et fleurs. Comme nous sommes beaucoup trop à l’ouest, je propose de piquer vers l’est. Une légère éclaircie dans un taillis nous permet de nous faufiler dans une pente boisée que je dévale sur les fesses, Loïc sur les pédales. Le pied de cette raide descente nous fait déboucher sur un champ de blé gigantesque. Du blé à perte de vue et aucun chemin, aucun dégagement. Nous nous résignons à la traverser en suivant des traces de tracteur afin de ne pas saccager les cultures. Les traces nous permettent de traverser le champ en largeur avant de s’éloigner vers l’ouest où la limite du champ n’est même pas visible.

    À travers une haie d’aubépines particulièrement touffue, nous apercevons une seconde prairie. Avec force hurlements de douleur et de rage, nous faisons traverser la haie à nos vélos avant de suivre le même passage. De la prairie de pâturage, il devient facile de regagner un chemin desservant l’arrière des jardins de quelques maisons.

    Après plusieurs heures de galère et très peu de kilomètres parcourus, nous regagnons enfin la civilisation. Loïc vient de faire son baptême de cet élément essentiel du bikepacking : l’azimut improvisé (autrement connu sous le nom de « On est complètement paumé ! »).

    On pourrait croire qu’avec les GPS et la cartographie moderne, se perdre est devenu impossible. Mais la réalité changeante et vivante de la nature s’accommode mal avec la fixité d’une carte. L’état d’esprit du bikepacker passera rapidement du « Trouver le chemin le plus engageant pour arriver à destination » à « Trouver un chemin pour arriver à destination » à « Trouver un chemin praticable » pour finir par un « Mon royaume pour trouver n’importe quoi qui me permet tout simplement de passer ». Après des passages ardus dans les ronces ou les aubépines, après avoir dévalé des pentes particulièrement raides, l’idée de faire demi-tour n’est même plus envisageable. Il faut lutter pour avancer, pour survivre.

    Un aphorisme me vient spontanément aux lèvres : « L’aventure commence lorsque tu as envie qu’elle s’arrête ».

    Nous pénétrons alors dans Givet par l’ouest alors que j’avais prévu d’éviter la ville. Nous avons faim, nous sommes fatigués et nous n’avons fait qu’une vingtaine de kilomètres. Loïc a du mal de se rendre compte du temps perdu.

    Sur une placette un peu glauque où se montent quelques maigres attractions foraines, nous enfilons un sandwich. Pour ma part, un sandwich que je viens d’acheter, mais pour Loïc, un sandwich particulièrement savoureux, car acheté le matin en Belgique et qui a fait toute l’aventure accroché au vélo. Se décrochant même avant une violente descente, emportant la veste de Loïc au passage et nécessitant une réescalade de la pente pour récupérer ses biens.

    Hors de Givet, la nature reprend ses droits. Les montées boueuses succèdent aux singles envahis de flaques. Nous retrouvons la Belgique au détour d’un champ. Après quelques patelins typiquement namurois (les différences architecturales entre les bleds hennuyers, français et namurois me sautent aux yeux), nous enchainons de véritables montagnes russes jouant sur les berges de la Lesse.

    Alors que j’ai un excellent rythme, une pause impromptue s’impose, le lieu me subjuguant par la beauté un peu irréelle d’une petite cascade. Je m’arrête et m’offre un bain de pieds tandis que Loïc prend des photos. Une fois sortis des gorges de la Lesse, nous nous arrêtons pour étudier la situation.

    J’avais prévu un itinéraire initial de 330km, mais, Loïc devant être absolument rentré le 4 au soir, j’ai également concocté un itinéraire de secours de 270km pour le cas où nous aurions du retard. Les itinéraires divergeaient un peu après le retour en Belgique, l’un faisant une boucle par Rochefort, l’autre revenant en droite ligne vers Waterloo.

    Par le plus grand des hasards, je constate que je me suis arrêté littéralement au point de divergence. Étant donné le temps perdu le matin, il me semble beaucoup plus sage de prendre l’itinéraire court, au grand dam de Loïc, très motivé, mais très conscient de la deadline.

    Le seul problème est que mon itinéraire court ne passe par aucune ville digne de ce nom avant le lendemain, que je n’ai repéré aucun camping. Loïc me demande d’une petite voix inquiète si on va devoir se coucher le ventre vide. Parce qu’il y’aura aussi la question de trouver à manger. Hein chef ?

    Je propose d’aviser un peu plus loin. Sur le chemin, quelques moutons échappés de leur enclos me regardent méchamment. Le mâle dominant commence même à gratter du sabot. Je leur crie dessus en fonçant, ils s’écartent.

    Arrivés à un croisement, nous consultons les restaurants disponibles dans les quelques villages aux alentours. Un détour par Ciney me semble la seule solution pour s’assurer un restaurant ouvert. Nous sommes au milieu de nos hésitations lorsqu’un vététiste en plein effort s’arrête à notre hauteur. Tout en épongeant la sueur qui l’inonde, il nous propose son aide. Sa connaissance du lieu est bienvenue : il nous conseille d’aller à Spontin pour être sûrs d’avoir à manger puis d’aller dans un super camping au bord du Bocq. Par le plus grand des hasards, il est justement en train de flécher un parcours VTT qui passe tout prêt.

    Nous le remercions et nous mettons à suivre ses instructions et ses flèches. Un petit détour assez pittoresque qui nous fait passer dans des singles relativement techniques par moment. C’est vallonné et la journée commence à se faire sentir. Psychologiquement, l’idée d’être presque arrivés rend ces 15km particulièrement éprouvants. Après une grande descente nous débouchons sur un carrefour au milieu de Spontin, carrefour orné, ô miracle, d’une terrasse de restaurant. Nous nous installons sans hésiter. Je commande une panna cotta en entrée.

    Loïc est très inquiet à l’idée de ne pas avoir de place au camping recommandé par notre confrère. Le téléphone ne répond pas. De plus, ce camping est à une dizaine de kilomètres, dans un creux qu’il faudra escalader au matin. Alors que nous mangeons, j’aperçois derrière Loïc un panneau au carrefour qui indique un camping à seulement 2km. Un coup d’oeil sur la carte m’apprend que ce camping est à quelques centaines de mètres de notre trace. Je téléphone et le gérant me répond qu’il n’y a aucun souci de place.

    Après le repas, nous sautons sur nos montures pour gravir ces 2 derniers kilomètres, le camping étant sur une hauteur. Rasséréné par la certitude d’avoir un logement et le ventre plein, Loïc me lâche complètement dans la côte. Son enthousiasme est multiplié, car il reconnait le camping. C’est une constante de ce tour : alors que je cherche à lui faire découvrir des choses, il reconnait sans cesse les lieux et les paysages pour y être venu à l’une ou l’autre occasion. Parfois même avec moi.

    L’emplacement de camping est magnifique, aéré, calme avec une vue superbe. Par contre, les douches sont bouillantes sans possibilité de régler la température, les toilettes sont « à terrasse », sans planche ni papier. Je préfère encore chier dans les bois, mais la douche fait du bien.

    La nuit est ponctuée d’épisode de pluie. Je croise les doigts pour qu’il fasse sec au moment de remballer la tente. Je n’ai encore jamais remballé le matériel sous la pluie.

    Jour 3 : l’aquanamurois, 97km, 1200d+ 

    À 7h30, je commence à secouer la tente de Loïc. Je l’appelle. Pas un bruit. Je recommence, plus fort. Je secoue son auvent. J’espère qu’il est toujours vivant. À ma cinquième tentative, un léger grognement me répond : « Gnnn… »

    Loïc a dormi comme un bébé. Il émerge. Nous remballons paisiblement sous un grand soleil et faisons sécher les tentes.

    La grande inquiétude de la journée, ce sont les menaces d’orage. Jusqu’à présent, nous sommes littéralement passés entre les gouttes. Nous précédons les gros orages de quelques heures, roulant toujours dans des éclaircies.

    Sous un soleil très vite violent, nous nous échappons dans une série de petits singles envahis de végétation avant de commencer l’escalade pour sortir de Crupet. Nous escaladons un magnifique chemin à plus de 15%. Sur la gauche, la vue vers la vallée est absolument à couper le souffle avec des myriades de fleurs bleues au premier plan. À moins que ce ne soit la pente qui coupe le souffle. Des randonneurs nous encouragent, je suis incapable de répondre. Le sommet se profile au bord d’un camp scout. Après quelques centaines de mètres sur la route, un panneau indiquant une église médiévale attire mon attention. Cette fois-ci, c’est moi qui reconnais l’endroit ! Nous sommes à 1km du lieu de mon mariage. J’entraine Loïc dans un bref aller-retour pour envoyer une photo souvenir à mon épouse.

    À partir de là, je connais l’endroit pour y être venu de multiples fois à vélo. Après des traversées de champs, nous nous enfonçons dans les forêts du Namurois, forêts aux chemins dévastés par les orages et les torrents de boue. Au village de Sart-Bernard, j’interpelle un habitant pour savoir s’il y’a un magasin ou une boulangerie dans les environs. À sa réponse, je comprends que j’aurais pu tout aussi bien lui demander un complexe cinéma 15 salles, un parc d’attractions et un centre d’affaires.

    Nous nous enfonçons donc dans la forêt, zigzaguant entre les chemins privés, pour déboucher finalement sur Dave. Un kilomètre de nationale malheureusement incontournable nous permet d’aller traverser la Meuse sur une écluse juste au moment où celle-ci commence à se remplir pour laisser passer un bateau. Nous continuons le long du fleuve pour aller déguster une crêpe à Wépion. Le temps se couvre, mais reste sec.

    La crêpe engloutie, il est temps de sortir du lit de la Meuse. Ma trace passe par une côte que j’ai déjà eu le plaisir d’apprécier : le Fonds des Chênes. Jamais trop pentue ni technique, la côte est cependant très longue et se durcit vers la fin, alors même qu’on a l’impression de sortir du bois et d’arriver dans un quartier résidentiel.

    J’arrive au sommet lorsque les premières gouttes commencent à tomber. J’ai à peine le temps d’enfiler ma veste que le déluge est sur nous. Abrité sous un arbre, j’attends Loïc qui, je l’apprendrai après, a perdu beaucoup de temps en continuant tout droit dans une propriété privée.

    À partir de ce moment-là, nous allons rouler sous des trombes d’eau incessantes. À travers les bois, nous descendons sur Malonne dont nous escaladons le cimetière à travers des lacets dignes d’un col alpin. La trace traverse littéralement le cimetière au milieu des tombes. Loïc s’étonne. Je réponds que, au moins, on ne dérange personne. C’est ensuite la descente sur Seneffe avant de longer la Sambre.

    Lors de notre journée de préparation, nous sommes passés par là dans l’autre sens. Nous sommes en terrain connu, le côté exploration du bikepacking s’estompe pour laisser la place à la douleur psychologique du retour. Étant donné la pluie, je suis heureux de rentrer. Je n’ose imaginer installer une tente sous la pluie, renfiler des vêtements trempés le lendemain.

    Nous n’essayons même plus de contourner les flaques qui se sont, de toute façon, transformées en inévitables marigots. Nous roulons des mètres et des mètres avec de l’eau jusqu’aux moyeux, chaque coup de pédale remplissant les chaussures d’eau comme une noria.

    Loïc m’a plusieurs fois expliqué être motivé par la pluie. Sous la pluie, il pédale mieux. J’ai en effet observé qu’il supporte assez mal la chaleur alors que, pour moi, rien n’est aussi délectable que d’escalader un col en plein cagnard.

    Ses explications se confirment. Loïc fonce, escalade. J’ai de plus en plus de mal à le suivre. L’eau me mine, ma nouvelle selle me torture les fesses. Nous traversons Spy, les plaines de Ligny, probablement tout aussi inondées qu’en 1815 et le golf de Rigenée. La trace traverse le bois Pigeolet, mais je me souviens avoir été bloqué au château de Cocriamont lors d’une de mes aventures antérieures. J’impose un demi-tour et nous gagnons Sart-Dames-Avelines par la route.

    Alors que nous arrivons à Genappe, la pluie qui s’était déjà un peu calmée s’arrête tout à fait. Nous en profitons pour prendre un dernier verre en terrasse avant de nous dire au revoir. Nous avons le sentiment d’être à la maison.

    Il me reste néanmoins encore 15km à faire. 15km essentiellement de Ravel. Mes chaussures sont presque sèches, l’optimisme est de mise.

    C’est sans compter que le Ravel est inondé par endroit, traversé de coulées de boue. Certaines maisons se sont barricadées avec des sacs de sable. Des arbres arrachés rendent le passage compliqué. Alors que je traverse une flaque que je croyais étendue, mais peu profonde, le Ravel étant en théorie essentiellement plat, je m’enfonce jusqu’au moyeu. Je suis recouvert, ainsi que mon vélo et mes sacs, d’une boue jaune, grasse, épaisse et collante.

    Il était dit que je ne pouvais pas arriver sec à Louvain-la-Neuve…

    280km, près de 4000m de d+ et une expérience mémorable. Je suis enchanté d’avoir pu condenser en 3 jours toutes les expériences d’un trip de bikepacking : camping sauvage, heures perdues à pousser le vélo dans une brousse sans chemin, découragements suivis d’espoirs, pauses imprévues et terrasses délectables.

    Maintenant que Loïc a gouté aux joies du bikepacking « extreme », je n’ai qu’une envie : qu’on reparte pour explorer d’autres régions. J’ai une attirance toute spéciale pour les Fagnes… Par contre, cette expérience de la pluie me fait renoncer au rêve de parcourir l’Écosse en bikepacking.

    Alors qu’une Grande Traversée du Massif Central (GTMC pour les intimes) se profile avec Thierry, deux inquiétudes restent vives : mes fesses me font toujours autant souffrir (peut-être devrais-je passer le cap du tout suspendu) et je ne me sens pas psychologiquement armé pour affronter un bivouac sous la pluie.

    Mais, après tout, l’aventure ne commence-t-elle pas au moment où tu as envie qu’elle s’arrête ?

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander et partager mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Friday 25 June 2021 - 14:13

    Tentative d’analyse rationnelle et d’élargissement d’un débat émotionnel

    Le sujet du port du voile par les femmes musulmanes est un sujet récurrent et politicomédiatique un peu trop vendeur. Forcément, car tout le monde à son avis sur le sujet. Mon avis personnel ne me semble pas avoir plus de valeur que n’importe quel autre.

    Aussi ai-je envie d’aborder le sujet d’une manière que je n’ai que trop rarement vue : rationnellement et avec autant de rigueur logique que possible bien que n’étant, sensibilité humaine oblige, pas objectif. Le voile est en effet un exemple parfait pour illustrer le point de friction entre la liberté religieuse et la neutralité législative garante de cette liberté.

    Le dress code professionnel

    Il semble important de préciser que le débat ne porte pas sur l’interdiction du voile. Dans notre pays, le citoyen peut se vêtir comme bon il semble tant qu’une certaine pudeur est respectée. Chaque citoyen peut porter sur la tête le couvre-chef de son choix, le voile ne pose aucun problème sur la voie publique (je m’abstiendrai de parler du voile intégral, hors propos ici).

    La question réelle peut donc être formulée en ces termes : « Si un employeur refuse que ses employés portent un voile, est-ce de la discrimination ? ».

    Mise en contexte : les employeurs ont toujours disposé d’un droit de regard sur l’habillement de leurs employés. Depuis l’uniforme au port obligatoire de la cravate. Un voisin m’a un jour affirmé que jamais il n’accepterait un travail où on le forcerait de mettre une cravate. J’ai personnellement été une fois renvoyé chez moi pour me changer, car j’avais mis un bermuda, ce qui était interdit dans le règlement de travail (que je n’avais pas lu). Je fais pourtant partie de la sainte église du bermuda (2 membres en Belgique) pour laquelle le port du pantalon long entre mars et octobre est un blasphème.

    Pour l’anecdote, dans cette même entreprise de plusieurs centaines de personnes est un jour arrivée une nouvelle employée voilée. Personne n’a émis le moindre commentaire (le voile n’était pas interdit dans le règlement) excepté une collègue qui m’a expliqué être musulmane et opposée au voile, voile qui n’était selon elle ni musulman ni cité dans le coran.

    De même, dans le collège où j’ai fait mes études, le règlement stipulait strictement que les élèves étaient tenus d’être nu-tête à l’intérieur des bâtiments. J’ai été témoin de bon nombre de casquettes et chapeaux confisqués par les éducateurs.

    Lors d’une embauche ou de l’accès à un établissement public, ces obligations vestimentaires clairement stipulées n’ont jamais été assimilées à une discrimination. Un postulant est libre de refuser un emploi si les conditions de travail ne lui conviennent pas.

    Pourtant, le fait de devoir retirer le voile pour accéder à un travail ou à une école (chose que des milliers de musulmanes font quotidiennement, il faut le préciser, et qui serait acceptable selon les préceptes de l’Islam) est perçu par certaines comme une discrimination.

    Je ne vois que deux alternatives logiques.

    Soit le voile est un simple morceau de tissu vestimentaire, comme l’affirment certains, et il peut être retiré si nécessaire. J’abhorre la cravate, que j’associe à une laisse, mais je la passerai au cou si j’estime que les circonstances l’exigent.

    Soit le port du voile est l’expression d’une religiosité profonde ne permettant pas à une croyante de le retirer en public. Auquel cas, il est manifeste que la personne ne peut accéder à un poste où une certaine forme de neutralité est nécessaire. Les postes de représentation publique, par exemple, impliquent une neutralité jusque dans les détails de l’habillement. Un député ne peut pas porter un t-shirt avec un slogan.

    Il est important de souligner que les deux situations sont mutuellement exclusives. Soit le voile est un accessoire vestimentaire, auquel cas il peut-être retiré, soit il est le symbole d’une religiosité forte qui peut être considérée comme incompatible avec certaines fonctions, et cela à la discrétion de l’employeur.

    Dans les deux cas, remarquons qu’il apparait raisonnable pour un employeur de ne pas engager une personne qui refuse de retirer son voile sur son lieu de travail alors que l’employeur l’estime nécessaire. Il n’y a pas de discrimination sur la couleur de peau, l’origine sociale ou la religion de l’employé, mais simplement un choix de ce dernier de se conformer ou non au règlement de travail. Ce que les plaignantes appellent discrimination dans les affaires où le port du voile leur a été refusé n’est donc que le refus de l’octroi d’un privilège spécifique qui n’est disponible pour personne d’autre.

    L’exception religieuse

    À cette constatation, la réponse la plus courante est celle de « l’exception religieuse ». L’employeur peut obliger la cravate et interdire le bermuda, car ceux-ci ne sont pas religieux. Le voile bien.

    Cette exception est une véritable boîte de Pandore. Il est important de rappeler que la liberté de religion et de conscience garantie par l’article 18 des droits de l’homme porte sur toutes les religions, y compris les religions personnelles. Certains ont peut-être cru que je me moquais en parlant de l’église du bermuda, mais mon coreligionnaire (qui se reconnaitra), confirmera que notre foi est sincère et assortie de rituels (comme la photo du premier bermuda de l’année et l’expiation du port du pantalon long). Si l’état belge propose une liste de religions reconnues, c’est uniquement pour des motifs de financement. Chaque citoyen est libre de suivre les préceptes de la religion de son choix.

    L’exception religieuse, par sa simple existence, sépare le corpus législatif en deux types de lois.

    Les premières sont celles qui ne souffriront aucune exception religieuse. Si ma religion recommande la consommation de nouveau-nés au petit-déjeuner, l’exception religieuse sera difficilement recevable.

    Par contre, mutiler le sexe du même nouveau-né sans raison médicale est couvert par l’exception religieuse.

    Cette contradiction est visible dans tous les services communaux chargés d’établir nos cartes d’identité : il est en effet stipulé que la photo doit représenter le demandeur tête nue (point 8 du règlement), mais qu’en cas de motif religieux s’opposant à apparaitre tête nue sur nue sur la photo, ce point ne s’applique pas (point 10 du règlement).

    Extrait du règlement téléchargé sur le site du gouvernement en juin 2021

    Paradoxalement, la discrimination porte donc sur les personnes non religieuses. Celles-là ne peuvent pas porter de couvre-chef (et personne ne peut sourire, pourtant, ce serait joli une religion du sourire) sur leur photo d’identité ! La discrimination est bénigne et anecdotique, mais ouvre la porte à de dangereux précédents.

    C’est pour illustrer ce paradoxe que plusieurs pastafariens à travers le monde ont tenté, avec plus ou moins de succès, de figurer sur leur document d’identité avec une passoire sur la tête ou avec un chapeau de pirate.

    En Suède, face à la répression de la copie illicite de films et de musiques, le Kopimisme s’est mis en place. Selon cette religion, la vie nait de la copie d’information et tout acte de copie de l’information est sacré. En ce sens, les kopimistes ont exigé (et obtenu) une exemption religieuse leur permettant de copier tout document informatique sans être poursuivis. La loi « anti-piratage » fait donc partie, en Suède, de la deuxième catégorie des lois.

    Ici encore, la discrimination envers les non-religieux est flagrante. Doit-on créer une religion pour tester et contourner chaque loi ?

    Preuve est faite que l’exception religieuse est non seulement dangereuse, mais complètement inutile. Soit une loi ne peut accepter aucune exception religieuse (le meurtre par exemple), soit la loi n’a pas lieu d’être ou doit être retravaillée (vu qu’il est acceptable pour une frange arbitraire de citoyens de ne pas la respecter).

    Soit il est essentiel d’être nu-tête sur un document d’identité, soit ce n’est pas nécessaire.

    Soit un employeur peut imposer certaines règles vestimentaires à ses employés, soit il ne peut en imposer aucune. Toute tentative de compromis est, par essence, arbitraire et entrainera des débats émotionnels sans fin voire des violences.

    Comme le disait déjà Thomas Hobbes, cité par le philosophe et député François De Smet dans son livre « Deus Casino », il est impossible à un humain d’obéir simultanément à deux autorités, deux ensembles distincts de lois (sauf si, par miracle, elles sont temporairement compatibles). L’un des ensembles de loi doit donc être supérieur à l’autre. Si c’est la loi religieuse qui est supérieure, on est tout simplement dans le cas d’une théocratie, chose qui n’est possible que pour une seule religion.

    On peut tourner le problème dans tous les sens : la coexistence de plusieurs religions implique nécessairement la primauté des lois séculières sans distinction ni exception. Si une personne religieuse accomplit un rite qui enfreint une loi civile, elle doit être poursuivie comme après n’importe quelle infraction !

    Cette conclusion, bien que contre-intuitive, est primordiale : le seul garant d’une réelle liberté de pensée et de culte passe par un état qui affirme que tous les citoyens sont égaux, que la loi est identique pour tous et ne tolère aucune exception religieuse !

    L’expression de la croyance en une divinité et en la vérité d’un seul livre relève pour l’athée que je suis du blasphème et du non-respect envers les millions d’intellectuels qui ont fait progresser l’étendue du savoir humain. La religiosité m’offense profondément. Pour certaines femmes, le port du voile est une insulte aux féministes des décennies précédentes, un rappel permanent de la fragilité des récents et encore incomplets droits de la femme.

    La liberté de culte passe donc nécessairement par la liberté de blasphème et le droit à l’offense.

    Un combat politique à peine voilé

    Rationnellement et logiquement parlant, la question du port du voile au travail est donc très simple à trancher : soit un employeur n’a aucun droit sur l’habillement de ses employés, soit il peut en avoir. Fin du débat.

    Malheureusement, comme le souligne François De Smet, les religions instituées bénéficient d’une immunité contre l’irrationnel qui ne peut être justifiée par des arguments logiques. La religion est par essence irrationnelle, mais elle peut s’appuyer sur des arguments psychologiques, historiques, culturels ou politiques. Argument psychologique que j’ai intitulé « Le coût de la conviction ».

    https://ploum.net/le-cout-de-la-conviction/

    Le port du voile est souvent défendu par les traditionalistes comme un élément culturel et historique. Pourtant, en 1953 Nasser faisait exploser de rire son auditoire en ironisant sur l’impossibilité, n’en déplaise à une minorité, de forcer 10 millions d’Égyptiennes à porter le voile. Les photos de Téhéran dans les années 70 montrent également des femmes libérées, vêtues selon des normes modernes et se promenant en bikini au bord de la plage. Dans les années 90, je crois me souvenir qu’il était relativement rare de voir une femme voilée en Belgique, malgré plus de 30 ans d’immigration marocaine intense.

    S’il y’a bien une certitude, c’est que l’interdiction pour une musulmane de se départir de son voile ne faisait, jusqu’à un passé relativement récent, peu ou plus partie du patrimoine culturel et qu’il n’est donc clairement pas « historique ». À l’opposé, la fameuse danse du ventre, tradition égyptienne millénaire, est en passe de disparaitre du pays, illustrant l’hypocrisie de l’argument « défense de la culture et de la tradition ».

    La question qui est certainement la plus intéressante à se poser est donc : « Si ce n’est culturel, ni historique, ni rationnel, d’où vient cet engouement soudain pour le voile ? Qu’est-ce qui a fait apparaitre cette intransigeance récente qui pousse des femmes à refuser un emploi voire à attaquer l’employeur en justice plutôt que de retirer temporairement leur voile ou trouver un autre emploi ? ».

    Les réponses à cette question pourraient aller de « Les immigrées n’osaient pas ne pas le retirer et osent enfin s’affirmer » à « Il s’agit d’un effet de mode, une pression sociale ». Ne pouvant répondre par une analyse logique, je laisserai le sujet aux sociologues.

    À noter que dans un long billet très documenté, Marcel Sel propose une réponse essentiellement politique. Le port du voile ne serait pas une lutte pour les libertés individuelles, mais une volonté d’ingérence politique à peine voilée, si j’ose dire.

    http://blog.marcelsel.com/2021/06/20/oh-bro-2-en-nommant-ihsane-haouach-la-belgique-met-la-charia-avant-la-meuf/

    Le droit des femmes

    Pour les millions de femmes dans le monde victime d’une théocratie et qui mettent en péril leur intégrité pour avoir le droit… de ne pas porter le voile, le combat de quelques-unes pour avoir le droit de le porter doit sembler incroyablement absurde. Mais, dans la vie quotidienne, il me semble important de laisser de côté les considérations politiques. Quand bien même le voile serait, à large échelle, un instrument politique, la femme en face de vous est avant tout un être humain le plus souvent sincère dans ses convictions.

    Au risque d’enfoncer des portes ouvertes, j’aimerais rappeler le droit inaliénable au respect. Dans certains quartiers, des femmes se font insulter et se sentent en insécurité, car elles ne sont pas voilées. Autre part, ce sont les femmes voilées qui sont victimes d’insultes racistes voire d’agressions. Dans les deux cas, les femmes et la dignité humaine sont perdantes.

    Quelles que soient leur religion et leur origine, beaucoup de femmes connaissent une insécurité permanente pour une raison unique : une culture machiste tolérée.

    https://ploum.net/la-moitie-du-monde-qui-vit-dans-la-peur/

    C’est là où, en tant qu’homme je peux agir. En surveillant mon comportement et celui de mes condisciples, en ne riant pas aux blagues sexistes, en sermonnant un camarade aux mains un peu trop baladeuses ou aux remarques trop sonores. En respectant totalement l’humaine qui est en face de moi, qu’elle se promène nue ou voilée de pied en cap.

    Et en me gardant de faire étalage de manière inappropriée de mes convictions philosophiques. On n’a pas besoin d’être d’accord pour s’entendre et se respecter.

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander et partager mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 19 May 2021 - 12:37

    Le Titanic était réputé insubmersible. Il était composé de plusieurs compartiments étanches et pouvait flotter même si plusieurs de ces compartiments s’étaient remplis d’eau. Si le gigantesque navire avait foncé droit dans l’iceberg, il y’aurait eu un grand choc, un ou plusieurs compartiments ouverts, des dizaines de blessés suite au choc et un bateau immobilisé, mais en état de flotter. Malheureusement, une vigie a aperçu l’iceberg. Un peu trop tard. En voulant l’éviter, le navire l’a frôlé et a vu sa coque déchirée tout le long, ouvrant des voies d’eau dans chacun des compartiments étanches. Les passagers n’ont rien senti au moment même, mais la catastrophe reste emblématique plus d’un siècle plus tard.

    Que ce serait-il passé si, sur le bateau, s’était trouvé un groupe d’industriels voyageant en première classe et dont la spécialité était une hypothétique colle à réparer la coque des bateaux ? Qu’auraient répondu ces richissimes voyageurs voyant arriver à eux un commandant essoufflé et à l’uniforme débraillé, les suppliant de fournir la formule de leur produit pour sauver le navire ?

    La crise du réchauffement climatique nous le laissait présager, mais le débat sur l’ouverture des brevets sur les vaccins COVID nous en donne une réponse éclatante.

    Les riches industriels auraient simplement roulé de grands yeux en fustigeant l’idée qu’on puisse « piller leur propriété intellectuelle ». Et lorsque le commandant insistera en disant que le bateau coule, ils ricaneront en disant que ce ne sont que les 3e classes qui ont des voies d’eau. Au pire les 2e classes.

    Car l’ouverture des vaccins sur le COVID est essentielle. Sans cette ouverture et la possibilité de fabriquer leurs propres vaccins (ce qui est incroyablement simple avec les vaccins basés sur l’ARN messager), l’immense majorité des pays les plus pauvres ne verront pas une goutte de vaccin avant 2023. C’est une catastrophe pour ces populations qui, même en admettant que ce ne sont que des 3e classes, permettrait un véritable bouillon de culture d’où pourrait émerger des variants bien plus puissants et insensibles à nos vaccins actuels. Ne pas voir cela, c’est littéralement penser que les 3e classes vont couler, mais que le pont des 1res classes va continuer sa route comme par miracle.

    https://coronavirus.medium.com/manufacturing-mrna-vaccines-is-surprisingly-straightforward-despite-what-bill-gates-thinks-222cffb686ee

    Didier Pitet, l’homme qui a offert au monde la formule du gel hydroalcoolique dont l’aspect open source a été un atout indéniable dans la lutte contre cette épidémie, l’explique dans son livre « Vaincre les épidémies ». Lors de ses voyages, il a découvert des installations d’une ingéniosité extrême permettant de produire du gel hydroalcoolique dans des régions souffrant d’un grand manque d’infrastructure. Les produits manquants étaient remplacés par des équivalents disponibles tout en gardant voire en améliorant l’efficacité. Parce que, contrairement aux théories racistes qui percolent dans notre colonialisme industriel, ce n’est pas parce qu’une région a un grand déficit en infrastructure que ses habitants n’ont pas de cerveau. Malgré notre vision du monde fondée sur Tintin au Congo, li pti noir li pas complètement crétin et li fabriquer vaccins si li pas empêché par brevets de bwana blanc.

    S’il n’y avait que l’aspect humanitaire, la question d’ouverture des brevets COVID ne devrait même pas se poser. Rien que pour cela, tout personne s’opposant à l’ouverture des brevets dans le contexte actuel est un fou dangereux psychopathe.

    Mais il y’a pire : les brevets sont une vaste escroquerie mondiale qui a pris des proportions incroyables.

    Je vous ai expliqué ma propre expérience avec les brevets, expérience professionnelle durant laquelle on m’a enseigné à écrire un brevet en m’expliquant de but en blanc l’immoralité du système et la manière de l’exploiter.

    https://ploum.net/working-with-patents/

    Lors de son mandat, le parlementaire européen Christian Angstrom avait largement démontré que l’immense majorité des fonds permettant le développement d’un nouveau médicament étaient publics (de 90% à 99%). La grande majorité du travail de recherche et des travaux préliminaires nécessaires est accomplie dans les universités par des chercheurs payés par de l’argent public. L’industrie du médicament elle-même bénéficie de nombreuses subventions et d’abattements fiscaux.

    Au final, un fifrelin du coût final est issu de la firme elle-même, firme qui va obtenir un monopole sur cette recherche pendant 20 ans grâce au brevet. C’est le traditionnel credo financier « Mutualiser les risques, privatiser les profits ».

    N’oublions pas que dans l’esprit initial, le brevet est un monopole temporaire (c’était d’ailleurs le nom qu’on lui donnait à l’origine) en échange du fait qu’une invention soit rendue publique. C’est pour cela que le brevet explique l’invention : l’inventeur a 20 ans pour bénéficier de son monopole et s’engage à ce que l’invention devienne un bien public par la suite.

    Ce n’est évidemment pas du gout des industries qui ont trouvé une parade : étendre la durée des brevets en modifiant un produit ou en en sortant un nouveau juste avant l’expiration de l’ancien. Ces modifications sont le plus souvent cosmétiques.

    Pourquoi croyez-vous que les vaccins sont désormais mélangés en une seule et unique dose malgré les risques d’augmentation des effets secondaires ? Parce qu’il s’agit d’une manière simple de breveter un nouvel emballage pour des vaccins éprouvés qui, sans cela, ne coûterait littéralement plus rien. Et s’il y’a bien une chose que veut éviter l’industrie pharmaceutique, c’est que les gens soient en bonne santé pour pas cher.

    Pour résumer, l’industrie pharmaceutique vole littéralement l’argent public pour privatiser des bénéfices plantureux. Et ne peut imaginer remettre en question ses bénéfices alors que la survie de notre société est peut-être en jeu. Le fait qu’il s’agisse du vaccin COVID est d’autant plus ironique, car, depuis 14 mois, l’argent public a afflué sans restriction dans tous les laboratoires du monde. L’industrie pharmaceutique a été payée pour développer un produit garanti de trouver 8 milliards de clients et prétend aujourd’hui privatiser 100% des bénéfices. Dans le cas du vaccin AstraZeneca, l’ironie est encore plus mordante : il a été conçu de bout en bout par une équipe de scientifiques financés par l’argent public et qui souhaitait le rendre open source. La fondation Bill Gates, idéologiquement opposée à toute idée d’open source, a réussi à leur racheter la formule. Tous les scientifiques ne sont pas Didier Pitet.

    Un Didier Pitet qui affirme se faire encore régulièrement appeler « L’homme qui nous a fait perdre des milliards » par les représentants d’une industrie pharmaceutique qui ne digère toujours pas la mise open source du gel hydroalcoolique. Cela en dit long sur la mentalité du secteur. Toute possibilité de se soigner ou se protéger à moindre coût est perçue comme « de l’argent perdu ». C’est la pensée typique d’un monopole pour qui l’idée même de compétition est une intolérable agression que les amis politiques doivent bien vite juguler.

    On pourrait s’étonner que l’industrie pharmaceutique n’ouvre pas le brevet du vaccin sur le COVID juste pour redorer son blason, pour en faire une belle opération de relations publiques.

    Mais il y’a une raison pour laquelle la mise open source du vaccin AstraZeneca devait être empêchée à tout prix, une raison pour laquelle ce brevet ne peut pas, même temporairement, être ouvert.

    C’est que le monde comprendrait que ça fonctionne. Que, comme l’a démontré l’aventure du gel hydroalcoolique, ça fonctionne foutrement bien. Cela créerait un précédent. Car si on le fait pour le COVID, pourquoi ne pas le faire pour les médicaments pour le sida ? Pourquoi ne pas le faire sur l’insuline alors qu’aux États-Unis, des diabétiques meurent parce qu’ils ne peuvent simplement pas s’en acheter ? Pourquoi ne pas le faire pour…

    Vous imaginez le précédent ? Un monde où les résultats des recherches publiques sont open source ? Où les régions, même les plus pauvres, peuvent développer une indépendance sanitaire avec des chaînes logistiques locales et courtes ?

    Non, il faut que l’orchestre continue de jouer. Et tant pis pour les 3e classes. Tant pis pour les 2e classes. Tant pis pour les chaussettes des 1e classes. Le bateau est insubmersible, n’est-ce pas ?

    Les vaccins sont l’une des plus belles inventions humaines. N’en déplaise aux conspirationnistes, les vaccins sont la première cause d’augmentation de notre espérance de vie et de notre confort moderne. Je me ferai vacciner contre le COVID à la première occasion par souci de contribuer à une immunité collective (car le vaccin est un médicament altruiste, il ne fonctionne que si une majorité de gens l’utilise). Cela ne m’empêchera pas de pleurer le fait que ce progrès magnifique soit retenu en otage pour contribuer à l’une des plus grandes arnaques économique, idéologique et financière de ce siècle.

    Les antivaccins ont raison : il y’a bien un complot qui détruit notre santé et notre tissu social pour maximiser l’enrichissement d’une minorité de monopoles dirigés par des psychopathes à qui des politiciens véreux servent la soupe en se vautrant dans une fange d’immoralité hypocrite.

    Mais ce ne sont pas les vaccins eux-mêmes la base du complot, ce sont tout simplement les brevets et les monopoles industriels.

    Photo by Ivan Diaz on Unsplash

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Saturday 15 May 2021 - 17:27

    Ou les tribulations d’un auteur bibliophile qui souhaite faire du commerce local de proximité en payant en cryptomonnaies.

    Dans ce billet, je vous raconte ma vie de bibliophile, je râle un peu sur les monopoles du monde du livre, je pleure sur la disparition programmée d’un bouquiniste local, je fais la promotion d’Alternalivre, nouvelle plateforme de vente de livres peu ou mal distribués et je vous parle de Print@Home, concept futuriste du livre « téléchargé et imprimé à la maison ». À la fin du billet, vous aurez l’opportunité de commander des livres de mon éditeur pour le tiers ou la moitié du prix normal, selon le cours du Bitcoin. Qu’est-ce que le Bitcoin vient faire dans tout ça ? Mystère !

    On entend souvent qu’Amazon ou Facebook ne sont pas des monopoles, car nous ne sommes pas forcés de les utiliser. Après tout, tout le monde peut commander ailleurs que sur Amazon et supprimer son compte Facebook.

    Que ce soit clair : si nous étions forcés d’utiliser Amazon ou Facebook, ce ne seraient plus des monopoles, mais des dictatures. Un monopole n’est pas une entreprise impossible à éviter, c’est une entreprise difficile à éviter. Pourquoi ai-je publié un billet annonçant mon retrait de LinkedIn en fanfare ? Parce que cela a été pour moi un choix difficile, un réel risque professionnel. Pourquoi suis-je encore sur Facebook ? Pourquoi est-ce que je passe encore par Amazon ?

    Tout simplement parce que c’est très difficile de l’éviter. Dernièrement, voulant éviter de passer par Amazon pour commander un produit particulier, j’ai réussi à trouver un fournisseur différent. Ma commande a nécessité la création d’un énième compte à travers un formulaire bugué qui m’a imposé de changer d’adresse email d’inscription (la première comportant un caractère non toléré par ce site particulier) en cours d’inscription et qui fait que mon compte est désormais inaccessible. Toutes mes données sont dans ce énième silo que je n’utiliserai plus jamais, sans compter les inscriptions non sollicitées à des newsletters. J’ai finalement reçu mon colis sans passer par Amazon, mais à quel prix !

    Autre exemple. Grâce à la recommandation d’un lecteur, j’ai voulu acheter le livre « Le Startupisme » d’Antoine Gouritin. Sur le site de l’éditeur, les frais de livraison s’élevaient à 10€. Mais étaient gratuits sur Amazon. Pour un livre à 20€, avouez que ça fait mal de payer 10€. Qu’auriez-vous fait à ma place ? Et je ne vous parle pas des livres en anglais, introuvables partout y compris sur Amazon.fr et que je commande… sur Amazon.de (allez comprendre !).

    Amazon est donc très difficile à contourner. C’est pourquoi j’apprécie quand les sites reconnaissent que je ne vais pas les utiliser tous les jours et cherchent à me rendre l’achat le plus simple possible, notamment en n’obligeant pas à la création d’un compte (fonctionnalité à laquelle travaille mon éditeur).

    Car, dès le début du projet d’édition de Printeurs, mon éditeur et moi sommes tombés d’accord sur le fait d’éviter Amazon autant que possible. Mais, dans l’édition du livre, il n’y a pas qu’Amazon qui abuse de sa position. Un acteur invisible contrôle le marché entre les éditeurs et les libraires : le distributeur.

    Mon roman Printeurs a reçu de bonnes critiques et commence a exister sur Babelio, Senscritique et Goodreads.

    https://www.babelio.com/livres/Ploum-Printeurs/1279338?id_edition=1509012

    Je suis extrêmement reconnaissant aux lecteurs qui prennent le temps de noter mes livres ou de mettre une critique, même brève. Il semble que certains lecteurs aient découvert Printeurs grâce à vous ! J’ai néanmoins un conflit moral à vous recommander d’alimenter ces plateformes propriétaires à visée monopolistique. Cela rend certaines critiques postées sur des blogs personnels encore plus savoureuses (surtout celle-là, merci Albédo !).

    https://albdoblog.com/2021/01/20/printeurs-ploum/

    Malgré cet accueil initial favorable et de bonnes ventes dans les librairies suisses, aucun distributeur belge ou français n’a été jusqu’à présent intéressé par distribuer le catalogue de mon éditeur. Les librairies, elles, ne souhaitent pas passer directement par les éditeurs.

    Pire : être dans un catalogue de distributeur n’offre pas toujours la garantie d’être trouvable en libraire. Du moins près de chez moi.

    Dans ma ville, riante cité universitaire et pôle intellectuel majeur du pays, il n’existe que deux librairies (!), faisant toutes deux partie de grandes chaines (Fnac et Furet du Nord). Bon, il y’a aussi mon dealer de bandes dessinées devant la vitrine duquel je me prosterne tous les jours et deux bouquineries d’occasion. Enfin, bientôt plus qu’une. La plus grande des deux (et la seule qui fait également de la BD de seconde main) va en effet disparaître, l’université, à travers son organisme de gestion immobilière, ayant donné son congé au gérant. Le gérant m’a fait observer qu’en rénovant la place des Wallons (où est située la bouquinerie), les ouvriers ont installé devant chez lui des emplacements pour parasols. Il semble donc qu’il soit prévu de longue date de remplacer la bouquinerie par un commerce alimentaire. Une pétition a été mise en place pour sauver la bouquinerie.

    https://www.change.org/p/soutien-au-bouquiniste-de-lln

    Mais le gérant n’y croit plus. Il a commencé à mettre son stock en caisse, les larmes plein les yeux, ne sachant pas encore où aller ni que faire, espérant revenir. Deux librairies et bientôt une seule et minuscule bouquinerie pour toute une cité universitaire. Mais plusieurs dizaines de magasins de loques hors de prix cousues dans des caves par des enfants asiatiques. Heureusement qu’il reste mon temple bédéphile, mais je commence à m’en méfier : les vendeurs m’y appellent désormais par mon nom avec obséquiosité, déroulent un tapis rouge à mon arrivée dans la boutique, m’offrent boissons et mignardises en me vantant les dernières nouveautés et en me félicitant de mes choix. Lorsqu’un vendeur débutant ne me reconnait pas, l’autre lui montre sur l’écran ma carte de fidélité ce qui entraine un mouvement machinal de la main et un sifflement. Je ne sais pas trop comment interpréter ces signes…

    Mais trêve de digression sentimentalo-locale, abandonnons les moutons de l’Esplanade (le centre commercial climatisé du cru qui tond lesdits ovins pour remplacer leur laine par les loques suscitées) pour revenir aux nôtres.

    Souhaitant acquérir le roman Ecce Homo de l’autrice Ingid Aubry, j’ai découvert qu’il était affiché sur le site du Furet du Nord. Je me suis donc rendu dans l’enseigne de ma ville et j’ai demandé à une libraire de faction de le commander. Malgré son empressement sincère, elle n’a jamais trouvé le livre dans ses bases de données. Déjà, le fait qu’elle ait dû regarder dans pas moins de trois bases de données différentes (avec des interfaces très disparates) m’a semblé absurde. Mais le résultat a été sans appel : le livre, pourtant référencé sur le site de la librairie, était incommandable. (livre pourtant distribué par le plus grand distributeur en francophonie, Hachette, quasi-monopole).

    https://ingridaubry.be/

    Ingrid a finalement fini par m’envoyer le livre par la poste. Son mari Jean-François m’a révélé qu’ils avaient tenté de créer, à deux reprises, une boutique Amazon pour vendre son livre en ligne à moindre prix (il est en effet disponible sur Amazon, mais avec des frais de livraison de… 40€ !). À chaque fois, leur compte a été suspendu. La raison ? Ils vendaient un livre déjà listé sur Amazon. Le livre d’Ingrid est donc littéralement impossible à acheter à un prix décent !

    Ingrid et son mari ont pris le problème à bras le corps et lancé leur propre plateforme de vente de livres. Une plateforme dédiée aux livres peu ou mal diffusés. Alternalivre.

    https://alternalivre.be/

    Je loue cette initiative en cruel manque de visibilité, étant coincé entre Fnac, Furet du Nord et Amazon pour assouvir ma bibliophilie compulsive (et je déteste acheter mes livres au milieu des tout nouveaux téléviseurs en promotion, ce qui exclut la Fnac). Mon éditeur s’est empressé de rendre Printeurs et toute la collection Ludomire disponible sur Alternalivre (ce qui devrait diminuer les frais d’expédition pour les Français et les Belges). Vous y trouverez également mon livre pour enfant, « Les aventures d’Aristide, le lapin cosmonaute ». Tout en espérant être un jour disponible au Furet du Nord (parce que, de mon expérience, les libraires y sont sympas, compétents et cultivés) voir, honneur suprême, chez Slumberland (qui fait aussi dans le roman de genre, mais je travaille à des scénarios de BD rien que pour être dans leurs rayons).

    https://shop.alternalivre.be/fr/romans/printeurs

    https://shop.alternalivre.be/fr/jeunesse/les-aventures-daristide-le-lapin-cosmonaute

    Écrire un livre et le faire éditer et convaincre les lecteurs de l’acheter n’est donc pas tout. Encore faut-il que ce soit possible pour les lecteurs de l’acquérir. Dans Printeurs, je poussais à l’extrême le concept d’impression 3D jusqu’à inclure les êtres vivants. En 2012, Jaron Lanier imaginait l’impression locale des smartphones et autres gadgets dans son livre « Who owns the future? ». Pourrais-ton l’imaginer pour les livres, floutant de plus en plus la limite entre le livre électronique et le livre papier ?

    Oui, m’a répondu mon éditeur en reposant le manuscrit de Printeurs. Et on va l’inventer. Ce sera le Print@home, un concept financé par les contributeurs de la campagne Ulule Printeurs.

    Voici donc la première plateforme dédiée aux livres imprimables artisanalement. Cela ne vaut peut-être pas (encore?) une impression professionnelle, mais le concept peut ouvrir la voie à une nouvelle façon de diffuser les livres.

    https://printathome.cc/

    Et le tout, à prix libre bien sûr ! Les livres imprimables étant tous sous publiés sous une licence Creative Commons.

    Pour financer cette plateforme, mon éditeur a lancé une campagne de crowdfunding pour le moins originale, car totalement décentralisée. Au lieu de tourner sur le gigantesque serveur d’un acteur quasi monopolistique (comme Ulule), la campagne tourne sur un raspberry dans son bureau. Et au lieu de payer avec des monnaies centralisées, les paiements se font en bitcoins.

    http://crowdfund.printathome.cc/

    Là où ça devient intéressant pour vous, amis lecteurs, c’est que les tarifs en bitcoin sont calculés en faisant l’hypothèse qu’un bitcoin vaut 100.000€. Cela signifie que si le bitcoin est inférieur et vaut, par exemple, 40.000€, vous ne payez que 40% du prix réel des livres commandés. Et cela, y compris pour les livres papier !

    Si vous avez quelques centimes de bitcoins et que vous hésitiez à acheter une version papier de Printeurs, des exemplaires à offrir ou la collection complète Ludomire, c’est le moment !

    Tout cela sent bon le bricolage et l’expérimentation. Il y’aura des erreurs, des apprentissages. De cette imprécision typiquement humaine dont nous nous sentons inconsciemment privés par les algorithmes perfectionnés des monopoles centralisés. Bonne découverte !

    Photo by César Viteri on Unsplash

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Friday 30 April 2021 - 10:37

    Il est assez rare qu’un livre bouleverse votre représentation du monde. Ou mieux, qu’il éclaire votre compréhension dudit monde en reliant sous un modèle unique parfaitement théorisé toute une série d’intuitions que vous aviez dans des domaines forts différents.

    C’est exactement l’effet qu’a eu sur moi le livre Monopolized, de David Dayen, malheureusement pas encore traduit en français et que je n’ai pas réussi à obtenir à un prix décent en Europe (je me suis rabattu sur la version électronique pirate, la faute aux monopoles du livre).

    https://thenewpress.com/books/monopolized

    L’idée de David Dayen est de nous démontrer que la puissance économique (et donc politique) est de plus en plus concentrée dans un nombre de plus en plus restreint de mains au travers des monopoles et autres oligopoles, de nous expliquer pourquoi, historiquement et économiquement il en est ainsi, pourquoi c’est une mauvaise chose pour tous ceux qui ne sont pas à la tête d’un monopole et en quoi c’est une tendance « mécanique » : la monopolisation dans un domaine entraine l’apparition de monopoles dans les domaines connexes, ce qui fait boule de neige. Pour finir, David Dayen émet la thèse que seule la régulation politique peut enrayer les abus des monopoles (ce qu’elle faisait d’ailleurs à peu près bien jusque dans les années huitante).

    Ceux d’entre vous qui suivent ce blog connaissent mon intérêt pour les problématiques liées aux monopoles de haute technologie (Google, Facebook, Microsoft, etc.). Ma fascination pour Monopolized vient du fait que j’ai compris que mon combat se dirigeait contre une simple conséquence anecdotique d’un paradigme beaucoup plus large : la monopolisation.

    D’ailleurs, entre nous, pourquoi êtes-vous si nombreux à avoir l’intuition que « la financiarisation » de l’économie est une mauvaise chose alors qu’en soit, la finance voire même le trading ne sont que des échanges économiques entre adultes consentants ? À cause de la monopolisation de cette finance.

    Pourquoi y’a-t-il une telle défiance envers l’industrie pharmaceutique entrainant des comportements absurdes comme le refus de la vaccination ? À cause de la monopolisation.

    Pourquoi, quand je m’arrête dans une supérette ou une pompe à essence pour acheter un en-cas n’ai-je le choix qu’entre des dizaines de variations du même mauvais chocolat enrobé de mauvais sucre ? La monopolisation.

    La monopolisation jusque dans l’art. La planète écoute désormais une vingtaine de musiciens surpayés alors que des millions d’autres tout aussi talentueux ne gagnent pas un sous, tout bénéfice pour les producteurs.

    La tentation du monopole

    De tout temps, le monopole s’est imposé comme le meilleur moyen de générer des fortunes pharaoniques. Lorsque vous disposez d’un monopole pour un produit quelconque, vous bénéficiez d’une rente immuable tant que ce produit sera consommé. Et comment s’assurer que le produit restera consommé ? Tout simplement en rachetant les jeunes entreprises qui développent des alternatives ou, mieux, qui pourraient être en mesure de le faire.

    Un monopole peut augmenter les prix d’un produit à volonté pour maximiser ses rentes. Mais ce serait maladroit, car cela augmenterait d’autant les incitants économiques pour créer de la compétition. Il est donc préférable pour un monopole de garder le prix le plus bas possible pour empêcher toute compétition. Comment faire de la concurrence à Google ou Facebook alors que, pour l’utilisateur final, le produit semble gratuit ?

    Au lieu d’augmenter ses tarifs, un monopole va chercher à diminuer ses coûts. Premièrement en exploitant ses fournisseurs qui, généralement, n’ont pas le choix, car pas d’autres clients potentiels. C’est le monopsone, l’inverse du monopole : un marché avec un seul acheteur et beaucoup de vendeurs. Grâce à cet état de fait, le monopole peut augmenter ses marges tout en gardant les mains propres. Le sale travail d’exploitation des travailleurs est transféré à des fournisseurs voire aux travailleurs eux-mêmes, considérés comme indépendants. C’est le phénomène de « chickenization » bien connu aux États-Unis où les éleveurs de poulets sont obligés de suivre des règles très strictes d’élevage, d’acheter leurs graines et d’utiliser le matériel fourni par… leur seul et unique acheteur qui peut fixer le prix d’achat du poulet. Les éleveurs de poulets sont, pour la plupart, endettés auprès de leur propre client qui peut refuser d’acheter les poulets et les ruiner complètement, mais qui se garde bien de le faire, leur laissant juste de quoi avoir l’espoir d’un jour en sortir. Dans « Planètes à gogos » et sa suite, Frederik Pohl et Cyril Kornbluth nous mettaient en garde contre ce genre d’abus à travers une superbe scène où le personnage principal, ex-publicitaire à succès, se retrouve à travailler sur Vénus pour un salaire qui ne lui permet juste pas de payer son logement et sa nourriture fournie par son employeur monopolistique.

    Enfin, le dernier facteur permettant à un monopole de faire du profit, c’est de réduire toute innovation voire même d’activement dégrader la qualité de ses produits. Un phénomène particulièrement bien connu des habitants des zones rurales aux États-Unis où la connexion Internet est de très mauvaise qualité et très chère. Preuve s’il en est qu’il s’agit d’une réelle volonté, des villes ont décidé de mettre en place des programmes municipaux d’installation de fibre optique. Il en résulte… des attaques en justice de la part des fournisseurs d’accès Internet traditionnel pour « concurrence déloyale ».

    La morbidité des monopoles

    Depuis des siècles, la nocivité des monopoles est bien connue et c’est même l’un des rôles premiers des états, quels que soient la tendance politique : casser les monopoles (les fameuses lois antitrust), mettre hors-la-loi les accords entre entreprises pour perturber un marché ou, si nécessaire, mettre le monopole sous la coupe de l’état, le rendre public. Parfois, l’état peut accorder un monopole temporaire et pour un domaine très restreint à un acteur particulier. Cela pouvait être une forme de récompense, une manière de donner du pouvoir à un vassal ou à l’encourager. Les brevets et le copyright sont des monopoles temporaires de ce type.

    Mais, en 1980, Robert Bork, conseiller du président Reagan, va émettre l’idée que les monopoles sont, tout compte fait, une bonne chose sauf s’ils font monter les prix. À partir de cet instant, l’idée va faire son chemin parmi les gens de pouvoir qui réalisent qu’ils sont des bénéficiaires des fameux monopoles. Mais comme je l’ai expliqué ci-dessus, un monopole résulte rarement en une augmentation franche et directe du prix. Pire, il est impossible de prévoir. En conséquence de quoi, les administrations américaines vont devenir de plus en plus souples avec les fusions et les acquisitions.

    Si IBM et AT&T sont cassés en plein élan dans les années 80, si Microsoft doit mollement se défendre dans les années 90, Google et Facebook auront un boulevard à partir des années 2000, boulevard ouvert par le fait que les acteurs du passé ont encore peur des lois antitrust et que les acteurs du futur ne peuvent plus émerger face à la toute-puissance de ce qu’on appelle désormais les GAFAM, ces entreprises qui ont saisi la fenêtre d’opportunité parfaite. Une dominance entérinée de manière officielle quand, après les attentats du 11 septembre 2001, l’administration américaine stoppe toute procédure visant à interdire à Google d’exploiter les données de ses utilisateurs, procédure annulée en échange d’une promesse, tenue, que Google aidera désormais la défense à détecter les terroristes grâce aux données susnommées (anecdote racontée dans The Age of Surveillance Capitalism, de Shoshana Zuboff).

    Fusion, acquisition

    Le laxisme face aux monopoles donne le signal d’une course à l’ultra-monopolisation. Pour survivre dans une économie de mastodontes, il n’est d’autre choix que de devenir un mastodonte soi-même. En fusionnant ou en rachetant de plus petits concurrents, on détruit la compétition et on diminue les coûts de production, augmentant de ce fait les bénéfices et construisant autour de son business ce que Warren Buffet appelle une « douve protectrice » qui empêche toute concurrence. Warren Buffet n’a jamais fait un mystère que sa stratégie d’investissement est justement de favoriser les monopoles. Mieux : il en a fait une idéologie positive. Pour devenir riche, à défaut de construire un monopole à partir de rien (ce que bien peu pourront faire après Mark Zuckerberg et Jeff Bezos), investissez dans ce qui pourrait devenir un monopole !

    Il faut dire que le business des fusions/acquisitions est particulièrement juteux. Les transactions se chiffrent rapidement en milliards et les cabinets de consultance qui préparent ces fusions sont payés au prorata, en sus des frais administratifs.

    Alors jeune ingénieur en passe d’être diplômé, j’ai participé à une soirée de recrutement d’un de ces prestigieux cabinets (un des « Big Three »). Sur la scène, une ingénieure de quelques années mon aînée, décrivait le cas sur lequel elle avait travaillé, sans donner les noms. Les chiffres s’alignaient explicitement avec, dans la colonne « bénéfices », le nombre d’employés que la fusion permettrait de licencier avec peu ou prou d’indemnités, le nombre de sites à fermer, les opportunités de délocalisation pour échapper à certaines régulations financières ou écologiques.

    J’ai levé la main et j’ai demandé, naïvement, ce qu’il en était des aspects éthiques. L’oratrice m’a répondu avec assurance que l’éthique était très importante, qu’il y avait une charte. J’ai demandé un exemple concret de la manière dont la charte éthique était appliquée au projet décrit. Elle me répondit que, par exemple, la charte impliquait que l’intérêt du client passait avant toute chose, ce qui impliquait le respect de la confidentialité et l’interdiction pour un employé du cabinet d’être en contact avec les employés du cabinet qui représentaient l’autre côté du deal.

    J’ai été surpris d’une telle naïveté et, surtout, de la non-réponse à ma question. Après la conférence, je suis allé la trouver durant le cocktail dinatoire traditionnel. Un verre à la main, j’ai insisté. Elle ne comprenait pas de quoi je voulais parler. J’ai explicité ce que j’entendais par éthique : l’impact de cette fusion sur les travailleurs, sur les conditions économiques, sur l’aspect écologique global. L’éthique quoi !

    La brave ingénieure, qui nous avait été présentée comme ayant obtenu le grade le plus élevé à la fin de ses études (le cabinet ne recrutant que parmi les meilleures notes et les doctorats, je n’avais d’ailleurs aucune chance), est devenue blanche. Elle m’a regardé la bouche ouverte et a fini par balbutier qu’elle n’avait jamais pensé à cela.

    Il faut bien avouer que, face à un tel pactole, il est tentant de ne voir que des colonnes de chiffres. En théorie, les cabinets spécialistes des fusions/acquisitions sont censés déconseiller les fusions qui ne seraient pas vraiment intéressantes. Mais, sans fusion, pas de pourcentage. Aucun cabinet ne va donc déconseiller ce type d’opération. C’est également particulièrement intéressant pour les individus hautement impliqués. Wikipedia raconte que, entre 2009 et 2013, un jeune banquier d’affaire de la banque Rothschild va gagner plus de deux millions d’euros en travaillant sur des fusions et des rachats controversés. Il faut avouer que, selon ses supérieurs, il est extrêmement doué pour ce métier et pourrait devenir l’un des meilleurs de France. Il va cependant choisir une autre voie, profitant des appuis importants de ce milieu. Son nom ? Emmanuel Macron.

    La quête de rendement et la métamorphose du métier d’entrepreneur.

    Historiquement, un entrepreneur est une personne qui cherche à créer un business. Plutôt que de travailler pour un patron, l’entrepreneur va travailleur pour des clients. Les entrepreneurs à succès pouvaient espérer gagner très bien leur vie, une société florissante pouvant se permettre de payer un très haut salaire à son patron fondateur. Il n’en reste pas moins qu’il s’agissait d’un salaire lié à un travail. Pour les investisseurs, une entreprise pouvait également verser des dividendes.

    Cependant, la quête de rendement élevé a, ironiquement, entrainé la chute des dividendes. À quoi bon gagner quelques pour cent par an sur une somme immobilisée et donc totalement illiquide, ne permettant pas de bénéficier d’autres opportunités ? La plupart des entreprises actuelles ne versent d’ailleurs que peu ou prou de dividendes. Achetez pour 1000€ d’actions et, à la fin de l’année, vous seriez chanceux d’avoir plus de 10€ de dividendes.

    Pour un investisseur qui parie sur une jeune entreprise, il n’existe que deux façons de faire du profit et récupérer sa mise (ce qu’on appelle un « exit »). Premièrement si cette entreprise est cotée en bourse, ce qui est extrêmement rare et prend beaucoup de temps ou, et c’est la voie préférée, en voyant cette entreprise rachetée.

    C’est également tout bénéfice pour les fondateurs qui au lieu de travailler toute leur vie sur un projet espèrent désormais gagner un pactole après quelques années seulement (et beaucoup de chance). J’ai vu et encadré suffisamment de startups et de levées de fonds dans ma vie professionnelle pour comprendre que le but d’une startup, désormais, n’est plus de faire un produit, mais d’être rachetée. Pas de vendre mais d’être vendu. Les modalités potentielles d’exit sont discutées avant même les premières lignes de code ou le premier client. De cette manière, toute l’énergie entrepreneuriale est dirigée vers un seul et unique objectif : faire croître les géants.

    Ces échanges sont facilités par le fait que les investisseurs, les fameux Venture Capitalists, ont généralement des liens étroits avec les actionnaires de ces fameux géants qui rachètent. Dans certains cas, ce sont tout simplement les mêmes personnes. Pour faire simple, si je fais partie du board de Facebook, je vais donner un million à de jeunes entrepreneurs en les conseillant sur la meilleure manière de développer un produit que Facebook voudra racheter puis je m’arrange pour que le-dit Facebook rachète la boîte à un tarif qui valorise mes parts à 10 millions. Un simple trafic d’influence qui me rapporte 9 millions. Si la startup n’a pas développé de produit, ce n’est pas grave, on parlera alors d’acqui-hire (on rachète une équipe, une expertise et on tue le produit).

    C’est également tout bénéfice pour Facebook qui tue de cette manière toute concurrence dans l’œuf et qui augmente ses effectifs pour une bouchée de pain. Voire même qui optimise fiscalement certains bénéfices de cette manière.

    Ce procédé est tellement efficace qu’il s’est industrialisé sous forme de fonds. Les investisseurs, au lieu de mettre 1 million dans une jeune startup, créent un fonds de manière à mettre 100 millions dans 100 startups. Les 100 millions sont fournis par les riches qui sont en dehors de toutes ces histoires et qui sont du coup taxés avec des frais de gestion et un pourcentage sur les bénéfices (typiquement, 2 ou 3% du capital par an plus entre 20 et 30% des bénéfices reviennent au gestionnaire du fonds. Ce qui reste intéressant : si un gestionnaire transforme votre million en 10  millions, vous pouvez lui donner 3 millions, vous n’en aurez pas moins gagné 6 millions. Une fameuse somme !).

    Les fonds de type Private Equity fonctionnent sur le même principe. Les gestionnaires investissent dans diverses entreprises durant 2 ou 3 ans puis se donnent 6 ou 7 ans pour réaliser des exits. L’argent est bloqué pour 10 ans, mais avec la promesse d’avoir été multiplié par 5 au bout de cette période (ce qui fait du 20% par an !).

    Comment garantir les exits ? Premièrement grâce à des lobbies auprès des géants du secteur susceptibles d’acheter les petites boîtes. En dernier recours, il restera au gestionnaire du fonds la possibilité de créer un nouveau fonds pour racheter les invendus du premier. Cette opération fera du premier fond un réel succès, asseyant la réputation du gestionnaire et lui permettant de lever encore plus d’argent dans son nouveau fonds.

    Le paradoxe du choix

    Cette concentration est pourtant rarement perceptible lorsque nous allons faire nos courses. Et pour cause ? Les monopoles ne sont pas bêtes et proposent « de la diversité pour satisfaire tous les consommateurs ». Que vous achetiez des M&Ms, des Maltesers, un Mars, un Milky Way, un Snickers, un Twix, un Bounty, un Balisto ou bien d’autres, seul l’emballage change. Il s’agit des mêmes produits fabriqués dans les mêmes usines.

    Du riz Uncle Ben’s, de l’Ebly, des pâtes Miracoli ou Suzi Wan ? Pareil.

    Et pour les animaux ? Pedigree, Cesar, Whiskas, Royal Canin, Sheba, Kitekat, Canigou, Frolic ? Pareil.

    Passez dans le rayon chewing-gum, toutes les marques sont par le même fournisseur.

    D’ailleurs, je n’ai pas choisi ces exemples au hasard. Le fournisseur en question est identique pour toutes les marques que je viens de citer : Mars.

    Rendez-vous dans votre supermarché et supprimez les produits Mars, Nestlé et Unilever. Il ne restera plus grand-chose à part quelques produits Kraft, Danone ou Pepsico. Vos magasins bio ne sont pas en reste. Certaines marques bio appartiennent aux même grands groupes, d’autres sont en pleine consolidation, car le marché est encore jeune.

    L’exemple de la nourriture est frappant, mais il en est de même dans tous les secteurs lorsqu’on gratte un peu : automobile, hôtellerie, vêtements, voyages, compléments alimentaires naturels et bio… Grâce aux « alliances », il n’existe en réalité plus qu’une poignée de compagnie aérienne en Europe.

    Lutter contre les monopoles.

    Les monopoles, par leur essence même, sont difficilement évitables. Nous consommons monopoles, nous travaillons pour un monopole ou ses sous-traitants, renforçant chaque jour leur pouvoir.

    Intuitivement, nous percevons le danger. Dans un billet précédent, je vous parlais de l’intuition à l’origine des théories du complot. Si l’on applique le filtre « monopole » à ces théories du complot, la révélation est saisissante.

    https://ploum.net/et-si-les-conspirationnistes-avaient-raison/

    Le monopole de l’industrie pharmaceutique conduit à des problématiques importantes (lobby pour la non-mise en open source du vaccin contre le Covid, fourniture des vaccins mélangés dans des ampoules pour diminuer les coûts même au prix d’une baisse d’efficacité et d’une augmentation des effets secondaires, augmentation des tarifs et lobby pour des brevets absurdes) qui entrainent une méfiance envers le principe même d’un vaccin, surtout développé en un an alors que les entreprises ont toujours dit qu’il fallait des années (afin d’allonger la durée de vie des brevets et créer des pénuries sur le marché).

    Le contrôle total des monopoles du web sur nos données entraine une méfiance envers les ondes qui transmettent lesdites données voire même, dans une succulente fusion avec le monopole précédent, la crainte que les vaccins contiennent des puces 5G pour nous espionner (mais n’empêche cependant personne d’installer des espions comme Alexa ou Google Home dans sa propre maison).

    Le sentiment profond d’une inégalité croissante, d’une financiarisation nocive, d’une exploitation sans vergogne de la planète et des humains qui s’y trouvent, tout cela est créé ou exacerbé par la prise de pouvoir des monopoles qui n’hésitent pas à racheter des entreprises florissantes avant de les pousser à la faillite afin de liquider tous les avoirs (bâtiments, machines, stocks). Une technique qui permet de supprimer la concurrence tout en faisant du profit au prix de la disparition de certaines enseignes de proximité dans les régions les plus rurales (sans parler du désastre économique des pertes d’emploi massives brutales dans ces mêmes régions).

    Heureusement, la prise de conscience est en train de se faire. De plus en plus de scientifiques se penchent sur le sujet. Un consensus semble se développer : il faut une réelle volonté politique de démanteler les monopoles. Volonté difficile à l’heure où les politiciens ont plutôt tendance à se prosterner devant les grands patrons en échange de la promesse de créer quelques emplois et, dans certains cas, la promesse d’un poste dans un conseil d’administration une fois l’heure de la retraite politique sonnée. S’il y a quelques années, un chef d’entreprise était tout fier de poser pour une photo serrant la main à un chef d’État, aujourd’hui, c’est bel et bien le contraire. La fierté brille dans les yeux des chefs d’État et des ministres.

    Si l’Europe cherche à imiter à tout prix son grand frère américain, les Chinois semblent avoir bien compris la problématique. Un géant comme Alibaba reste sous le contrôle intimidant de l’état qui l’empêche, lorsque c’est nécessaire, de prendre trop d’ampleur. La disparition, pendant plusieurs mois, de Jack Ma a bien fait comprendre qu’en Chine, être milliardaire ne suffit pas pour être intouchable. Ce qui ne rend pas le modèle chinois désirable pour autant…

    Un autre consensus se dessine également : l’idéologie promue par Robert Bork sous Reagan est d’une nocivité extrême pour la planète, pour l’économie et pour les humains. Même pour les plus riches qui sont pris dans une course frénétique à la croissance de peur d’être un peu moins riches demain et qui savent bien, au fond d’eux-mêmes, que cela ne durera pas éternellement. Cette idéologie est également nocive pour tous les tenants d’une économie de marché libérale : les monopoles détruisent littéralement l’économie de marché ! Le capitalisme reaganien a apporté aux Américains ce qu’ils craignaient du communisme : de la pénurie et de la piètre qualité fournie par des monopoles qui exploitent une main-d’œuvre qui tente de survivre.

    Avant de lutter, avant même d’avoir des opinions sur des sujets aussi variés que la vie privée sur le web, la finance, la politique ou la malbouffe, il est important de comprendre de quoi on parle. À  ce titre, Monopolized de David Dayen est une lecture édifiante. Certainement trop centré sur les États-Unis d’Amérique (mais qui déteignent sur l’Europe), écrit « à l’américaine » avec force anecdotes et certaines généralités questionnables (par exemple le chapitre sur les Private Equity), le livre n’en reste pas moins une somme parfaitement documentée et argumentée, bourrée de références et de repères bibliographiques.

    Ce qui est intéressant également, c’est de constater que notre vision de la politique a été transformée avec, à droite, les tenants de monopoles privés et, à gauche, les tenants de monopoles appartenant à l’état. Une ambiguïté sur laquelle Macron, fort de son expérience, a parfaitement su jouer en proposant un seul et unique parti monopolistique n’ayant que pour seul adversaire le populisme absurde.

    Lorsque vous êtes témoin d’une injustice, posez-vous la question : ne s’agit-il pas d’un monopole à l’œuvre ? Et si le futur passait par la désintégration pure et simple des monopoles ? Depuis les plus petits et les plus éphémères comme les brevets et le copyright, transformé en arme de censure massive, jusqu’aux géants bien connus.

    Photo by Joshua Hoehne on Unsplash

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Tuesday 13 April 2021 - 15:01

    Hier, j’ai enfin supprimé mon compte Linkedin. Ce compte me narguait depuis 2006 par son inutilité et son impact sur ma boîte mail. Ce compte que je voulais supprimer depuis des années, mais que je gardais, acceptant son coût de maintenance, dans la crainte qu’il me soit un jour utile.

    La goutte d’eau a été de découvrir que j’avais été abonné à des newsletters par des gens que j’avais acceptés dans mon réseau (j’accepte tout le monde, comme ça je ne me pose pas de questions) et qui avait utilisé des services externes permettant d’exporter les adresses email de ses contacts Linkedin.

    Mais le vase était déjà plein depuis bien longtemps. En presque 15 années d’utilisation et des milliers de mails dans ma boîte, je n’ai pas trace d’un seul contact utile, d’une seule opportunité qui m’a été permise par Linkedin. Ah si ! Un lecteur de mon roman Printeurs m’a dit, connaissant mon amour pour ce réseau, que c’est par Linkedin qu’il a appris la parution du livre. Que Linkedin m’a donc apporté un lecteur.

    Pourtant, j’y ai mis du mien. Jeune et naïf, j’avais tenté de n’accepter dans mon réseau que des personnes que je connaissais suffisamment pour les recommander. Aux requêtes inconnues, j’opposais un refus poli. Je me suis pris plusieurs bordées de bois vert raillant ma jeunesse et mon incompréhension de l’open-networking. Je me suis alors adapté en acceptant toutes les requêtes, sans exception.

    Durant quelques mois, j’ai poussé l’expérience (ou le vice, c’est selon) jusqu’à accepter toutes les propositions qui m’arrivaient par message, disant oui que j’étais intéressé. Du moins à celles qui ne me demandaient pas de payer pour un service, mais qui proposaient de m’employer ou de me faire rejoindre des projets.

    Dans l’immense majorité des cas, je n’ai eu aucune nouvelle suite à mon acceptation. Dans certains cas, la conversation s’est poursuivie jusqu’à ce qu’on oublie de me répondre. J’étais d’accord sur tout, j’affirmais mon désir d’aller plus loin. Rien n’y a fait. J’ai même accepté d’aller donner une formation informatique en Éthiopie, je me suis retrouvé dans une discussion à 3 avec le responsable. J’ai dit oui, j’ai relancé plusieurs fois et mes derniers mails sont restés lettre morte.

    J’ai ensuite décidé d’appliquer ma stratégie « email only ». Elle consiste à répondre un message standard lorsqu’on me contacte par une messagerie quelconque : « Hello, je ne consulte pas cette messagerie. Merci de me contacter par mail pour ce sujet. Voici mon adresse ». Ma page Facebook dispose d’ailleurs d’un répondeur qui le fait automatiquement et se fait régulièrement insulter.

    L’idée étant que si la personne ne prend pas le temps de m’envoyer un véritable mail, c’est que ce n’est pas vraiment important, qu’elle n’attend pas vraiment une réponse.

    Et bien le constat est sans attente. Je peux compter sur les doigts d’une main ceux qui m’ont effectivement envoyé un mail. Dans tous les cas, c’étaient des gens que je connaissais hors Linkedin et qui disposaient probablement de mes coordonnées.

    J’ai découvert que, parfois, des connaissances me contactaient par Linkedin et que je ne voyais le message que bien plus tard. Paradoxalement, les réseaux me rendent moins facilement joignable.

    https://ploum.net/facebook-ma-rendu-injoignable/

    Du coup, j’ai pris le réflexe d’aller vérifier Linkedin quelques fois par mois. Et donc de subir les notifications, les demandes de connexions. Bref, de me faire aspirer par la machine à attention que les fabricants de réseaux sociaux construisent désormais si efficacement.

    J’ai parfois l’impression d’être désorganisé, de lancer des tas de projets avant de les abandonner. Je crois que, sur Linkedin, les gens sont pires que moi. La quantité des relations a remplacé la qualité. Les recruteurs, les marketeux, les aspirants entrepreneurs sont comme des enfants dans un magasin de jouets. Ils veulent tout, ils remplissent leur caddie avec gourmandise avant de passer à autre chose sans rien déballer.

    Linkedin a toujours été pour moi un réseau de mendiants. Mendiants pour un job (pardon « Looking for new opportunities » ou « Ready for the next challenge »), mendiants pour des clients sous toutes les formes, mendiants pour de la visibilité « professionnelle ». Les marketeux trouvent leur compte, car ils peuvent envoyer des messages à X contacts, récolter des adresses email et dire que leur journée est faite. Les recruteurs se contentent de faire des recherches par mot clé et d’utiliser des moulinettes automatisées. Le fait que j’aie fait 6 mois de J2EE en 2006 semble toujours faire de moi « le profil idéal pour un client important ». Pour le reste, tout le monde espère que passer sa journée sur Linkedin va miraculeusement se transformer en espèce sonnante et trébuchante.

    Malgré tout cela, je suis resté toutes ces années. Parce que j’avais l’impression que « ça pourrait ptêtre servir un jour ». Parce que c’est dur d’accepter que le bilan soit tellement nul après autant d’années. Parce que je pensais que « c’est dommage d’abandonner un réseau patiemment constitué » (tu parles, quelques milliers de clics pour accepter des demandes souvent aléatoires).

    Mais je ne pouvais plus supporter cet enjouement corporate forcé, ces messages de félicitations semi-automatiques pour fêter mes trois ans dans un job que j’ai quitté il y a 2 ans et demi en oubliant de mettre mon profil à jour (envoyés par d’illustres inconnus ou des gens avec qui j’ai partagé un bureau pendant 3 semaines il y a 10 ans), cette timeline remplie d’adjectifs dithyrambiques pour se congratuler l’un l’autre de ce qui n’est qu’une énième tentative de transformer un spreasheet d’emails en clients débités tous les mois ou de vendre un concept intellectuellement rachitique en journée de formation pour booster la performance de votre équipe.

    Linkedin étant pour moi un réseau de mendiants, tout ce que j’y voyais était à vendre. Y compris mes données, mon adresse email, mon temps. J’ai décidé de me retirer, avec mes données, du marché. Je ne suis plus sur Linkedin.

    Si vous me suiviez là-bas, il suffit de vous abonner à ce blog. Votre adresse mail ne sera visible que par moi, ne sera pas utilisée pour autre chose qu’envoyer mes billets et ne sera jamais partagée. Le tout, sans passer par l’intermédiaire de Microsoft (propriétaire de Linkedin). Je pense que le ratio qualité de l’information par rapport au temps passé et nombre de mails reçus est bien plus avantageux en vous abonnant à ce blog qu’en allant sur Linkedin. Si nous perdons contact suite à mon départ de Linkedin, c’est peut-être que nous n’étions tout simplement pas en contacts en premier lieu. Nous en avions seulement l’illusion, comme souvent dans l’univers des réseaux sociaux. L’illusion d’être aimé (Facebook), l’illusion d’avoir des amis (Facebook), l’illusion d’être écouté (Twitter), l’illusion d’avoir une vie cool (Instagram), l’illusion d’être professionnellement important et bien connecté (Linkedin). D’ailleurs, sans ce billet, il est probable que personne n’aurait remarqué mon absence. Sur les réseaux sociaux, les absents sont rapidement emporté par le flux, la brêve et illusoire gloriole qu’ils avaient construite se diluant instantanément dans l’immédiateté de l’oubli. Le lit de la rivière ne conserve pas la trace du caillou que vous venez de retirer.

    Une situation n’est pas l’autre. Linkedin est peut-être utile, voire indispensable pour votre activité. L’important étant, comme le souligne Cal Newport dans son excellent Digital Minimalism, de bien peser le coût réel par rapport aux bénéfices réels (et non pas ceux supposés) et de faire ses propres choix en conscience.

    Dans ma situation, chaque source de distraction supprimée est un livre de plus lu à la fin de l’année. Donc acte. Je quitte le grand réseau bleu, je retire ma cravate, mes chaussures corporate et me replonge dans mes lectures.

    Photo by Jonathan Kho on Unsplash

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

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  • Friday 26 February 2021 - 13:42

    À la mémoire de Gilberte De Windt, décédée en février 2021

    Fin février 2020, je décidai, sur un coup de tête, d’appeler un numéro trouvé dans l’annuaire. Celui de la sculptrice Gilberte De Windt.

    Mon épouse et moi l’avions rencontrée lors de ses expositions. Nous étions tombés amoureux de ses statues comme de sa personnalité. Cette vieille dame au corps frêle, mais à l’esprit incroyablement agile nous avait charmés par la finesse de son art. Nous avions sympathisé et beaucoup discuté.

    Au téléphone, de but en blanc, je lui annonçai que nous souhaitions acquérir une de ses œuvres. Avec une incroyable gentillesse, elle nous invita à venir visiter son atelier.

    Nous passâmes une après-midi passionnante en compagnie de son mari, Guy Berbé, artiste peintre de renom. Alors que mon épouse discutait peinture avec Guy, dans son incroyable atelier, je parlais inspiration, méditation et création avec Gilberte. Par le plus grand des hasards, nous étions tous deux en train de lire le même livre de Steven Laureys, « La méditation, c’est bon pour le cerveau ». Curieux, je tentais de m’inspirer des techniques de Gilberte pour apprendre à sculpter les mots comme elle la matière.

    L’entente entre nos deux couples fut immédiate et nous convînmes de nous revoir régulièrement. Mon épouse et moi hésitions entre deux sculptures et, pour tout avouer, le budget nous faisait un peu frémir. Il s’agissait d’un pur coup de cœur irrationnel, une hérésie économique.

    Deux semaines plus tard, le confinement commençait. Les enfants furent rapidement déscolarisés et nos priorités furent bouleversées.

    Cependant, cette rencontre m’obsédait. J’en rêvais. Je me demandais comment allaient Gilberte et Guy. Je me rendais compte que les visiter n’était plus imaginable en ces temps de confinement. J’en souffrais, car nous avions fait la promesse de revenir. Je prenais également conscience que si l’esprit de Gilberte était brillant, son corps n’était pas immortel. Un pressentiment me hantait.

    C’est avec stupeur que je découvris, presque un an jour pour jour après notre après-midi partagé, un message m’annonçant son décès. Un an que, comme beaucoup, je n’ai pas vu passer. Qui s’est envolé, emportant Gilberte avec lui. Je regarde avec tendresse la photo où elle pose près de la statue préférée de notre fils. J’ai une pensée pour Guy, son mari. Je n’ose pas l’avouer, mais je suis triste. Qui suis-je pour prétendre à la tristesse, moi qui ne les ai rencontrés que quelques fois ?

    Si ce décès est naturel, dans l’ordre des choses, je ne peux m’empêcher de penser à cette dame qui, comme elle le racontait elle-même, a mené plusieurs vies fort différentes. Elle ne se mit à la sculpture qu’après sa retraite de l’enseignement ! À travers ses statues, elle transmettra pour toujours un mouvement, une finesse, une énergie aux générations à venir.

    Égoïstement, je maudis cette pandémie pour avoir empêché que je passe plus de temps avec Gilberte, que je la connaisse mieux. Je suis heureux de cette après-midi lumineuse dans sa maison, son atelier. C’est un souvenir impérissable. J’aurais tant aimé la rencontrer plus tôt.

    J’ai le regret de ne pas avoir pu lui acheter une statue. Secrètement, je rêvais de trouver chez moi un écrin merveilleux, d’inviter Gilberte pour lui montrer, pour lui rendre la pareille et lui faire découvrir mon atelier d’écriture orné de son œuvre. Pour lui expliquer qu’elle m’avait enseigné qu’un manuscrit est comme une de ses sculptures en terre. Un matériau de base qui doit ensuite passer par tout un processus, qu’elle nous a décrit en détail, avant de devenir la statue en bronze qu’est le livre final.

    Mon atelier d’écriture n’existe pas encore et je n’ai pas de statue de Gilberte. Je n’ai plus que son souvenir.

    Au fond, j’ai la chance rare de l’avoir rencontrée et de garder avec moi le souffle d’inspiration qu’elle m’a donné. Lorsque j’ai l’impression de devenir trop vieux pour être créatif, lorsque je réalise que les jeunes artistes talentueux du moment sont plus jeunes que moi, je repense souvent à son expérience, à l’admiration que j’ai éprouvée lorsqu’elle m’a confié l’importance pour elle de continuer à apprendre chaque jour, lorsque j’ai compris l’énergie qu’elle mettait dans une création.

    C’est peut-être pour ça que je souhaitais tant avoir une statue de Gilberte à proximité de ma machine à écrire. Parce que ses personnages longilignes caractéristiques me rappellent les regards que nous avons échangés dans son atelier, parce qu’ils m’ancrent dans le désir de création matérielle qu’elle avait sublimé et qui m’échappe trop souvent. Parce qu’en une seule après-midi chez elle, elle a eu une influence notable sur ma vision de la création.

    Merci, Gilberte, et bonne chance pour les prochaines de tes nombreuses vies, celles qui apparaissent chaque fois qu’un regard se pose sur l’une de tes nombreuses œuvres.

    Salut l’artiste !

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  • Wednesday 17 February 2021 - 12:41

    De la nocivité des ondes à la bouffe bio et aux réseaux pédophiles, de la politique de la crise COVID à la distribution de vaccins : et si les complots étaient bien réels ? Réels mais pas tout à fait comme on les imagine.

    Le complot des ondes électromagnétiques

    Lorsque je me retrouve face à une personne qui me parle de la nocivité des ondes électromagnétiques, je lui demande d’abord si elle sait ce qu’est, physiquement, une telle onde. Dans la totalité des cas que j’ai vécus, la personne avoue son ignorance totale.

    Une onde électromagnétique n’est qu’une série de particules, appelées photons, qui voyagent en vibrant à une certaine fréquence. Pour une certaine plage de fréquence, les photons deviennent visibles. On appelle cela… la lumière. Il y’a d’autres fréquences que nous ne voyons pas : l’infrarouge, l’ultraviolet et, bien entendu, les ondes radio.

    Les ondes radio sont tellement difficiles à détecter qu’il est nécessaire de fabriquer des antennes particulièrement sophistiquées pour les capter. Antennes qui équipent nos téléphones.

    Les ondes électromagnétiques peuvent être absorbées. L’énergie de leur vibration se transforme alors en chaleur. Pour vous en convaincre, il vous suffit de vous promener sous la plus grande source électromagnétique à notre disposition : le soleil. Les ondes émises par le soleil vous réchauffent. À trop grandes doses, elles peuvent même vous brûler. C’est le fameux « coup de soleil ». C’est également le principe qu’utilise votre four à micro-ondes, qui envoie des ondes à une fréquence dont l’énergie se transmet particulièrement bien à l’eau. C’est pour cela que votre four reste froid : il ne réchauffe que l’eau.

    Les ondes électromagnétiques qui possèdent une très grande quantité d’énergie peuvent faire sauter un électron de l’atome qu’elles vont toucher. Cet atome est ionisé. Si un trop grand nombre d’atomes de notre ADN est ionisé, cet ADN ne pourra plus être réparé et cela peut induire des cancers. Il faut bien entendu une exposition longue, répétée à une source très puissante.

    Par exemple le soleil. Responsable de nombreux cancers de la peau. Ou bien les rayons X, utilisés pour faire des radiographies médicales. L’avantage des ondes à très haute énergie, c’est qu’elles interagissent avec la première chose qu’elles touchent et qu’elles sont donc arrêtées facilement. C’est pour ça qu’il y’a des petits rideaux de caoutchouc plombé sur le tapis à rayons X  des aéroports. Ces protections servent essentiellement à protéger les employés qui, sans cela, seraient exposés en permanence aux rayons X. Pour le voyageur qui ne fait que passer deux fois par an, c’est bien moins essentiel.

    En ce sens, les antennes GSM sont un peu comme des phares. Ils émettent des rayons électromagnétiques de la même façon. Seule la fréquence est différente.

    Si un phare peut éblouir voire même brûler si on s’approche à quelques centimètres, personne n’ose imaginer que l’exposition à un phare puisse provoquer des cancers ou être nocive. De même pour votre routeur wifi : il n’émet pas plus d’énergie que votre ampoule halogène.

    S’inquiéter de l’impact des ondes électromagnétiques semble donc absurde. Même si on venait à découvrir que certaines fréquences très précises pouvaient avoir un effet délétère, nous sommes dans un bain permanent d’ondes électromagnétiques depuis l’aube de l’humanité. Il est donc raisonnable de penser que tout impact actuellement inconnu, si un tel impact existe, est anecdotique.

    Pourtant, je pense que les « anti-ondes » ont raison.

    Les ondes sont nocives. Non pas parce qu’elles sont des ondes, mais à cause de l’usage que nous en faisons. Aujourd’hui, nous sommes en permanence hyperconnectés. Nos téléphones bruissent de notifications indésirables que nous ne savons pas désactiver. Nos maisons regorgent de petites lampes qui clignotent pour nous dire que le réseau est actif, que la tablette recharge. Quand je dors dans une chambre d’hôtel, je dois démonter la télévision pour accéder au routeur caché derrière et le débrancher. Non pas à cause des ondes, mais parce que je ne supporte pas ces lumières vertes clignotantes dans l’obscurité, lumière agrémentée de l’insupportable œil rouge luisant de la télévision en veille.

    Comment ne pas être stressé à l’idée des millions de bits qui nous transperce en permanence pour aller notifier notre voisin de restaurant qu’une nouvelle vidéo YouTube est disponible ? Comment dormir en sachant toute cette activité qui nous traverse ? Les expériences ont montré que la sensibilité électromagnétique est belle et bien réelle. Que les gens en souffrent. Mais qu’elle n’est pas causée par la présence d’ondes électromagnétiques. Elle est causée par la croyance qu’il y’a des ondes électromagnétiques.

    Les anti-ondes ont intuitivement perçu le problème. Avant de l’assigner à une raison qui n’est pas sous leur contrôle.

    D’une manière générale, toutes les théories conspirationnistes sont des constructions basées sur un problème très juste. Problème auquel on a créé une cause artificielle absurde ou exagérée, cause qui symbolise et personnifie le problème afin d’avoir l’impression de le comprendre.

    C’est pour cela que prouver l’absurdité d’une théorie du complot ne fonctionne pas. Le complot existe généralement réellement. Mais il est beaucoup trop simple, banal. Ce qui donne un sentiment d’impuissance. En lui donnant un nom, on se crée un ennemi identifié et la possibilité d’agir, de le combattre activement.

    Le complot du deep state

    Selon la légende, Dame Carcas libéra la ville de Carcassonne, assiégée par Charlemagne depuis cinq ans. La population mourant de faim, Dame Carcas eut l’idée de prendre le dernier porc de la ville, de nourrir avec le dernier sac de blé avant de le jeter du haut des remparts sur les assaillants. Ceux-ci se dirent que si la ville pouvait se permettre de balancer un porc nourri au blé, c’est qu’elle avait encore de nombreuses ressources et qu’il était préférable de lever le siège. Charlemagne ne se posa pas la question de savoir comment la ville pouvait avoir encore autant de ressources après cinq années de siège. Alors que les troupes s’éloignaient, Dame Carcas fit sonner les cloches de la ville qui en tirera désormais son nom : Carcas sonne !

    La plupart des théories du complot se heurtent à un problème fondamental : leur réalité implique des milliers de spécialistes de domaines extrêmement différents travaillant dans le secret le plus total au sein d’une organisation incroyablement parfaite et efficace qui ne ferait jamais la moindre erreur. Or, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que dès que trois personnes travaillent ensemble, l’inefficacité est la loi.

    Pour vous en convaincre, il vous suffit de regarder des films d’espionnage. L’histoire est toujours là même : un service ultra-secret de contre-espionnage lutte contre une organisation ultra-secrète d’espionnage qui cherche à accomplir son rôle en mettant au grand jour le service de contre-espionnage, qui s’engage donc dans une lutte de contre-contre-espionnage. C’est particulièrement marquant dans les « Missions Impossibles » ou dans la série Alias. Un peu de recul permet de se rendre compte que toutes ces organisations… ne servent strictement à rien. Même les scénaristes, spécialistes de la fiction, n’arrivent pas à trouver des idées pour justifier l’existence de telles organisations. On parachute alors artificiellement un terroriste qui veut faire sauter une bombe nucléaire, afin de camoufler légèrement la fatuité du scénario.

    La réalité des services d’espionnage est tout autre. Des fonctionnaires qui, pour justifier leur budget et l’existence de leurs nombreux emplois, vont jusqu’à inventer des complots (un truc qui revient aussi dans Mission Impossible). Contrairement à Tom Cruise, les milliardaires surpuissants et les espions sont des humains qui mangent, dorment, font caca et se grattent les hémorroïdes. Ils font des erreurs de jugement, se laissent emporter par leur idéologie et leur sentiment de toute-puissance.

    Et oui, ils tentent de favoriser leurs intérêts, même de manière illégale ou immorale. Cela consiste essentiellement à tenter de convaincre le monde d’acheter leur merde (le marketing), de commettre des délits d’initiés sur les plateformes boursières et de financer du lobbying politique pour que les lois soient en leur faveur. Là se trouvent les véritables complots, les véritables scandales qui ne requièrent la complicité que de quelques personnes, qui ne nécessitent pas de compétence ou de technologie particulière et qui ne sont, la plupart du temps, même pas secrets du tout !

    La plupart des innovations secrètes de la guerre froide n’étaient que des canulars qui servaient à effrayer le camp adverse : rayons de la mort, rayon de contrôle des esprits, contacts extra-terrestres. D’ailleurs, les innovations réelles étaient tout sauf secrètes. La bombe nucléaire, la conquête spatiale, l’informatique et les prémices d’Internet. Comme le cochon de Dame Carcas, tout était entièrement public et les seules choses vraiment secrètes étaient ce qui n’existait pas, dans une tentative d’intoxication informationnelle.

    Dans certains cas, la recherche des services secrets mènera à quelques rares avancées réelles. Ce fut par exemple le cas de Clifford Cocks qui inventa la cryptographie asymétrique en 1973 pour le compte des services secrets anglais. Malheureusement, cette invention purement théorique ne pouvait être mise en pratique sans un développement que Cocks ne pouvait réaliser seul. Elle fut dont jetée aux oubliettes avant que le concept ne soit redécouvert de l’autre côté de l’Atlantique, 3 ans plus tard, par Diffie, Hellman et Merkle qui la publieront et lanceront les bases d’une nouvelle science : la cryptographie informatique. Une fois encore l’histoire démontre que rien n’est réellement possible dans le secret et l’isolement. Le mythe de l’entrepreneur scientifique solitaire fonctionne dans les romans d’Ayn Rand (quand c’est un bon) et Ian Flemming (quand c’est un mauvais), pas dans la réalité.

    La notion de « Deep state » ou d’élites secrètes prenant les décisions est plus rassurante que la vérité selon laquelle, oui, nos dirigeants sont corrompus, mais tout simplement comme des humains, pour favoriser leurs petits intérêts personnels en lieu et place de l’intérêt général. Le tout, en faisant des erreurs et en tentant de se justifier moralement que leur profit est bien pour l’intérêt général (comme la théorie du ruissellement des richesses ou l’idée selon laquelle la richesse se mérite). Les complots existent, mais ils sont petits, mesquins et pas particulièrement secrets.

    Le complot des vaccins

    L’idée d’un vaccin avec des puces pour nous surveiller ou des chemtrails pour contrôler nos esprits (technologies qui semblent complètement impossibles dans l’état actuel de nos connaissances et qu’il serait donc particulièrement difficile de développer en marge de la communauté scientifique, dans le secret le plus total) nous sert à oublier que nos téléphones nous surveillent déjà très bien et fournissent plus de données que ne peuvent en exploiter les gouvernements, que la télévision nous abrutit parfaitement, et que nous avons choisi de les utiliser, que personne ne nous a jamais forcés.

    De même, les anti-vaccins pointent, avec justesse, le fait que l’oligopole pharmaceutique a un intérêt commercial évident à ce que nous soyons le plus possible malade pour consommer le plus de médicaments. Qu’à travers les brevets, l’industrie pharmaceutique privatise d’énormes budgets publics pour les transformer en juteux profits, parfois au détriment de notre santé. Mais il est difficile de se passer des médicaments. Il est donc plus simple d’attaquer les vaccins, médicaments dont la procédure est impressionnante (une piqure) et qui ont, à très court terme, un effet néfaste (fièvre ou durillon). Pire, on ne perçoit jamais l’utilité d’un vaccin. Si un vaccin fonctionne, on se dira toute sa vie qu’il n’était pas nécessaire… Et qu’on a été victime d’un complot.

    Le vaccin, qui est probablement la plus belle invention de l’humanité en ce qui concerne le confort et l’espérance de vie, sert donc très injustement d’étendard à l’intuitif conflit d’intérêts et à la rapacité (réelle) de l’industrie pharmaceutique. La plupart des médicaments sont beaucoup moins efficaces que ce qu’ils prétendent, ils sont vendus à grands coups de marketing. Le simple fait que les devantures de pharmacie soient transformées en gigantesques panneaux publicitaires est un scandale en soi. Les vaccins sont peut-être l’exception la plus sûre, la plus bénéfique et la plus surveillée. Mais c’est aussi intuitivement la plus facile à critiquer.

    Et ces critiques sont parfois nécessaires : les vaccins étant peu rentables (on ne les prend qu’une fois dans sa vie), l’industrie pharmaceutique tente de les faire développer sur des fonds publics à travers les universités avant de s’arroger tous les bénéfices en les revendant très cher aux états… qui ont financé leur mise au point ! L’université d’Oxford avait d’ailleurs annoncé son souhait de mettre son vaccin COVID dans le domaine public, sur le modèle de l’Open Source, avant de se raviser sous, à ce qu’il parait, la pression de la fondation Bill Gates. Un complot qui, sans remettre en cause la qualité du vaccin, me semble parfaitement plausible et réaliste. À  croire que les complots absurdes comme les puces 5G dans les vaccins sont inventés exprès pour décrédibiliser la moindre des critiques et nous détourner des véritables problématiques. À noter que la fondation Bill Gates joue un rôle positif prépondérant dans l’éradication de la polio. Rien n’est jamais parfaitement noir ni blanc. Le monde est complexe.

    Le complot des réseaux pédophiles

    Pour faire une bonne théorie du complot, il suffit donc de reprendre les souffrances réelles, de les amalgamer avec une histoire séduisante et choquante. Un exemple parmi tant d’autres est la persistance des théories de réseaux pédophiles très sophistiqués pour les élites. Parfois mâtinée de satanisme et de cannibalisme pour le décorum.

    La pédophilie est bel et bien un problème de notre société. Hélas, elle est majoritairement présente au sein des familles elles-mêmes. Les enfants sont le plus souvent abusés par un parent ou un proche de confiance (comme l’ont souvent été les prêtres). Mais imaginer qu’un oncle ou un père puisse violer un enfant de sa propre famille est tellement affreux que nous rejetons la faute sur les ultra-riches. Ultra-riches qui ne font qu’ajouter de l’huile sur le feu en ayant parfois une sexualité débridée par un sentiment d’impunité, sentiment exacerbé par une culture machiste du viol menant parfois réellement à la pédophilie comme les affaires Weinstein ou Polanski.

    Le traumatisme de l’affaire Dutroux en Belgique s’explique en partie, car il est difficile d’admettre qu’un pauvre type complètement malade puisse tout simplement enlever des gamines dans sa camionnette et les planquer dans sa cave. Que son nom était bien sur la liste des suspects, mais que la lenteur de la police à le démasquer s’explique essentiellement par l’application aveugle des procédures administratives en vigueur à l’époque, procédures ralenties par certains conflits de pouvoir au sein de la hiérarchie (ce qui a conduit, d’ailleurs, à une refonte complète de la police en Belgique). Il y’a un certain réconfort à imaginer que le crime n’est pas juste une série de malchances et de mesquineries administratives, mais bien la volonté d’une organisation toute puissante impliquant jusqu’à la famille royale.

    Les complots de la juiverie internationale et de QAnon

    Les théories du complot sont généralement l’illustration d’une perte de confiance justifiée envers les garants de la moralité et de l’autorité. Elles fleurissent le plus souvent en période de désarroi profond. La misère économique des années 30, juste après le krach boursier, permettra de mettre en avant la théorie séculaire de la cabale juive avec les conséquences que l’on sait en Allemagne. Je ne peux d’ailleurs m’empêcher de vous recommander l’excellent « Le cimetière de Prague », d’Umberto Eco, pour une illustration romancée de cette cabale.

    La crise financière de 2008 n’échappe pas à la règle. Sur ses cendres naitront Donald Trump et QAnon qui n’ont, d’un point de vue historique, aucune originalité. Tout semble être, à la lettre près, issu des théories complotistes du passé.

    Des thèses absurdes, mais avec, encore une fois, une intuition d’un problème très juste. Le problème de l’existence de l’industrie de la finance. Comment se fait-il qu’une industrie qui ne semble produire rien de concret pour les citoyens lambdas, qui génère des milliards, qui semble rendre chacun de ses membres millionnaires, comment se fait-il que cette industrie aux pratiques incompréhensibles reçoivent autant d’argent du gouvernement lors d’une difficulté qu’elle a elle-même créé ? Comment se fait-il que, dans ce qui se présente comme une démocratie, le principal facteur pour arriver au pouvoir soit la richesse ? Comment se fait-il que tous nos meilleurs cerveaux issus des écoles d’ingénieurs, de science ou d’administration soient recrutés dans le domaine de la finance ?

    À ce sujet, je conseille le magnifique discours de Fabrice Luchini (préparé, mais jamais déclamé) dans le film « Alice et le maire ». Un film qui illustre de manière très réaliste les dessous de la politique : des gens stressés, qui enchainent les réunions et qui n’ont plus le temps de penser. Comment voulez-vous que ces organisations dont la vision à long terme relève de la prochaine élection puissent sérieusement mettre en place des complots d’envergure ?

    Le complot de la malbouffe

    Les théories du complot ne peuvent que diviser. Les intuitifs savent qu’elles représentent un problème réel. Les rationnels peuvent démontrer qu’elles sont absurdes et en viennent à nier l’existence du problème initial. Les deux camps ne peuvent donc plus se parler. Les comportements sensés et absurdes se mélangent.

    Entrez dans un magasin de nourriture bio et vous serez abasourdi par le fatras de concepts dont une simple boîte de conserve peut se revendiquer.

    Votre boîte est « bio ». Cela signifie qu’elle a reçu un label comme quoi elle utilisait une quantité limitée de certains pesticides.

    La démarche est rationnelle. Si la nocivité des pesticides sur l’humain n’est pas toujours démontrée, elle l’est sur le vivant. L’absorption des pesticides par le corps a été démontrée et l’hypothèse que ces pesticides puissent avoir un impact sur la santé est sérieusement étudiée.

    Votre boîte est également dans un emballage « écologique ». Cela semble intuitif, mais, malheureusement, la culture biologique produit énormément plus de CO2 que la culture avec pesticide. Ceci dit, les pesticides ont également un impact environnemental non négligeable, même si ce n’est pas du CO2.

    L’aliment est également garanti sans OGM. Là, cela devient plus étrange. La nature produit en effet des OGM en permanence. C’est même le principe de l’évolution. Les OGM pourraient donc être particulièrement bénéfiques, par exemple en étant plus nutritifs. Rejeter les OGM, c’est rejeter le principe du bouturage, vieux comme l’agriculture. Mais le rejet des OGM est, encore une fois, le symptôme d’un réel problème, à savoir la volonté d’apposer une propriété intellectuelle sur les semences, procédé monopolistique dangereux. La lutte anti-OGM n’est pas tant contre le principe de l’OGM lui-même (la plupart des anti-OGM ne savent d’ailleurs pas ce qu’est un OGM) qu’une défiance envers ceux qui prétendent manipuler la nourriture sans vouloir nous dire comment ni nous permettre de le faire nous-mêmes. La défiance envers l’industrie qui pratique l’OGM  est pertinente. La défiance envers le principe même de l’OGM ne l’est sans doute pas.

    Enfin, il arrive que votre nourriture (ou vos produits de beauté, s’ils sont de la marque Weleda) soit issue des principes de la biodynamie. La biodynamie est un concept inventé par Rudolf Steiner, un illuminé notoire qui a décidé de réinventer la philosophie, les sciences, la médecine, l’éducation et la religion en se basant uniquement sur son intuition. Il n’y connaissait strictement rien en agriculture, mais a un jour improvisé une conférence devant une centaine d’amis, dont seule une minorité d’agriculteurs, sur la meilleure manière de cultiver. Cette conférence a été retranscrite par une sténographe, mais Steiner lui-même a dit plusieurs fois qu’il n’avait pas relu cette transcription et que sa conférence avait pour objectif d’être orale, pas écrite. Que la transcription devait comporter énormément d’erreurs. Il mourra peu après sans jamais relire ni même mentionner le terme « biodynamie » qui sera inventé par après.

    Il n’empêche que cette transcription erronée d’une conférence improvisée par un non-agriculteur passionné d’occultisme et de magie sert aujourd’hui de référence à toute une industrie. Les règles sont du style : « Telle plante doit être plantée quand Mars est visible dans le ciel parce que les fleurs sont rouges et que Mars est rouge. Et il faut répandre des rats morts dans le compost durant les nuits de pleines lunes parce que ça le fait ». Tout livre ou agriculteur qui se revendique de la biodynamie aujourd’hui ne fait qu’une chose : reprendre les élucubrations sans aucune substance empirique issues de la transcription erronée d’une seule et unique conférence d’un illuminé. Bref, la définition même de la théologie. Cependant, si on supprime toute la partie ésotérique, on retrouve les fondements de l’agriculture biologique. Comme n’importe quelle religion, la biodynamie est donc loin d’avoir tout faux. Tout simplement parce que, statistiquement, avoir tout faux est aussi improbable que d’avoir tout vrai et parce que, comme le souligne Kahneman, l’intuition est souvent juste. Mais pas toujours. Ce qui est son gros problème.

    Donc, en achetant de la nourriture bio, ce que je fais personnellement, je mélange le plus souvent du sensé, du pas complètement sensé et de l’absurde total.

    Tout cela à cause d’un problème intuitif bien réel : on possède désormais un confort suffisant pour faire le difficile concernant notre nourriture et force est de constater qu’on bouffe de la merde. À travers le sucre et les graisses saturées, les producteurs de nourriture ne cherchent qu’à nous rendre addicts à moindre coût au mépris le plus total de notre santé. Les aliments sont manipulés pour paraitre jolis en magasin, au détriment de leur composition. Depuis des décennies, des arnaques intellectuelles, parfois promues par nos gouvernements, ont servi les intérêts industriels (par exemple le fait de boire du lait pour renforcer les os ou le principe de la pyramide alimentaire, principe sans aucun fondement scientifique). Le complot est donc bel et bien réel !

    Le complot des complotistes

    Nous le sentons alors nous cherchons à préserver notre santé, à diminuer nos cancers en nous protégeant des ondes électromagnétiques et en bouffant bio. Ce qui, objectivement, pourrait avoir un impact positif. Très faible, mais ce n’est pas impossible.

    Mais vous savez ce qui a un impact majeur sur notre santé ?

    La cigarette, les pots d’échappement de voiture, l’alcool. Supprimez ces trois-là, dont deux sont à votre portée immédiate, et cela aura un million de fois plus d’effet que de bouffer bio et de mettre son GSM en mode avion la nuit. Pour un effet maximal, diminuez également la viande rouge, cancérigène établi, et faites 30 minutes d’exercice par jour.

    Ils sont là les complots qui en veulent à votre santé. Ils crèvent les yeux. C’est le lobby du tabac qui fait qu’il est légal de fumer en public, en empestant autour de soi. C’est le lobby automobile qui vous vend des SUV en vous faisant pester sur les embouteillages et en tuant les jeunes adultes inconscients qui roulent à pleine vitesse. C’est le lobby de l’alcool qui fait des cartes blanches contre le concept de « tournée minérale » en Belgique et qui subventionne les cercles étudiants, ce sont les Facebook et Google qui accaparent toute votre vie privée et mettent en place des procédés monopolistiques qui les rendent incontournables.

    Nous pouvons tous lutter contre ces complots qui nous menacent directement dans notre intégrité physique et mentale. Les plus grandes causes de mortalités évitables, hors suicide, peuvent se résumer à alcool, tabac et bagnole.

    Mais c’est très difficile de renoncer à sa clope, à sa bagnole et à son compte Facebook. Alors on poste contre les vaccins, contre les OGMs et contre la 5G. On manifeste contre ce qu’on ne peut pas vraiment changer. Quitte à se mettre en danger un fumant de l’herbe « bio », en buvant des alcools distillés artisanalement et en refusant les vaccins pour ses enfants. Tout en le clamant haut et fort sur Facebook.

    À force de remettre en question l’autorité, on se tourne alors vers des sources d’autorités sans aucune légitimité, mais qui nous font du bien. On prétend ne pas vouloir se faire manipuler et on va se mettre dans les pattes des intérêts commerciaux des gourous, des shamans et des vendeurs de cruches qui énergétisent l’eau. Sous prétexte de ne pas vouloir obéir, on en vient à faire exactement le contraire de ce que les autorités disent, sans réfléchir au fait qu’on est encore plus facilement manipulable, comme l’enfant qui dit toujours non et à qui on dit « Ne mange surtout pas ta soupe ! ».

    Si vous pensez qu’un domaine quelconque est corrompu, de l’industrie alimentaire à la recherche scientifique, vous avez probablement raison. Mais ce n’est pas contre le domaine en question qu’il faut lutter, c’est contre la corruption. L’industrie de l’alimentation biologique, celle du cannabis, celle des cristaux énergétiques et des réseaux de coaching anti-cancer astrologique sont tout aussi corrompus, tout comme l’est la politique écologique. Ils comportent une partie de gens honnêtes dilués dans une population ne cherchant qu’à vider votre portefeuille.

    Le plus dur à accepter c’est que, non, on ne nous cache pas la vérité. Elle est là, devant les yeux de qui veut bien la voir. Il n’y a rien de secret, rien de mystérieux. L’intelligence moyenne reste la même, quel que soit le niveau de richesse ou de pouvoir politique. Mais cette réalité est difficile à accepter, car elle n’offre pas de réponse toute faite, parce qu’elle n’offre aucune certitude, que des probabilités, parce qu’elle va très souvent en contradiction avec nos convictions et nos actions passées. Et parce que, si le complot est le plus souvent inventé ou exagéré, la souffrance qui en résulte est elle bien réelle.

    Pour aller plus loin :  complot du Covid et autres lectures

    « Vaincre les épidémies », par Didier Pittet et Thierry Crouzet.

    Inventeur du gel hydroalcoolique que nous utilisons désormais tous les jours, Didier Pittet est un spécialiste suisse mondialement reconnu des maladies infectieuses et des épidémies. Dans ce livre, il retrace sa découverte du Covid, sa comparaison avec les autres épidémies (H1N1, grippe aviaire) et son expérience de devenir l’expert de référence pour Macron, qui enverra un jet privé le chercher pour l’amener à une réunion de l’Élysée. Ce livre illustre donc à merveille la vision d’une personne qui fait partie du plus haut niveau de pouvoir en ce qui concerne le COVID. Au menu : incompétences à tous les niveaux de décisions, conflits politiques qui impactent des décisions qui devraient être purement scientifiques, tentatives pas souvent efficaces de manipuler l’opinion publique « dans le bon sens » à travers le marketing. Dans le COVID comme partout, les complots sont bel et bien présents, mais tellement petits, humains, mesquins…

    Didier Pittet vient d’être fait Docteur honoris causa de l’université où j’enseigne l’Open Source. Ce que je salue, car, avec la formule de son gel hydroalcoolique, il est un pionnier de l’Open Source dans le domaine de la santé.

    Thierry Crouzet revient sur la nécessité de créer un vaccin Open Source.


    https://tcrouzet.com/2020/12/02/je-veux-la-paix-dit-le-vaccin-mais-je-fais-la-guerre/

    Ce qui n’est malheureusement pas le cas, comme je l’ai raconté, à cause de la fondation Bill Gates.


    https://khn.org/news/rather-than-give-away-its-covid-vaccine-oxford-makes-a-deal-with-drugmaker/

    Dans son intervention, le parlementaire belge François De Smet tente de trouver un juste milieu entre les mesures anti-Covid et les libertés publiques. Loin de crier au complot, dans un sens ou dans l’autre, il milite pour un équilibre raisonnable. Cela devient tellement rare que cela mérite d’être souligné. De la même façon, il avait dénoncé les procédures entourant le marché des vaccins anti-covid tout en militant pour plus de transparence. Un politicien qui me fait plaisir. Il risque de ne pas avoir beaucoup de voix. D’ailleurs, il ne semble intéresser personne d’autre que moi.

    https://francoisdesmet.blog/2021/02/05/chambre-debat-covid-et-libertes-publiques/

    https://francoisdesmet.blog/2020/12/22/chambre-vaccins-et-transparence/

    Bad science, un livre et une chronique qui revient sur les arnaques scientifiques de l’industrie pharmaceutique, depuis Big Pharma aux laboratoires bio/indépendants qui fournissent les compléments alimentaires « alternatifs » (je n’ai pas lu le livre, je me fie à la critique de Cory Doctorow).


    https://memex.craphound.com/2010/10/19/bad-science-comes-to-the-usa-ben-goldacres-tremendous-woo-fighting-book-in-print-in-the-states/

    « Le cimetière de Prague », d’Umberto Eco. Avec sa verve habituelle, Eco nous plonge dans la vie d’un faussaire obligé de créer de toutes pièces les preuves d’un complot. Jouissif.

    Compte-rendu de l’incompétence des services secrets anglais


    https://www.bbc.co.uk/blogs/adamcurtis/entries/3662a707-0af9-3149-963f-47bea720b460

    Un très long témoignage sur comment les théories du complot nous manipulent et sur le parallèle entre la diététique « alternative », les religions et les complots politiques.


    https://wisetendersnob.medium.com/this-secret-message-could-change-your-life-wellness-culture-jesus-and-qanon-cd576e53c9c8

    Photo by Markus Spiske on Unsplash

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    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Thursday 04 February 2021 - 14:38

    How to create the long-lasting computer that will save your attention, your wallet, your creativity, your soul and the planet. Killing monopolies will only be a byproduct.

    Each time I look at my Hermes Rocket typewriter (on the left in the picture), I’m astonished by the fact that the thing looks pretty modern and, after a few cleaning, works like a charm. The device is 75 years old and is a very complex piece of technology with more than 2000 moving parts. It’s still one of the best tools to focus on writing. Well, not really. I prefer the younger Lettera 32, which is barely 50 years old (on the right in the picture).

    Typewriters are incredibly complex and precise piece of machinery. At their peak in the decades around World War II, we built them so well that, today, we don’t need to build any typewriters anymore. We simply have enough of them on earth. You may object that it’s because nobody uses them anymore. It’s not true. Lots of writers keep using them, they became trendy in the 2010s and, to escape surveillance, some secret services started to use them back. It’s a very niche but existing market.

    Let’s that idea sink in: we basically built enough typewriters for the world in less than a century. If we want more typewriters, the solution is not to build more but to find them in attics and restore them. For most typewriters, restoration is only a matter of taking the time to do it. There’s no complex skills or tools involved. Even the most difficult operations could be learned alone, by simple trial and error. The whole theory needed to understand a typewriter is the typewriter itself.

    By contrast, we have to change our laptops every three or four years. Our phones every couple of years. And all other pieces of equipment (charger,router, modem,printers,…) need to be changed regularly.

    Even with proper maintenance, they simply fade out. They are not compatible with their environment anymore. It’s impossible for one person alone to understand perfectly what they are doing, let alone repair them. Batteries wear out. Screen cracks. Processors become obsolete. Software becomes insecure when they don’t crash or refuse to launch.

    It’s not that you changed anything in your habits. You still basically communicate with people, look for information, watch videos. But today your work is on Slack. Which requires a modern CPU to load the interface of what is basically a slick IRC. Your videoconference software uses a new codec which requires a new processor. And a new wifi router. Your mail client is now 64 bits only. If you don’t upgrade, you are left out in the cold.

    Of course, computers are not typewriters. They do a lot more than typewriters.

    But could we imagine a computer built like a typewriter? A computer that could stay with you for your lifetime and get passed to your children?

    Could we build a computer designed to last at least fifty years?

    Well, given how we use the resources of our planet, the question is not if we could or not. We need to do it, no matter what.

    So, how could we build a computer to last fifty years ? That’s what I want to explain in this essay. In my notes, I’m referring to this object as the #ForeverComputer. You may find a better name. It’s not really important. It’s not the kind of objects that will have a yearly keynote to present the new shiny model and ads everywhere telling us how revolutionary it is.

    Focusing on timeless use cases

    There’s no way we can predict what will be the next video codec or the next wifi standard. There’s no point in trying to do it. We can’t even guess what kind of online activity will be trendy in the next two years.

    Instead of trying to do it all, we could instead focus on building a machine that will do timeless activities and do them well. My typewriter from 1944 is still typing. It is still doing something I find useful. Instead of trying to create a generic gaming station/Netflix watching computer, let’s accept a few constraints.

    The machine will be built to communicate in written format. It means writing and reading. That covers already a lot of use cases. Writing documents. Writing emails. Reading mails, documents, ebooks. Searching on the network for information. Reading blogs and newsletters and newsgroups.

    It doesn’t seem much but, if you think about it, it’s already a lot. Lots of people would be happy to have a computer that does only that. Of course, the graphic designers, the movie makers and the gamers would not be happy with such a computer. That’s not the point. It’s just that we don’t need a full-fledged machine all the time. Dedicated and powerful workstations would still exist but could be shared or be less often renewed if everybody had access to its own writing and reading device.

    By constraining the use cases, we create lots of design opportunities.

    Hardware

    The goal of the 50-year computer is not to be tiny, ultra-portable and ultra-powerful. Instead, it should be sturdy and resilient.

    Back in the typewriter’s day, a 5 kg machine was considered as ultraportable. As I was used to a 900 g MacBook and felt that my 1,1kg Thinkpad was bulky, I could not imagine being encumbered. But, as I started to write on a Freewrite (pictured between my typewriters), I realised something important. If we want to create long-lasting objects, the objects need to be able to create a connection with us.

    A heavier and well-designed object feels different. You don’t have it always with you just in case. You don’t throw it in your bag without thinking about it. It is not there to relieve you from your boredom. Instead, moving the object is a commitment. A conscious act that you need it. You feel it in your hands, you feel the weight. You are telling the object: « I need you. You have a purpose. » When such a commitment is done, the purpose is rarely « scroll an endless stream of cat videos ». Having a purpose makes it harder to throw the object away because a shiny new version has been released. It also helps draw the line between the times where you are using the object and the times you are not.

    Besides sturdiness, one main objective from the ForeverComputer would be to use as little electricity as possible. Batteries should be easily swappable.

    In order to become relevant for the next 50 years, the computer needs to be made of easily replaceable parts. Inspirations are the Fairphone and the MNT Reform laptop. The specifications of all the parts need to be open source so anybody can produce them, repair them or even invent alternatives. The parts could be separated in a few logical blocks : the computing unit, which include a motherboard, CPU and RAM, the powering unit, aka the battery, the screen, the keyboard, the networking unit, the sound unit and the storage unit. All of this come in a case.

    Of course, each block could be made of separate components that could be fixed but making clear logical blocks with defined interfaces allows for easier compatibility.

    The body requires special attention because it will be the essence of the object. As for the ship of Theseus, the computer may stay the same even if you replace every part. But the enclosing case is special. As long as you keep the original case, the feeling toward the object would be that nothing has changed.

    Instead of being mass-produced in China, ForeverComputers could be built locally, from open source blueprints. Manufacturers could bring their own skills in the game, their own experience. We could go as far as linking each ForeverComputer to a system like Mattereum where modifications and repairs will be listed. Each computer would thus be unique, with a history of ownership.

    As with the Fairphone, the computer should be built with materials as ethical as possible. If you want to create a connection with an object, if you want to give him a soul, that object should be as respectful of your ethical principles as possible.

    Opiniated choices

    As we made the choice to mostly use the computer for written interaction, it makes sense, in the current affair of the technology, to use an e-ink screen. E-ink screens save a lot of power. This could make all the difference between a device that you need to recharge every night, replacing the battery every two years, and a device that basically sit idle for days, sometimes weeks and that you recharge once in a while. Or that you never need to recharge if, for example, the external protective case comes with solar panels or an emergency crank.

    E-ink is currently harder to use with mouses and pointing devices. But we may build the computer without any pointing device. Geeks and programmers know the benefit of keyboard oriented workflows. They are efficient but hard to learn.

    With dedicated software, this problem could be smartly addressed. The Freewrite has a dedicated part of the screen, mostly used for text statistics or displaying the time. The concept could be extended to display available commands. Most people are ready to learn how to use their tools. But, by changing the interface all the time with unexpected upgrades, by asking designers to innovate instead of being useful, we forbid any long-term learning, considering users as idiots instead of empowering them.

    Can we create a text-oriented user interface with a gradual learning curve? For a device that should last fifty years, it makes sense. By essence, such device should reveal itself, unlocking its powers gradually. Careful design will not be about « targeting a given customer segment » but « making it useful to humans who took the time to learn it ».

    Of course, one could imagine replacing the input block to have a keyboard with a pointing device, like the famous Thinkpad red dot. Or a USB mouse could be connected. Or the screen could be a touchscreen. But what if we tried to make it as far as we could without those?

    E-ink and no pointing would kill the endless scrolling, forcing us to think of the user interface as a textual tool that should be efficient and serve the user, even if it requires some learning. Tools need to be learned and cared. If you don’t need to learn it, if you don’t need to care for it, then it’s probably not a tool. You are not using it, you are the one used.

    Of course, this doesn’t mean that every user should learn to program in order to be able to use it. A good durable interface requires some learning but doesn’t require some complex mental models. You understand intuitively how a typewriter works. You may have to learn some more complex features like tabulations. But you don’t need to understand how the inside mechanism works to brink the paper forward with each key press.

    Offline first

    Our current devices expect to be online all the time. If you are disconnected for whatever reason, you will see plenty of notifications, plenty of errors. In 2020, MacOS users infamously discovered that their OS was sending lots of information to Apple’s servers because, for a few hours, those servers were not responding, resulting in an epidemic of bugs and error. At the same time, simply trying to use my laptop offline allowed me to spot a bug in the Regolith Linux distribution. Expecting to be online, a small applet was trying to reconnect furiously, using all the available CPU. The bug was never caught before me because very few users go offline for an extended period of time (it should be noted that it was fixed in the hours following my initial report, open source is great).

    This permanent connectivity has a deep effect on our attention and on the way we use computers. By default, the computer is notifying us all the time with sounds and popups. Disabling those requires heavy configuration and sometimes hack. On MacOS, for example, you can’t enable No Disturb mode permanently. By design, not being disturbed is something that should be rare. The hack I used was to configure the mode to be set automatically between 3AM and 2AM.

    When you are online, your brain knows that something might be happening, even without notification. There might be a new email waiting for you. A new something on a random website. It’s there, right on your computer. Just move the current window out of the way and you may have something that you are craving: newness. You don’t have to think. As soon as you hit some hard thought, your fingers will probably spontaneously find a diversion.

    But this permanent connectivity is a choice. We can design a computer to be offline first. Once connected, it will synchronise everything that needs to be: mails will be sent and received, news and podcasts will be downloaded from your favourite websites and RSS, files will be backuped, some websites or gemini pods could even be downloaded until a given depth. This would be something conscious. The state of your sync will be displayed full screen. By default, you would not be allowed to use the computer while it is online. You would verify that all the sync is finished then take the computer back offline. Of course, the full screen could be bypassed but you would need to consciously do it. Being online would not be the mindless default.

    This offline first design would also have a profound impact on the hardware. It means that, by default, the networking block could be wired. All you need is a simple RJ-45 plug.

    We don’t know how wifi protocols will change. There are good chance that today’s wifi will not be supported by tomorrow’s routers or only as a fallback alternative. But chances are that RJ-45 will stay for at least a few decades. And if not RJ-45, a simple adaptor could be printed.

    Wifi has other problems: it’s a power hog. It needs to always scan the background. It is unreliable and complex. If you want to briefly connect to wifi, you need to enable wifi, wait for the background scan, choose the network where to connect, cross your fingers that it is not some random access point that wants to spy your data, enter the password. Wait. Reenter that password because you probably wrote a zero instead of a O. Wait. It looks to be connected. Is it? Are the files synchronised? Why was the connection interrupted? Am I out of range? Are the walls too thick?

    By contrast, all of this could be achieved by plugging a RJ-45 cable. Is there a small green or orange light? Yes, then the cable is well plugged, problem solved. This also adds to the consciousness of connection. You need to walk to a router and physically connect the cable. It feels like loading the tank with information.

    Of course, the open source design means that anybody could produce a wifi or 5G network card that you could plug in a ForeverComputer. But, as with pointing devices, it is worth trying to see how far we could go without it.

    Introducing peer-to-peer connectivity

    The Offline First paradigm leads to a new era of connectivity: physical peer to peer. Instead of connecting to a central server, you could connect two random computers with a simple cable.

    During this connection, both computers will tell each other what they need and, if by any chance they can answer one of those needs, they will. They could also transmit encrypted messages for other users, like bottles in the sea. If you ever happen to meet Alice, please give her this message.

    Peer-to-peer connectivity implies strong cryptography. Private information should be encrypted with no other metadata than the recipient. The computer connecting to you have no idea if you are the original sender or just one node in the transmission chain. Public information should be signed, so you are sure that they come from a user you trust.

    This also means that our big hard disks would be used fully. Instead of sitting on a lot of empty disk spaces, your storage will act as a carrier for others. When full, it will smartly erase older and probably less important stuff.

    In order to use my laptop offline, I downloaded Wikipedia, with pictures, using the software Kiwix. It only takes 30Go of my hard drive and I’m able to have Wikipedia with me all the time. I only miss a towel to be a true galactic hitchhiker.

    In this model, big centralised servers only serve as a gateway to make things happen faster. They are not required anymore. If a central gateway disappears, it’s not a big deal.

    But it’s not only about Wikipedia. Protocols like IPFS may allow us to build a whole peer-to-peer and serverless Internet. In some rural areas of the planet where broadbands are not easily available, such Delay Tolerant Networks (DTNs) are already working and extensively used, including to browse the web.

    Software

    It goes without saying that, in order to built a computer that could be used for the next 50 years, every software should be open source.

    Open source means that bugs and security issues could be solved long after the company that coded them has disappeared. Once again, look at typewriters. Most companies have disappeared or have been transformed beyond any recognition (try to bring back your IBM Selectric to an IBM dealer and ask for a repair, just to see the look on their face. And, yes, your IBM Selectric is probably exactly 50 years old). But typewriters are still a thing because you don’t need a company to fix them for you. All you need is a bit of time, dexterity and knowledge. For missing parts, other typewriters, sometimes from other brands, can be scavenged.

    For a fifty-year computer to hit the market, we need an operating system. This is the easiest part as the best operating systems out there are already open source. We also need a user interface who should be dedicated to our particular needs. This is hard work but doable.

    The peer-to-peer offline-first networking part is probably the most challenging part. As said previously, essential pieces like IPFS already exist. But everything needs to be glued together with a good user interface.

    Of course, it might make sense to rely on some centralised servers first. For example, building on Debian and managing to get all dedicated features uploaded as part of the Official Debian repository already offers some long-term guarantees.

    The main point is to switch our psychological stance about technological projects. Let’s scrap the Silicon Valley mentality of trying to stay stealthy then to suddenly try to get as many market share as possible in order to hire more developers.

    The very fact that I’m writing this in the public is a commitment to the spirit of the project. If we ever manage to build a computer which is usable in 50 years and I’m involved, I want it highlighted that since the first description, everything was done in the open and free.

    More about the vision

    A computer built to last 50 years is not about market shares. It’s not about building a brand, raising money from VC and being bought by a monopoly. It’s not about creating a unicorn or even a good business.

    It’s all about creating a tool to help humanity survive. It’s all about taking the best of 8 billion brains to create this tool instead of hiring a few programmers.

    Of course, we all need to pay bills. A company might be a good vehicle to create the computer or at least parts of it. There’s nothing wrong with a company. In fact, I think that a company is currently the best option. But, since the very beginning, everything should be built by considering that the product should outlast the company.

    Which means that customers will buy a tool. An object. It will be theirs. They could do whatever they want with it afterward.

    It seems obvious but, nowadays, nearly every high technological item we have is not owned by us. We rent them. We depend on the company to use them. We are not allowed to do what we want. We are even forced to do things we don’t want such as upgrading software at an inappropriate time, sending data about us and hosting software we don’t use that can’t be removed or using proprietary clouds.

    When you think about it, the computer built to last 50 years is trying to address the excessive consumption of devices, to fight monopolies, to claim back our attention, our time and our privacy and free us from abusive industries.

    Isn’t that a lot for a single device? No because those problems are all different faces of the same coin. You can’t fight them separately. You can’t fight on their own grounds. The only hope? Changing the ground. Changing the rules of the game.

    The ForeverComputer is not a replacement. It will not be better than your MacBook or your android tablet. It will not be cheaper. It will be different. It will be an alternative. It will allow you to use your time on a computer differently.

    It doesn’t need to replace everything else to win. It just needs to exist. To provide a safe place. Mastodon will never replace Twitter. Linux desktop never replaced Windows. But they are huge successes because they exist.

    We can dream. If the concept becomes popular enough, some businesses might try to become compatible with that niche market. Some popular websites or services may try to become available on a device which is offline most of the time, which doesn’t have a pointer by default and which has only an e-ink screen.

    Of course, those businesses would need to find something else than advertising, click rates and views to earn money. That’s the whole point. Each opportunity to replace an advertising job (which includes all the Google and Facebook employees) by an honest way to earn money is a step in destroying our planet a bit less.

    Building the first layers

    There’s a fine equilibrium at play when an innovation tries to change our relationship with technology. In order to succeed, you need technologies, a product and contents. Most technologists try to build technologies first, then products on top of it then waits for content. It either fails or become a niche thingy. To succeed, there should be a game of back and forth between those steps. People should gradually use the new products without realising it.

    The ForeverComputer that I described here would never gain real traction if released today. It would be incompatible with too much of the content we consume every day.

    The first very small step I imagined is building some content that could, later, be already compatible. Not being a hardware guy (I’m a writer with a software background), it’s also the easiest step I could do today myself.

    I call this first step WriteOnly. It doesn’t exist yet but is a lot more realistic than the ForeverComputer.

    WriteOnly, as I imagine it, is a minimalist publishing tool for writers. The goal is simple : write markdown text files on your computer. Keep them. And let them published by WriteOnly. The readers will choose how they read you. They can read it on a website like a blog, receive your text by email or RSS if they subscribed, they can also choose to read you through Gemini or DAT or IPFS. They may receive a notification through a social network or through the fediverse. It doesn’t matter to you. You should not care about it, just write. Your text files are your writing.

    Features are minimal. No comments. No tracking. No statistics. Pictures are dithered in greyscale by default (a format that allows them to be incredibly light while staying informative and sharper than full-colour pictures when displayed on an e-ink screen).

    The goal of WriteOnly is to stop having the writers worrying about where to post a particular piece. It’s also a fight against censorship and cultural conformity. Writers should not try to write to please the readers of a particular platformn according to the metrics of that platform moguls. They should connect with their inner selves and write, launching words into the ether.

    We never know what will be the impact of our words. We should set our writing free instead of reducing it to a marketing tool to sell stuff or ourselves.

    The benefit of a platform like WriteOnly is that adding a new method of publishing would automatically add all the existing content to it. The end goal is to have your writing available to everyone without being hosted anywhere. It could be through IPFS, DAT or any new blockchain protocol. We don’t know yet but we can already work on WriteOnly as an open source platform.

    We can also already work on the ForeverComputer. There will probably be different flavours. Some may fail. Some may reinvent personal computing as we know it.

    At the very least, I know what I want tomorrow.

    I want an open source, sustainable, decentralised, offline-first and durable computer.

    I want a computer built to last 50 years and sit on my desk next to my typewriter.

    I want a ForeverComputer.

    Make it happen

    As I said, I’m a software guy. I’m unlikely to make a ForeverComputer happen alone. But I still have a lot of ideas on how to do it. I also want to focus on WriteOnly first. If you think you could help make it a reality and want to invest in this project contact me on lionel at ploum.net.

    If you would like to use a ForeverComputer or WriteOnly, you can either follow this blog (which is mostly in French) or subscribe here to a dedicated mailing list. I will not sell those emails, I will not share them and will not use them for anything else than telling you about the project when it becomes reality. In fact, there’s a good chance that no mail will ever be sent to that dedicated mailing list. And to make things harder, you will have to confirm your email address by clicking on a link in a confirmation mail written in French.

    Further Reads

    « The Future of Stuffs », by Vinay Gupta. A short, must-read, book about our relationship with objects and manufacturing.

    « The Typewriter Revolution », by Richard Polt. A complete book and guide about the philosophy behind typewriters in the 21st century. Who is using them, why and how to use one yourself in an era of permanent connectivity.

    NinjaTrappeur home built a digital typewriter with an e-ink screen in a wooden case:
    https://alternativebit.fr/posts/ultimate-writer/

    Another DIY project with an e-ink screen and a solar panel included:
    https://forum.ei2030.org/t/e-ink-low-power-cpu-solar-power-3-sides-of-the-same-lid/82

    SL is using an old and experimental operating system (Plan9) which allows him to do only what he wants (mails, simple web browsing and programming).
    http://helpful.cat-v.org/Blog/2019/12/03/0/

    Two artists living off the grid on a sail boat and connecting only rarely.
    https://100r.co/site/working_offgrid_efficiently.html

    « If somebody would produce a simple typewriter, an electronic typewriter that was silent, that I could use on airplanes, that would show me a screen of 8 1/2 by 11, like a regular page, and I could store it and print it out as a manuscript, I would buy one in a second! » (Harlan Ellison, SF writer and Startrek scenarist)
    http://harlanellison.com/interview.htm

    LowTech magazine has an excellent article about low-tech Internet, including Delay Tolerant Networks.
    https://solar.lowtechmagazine.com/2015/10/how-to-build-a-low-tech-internet.html

    Another LowTech magazine article about the impact typewriters and computers had on office work.
    https://solar.lowtechmagazine.com/2016/11/why-the-office-needs-a-typewriter-revolution.html

    UPDATE 6th Feb 2020 : Completely forgot about Scuttlebutt, which is an offline-first, p2p social network. It does exactly what I’m describing here to communicate.

    https://scuttlebutt.nz/get-started/

    A good very short introduction about it on BoingBoing :

    https://boingboing.net/2017/04/07/bug-in-tech-for-antipreppers.html

    UPDATE 8th Feb 2020 : The excellent « Tales from the Dork Web » has an issue on The 100 Year Computer which is strikinly similar to this piece.

    https://thedorkweb.substack.com/p/the-100-year-computer

    I also add this attempt at a Offline-first protocol : the Pigeon protocol :

    https://github.com/PigeonProtocolConsortium/pigeon-spec

    And another e-ink DIY typewriter :

    https://hackaday.com/2019/02/18/offline-e-paper-typewriter-lets-you-write-without-distractions/

    UPDATE 15th Feb 2020 : Designer Micah Daigle has proposed the concept of the Prose, an e-ink/distraction free laptop.

    https://medium.com/this-should-exist/prose-a-distraction-free-e-ink-laptop-for-thinkers-writers-4182a62d63b2

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Friday 15 January 2021 - 13:06

    Le XVIIIe siècle et les réseaux présociaux

    En 1793, au cœur de la Révolution française, la plupart des députés girondins, particulièrement les brissotins, sont arrêtés et exécutés par les Montagnards dirigés par Robespierre. C’est la fameuse Terreur durant laquelle Robespierre voit dans la moindre idée modérée une menace contre la révolution.

    Bien qu’il ne soit pas officiellement Girondin, un mandat d’arrestation est également émis contre le député, mathématicien et philosophe Condorcet, ami de Brissot. Condorcet est un idéaliste optimiste. Opposé à la peine de mort, il s’est refusé à voter pour l’exécution de Louis XVI, crime contre-révolutionnaire s’il en est.

    Piètre orateur, Condorcet est un homme d’écrit d’une grande finesse et d’une grande intelligence, mais avec des compétences sociales limitées. S’il a utilisé sa plume essentiellement pour étudier les mathématiques, notablement celle du vote, et défendre ses idéaux (très en avance sur leur temps, notamment sur l’égalité des droits des hommes, des femmes, des noirs, sur la nécessité d’une éducation gratuite obligatoire et de qualité voire même sur une forme de revenu de base), il n’hésite pas à la tremper dans le fiel pour critiquer vivement les différents extrémistes que sont pour lui Robespierre ou Marat.

    Car, au 18e siècle, pas besoin de Facebook pour s’insulter publiquement. Les publications, souvent éphémères et autoéditées, se suivent et se répondent avec virulence pour le plus grand plaisir des Parisiens. Le troll le plus célèbre étant assurément Voltaire.

    Forcé de se cacher dans une petite chambre pour ne pas être guillotiné comme ses camarades, Condorcet va d’abord écrire toute sa rage, tenter de rétablir la vérité à travers des missives qu’il fait parvenir à différentes publications.

    Percevant qu’il s’épuise et dépérit, Sophie de Condorcet, son épouse et complice, lui enjoint d’arrêter d’écrire contre les autres et le convainc d’écrire pour lui. Écoutant les conseils de son épouse, Condorcet va se mettre à rédiger ce qui sera son Opus Magna : « Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain ».

    Bien que pourchassé et ayant vu ses amis guillotinés, Condorcet aux abois et sentant sa fin proche livre un plaidoyer humaniste et optimiste sur le futur de l’humanité. Le manuscrit achevé, il quittera sa chambre au bout de neuf mois par crainte de faire condamner sa logeuse. La brave dame sait qu’elle sera guillotinée sans procès si Condorcet est trouvé chez elle, elle refuse néanmoins à le laisser sortir et celui-ci doit user d’un subterfuge pour s’éclipser. Après deux jours d’errances, Condorcet est arrêté comme étant suspect, mais pas reconnu. Le temps de l’enquête, il est placé dans une petite prison locale où il décèdera mystérieusement. Suicide ou crise cardiaque liée à une piètre santé ? On ne le saura jamais.

    L’histoire de Condorcet me revient à l’esprit chaque fois que je vois passer des débats, des attaques, des réponses détaillées à ces attaques (souvent de bonne foi). C’est une histoire à garder en mémoire chaque fois que l’envie vous prendra d’interagir sur les réseaux sociaux ou de pondre un virulent billet de blog à charge.

    Livres vs réseaux

    Car les réseaux sociaux sont mathématiquement bien pires que ce qu’on imaginait. Même si on construisait un réseau social éthique/bio/fairtrade/cycliste/sans gluten qui ne tente pas de nous vendre n’importe quelle merde ni de nous faire réagir à tout prix, le simple fait que ce soit un réseau social est suffisant pour que la qualité des messages mis en avant soit inversement proportionnelle au nombre de messages sur ledit réseau.

    En résumé : au plus il y’a de messages, au plus votre lecture ne sera qu’un petit pourcentage des messages (logiques) et au plus la qualité moyenne des messages baissera.

    => http://meta.ath0.com/2020/12/social-notwork/

    La conclusion optimiste c’est qu’il est difficile de faire un plus grand réseau que Facebook, que leurs algorithmes tirent encore plus la qualité vers le bas et que, mathématiquement, on aurait touché le fond. Ce que vous lisez sur Facebook serait donc la lie de l’humanité, le pire du pire.

    La bonne nouvelle, c’est que si vous vous éloignez un instant de l’écran, que vous allez jusqu’à la bibliothèque municipale (voire celle de votre salon qui est devenue purement décorative depuis que vous avez un smartphone), vous trouverez des tas de choses à lire qui représente généralement le meilleur de l’humanité (particulièrement les vieux livres qui restent classiques ou populaires). Je vous invite à essayer, vous allez voir, l’effet est saisissant ! (même si c’est perturbant de ne pas avoir des notifications et des discussions qui interrompent la lecture).

    Bon, encore faut-il que les éditeurs jouent leur rôle :  celui de forcer les artistes à innover, à sortir des sentiers battus. Malheureusement, ils font exactement le contraire en tentant de formater les œuvres, d’éviter de prendre des risques pour s’assurer une rentabilité. Or, les réels succès seront originaux.

    => https://unspicilege.org/index.php?post/Des-auteurs-et-des-artistes

    Grandir pour vendre de la merde

    Il semble y avoir un fil conducteur. Plus on devient grand, plus on produit de la merde. Comme le souligne Vinay Gupta dans son excellent « The Future Of Stuff » (livre très court qui ressemble au Capital de Marx live-tweeté par un cyberpunk sous amphés), le but du tailleur est de faire des vêtements qui vous aillent bien. C’est l’essence de son métier, de sa réputation, de son business. Le but d’un producteur de vêtements est de les vendre. C’est très différent. Le métier est différent et les produits seront différents. En fait, le vêtement peut même être immettable, on s’en fout s’il se vend.

    Et lorsqu’une grosse entreprise se retrouve, par erreur, à faire un bon produit, elle s’arrange immédiatement pour corriger le tir. Désolé, on l’a pas fait exprès.

    Pour ceux qui ont installé des réseaux wifi dans les années 2010, le WRT54G de Linksys était le meilleur routeur qu’il était possible d’acheter. La raison ? On pouvait flasher le firmware pour le remplacer par un logiciel open source permettant plein de choses (comme de servir de répétiteur, de configurer la puissance de chacune des antennes, d’installer un firewall, etc. Perso, j’utilisais DD-WRT). Mais ce n’était en fait pas volontaire. Linksys avait sous traité la gestion de la puce à Broadcom qui avait lui-même sous-traité le développement du firmware à une obscure boîte asiatique, laquelle avait tout simplement mis un Linux. Or, Linux étant sous GPL, il a bien fallu rendre les sources publiques.

    Cela ne faisait pas les affaires de Cisco, qui venait de racheter Linksys, pour une raison toute simple : le firmware open source offrait des fonctionnalités normalement réservées aux produits bien plus onéreux. L’astuce qu’a trouvée Cisco ? Sortir une nouvelle version du WRT54G avec un processeur moins puissant et moins de mémoire, histoire d’empêcher la version open source de tourner.

    Ce qui illustre bien que le but d’une entreprise n’est, en règle générale, pas de faire un bon produit pour les consommateurs, mais, au contraire, tenter de les forcer à acheter la plus mauvaise qualité possible.

    => https://tedium.co/2021/01/13/linksys-wrt54g-router-history/

    L’idéologie de la Silicon Valley est qu’il faut soit croître au point de contrôler le monde, soit se faire racheter par un plus gros, soit disparaitre. Gardons à l’esprit que ce n’est qu’une idéologie. Et que nous sommes en train d’en subir les effets néfastes. Non, Gemini ou Mastodon ne remplaceront pas le web et Twitter. On s’en fout. Le but est d’être une alternative, pas un remplacement.

    Mon premier conseil ? Évitez de travailler pour les grands monopoles.

    Drew DeVault explique pourquoi c’est une mauvaise idée de bosser pour les GAFAM. Une mauvaise idée à la fois pour vous et pour le monde. Même si vous êtes super bien payé, vous jouez à la roulette russe avec votre avenir.

    => https://drewdevault.com/2021/01/01/Megacorps-are-not-your-dream-job.html

    La vie privée et le respect mutuel

    Mon second conseil ?

    Même si tout cela vous passe par-dessus la tête, faites un effort d’écouter lorsque les gens qui s’intéressent au sujet expliquent des choses. Pour le moment, si vous utilisez Whatsapp, on vous demande certainement d’installer Signal.

    Et bien, faites-le ! Ça ne vous coûte que quelques minutes d’effort et quelques mégaoctets d’espace sur votre téléphone.

    Je sais bien que vous avez déjà trois messageries, que vous vous en foutez, que vous n’avez rien à cacher.

    Mais c’est par simple respect des autres. En installant Whatsapp, vous avez fourni à Facebook tout votre carnet d’adresses, y compris ceux qui ne souhaitent pas être sur Facebook. La moindre des choses que vous pouvez faire est de permettre à vos amis pour qui c’est important de vous contacter sur Signal. Personne ne vous demande d’abandonner Whatsapp. On vous demande juste de ne pas rajouter à la pression sociale d’utiliser un service Facebook.

    C’est comme pour les fumeurs : on ne vous demande pas d’arrêter de fumer, mais juste de ne pas nous forcer à fumer (même si, pour reprendre l’analogie, nous continuons à subir le tabagisme passif).

    Alors, oui, Signal n’est pas parfait. Mais il est très bien alors installez-le par simple soutien citoyen envers ceux qui ne souhaitent pas être totalement pistés par Facebook. C’est bien leur droit, non ? En fait, la question est plutôt inverse : en quoi auriez-vous le droit d’imposer Whatsapp à vos contacts qui ne le souhaitent pas ?

    => https://standblog.org/blog/post/2021/01/13/Par-quoi-remplacer-WhatsApp

    Si vous voulez aller plus loin dans l’exploration de la protection de la vie privée, voici le plug-in pour navigateur que j’attendais : Privacy Redirect. Il redirige Twitter, Instagram, Youtube, Reddit, Google Maps et Google vers des « miroirs » ou des alternatives qui préservent la vie privée tout en vous permettant d’accéder au contenu. C’est bien entendu complètement configurable et il est facile de désactiver un filtre particulier temporairement. J’utilise Teddit pour accéder aux liens Reddit et j’ai installé le logiciel Freetube, qui s’ouvre en dehors du navigateur, et permet de visualiser les vidéos Youtube rapidement et sans pub! J’ai également découvert que si l’interface d’Open Street Maps n’est pas aussi facile que celle de Google Maps, les résultats sont tout à fait utilisables. Je n’ai même pas besoin de me forcer : je tape machinalement « maps » et arrive sur openstreetmaps. Bon, pour la recherche, je reste à Duckduckgo parce que Searx est vraiment très expérimental.

    Bref, un excellent outil pour tenter de changer ses habitudes à moindre effort.

    => https://github.com/SimonBrazell/privacy-redirect

    S’informer hors des monopoles

    Pour s’informer en dehors des réseaux sociaux, il reste les bons vieux flux RSS, les mailings-liste et même… Gemini. Je vous explique ma routine matinale pour lire Gemini grâce au client en ligne de commande AV-98. C’est très geek, ce n’est pas pour tout le monde, mais ça me change des onglets ouverts dans tous les sens.

    => https://linuxfr.org/users/ploum/journaux/augmenter-le-rendement-de-votre-moulage-de-pres-de-174

    J’ai d’ailleurs lancé mon gemlog, en anglais.

    => gemini://rawtext.club/~ploum/

    Si Gemini ne vous intéresse pas, vous pouvez vous en passer sans soucis. Si vous avez raté mon billet expliquant ce qu’est Gemini, le voici.

    => https://ploum.net/gemini-le-protocole-du-slow-web/

    Ce qu’il y’a de rafraichissant avec Gemini, c’est l’impression de lire des textes tout simplement humains. Il n’y a pas de volonté de convaincre, pas de followers, pas de likes, pas de statistiques. Il y’a un plaisir calme à lire des avis, même complètement divergents, sur Gemini. Le fait d’être en ligne de commande et sans images y est également pour beaucoup.

    Mais j’avoue que Gemini est encore limité. Je m’informe et m’inspire principalement par flux RSS.

    Si je ne devais garder qu’un seul flux RSS, ce serait le Pluralistic de Cory Doctorow. Chaque jour, Cory poste un long billet composé de plusieurs sujets qu’il développe brièvement. C’est super intéressant, super bien résumé. Comme il poste ça sur Twitter, Mastodon, sa mailing-liste, son site web et Tumblr, que chaque billet vient avec des images et un colophon, je lui avais demandé quelle était sa technique de travail. Il m’avait répondu qu’il comptait justement en parler pour fêter le premier anniversaire de Pluralistic.

    Je trouvais que, même avec de bons outils et bien automatisé, le tout devait être un travail de titan. Il s’avère que Cory n’utilise pas d’outils particuliers. Pire, il se complique la vie en postant tout d’abord dans Twitter puis en copiant/collant dans Mastodon et Tumblr puis en remettant tout dans un fichier XML qu’il édite à la main. Il va jusqu’à écrire à la main le code HTML pour la licence Creative Commons. Et faire ses montages photos dans Gimp. Et ça, tous les jours !

    Insupportable pour un programmeur. Un lecteur l’a tellement pris en pitié qu’il lui a fait un script python pour simplifier certaines opérations. Cela reste néanmoins complètement inefficace. Mais une petite référence a attiré mon attention. Son père faisait de la mise en page de publications à la main, en coupant des morceaux de papier et les collant pour faire des compositions. Cory a l’impression de refaire le même travail.

    Et peut-être que cette inefficacité est essentielle pour lui permettre de digérer ce qu’il a lu, de relire ce qu’il écrit. En étant inefficace, il est immergé plusieurs heures dans ce qu’il a écrit. Il ne cherche pas à optimiser ses clicks, ses visiteurs. Il ne cherche pas à poster rapidement, à être efficace. Il est tailleur et non pas producteur de vêtements. Force est de constater que cela se sent.

    => https://pluralistic.net/2021/01/13/two-decades/

    Bds et pub obligatoire pour Printeurs

    Outre les flux et les biographies de Condorcet, je lis aussi des Bds.

    Je viens de terminer le 4e tome d’Aspic, par Gloris et Lamontagne. Une série vraiment brillante. Ce n’est pas un chef-d’œuvre absolu, mais lorsqu’un très bon dessin se met au service de personnages particulièrement attachants et d’une véritable histoire, il serait malvenu de bouder notre plaisir.

    Loin d’être une série à rallonge avec une intrigue infinie (coucou XIII et Sillage), Aspic propose plutôt des enquêtes en deux tomes, enquêtes qui mélangent allègrement un côté enfantin et un côté adulte assez sombre.

    À propos de livres adultes et sombres, Tonton Alias a fait une critique de Printeurs où il me compare… à Cory Doctorrow !

    Je rapprocherais Printeurs des romans d’anticipation technologiques de Cory Doctorow. J’y ai trouvé quelques idées vraiment brillantes, comme l’idée du ciblage publicitaire comme outil de drague ou de surveillance.

    Il a aussi quelque chose qui manque souvent aux bouquins de Doctorow: une intrigue trépidante. C’est un bon page-turner.

    => https://alias.erdorin.org/printeurs-de-ploum/

    Il émet également des remarques négatives avec lesquelles je suis relativement d’accord. Pour les véritables amateurs de SF, Printeurs est un brin désuet. C’était assumé, car pensé au départ comme un hommage aux séries pulp des années 50. Je prends note pour m’améliorer.

    Ceci dit, si vous n’êtes pas convaincu, je vous invite à lire ce qu’en disent Sebsauvage et d’autres mastonautes :

    => https://sebsauvage.net/links/?SlHGmQ

    Notamment Sebiii et Pyves, qui se plaignent d’avoir failli faire une nuit blanche à cause de moi.

    => https://mastodon.social/@Sebiiiii/105321398407717687
    => https://framapiaf.org/@Pyves/105389956170119860

    Purexo m’a également fait le plaisir de publier une critique de Printeurs… sur Gemini ! Je me demande si Printeurs est le premier roman critiqué sur Gemini.

    => gemini://purexo.mom/blog/2020/12-16-critique-printeurs.gmi

    Si cela vous a convaincu, voici le lien pour commander :

    => https://www.plaisirvaleurdhistoire.com/shop/38-printeurs

    Mais si ce genre de SF n’est pas votre truc, je comprends parfaitement. J’espère vous surprendre agréablement avec mes futurs écrits.

    Je vous remercie d’avoir accordé du temps pour me lire. Vous écrire à vous, mes abonnés ou lecteurs occasionnels, est à la fois un plaisir et un processus intellectuel important pour moi. J’espère que ce plaisir est partagé et je vous souhaite une excellente journée.

    Image : Mort de Condorcet, musée de la Révolution Française.

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir et de m’aider à diffuser mes idées !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Thursday 17 December 2020 - 09:48

    Je suis convaincu que des romans très populaires seront bientôt écrits par des intelligences artificielles. Je n’exclus pas la possibilité que ce soit déjà le cas. Pourtant, je réalise que mon métier d’écrivain est essentiel et je n’ai pas peur de la concurrence des algorithmes. En fait, je l’accueille même à bras ouverts.

    Car, sous le vocable « Intelligence Artificielle » se cache une réalité plus prosaïque : de simples algorithmes nourris par des quantités astronomiques de données et qui ne font que nous offrir une variation sur ces mêmes données. Tout ce qui est généré par l’intelligence artificielle est obsolète, ressassé. Il n’y a pas d’idée nouvelle. Parfois, on peut trouver une nouvelle manière de voir les choses anciennes, ce qui n’est pas dénué d’intérêt. Mais l’intelligence artificielle considère le passé comme un ensemble de règles immuables, infranchissables.

    C’est la raison pour laquelle les intelligences artificielles sont régulièrement accusées de racisme, de sexisme. Elles ne sont que le reflet de notre société, un simple miroir. Elles ne pourront pas nous faire évoluer.

    L’écrivain, au contraire, apporte sa sensibilité, sa vision, sa créativité. Son écriture est une relation humaine avec le lecteur, par delà la distance, par delà les siècles.

    Le texte est porté par son contexte. Pour le lecteur, une connaissance même succincte de la vie de l’auteur transformera son interprétation personnelle, la manière dont il se l’appropriera. Le texte n’est, au fond, que le début d’une conversation. Une conversation qui peut parfois s’étendre par delà les siècles, englobant des dizaines d’écrivains, des milliers de lecteurs. Une conversation qui peut avoir l’apparence de s’achever, ne faisant que planter une graine invisible, graine qui germera des années plus tard sans que personne ne se souvienne de son origine.

    Présent sur ce blog depuis plus de 16 années, j’ai la chance d’expérimenter l’impact de l’écriture sur la création de relations humaines. Depuis la lectrice que j’ai épousée, les lecteurs qui m’écrivent régulièrement à ceux qui m’avouent me lire depuis 10 ans et avoir l’impression de me connaitre intimement alors que je n’ai jamais entendu parler d’eux.

    Avec la publication de Printeurs au format papier, je redécouvre cette intimité, cette proximité avec les lecteurs. Je me suis glissé dans leur lit le soir, je leur ai tenu compagnie plusieurs heures voire plusieurs jours. Je les ai empêchés de dormir. Ils ont pesté contre moi au petit matin, m’accusant d’être responsable de leur fatigue. Avant de me retrouver le soir même et de me glisser contre leur oreiller.

    Cette relation intime, sensuelle, a forcément un impact sur moi. Je ne me sens pas dans la peau d’un écrivain dans sa tour d’ivoire dont les livres sont des blocs de marbre indépendants. Tout comme quand je suis sur scène et que je « sens » le public, que je m’adapte à lui, j’écris avec mes lecteurs, je me nourris de ces interactions impalpables qui vont complètement faire évoluer mes écrits futurs.

    Le paroxysme de cette influence revenant à ma première lectrice, mon épouse. Non contente de remettre régulièrement en question mes croyances, mes habitudes par ses réflexions, elle n’hésite pas à me renvoyer à machine à écrire. À titre d’anecdote, elle a totalement transformé le chapitre 000110 de Printeurs pour en faire un texte qu’une femme peut lire sans pester sur la prétention des hommes blancs à connaitre la physiologie féminine. Elle me transforme et, par la même occasion, transforme mes futurs écrits.

    Aucun algorithme d’intelligence artificielle ne peut ni ne pourra jamais évoluer de cette manière. Tout ce qu’un algorithme produit n’est qu’un artefact du passé. Si demain les écrivains venaient à disparaitre pour être remplacés par des logiciels, aucune nouvelle idée n’apparaitrait. Aucun risque littéraire. Aucune remise en question. Nous serions condamnés à lire et à relire toujours la même chose, à végéter dans le marasme de l’immobilité intellectuelle.

    Certes, les algorithmes seront certainement meilleurs pour produire des textes « qui se vendent ». Après tout, c’est déjà le cas avec la musique. Mais ces écrits seront dans l’impossibilité de créer des liens humains. Tout simplement parce qu’un lien implique deux humains. Par définition.

    À ce jeu, l’écrivain de best-seller, le philosophe académique ou le blogueur anonyme suivi par une poignée de lecteurs seront toujours meilleurs que le plus pointu des algorithmes. Leurs écrits sont des briques essentielles à la construction de l’humanité.

    L’écriture est un métier magique, car la concurrence y est toujours la bienvenue. Les lecteurs s’enrichissent de leurs lectures, lisent de plus en plus, découvrent. Tout nouvel écrit, loin d’entrer en compétition avec les autres, est au contraire une porte d’entrée qui élargira le champ des lecteurs.

    Le lecteur d’un seul livre se perd dans un fanatisme religieux. Le lecteur de plusieurs livres découvre graduellement la finitude de sa connaissance. À force de lire, il développe une identité, une analyse propre et un appétit insatiable. J’ai confiance que les lecteurs découvriront très vite les limites des textes générés par une intelligence artificielle.

    Le seul réel danger, le seul ennemi des écrivains étant ce qui nous empêche de lire, ce qui nous pousse à passer du temps devant les écrans et les publicités plutôt qu’à réfléchir, méditer, apprendre. À consommer du contenu plutôt qu’à apprécier des idées.

    Cet ennemi n’est pas seulement celui des écrivains. C’est celui de l’humanité tout entière !

    Photo by Possessed Photography on Unsplash

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Monday 14 December 2020 - 10:57

    Aparté technique sur le choix d’un logiciel d’écriture et de correspondance sous Linux.

    Toute la Gaule est occupée. Toute ? Non…

    Je suis devenu passionnément linuxien lors d’une des dernières longues nuits du siècle précédent. Pour me guider dans cette conversion, je m’accrocherai religieusement à l’incroyable formation Debian d’Alexis de Lattre. Formation qui m’accompagnera pendant des mois et m’influencera au point de publier mon premier livre sur le sujet après un lustre et de l’enseigner à l’université 15 années plus tard.

    https://formation-debian.viarezo.fr/

    Alexis de Lattre y présente notamment l’éditeur de texte Vim. Je deviendrai donc un utilisateur de Vim, pestant contre les rares fois où j’aurai à utiliser Emacs.

    Bien plus tard, je tenterai plusieurs fois d’approfondir mes connaissances de Vim grâce à l’excellent « Vim pour les humains » de Vincent Jousse, disponible à prix libre.

    https://vimebook.com/fr

    Note pour ceux qui ne connaissent que peu ou prou le monde Linux : Vim et Emacs sont deux éditeurs de texte aux philosophies d’utilisation radicalement opposées. Ce sont tous les deux des logiciels très puissants, mais qui nécessitent un investissement important avant d’être maitrisés. Il est de coutume, entre technophiles, de se considérer partisan de l’un et de critiquer l’autre. C’est un peu comme se disputer pour du poisson pas frais dans un célèbre village gaulois. Cela fait partie des traditions, c’est bon enfant, mais on reste néanmoins unis face aux hordes de légionnaires.

    Le secret de la potion magique

    Aimant écrire, aimant le clavier, il est normal que je me passionne pour l’optimisation de mon poste d’écriture. La douloureuse gestation de la nouvelle « Le vampire de Paris » me fera prendre conscience de l’importance de l’ergonomie et me motivera à utiliser une disposition de clavier Bépo.

    https://ploum.net/le-vampire-de-paris/

    L’effet sera incroyable : j’écris plus, j’écris mieux. J’y prends beaucoup plus de plaisir et je n’ai plus mal aux articulations.

    https://ploum.net/216-le-bepo-sur-le-bout-des-doigts/

    Entre-temps, une évolution s’est marquée dans ma carrière. Je n’écris désormais plus de code. J’alterne uniquement entre le texte brut et les courriels.

    Pour mes textes, j’utilise Zettlr, dont l’organisation et le mode Zettelkasten me conviennent très bien. Il y’aurait certainement moyen d’arriver à un fonctionnement similaire avec Vim, mais je n’y suis jamais parvenu. Zettlr fonctionne suffisamment bien pour que je n’éprouve pas le besoin de trouver une alternative même si, parfois, je regrette de devoir utiliser la souris et je peste sur la lenteur de Zettlr.

    En conséquence, je n’utilise presque plus Vim. Pourtant loin d’avoir été un utilisateur avancé, je perds chaque jour un peu plus mes réflexes.

    Je peste, par contre, sur le temps passé à écrire dans les logiciels de courriel que je trouve affreux, anti-pratiques, complexes. Plutôt que de simplement lire, écrire archiver et rechercher, il faut gérer des myriades de dossiers, de mouvements de souris, de boutons, de clic droit.

    J’ai tenté une configuration Mutt/Notmuch (permettant d’utiliser Vim pour rédiger ses emails), mais la complexité était telle que j’ai abandonné. Je souhaite garder avant tout une configuration simple et facilement reproductible sur plusieurs ordinateurs.

    Je lis régulièrement l’enthousiasme des utilisateurs d’Emacs. Parfois, un doute m’étreint : devrais-je abandonner mon identité de Vimeur, historique plus que pratique, et tenter d’apprendre Emacs ? Emacs pourrait-il devenir un prototype de client de correspondance dont je rêve pour écrire mes emails ?

    https://ploum.net/pour-un-logiciel-de-correspondance-plutot-quun-client-mail/

    Après tout, j’ai le souvenir que Richard Stallman, le créateur d’Emacs, répondait à ses emails de manière complètement déconnectée, que ses mails se synchronisaient automatiquement dès qu’il avait une connexion. De mon côté, la tâche est complexifiée par l’utilisation du Bridge Protonmail, mais rien qui semble insurmontable.

    Hélas, j’ai beau avoir passé quelques heures sur des tutoriaux Emacs, je n’ai encore jamais réussi à accrocher.

    Ils sont fous ces Romains !

    Investir dans Vim/mutt ? Prendre le temps d’apprendre Emacs malgré un cerveau presque quarantenaire ? Ou, tout simplement, accepter l’instabilité de Geary (qui, parfois, n’envoie pas les mails sans me prévenir, ce qui a cassé toute ma confiance) ou la rage permanente qu’est l’exposition à Thunderbird, son interface de vaisseau spatial du siècle précédent et sa recherche inutilisable (lors d’une recherche sur un patronyme, un mail envoyé la veille à la personne concernée apparait derrière une centaine de mails vieux de plus de 10 ans et qui contiennent un mot qui ressemble vaguement à ce nom. Tout bonnement insupportable, je préfère encore recourir à l’interface web) ?

    Bref, quel outil pour reprendre plaisir à lire et écrire des emails sous Linux tout en ayant la certitude que les mails sont facilement trouvables et bien envoyés ? Étonnant comme cette question reste difficile à répondre en 2020.

    C’est un peu comme si la philosophie monopolistique de la Silicon Valley avait déteint sur notre créativité. Les investisseurs californiens ont en effet ce concept de « kill zone ». Ne surtout pas innover dans un domaine où un monopole s’est déjà établi et semble indétrônable. En conséquence, ce sera soit Gmail et Outlook, qui lisent et trient nos emails, décidant à notre place lesquels doivent avoir de l’importance, soit un vieux Thunderbird en Clickorama dont l’interface n’a pas évolué depuis 20 ans…

    Comme si l’offre pléthorique de services de discussion centralisés distrayait les développeurs pour nous faire oublier la correspondance décentralisée. Comme si on voulait nous faire détester l’email, notre dernier espace de liberté.

    Il ne me reste qu’à rejoindre l’un des derniers villages peuplés de fous qui résistent encore et toujours à l’envahisseur. Mais vais-je rejoindre le petit guerrier intrépide Vimix et son petit chien Muttix ? Ou bien le livreur de menhir Emacsix, qui est tombé dans la potion magique quand il était petit ?

    Je serais curieux de lire vos réflexions et vos expériences sur votre blog, votre gemlog, dans un journal Linuxfr ou, bien entendu, par mail.

    Photo par Ferran Cornellà sur Wikimedia.

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  • Saturday 12 December 2020 - 12:24

    Fêter ses proches avec un échange personnel tout en limitant le consumérisme et le pouvoir d’Amazon.

    La période des « fêtes » est l’un des piliers de notre mode de vie consumériste. Pendant une brève période, il devient socialement obligatoire de trouver une série de cadeaux pour ses proches. Or, comme Milton Friedman l’avait déjà analysé, dépenser son argent pour les autres est économiquement sous-optimal. Au mieux, on achète quelque chose qui n’est pas prioritaire pour la personne concernée. Ou on l’achète trop bon marché et de moindre qualité. Ou trop cher par rapport au budget prévu. L’industrie s’est d’ailleurs spécialisée dans les « cadeaux gags », l’objet qui fera rigoler quelques secondes avant de finir dans une armoire ou dans la poubelle, car parfaitement inutile ou inutilisable.

    https://ploum.net/les-4-manieres-de-depenser-de-largent/

    Signe de la culpabilité écologique de notre embourgeoisement, nous passons des gadgets inutiles en plastique bon marché aux gadgets inutiles en bois bio très cher. Mais le principe est le même. Forcé d’offrir, nous consommons de manière absurde et pour un rapport plaisir/coût bien trop faible. Ce rapport peut même être négatif, le cadeau encombrant le destinataire, le forçant à le stocker avant de s’en débarrasser discrètement après une période socialement acceptable de possession.

    Le confinement a accéléré cette tendance, transformant les meutes suantes se pressant dans les centres commerciaux surchauffés par des frénésies de clics sur Amazon. Il en résulte des valses de livraisons incessantes, jusqu’à plusieurs fois par jours de plusieurs entreprises de livraisons différentes. Des livreurs épuisés sonnent à 9h du soir à notre porte pour garantir une livraison en 24h d’un objet absurde sur lequel l’algorithme d’Amazon nous a encouragés de cliquer distraitement la veille.

    Amazon pousse même le vice à rendre souvent plus chère la livraison moins rapide, spécialement pour les détenteurs d’un compte Prime. L’urgence, qui devrait être surfacturée et réservée aux cas exceptionnels, est devenue la gestion par défaut. Trois objets différents seront envoyés en trois colis différents pour éviter de retarder la livraison de quelques heures. Le tout se faisant au détriment de la santé des travailleurs, au détriment des petites enseignes locales qui ne peuvent garantir une telle rapidité, au détriment de la planète. Les plus cyniques y verront une stratégie consciente pour éviter aux clients d’Amazon d’annuler les achats impulsifs, les plus pessimistes une simple conséquence de notre compulsion à l’immédiateté.

    Pourtant, j’aime bien faire des cadeaux à mes proches. Mais je déteste y être obligé. J’aime la spontanéité, la sérendipité d’une idée imprévue.

    Pour moi, il n’est pas de cadeau plus inspirant qu’un livre inattendu. Offrir un livre, c’est offrir une chance pour le destinataire de découvrir un nouveau monde, un nouvel univers. Un livre peut changer une vie. Un livre peut apporter quelques heures de plaisir impromptu. Pas toujours. Mais, dans le pire des cas, le livre finira sur une étagère où il attendra son heure. Son stockage est aisé et sa seule présence peuple un intérieur. Le livre est patient. Il peut attendre des siècles. Il peut passer de mains en mains avant d’être ouvert. Il peut finir dans une bouquinerie où il commencera une nouvelle vie. Il peut se transmettre, se prêter, se donner.

    J’adore me balader chez les bouquinistes, avoir le regard attiré, par exemple par un ouvrage de Karl Popper qui finira par faire l’objet d’un billet sur mon blog. Ou trouver un livre, me dire qu’il plaira à mon épouse et le déposer sur son bureau sans rien dire.

    Avec le confinement, ces déambulations littéraires sont plus compliquées. L’algorithme Amazon broie toute sérendipité au profit de la rentabilité. Au lieu de découvrir un vieux titre inconnu et oublié, nous sommes sans cesse renvoyés aux livres qui se vendent le mieux. Nous sommes algorithmiquement pressés à la conformité jusque dans nos lectures.

    Alias a très bien résumé l’importance de, non pas de boycotter Amazon à tout prix, mais bien favoriser l’émergence d’alternatives.

    https://alias.erdorin.org/achats-en-ligne-des-presents-pour-lavenir/

    Il m’a notamment fait découvrir le site Stop Amazon qui propose des alternatives.

    https://www.stop-amazon.fr/Les-alternatives

    De son côté, Korben a listé les manières de se procurer des livres pendant le confinement.

    https://korben.info/livres-pour-le-confinement.html

    Autre idée pour soutenir les commerces locaux que vous appréciez et qui souffrent du confinement : contactez-les pour commander des chèques cadeaux.

    Enfin, il reste bien entendu la possibilité de trouver des petits éditeurs de livres indépendants qui ne sont pas sur Amazon. Au hasard, pourquoi ne pas offrir Printeurs ou le reste de la collection Ludomire comme cadeau de Noël ? (toutes les commandes passées jusqu’au mercredi 16 décembre sont garanties d’arriver pour Noël, au moins en France et en Suisse. Pour la Belgique, prévoyez un jour ou deux de plus).

    https://www.plaisirvaleurdhistoire.com/shop/37-collection-ludomire

    Pour les plus technophiles, une idée cadeau que j’affectionne est la sélection de livres électroniques. Une clé USB contenant des livres sans DRM et un petit texte l’accompagnant décrivant pourquoi on a choisi ces livres-là pour cette personne.

    Un véritable cadeau personnalisé qui ne demande ni transport ni livraison, dont le coût financier est minime, mais qui nécessite un chouette investissement personnel.

    Un livre d’occasion trouvé par hasard voire dans sa propre bibliothèque, une sélection de livres électroniques sans DRM. Des cadeaux magnifiques qui créent une réelle complicité, un échange, une relation personnelle entre celui qui offre et celui qui reçoit. Et cela, sans nécessairement dépenser beaucoup d’argent.

    C’est ce genre de cadeau que la publicité tente de nous faire oublier, que les fondamentalistes du copyright tentent de dénigrer sous le nom de piratage. S’échapper des algorithmes est devenu une forme de piratage.

    La sérendipité pirate ! Le cadeau que j’ai envie d’offrir et de recevoir.

    Pour vous, amis lecteurs, je vous souhaite :

    Un joyeux Noël anti-consumériste, mais plein de joie enfantine

    https://ploum.net/178-j-emmerde-noel/

    Un joyeux Newël plein de magie scientifique et de découvertes

    https://ploum.net/newel-dans-la-ceinture-d-asteroides/

    Et un effroyable solstice plein de Ph’nglui et de R’lyeh wgah’nagl fhtagn.

    https://ploum.net/229-un-effroyable-solstice/

    PS: Si votre esprit souscrit à l’alléchante perspective de la lecture de Printeurs mais que votre escarcelle s’y refuse, je dispose d’exemplaires suspendus qui vous attendent avec impatience. Contactez-moi simplement par mail pour en bénéficier, confidentialité garantie et aucune justification nécessaire. Si, au contraire, vous souhaitez alléger vos bourses en contribuant à ce programme, vous pouvez simplement passer votre commande sur le lien suivant. Celui Qui Dort Dans Les Profondeurs vous le rendra au centuple.

    https://www.plaisirvaleurdhistoire.com/shop/accueil/247-printeurs-version-ludomire.html

    Photo by Eddie Junior on Unsplash

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Wednesday 09 December 2020 - 15:08

    Une lecture personnelle de « L’Univers irrésolu, un plaidoyer pour l’indéterminisme » de Karl Popper, complétée par « Les Lois du chaos » et « La Fin des certitudes », d’Ilya Prigogine.

    Contrairement à une intuition souvent partagée, la science n’est pas une entité monolithique à laquelle on croit ou pas. C’est un fluide sans cesse mouvant qui tente d’étendre la connaissance globale humaine, de déterminer les règles qui régissent notre univers.

    Comme je l’ai écrit dans un précédent billet, prétendre que la science ne peut expliquer tel ou tel domaine relève d’une prétention absolue. Cela revient en effet à affirmer haut et fort que vous savez, avec certitude, que personne ne pourra jamais expliquer quelque chose que vous, vous pouvez identifier. Que vous avez donc atteint la connaissance ultime dans ce domaine particulier, que vous êtes sur ce point plus intelligent que tous les humains passés, présents et à venir.

    https://ploum.net/la-science-na-pas-reponse-a-tout/

    La science n’a pas réponse à tout ? Non, mais elle y tend de manière asymptotique. Karl Popper utilise souvent l’analogie de la pêche : la connaissance est un filet. Chaque progrès nous permet de resserrer les mailles du filet pour comprendre toujours un peu plus la réalité, mais nous laissons toujours quelque chose passer entre ces mailles.

    Le fantasme de Laplace

    Au 17e siècle, les Principia Mathematica de Newton suscitèrent un énorme espoir parmi les intellectuels. La science semblait presque complète. Chaque découverte semblait une nouvelle pièce de puzzle qui s’insérait magnifiquement. La « science totale » était à portée de main.

    Laplace imagina son célèbre démon qui, connaissant la position et la vitesse exacte de chaque particule dans l’univers à un temps donné, pouvait déduire le futur précis de cet univers.

    Selon cette vision, notre ignorance n’était plus qu’un manque de précision. Notre libre arbitre d’humain n’était qu’une méconnaissance de l’agencement des molécules du cerveau. Nous n’étions plus qu’une machine soumise aux lois d’un univers entièrement déterministe.

    Le déterminisme est la clarté qui s’oppose au chaos, l’étendard du siècle des Lumières, le triomphe de la raison. Einstein lui-même était un fervent partisan d’un déterminisme qui reste encore populaire.

    Au 20e siècle, les succès de la mécanique quantique vont lézarder l’édifice du déterminisme. Il devient en effet impossible de prédire, avant une mesure, les propriétés d’une particule. Tout au plus peut-on prédire une probabilité de résultat de cette mesure.

    L’interprétation de cette incertitude n’est pas intuitive. Pour l’école dite « de Copenhague », c’est la mesure elle-même qui détermine aléatoirement la propriété de la particule observée. La matière serait donc, au niveau quantique, intrinsèquement indéterministe. C’est inacceptable pour les déterministes comme Einstein pour qui cette imprécision est un simple manque de connaissance.

    Cet indéterminisme quantique donnera naissance à pléthores de théories tentant d’expliquer la conscience et le libre arbitre à travers la mécanique quantique, depuis les plus sérieuses aux plus farfelues (vous avez certainement vu passer des ateliers de méditation quantique, de connexion quantique à l’univers, de revitalisation quantique, etc.).

    Le raisonnement qui conduit à ces théories est simple. Si l’univers newtonien est déterministe et si la mécanique quantique est indéterministe, si l’existence du libre arbitre présuppose l’indéterminisme alors le libre arbitre s’explique par la mécanique quantique. Sophisme évident, mais terriblement intuitif et attrayant.

    Mais la science implique-t-elle réellement un univers déterministe ? C’est pour répondre à cette question que Karl Popper publie, en 1982, L’Univers irrésolu, sous-titré « Plaidoyer pour l’indéterminisme ».

    Quatre ans plus tard, Sir James Lighthill, alors président de l’Union internationale de mécanique pure et appliquée, présente officiellement ses excuses, au nom du monde scientifique, pour avoir induit, par excès d’enthousiasme envers les théories de Newton, le public en erreur en prétendant que le monde était prédictible.

    Si les Lumières nous ont appris que la science a bien réponse à tout, le 20e siècle nous apprend que cette réponse n’est pas déterministe.

    L’incomplétude de la science

    Dans son texte, Karl Poper utilise plusieurs arguments. Le premier c’est celui de l’incomplétude de la science qu’il illustre avec l’analogie du filet que j’ai citée plus haut. Pour que l’univers soit déterministe, il faut que la science soit complète donc que la somme des connaissances possibles soit finie. Une telle affirmation est, on le conçoit, assez prétentieuse.

    Mais en admettant que la connaissance soit finie, encore faut-elle qu’elle soit accessible à notre fameux démon de Laplace (qui pourrait être un ordinateur, un scientifique, un dieu) pour qu’il puisse l’utiliser afin de prédire le futur.

    Malheureusement, une connaissance finie entraîne le paradoxe de l’autoprédiction. Une entité connaissant les règles finies qui régissent l’univers serait en mesure de prédire ses propres découvertes futures simplement en prédisant ce qu’elle va afficher sur son propre écran ou sa propre imprimante. Elle est donc en mesure de prédire sa propre évolution, son impact sur son environnement et, en conséquence, de prédire les données que va lui fournir son environnement.

    Il est possible de démontrer que les calculs d’une telle entité prendront un certain temps et que le stockage informationnel est proportionnel à la taille de l’environnement prédit. Bref, que pour prédire l’univers, il faut… observer l’univers lui-même.

    Stricto sensu, cela ne pose pas un argument contre un univers déterministe, mais contre le déterminisme scientifique. Si déterminisme il y’a, les règles de celui-ci seront pour toujours inaccessibles.

    En fait, Gödel l’a démontré pour les mathématiques : une théorie ne peut être complète et se prouver elle-même. Une découverte admirablement vulgarisée dans le lien ci-dessous. On retrouve le même principe en informatique où Turing a démontré qu’il était impossible de créer un programme qui détermine si un autre programme s’arrête ou non.

    https://stopa.io/post/269

    Remarquons au passage que nous pouvons en inférer l’impossibilité mathématique de l’existence d’un dieu omniscient et omnipotent. Un dieu ne peut pas à la fois connaître le monde (il doit avoir la taille de ce monde) et agir dessus (il fait partie du monde).

    Quand bien même nous pourrions construire un ordinateur laplacien ultime capable de contenir toute la connaissance de l’univers, il serait impossible de lui fournir cette connaissance. Cela, à cause de la relativité. Un argument magnifique que Poppper a présenté à Einstein en personne alors que celui-ci arguait du déterminisme.

    La relativité nous informe en effet que rien ne peut se déplacer plus vite que la lumière. Nous sommes en permanence dans ce qu’on appelle un « cône informationnel ». Si vous voulez prédire ce qui se passera en 2021 sur Terre, vous n’avez besoin que de connaître tout ce qui se trouve à moins d’une année-lumière de notre planète. Si un cataclysme galactique devait se produire demain à deux années-lumière de la terre, il n’aurait aucun impact sur 2021.

    Cependant, pour pouvoir prédire 2021, j’ai besoin de savoir comment sont tous les corps célestes situés à une année-lumière de la terre… maintenant. Or, comme aucune information ne peut dépasser la vitesse de la lumière, je ne peux pas le savoir immédiatement. Le seul moment où j’aurai l’information nécessaire pour prédire 2021 sera… le 31 décembre 2021. En gros, la relativité nous condamne à ne connaître que le présent. Par essence même de l’univers, il est impossible de prédire le futur. Tout au plus peut-on vivre le présent.

    L’indéterminisme newtonien.

    Une autre idée que s’efforce de déconstruire Popper est celle du déterminisme newtonien. Deux corps s’attirent, cela semble une loi immuable et déterministe.

    Mais Newton lui-même n’a jamais prétendu au déterminisme. L’attraction entre deux corps n’est qu’une simplification très particulière d’une loi plus générale qui, elle, est statistique.

    Avez-vous déjà entendu parler du problème à trois corps ? En gros, si l’on peut calculer très simplement la gravitation de deux corps qui s’attirent mutuellement, il est impossible de prévoir exactement la trajectoire de trois corps qui interagissent. Trois corps en interaction représentent en effet un système dit chaotique.

    On croit souvent que chaotique signifie « difficile à calculer ». Que si l’on connaissait suffisamment la position et la masse des trois corps, il n’y aurait plus d’incertitude ! C’est une erreur.

    Imaginez trois planètes qui, partant d’une position de départ A, aurait un mouvement donné M. Trouvez une position de départ B qui est aussi proche que possible de A et qui donne, d’après vos instruments, un mouvement M’ très similaire, voire même indistinguable, de M. Il est toujours possible de trouver une position de départ A’, située entre A et B, qui aurait un mouvement complètement différent.

    Avec trois corps, même les lois de Newton deviennent statistiques et indéterministes. Il est impossible de connaître avec certitude le mouvement de trois corps soumis aux équations de la gravitation de Newton.

    Dans « La Fin des certitudes » et « Les Lois du chaos » (ce dernier étant un livre de moins de 100 pages qui réalise l’exploit de placer des références à Asimov et Turing dès le premier chapitre), Ilya Prigogine démontre exactement la même chose. Certaines réactions chimiques, qu’il appelle des « oscillateurs chimiques », sont imprévisibles au sens strict. Tout au plus peut-on inférer une probabilité, mais même une connaissance parfaite des conditions initiales ne permet pas de connaître avec certitude le résultat.

    Prigogine démontre que cette incertitude n’est pas due à un manque de connaissance, mais est belle et bien mathématique et structurellement propre à certains systèmes. En intégrant les équations décrivant ces systèmes, certaines informations disparaissent et deviennent probabilistes. Ce résultat n’est en fait pas nouveau. Il avait déjà été étudié par Poincarré, mais était considéré comme une curiosité.

    Dans les années 50, la théorie Kolmogoroff-Arnold-Moser démontrera que le calcul de simples trajectoires peut, lorsque des effets de résonance entrent en jeu, donner des résultats imprévisibles au sens strict. Renversement de situation ! En réalité, ce sont les systèmes prévisibles qui sont des curiosités. L’univers est majoritairement chaotique.

    Libre arbitre

    Popper va bien entendu beaucoup plus loin et développe de nombreux arguments que je vous invite à explorer par vous-même dans « L’univers irrésolu », qui est d’une lecture agréable. Sa conclusion est cependant contenue dans le titre : l’univers est intrinsèquement indéterministe. Le contraire impliquerait que tout ce que nous sommes aujourd’hui, cet article que vous lisez, nos poèmes d’adolescents et les symphonies de Beethoven soient informationellement contenues entièrement dans l’agencement de la matière lors du Big Bang.

    À titre anecdotique, quand j’ai commencé à écrire Printeurs, j’ai posé l’hypothèse d’un univers laplacien entièrement déterministe. Au cours de l’écriture, j’ai trouvé que les personnages subissaient trop l’histoire, qu’ils ne vivaient pas sous ma plume comme mes autres créations. Mais peut-être est-ce une conséquence obligatoire. Le libre arbitre n’existe pas dans un univers déterministe. À travers la fiction, j’explore l’idée que les tentatives pour rendre les profits économiques déterministes (et donc le reste de l’univers) induisent une destruction volontaire de notre libre arbitre (à travers notamment la publicité, la surveillance, etc.).

    L’indéterminisme est donc une condition nécessaire, mais, comme le souligne Popper dans son dernier chapitre, pas suffisante pour permettre le libre arbitre. Il souligne que les partisans du libre arbitre tentent à tout prix de le trouver dans les sources de hasard d’une réalité perçue comme quasi déterministe. Au contraire, notre libre arbitre provient des sources de déterminisme, de rationalité, dans un univers chaotique et indéterministe. Libre arbitre qu’il aborde volontairement très peu dans le texte même si on peut lire, au chapitre 23 :

    La manière dont le déterminisme scientifique a été réfuté me parait assez intéressante. Elle montre non seulement que nous ne pouvons pas remplacer nos décisions par des prédictions scientifiques sur nos propres actions futures (puisque ce genre de prédictions est impossible), mais également que l’argument décisif en faveur du déterminisme est l’existence de la connaissance rationnelle elle-même. Nous sommes « libres » non point parce que nous sommes sujets au hasard plutôt qu’à d’inflexibles lois naturelles ; nous sommes libres parce que la rationalisation progressive de notre monde — l’effort pour attraper le monde dans le filet de notre connaissance — se heurte, à n’importe quel moment, à des limites inhérentes à la croissance de la connaissance elle-même, celle-ci étant également, bien entendu, un événement à l’intérieur du monde.

    Sans une certaine connaissance anticipée, toute action rationnelle est impossible. Or, c’est très précisément cette connaissance anticipée qui, en définitive, s’avère tellement limitée qu’elle laisse une marge ouverte pour l’action, c’est-à-dire pour l’action « libre ».
    (Karl Popper, L’Univers Irrésolu, éditions Hermann 1984)

    Appliquer son libre arbitre n’implique donc pas de rejeter la science, de croire que « la science n’a pas réponse à tout ». Au contraire, devenir un libre penseur et un penseur libre implique de saisir tous les outils rationnels à notre disposition pour tenter d’influencer notre propre vie dans un monde éminemment chaotique. La science et la rationalité sont nos seules réelles libertés.

    Le futur est incertain, plus incertain encore que nous le faisait présager la mécanique quantique traditionnelle.
    (Ilya Prigogine, Les lois du chaos, Champs Flammarion 1994)

    La plupart des mouvances populistes utilisent des arguments et des théories anti-scientifiques pour précisément cette raison : nous ôter notre libre arbitre. Prétendre nous libérer pour mieux nous imposer une quelconque domination par l’ignorance, la foi et les certitudes. Au fond, il n’est d’humain réellement libre que celui qui n’est prisonnier que du doute et de la raison.

    La pensée n’avait pas de place dans l’image que la physique classique donnait de l’univers. Dans cette image, l’univers apparaissait comme un vaste automate, soumis à des lois déterministes et réversibles, dans lesquelles il était difficile de reconnaître ce qui pour nous caractérise la pensée : la cohérence et la créativité.
    (Ilya Prigogine, Les lois du chaos, Champs Flammarion 1994)

    Je suis @ploum, ingénieur écrivain. Abonnez-vous par mail ou RSS pour ne rater aucun billet (max 2 par semaine). Je suis convaincu que Printeurs, mon dernier roman de science-fiction vous passionnera. Commander mes livres est le meilleur moyen de me soutenir !

    Ce texte est publié sous la licence CC-By BE.

  • Tuesday 01 December 2020 - 11:50

    Quelques liens et lectures diverses, pour nourrir votre sérendipité. Ces dernières semaines, ma bibliothèque semble se remplir de livres écrits par des gens que j’apprécie, au web comme à la ville (sauf Valery Bonneau, le seul avec qui je n’ai jamais échangé de vive voix).

    Lectures égocentrées

    Le confinement a perturbé la logistique de mon éditeur. La plupart des romans Printeurs devraient arriver chez ceux qui l’ont commandé dans le courant de la semaine prochaine. Quelques veinards l’ont reçu en avance dont Sebsauvage qui vous donne son avis en cours de lecture.

    https://sebsauvage.net/links/?SlHGmQ

    Iceman, de son côté, répond par un billet de blog à mon billet de blog sur la correspondance par mail. J’aime retrouver cette philosophie de l’échange intellectuel par écrit comme la blogosphère nous l’a offert au début des années 2000.

    https://cheziceman.wordpress.com/2020/11/30/reflexion-correspondre-plutot-que-mal-communiquer/

    Une blogosphère que Facebook a tuée. Avec pour résultat une surveillance généralisée et un abrutissement total que dénonce de manière hilarante Valery Bonneau dans cette courte et excellente nouvelle « Une cuite de Shrödinger » (rappel : son recueil est en vente, je le conseille).

    https://www.valerybonneau.com/nouvelles-noires/cuite-schrodinger

    Trump

    Conséquence directe ? L’élection de Trump en 2016. Bon, on a assez prêté attention à Trump pendant quatre longues années et il est temps de passer à autre chose. En guise de conclusion, je partage entièrement l’opinion de François De Smet. Cela fait quatre ans que j’ai exactement la même théorie que lui : Trump ne voulait pas vraiment être élu. Mais il faut tirer les enseignements de cette élection et ne pas se satisfaire de tout ce qui n’est pas Trump.

    https://francoisdesmet.blog/2020/11/03/cher-donald-trump/

    La victoire de Trump aurait été la preuve que le populisme et l’anti-intellectualisme jusqu’à l’absurde fonctionnent. Mais, en quelques sortes, il a gagné. Il a démontré ce qu’une grande partie des électeurs voulaient : des paroles au lieu des actes, des sentiments et non des réalités ainsi qu’une légitimité à cracher sa haine.

    https://newrepublic.com/article/160212/republican-party-dead-its-trump-cult-now

    Sa victoire en 2020 aurait été un modèle morbide pour toutes les autres démocraties. La victoire de Biden, de justesse, n’est cependant pas une bonne nouvelle.

    Après quatre ans à saccager notre société et notre planète à un rythme effréné, nous revenons à l’ancienne méthode : saccager notre société et notre planète à un rythme diplomatiquement acceptable. La corruption polie plutôt que celle sauvage.

    Le destin des USA et, à cause de leur influence, d’une grande partie du monde, se jouait entre deux bliches, deux hommes blancs riches et quasi octogénaires. Comment parler d’avenir ?

    Productivité et faire carrière

    Un avenir dédié à la productivité ?

    Au fond, à quoi nous sert d’améliorer notre productivité ? À avoir du temps libre ou bien à travailler encore plus ? En choisissant la première solution, on est moins attractif sur le marché de l’emploi que ceux qui choisissent la seconde. Nous sommes donc obligés de passer notre temps à optimiser notre productivité pour pouvoir travailler encore plus.

    https://zandercutt.com/2019/02/18/were-optimizing-ourselves-to-death/

    Et comme nous travaillons plus, nous sommes forcés de créer des emplois qui sont soit inutiles, soit destructeurs. J’en parle assez régulièrement sur ce blog et j’avais résumé le tout en 5 points.

    https://ploum.net/les-5-reponses-a-ceux-qui-veulent-preserver-lemploi/

    Une fois productif, on peut postuler pour un emploi et découvrir le monde fabuleux du travail !

    Jeune ingénieur, j’ai été vite confronté dans ma carrière au choix de devenir « spécialiste » ou « manager ». La langue de bois corporate prétendait qu’il n’y avait pas de différence de traitement ni de statut. Malgré ma naïveté, j’ai très vite compris que les managers avaient beaucoup plus de pouvoir, de reconnaissance et d’opportunités de carrière. Un manager peut toujours changer de crèmerie pour aller vers le plus offrant. Être spécialiste d’un code source propriétaire propre à votre employeur vous met pieds et poings liés, pantalon baissé, à la merci de votre… manager. Ce billet revient en profondeur sur cette asymétrie.

    https://www.spakhm.com/p/parallel-tracks

    Astuce pour les étudiants et jeunes ingénieurs : refusez de passer trop de temps à apprendre du code propriétaire qui n’existe pas en dehors de votre boîte. Soyez francs et dites ouvertement que les seules compétences qui vous intéressent sont celles que vous pouvez monnayer à l’extérieur le jour où la boîte n’a plus besoin de vous. De mon côté, je me suis spécialisé au début de ma carrière dans les prototypes n’utilisant que des technos Open Source. Avant de devenir manager…

    D’ailleurs, vous voudriez vraiment devenir spécialiste de ce genre de code ?

    https://linuxfr.org/news/encore-un-exemple-de-code-spaghetti-toyota

    Souvenez-vous, les entreprises ne veulent pas que vous utilisiez vos capacités de réflexion. C’est d’ailleurs indispensable pour devenir manager.

    http://www.slate.fr/story/124061/entreprises-gens-intelligents-stupides

    Bandes dessinées

    Découverte dans une bouquinerie de Monsieur Mardi-Gras Descendres, par Éric Liberge. Une bande dessinée étrange : un squelette dans un monde de squelettes ! L’idée est géniale, l’univers absurde à souhait. On peut cependant regretter que l’intrigue se complexifie inutilement, que l’histoire et la lisibilité en pâtissent vers la fin. Cela reste néanmoins un ovni à découvrir. À la limite de la bande dessinée culte.

    Et si, comme moi, vous attendez avec impatience la suite d’UW2, un billet de Bajram à lire absolument. Car derrière l’œuvre se cache l’humain. Tout mon respect à Bajram.

    https://www.bajram.com/2019/11/23/des-nouvelles-duniversal-war/

    Sciences et Covid

    Un billet très intéressant sur l’origine de nos unités de mesure. Et sur la difficulté de les établir.

    https://couleur-science.eu/?d=926182–lorigine-de-nos-unites-de-mesure

    Nassim Nicholas Taleb explique les erreurs statistiques que commettent ceux qui sont contre le port du masque ou minimisent son efficacité.

    https://medium.com/incerto/the-masks-masquerade-7de897b517b7

    Thierry Crouzet, lui, revient sur l’importance de l’hygiène des mains, grande oubliée au profit du port du masque. Or, sans hygiène des mains, le masque ne sert à rien voire fait pire (vu qu’on le réajuste). Les deux billets sont en fait assez alignés : l’hygiène des mains partout et tout le temps, le masque dans les endroits confinés ou lorsque la distanciation physique n’est pas possible.

    https://tcrouzet.com/2020/11/24/covid-point-sur-la-polemique-mains-aerosols/

    Au fait, le covid a impacté salement les projets de certains développeurs indépendants, dont mes potes de Codefathers (je vous rassure, ils sont meilleurs en code qu’en jeux de mots moisis). Si jamais vous cherchez des gens bien pour développer votre projet, n’hésitez pas !

    https://codefathers.be/

    Bitcoin

    J’ai oublié de fêter un anniversaire particulier : les 10 ans de mon premier billet de blog traitant de Bitcoin. J’y fais énormément d’erreurs de compréhension de la monnaie, notamment tombant dans le piège de l’historique du troc (qui est entièrement faux. Je recommande à ce sujet la lecture du livre de David Graeber : « Dette, 5000 ans d’histoire »).

    https://ploum.net/monnaie-de-geek-monnaie-de-singe/

    Il y a une décennie, j’écrivais notamment :

    « Actuellement, un bitcoin vaut plus ou moins 0,07€ » et « Je n’y investirai donc pas toutes mes économies, mais j’adore le principe ».

    Ça a assez mal vieilli. J’aurais dû y investir toutes mes économies. Par contre, ma réponse à la question « Est-ce le bon moment pour investir dans les cryptomonnaies » n’a pas changé depuis 2018.

    https://ploum.net/est-ce-le-bon-moment-pour-investir-dans-les-crypto-monnaies/

    Bonnes lectures et bonne semaine à tou·te·s !

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  • Friday 27 November 2020 - 09:27

    Les possibilités infinies du HTML ont complexifié le web. À tel point qu’est né Gemini, un protocole dont le but est d’être et de rester le plus simple possible. Un nouveau réseau dédié à ceux qui veulent écrire et lire en ligne. Mais loin d’être un simple réseau, Gemini ouvre également la voie à une véritable mouvance : le slow web.

    Les développeurs informatiques savent bien que tout projet finit, un jour ou l’autre, par devenir une sorte de monstre de Frankenstein, une horreur qui fait un peu de tout très mal à un coût très élevé, mais rien de bien. En 2020, force est de constater que c’est exactement ce qui est arrivé au web.

    Le moindre site web fait désormais plusieurs mégaoctets, se charge en plusieurs fois rendant impossible toute utilisation sur une connexion instable, déplaçant des éléments de la page au moment où on essaye de cliquer. Le même site appelle des centaines de codes divers ralentissant les ordinateurs les moins puissants, remplissant la RAM, faisant des navigateurs des monstres de complexité.

    Je souhaite lire un article ? Encore faut-il qu’il charge correctement puis que je le trouve sur la page, entre des myriades de publicités, des logos, des extraits d’autres articles, des vidéos qui se lancent toutes seules. Pour chaque site, je dois apprendre à utiliser une nouvelle ergonomie. Tout ça pour simplement lire un lien que j’avais naïvement suivi.

    Parfois, après avoir paramétré les cookies et accepté les conditions du site (vous vous souvenez, je veux juste lire un article dont j’ai trouvé le lien), je ne trouve aucun contenu. Erreur temporaire ? Ou bien est-ce l’un de mes nombreux bloqueurs (de pubs, de JavaScript, d’avertissements, de trackers) qui a bloqué par erreur le contenu ? Peu importe, hors de question de tout désactiver. Sur le web, comme sur Tinder, il faut sortir couvert. Le web est à ce point complexe qu’il faut s’en protéger comme d’une maladie !

    Inutile de se lamenter sur le passé et sur une époque idéalisée où le web était plus simple. Souvenez-vous, nous avions les popups, les gifs animés et les musiques midi dans des frames cachées. Ça ne me manque pas. Constatons tout de même que le web est devenu une couche essentiellement applicative et particulièrement peu adaptée à un usage simple : écrire, publier, partager et lire des textes.

    Parmi les geeks, surtout les plus âgés, la recherche du retour au simple partage de texte est une véritable tendance.

    https://cheapskatesguide.org/articles/beauty-of-text.html

    Certains tentent de regagner une certaine clarté d’esprit et d’indépendance en développant de nouveaux navigateurs web simplifiés, en ne postant plus que du texte brut sur leurs serveurs web ou, au contraire, en reprenant l’habitude de surfer en ligne de commande, voire en se reconnectant sur le vénérable réseau Gopher.

    http://len.falken.ink/misc/writing-for-the-internet-across-a-human-lifetime.txt

    https://dataswamp.org/~lich/musings/links-browser.html

    Si Gopher est simple, mais trop limité et le web trop complexe, peut-être manque-t-il d’une solution intermédiaire ? C’est ce qu’ont pensé les auteurs du protocole Gemini, protocole qui tire son nom des missions astronautiques du même nom qui eurent lieu entre les missions simples Mercury et les missions ultra-complexes Apollo.

    La page principale du projet Gemini, à lire pour découvrir et explorer (le protocole est lui-même remarquablement court ) :

    https://gemini.circumlunar.space/

    Si le web permet d’accéder à du contenu HTML via le protocole http://, Gemini permet d’accéder à du contenu Markdown via le protocole Gemini://.

    Le markdown est simplifié, car l’objectif de Gemini est clair : ne pas permettre d’étendre le protocole et empêcher tout espionnage des visiteurs. L’utilisateur, surfant via un client Gemini, se contente de lire du texte avec des titres, des sous-titres et des mises en exergue voire des citations. Rien d’autre ! Même les liens sont limités à un seul par ligne.

    Pas de couleurs, pas de design, pas de mise en page (et pas toujours d’images). Le seul lien entre un auteur et son lecteur est le texte, le contenu. Au lecteur de faire ses choix pour rendre la lecture la plus agréable possible.

    Inutile d’ajouter que je suis absolument conquis par le concept. Mais est-ce que Gemini peut remplacer le web ?

    Pas du tout. Ce n’est pas l’objectif. Aveuglés par l’idéal monopolistique rabâché par la Silicon Valley, nous en venons à juger que tout ce qui ne peut pas avoir de monopole est un échec. Notre seule métrique étant l’argent, nous concluons que tout ce qui n’enrichit pas des investisseurs est une perte de temps. Mais, comme Mastodon le fait pour Twitter, Gemini n’a pas pour objectif de remplacer. Simplement de proposer une alternative, un autre type d’espace partagé. Le simple fait qu’être utilisé prouve que ces espaces sont un succès.

    https://write.as/eloquence/why-mastodon-and-the-fediverse-are-doomed-to-fail

    100% des utilisateurs de Gemini sont aussi utilisateurs du web. Une grande partie des contenus sur Gemini sont également disponibles sur le web classique. Il n’empêche que j’éprouve un plaisir incroyable à lancer Amfora (mon client Gemini en ligne de commande, screenshot en illustration) et à surfer sur Capcom, qui agrège les contenus postés récemment sur le réseau.

    https://github.com/makeworld-the-better-one/amfora

    gemini://gemini.circumlunar.space/capcom/ (ce lien est ma page de démarrage dans Amfora)

    Comme il est très simple de coder des clients Gemini, le choix est déjà large.

    https://kwiecien.us/gemini-client-review.html

    On peut accéder à des services comme Wikipédia, Hacker News, Lobste.rs depuis Gemini.

    gemini://gempaper.strangled.net/mirrorlist/

    J’ai personnellement ressenti deux gros manques : un agrégateur RSS, pour s’abonner à un gemlog (un blog sur Gemini) et un service pour collecter mes lectures (comme Pocket ou Wallabag). Ce dernier manque est cependant intéressant parce que cela me force à lire directement ce que je trouve intéressant, à me concentrer plutôt que papillonner. J’ai d’ailleurs pris le pli de n’utiliser qu’un seul onglet dans Amfora !

    Gemini a été conçu pour qu’un codeur moyen puisse développer un serveur et un client Gemini en moins d’une journée (à comparer avec votre client web qui représente des années d’efforts par des milliers de développeurs). Je trouve cependant dommage de ne pas avoir profité de l’occasion pour insister sur la décentralisation. La légèreté du texte permettrait d’imaginer que les contenus ne soient pas stockés sur un seul serveur, mais soient distribués.

    Mais, avant toute évolution technique, les auteurs de Gemini insistent sur un point : il faut du contenu. Il y’a presque plus de logiciels liés au projet que de sites Gemini ! Si vous voulez contribuer à Gemini, postez du contenu sur Gemini. Si vous avez un serveur web, n’hésitez pas à lire la documentation pour installer un serveur Gemini (c’est court et simple). Sinon, certains services vous proposent d’héberger votre gemlog.

    https://gemlog.blue/

    Ploum.net sur Gemini ? Vous vous doutez bien que cela occupe mes pensées et que je suis en train de réfléchir à la meilleure manière de le faire. Ce ne sera peut-être pas la plus rapide, mais c’est une de mes priorités. Je pense qu’il est nécessaire de développer aujourd’hui de nouveaux réseaux, légers, simples, rapides. Respectueux autant de notre attention que de la consommation électrique. Une espèce de slow web, un internet accessible depuis des connexions très aléatoires et depuis des terminaux e-ink ou du matériel de récupération. Par exemple le téléphone Mudita dont l’OS est open source.

    https://mudita.com/products/pure/muditaos

    L’idée de ce slow web me fait rêver. Je vous ai dit dans le billet précédent à quel point j’appréciais l’email. L’email et Gemini sont parfaitement complémentaires et pourraient un jour être suffisants pour se nourrir intellectuellement, ne gardant le web traditionnel que pour l’administratif. Je ne suis d’ailleurs pas le seul à imaginer ce futur.

    https://kwiecien.us/why-i-love-thunderbird.html

    Slow web ? Cela fait trop penser à des problèmes de connexion. Il faudrait un mot pour décrire ce concept. Que pensez-vous de Permacomputing ? Mot qui englobe également l’idée de rendre durable toute la chaine qui relie les participants au réseau.

    L’idée n’est pas de moi, mais de Solderpunk, le co-créateur du protocole Gemini et auteur d’un gemlog que j’ai découvert au hasard de mes lectures… sur le réseau Gemini bien sûr.

    gemini://gemini.circumlunar.space/~solderpunk/gemlog/permacomputing.gmi

    Vous l’avez compris, je suis fan. Et impatient que mon blog soit disponible sur ce réseau. N’hésitez pas à me communiquer vos écrits et vos trouvailles sur Gemini !

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  • Monday 23 November 2020 - 12:11

    Plaidoyer en faveur d’un logiciel de relations épistolaires électroniques, échanges sacrifiés au culte de l’instantanéité.

    J’aime l’email. Je ne me lasse pas de m’émerveiller sur la beauté de ce système qui nous permet d’échanger par écrit, de manière décentralisée. D’entretenir des relations épistolaires dématérialisées à l’abri des regards (si l’on choisit bien son fournisseur). Je l’ai déjà dit et le redis.

    https://ploum.net/email-mon-amour/.

    Pourtant, l’indispensable email est régulièrement regardé de haut. Personne n’aime l’email. Il est technique, laborieux. Il est encombré de messages. Alors toute nouvelle plateforme nous attire, nous donne l’impression de pouvoir communiquer plus simplement qu’avec l’email.

    Beaucoup trop d’utilisateurs sont noyés dans leurs emails. Ils postposent une réponse avant que celle-ci ne soit noyée dans un flux incessant de sollicitation. Entrainant, effet pervers, une insistance de l’expéditeur.

    Désabusé, la tentation est grande de se tourner vers cette nouvelle plateforme aguichante. Tout semble plus simple. Il y’a moins de messages, ils sont plus clairs. La raison est toute simple : la plateforme est nouvelle, les échanges entre les utilisateurs sont peu nombreux. Dès le moment où cette plateforme sera devenue particulièrement populaire, votre boîte à messages se retrouvera noyée tout comme votre boîte à email. Tout au plus certaines plateformes s’évertuent à transformer vos boîtes en flux, de manière à vous retirer de la culpabilité, mais entrainant une perte d’informations encore plus importante.

    https://ploum.net/comment-jai-fui-le-flux-pour-retrouver-ma-boite/

    C’est pour cela que l’email est magnifique. Après des décennies, il est toujours aussi utile, aussi indispensable. Nous pouvons imaginer un futur sans Google, un futur sans Facebook. Mais un futur sans email ?

    L’email pourrait être merveilleux. Mais aucun client mail ne donne envie d’écrire des mails.

    Je rêve d’un client mail qui serait un véritable logiciel d’écriture. Pas d’options et de fioriture. Pas de code HTML. Écrire un email comme on écrit une lettre. En mettant l’adresse du destinataire en dernier, comme on le fait pour une enveloppe.

    Un logiciel d’écriture d’email qui nous aiderait à retrouver un contact avec sa correspondance plutôt qu’à permettre l’accomplissement d’une tâche mécanique. Un logiciel qui nous encouragerait à nous désabonner de tout ce qui n’est pas sollicité, qui marquerait des mails les correspondances en attente d’une réponse. Qui nous encouragerait à archiver un mail où à le marquer comme nécessitant une action plutôt qu’à le laisser moisir dans notre boîte aux lettres.

    Bref, je rêve d’un client mail qui me redonne le plaisir d’interagir avec des personnes, pas avec des fils de discussions ou des onomatopées.

    D’un autre côté, j’abhorre ces tentatives de classement automatique qui fleurissent, par exemple sur Gmail. Outre qu’elles augmentent le pouvoir de ces algorithmes, elles ne font que cacher le problème sans tenter d’y remédier. Si les mails doivent être triés comme « promotions » ou « notifications », c’est la plupart du temps que je n’avais pas besoin de les voir en premier lieu. Que ces emails n’auraient jamais dû être envoyés.

    Enfin, un véritable logiciel de correspondance devrait abandonner cette notion de notification et de temps réel. Une fois par jour, comme le passage du facteur, les courriels seraient relevés, m’indiquant clairement mes interactions pour la journée.

    De même, mes mails rédigés ne seraient pas envoyés avant une heure fixe du soir, me permettant de les modifier, de les corriger. Mieux, je devrais être forcé de passer en revue ce que j ‘envoie, comme si je me rendais au bureau de poste.

    En poussant le bouchon un peu plus loin, les mails envoyés pourraient prendre une durée aléatoire pour être remis. Un lecteur de mon blog a même imaginé que cette durée soit proportionnelle à la distance, comme si le courriel était remis à pied, à cheval ou en bateau.

    Car l’immédiateté nous condamne à la solitude. Si un mail est envoyé, une réponse reçue instantanément, l’ubiquité du smartphone nous oblige presque à répondre immédiatement. Cela même au milieu d’un magasin ou d’une activité, sous peine d’oublier et de penser paraitre grossier.

    La réponse à la réponse sera elle aussi immédiate et la conversation s’achèvera, les protagonistes comprenant que ce ping-pong en temps réel ne peut pas durer plus de quelques mots.

    Paradoxalement, en créant l’email, nous avons détruit une fonctionnalité majeure des relations épistolaires : la possibilité pour chacune des parties de répondre quand l’envie lui prend et quand elle est disponible.

    Jusqu’au 20e siècle, personne ne s’étonnait de ne pas recevoir de réponse à sa lettre pendant plusieurs jours voire pendant des semaines. Écrire une lettre de relance était donc un investissement en soi : il fallait se souvenir, garder l’envie et prendre le temps de le faire.

    Cette temporisation a permis une explosion de la créativité et de la connaissance. De grands pans de l’histoire nous sont accessibles grâce aux relations épistolaires de l’époque. De nombreuses idées ont germé lors d’échanges de lettres. Pouvez-vous imaginer le 21e siècle vu par les yeux des historiens du futur à travers nos emails ?

    Une lettre était lue, relue. Elle plantait une graine chez le destinataire qui méditait avant de prendre sa plume, parfois après plusieurs brouillons, pour rédiger une réponse.

    Une réponse qui n’était pas paragraphe par paragraphe, mais bien une lettre à part entière. Une réponse rédigée en partant du principe que le lecteur ne se souvenait plus nécessairement des détails de la lettre initiale. Aujourd’hui, l’email nous sert à essentiellement à « organiser un call » pour discuter d’un sujet sur lequel personne n’a pris le temps de réfléchir.

    Des parties d’échecs historiques se sont déroulées sur plusieurs années par lettres interposées. Pourrait-on imaginer la même chose avec l’email ? Difficilement. Les échecs se jouent désormais majoritairement en ligne en temps réel.

    Pourtant, le protocole le permet. Il s’agit simplement d’un choix des concepteurs de logiciel d’avoir voulu mettre l’accent sur la rapidité, l’immédiateté, l’efficacité et la quantité.

    Il ne faudrait pas grand-chose pour remettre au centre des échanges écrits la qualité dont nous avons cruellement besoin.

    Nous utilisons le mail pour nous déresponsabiliser. Il y’a une action à faire, mais en répondant à l’email, je passe la patate chaude à quelqu’un d’autre. Répondre le plus rapidement, si possible avec une question, pour déférer le moment où quelqu’un devra prendre une décision. Tout cela au milieu d’un invraisemblable bruit publicitaire robotisé. Nous n’échangeons plus avec des humains, nous sommes noyés par le bruit des robots tout en tentant d’échanger avec des agents administratifs anonymes. Nous n’avons plus le temps de lire ni d’écrire, mais nous croyons avoir la pertinence de prendre des décisions rapides. Nous confondons, avec des conséquences dramatiques, efficience et rapidité.

    Pour l’interaction humaine, nous nous sommes alors rabattus sur les chats. Leur format nous faisait penser à une conversation, leur conception nous empêche de gérer autrement qu’en répondant immédiatement.

    Ce faisant, nous avons implicitement réduit l’interaction humaine à un échange court, bref, immédiat. Une brièveté et une rapidité émotive qui nous pousse à agrémenter chaque information d’un succédané d’émotion : l’émoji.

    Nous en oublions la possibilité d’avoir des échanges lents, profonds, réfléchis.

    Parfois, je rêve d’abandonner les clients mails et les messageries pour un véritable client de correspondances. De sortir de l’immédiateté du chat et de la froideur administrative du mail pour retrouver le plaisir des relations épistolaires.

    Update : Brandon Nolet semble avoir des idées similaires aux miennes.

    https://bnolet.me/posts/2019/07/conversing-through-email/

    Photo by Liam Truong on Unsplash

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  • Thursday 19 November 2020 - 12:36

    Quelques liens et conseils de lecture pour réfléchir sur nos dépendances à la technologie et à la superficialité.

    Couché sur le dos, j’allume des séries. Je zappe. Quand mon attention déraille, je lance des sites d’actualités que je déroule à l’infini. Les actualités évitent de penser. Contrairement à une fiction, il n’y a rien à comprendre, rien à chercher. Il suffit de se laisser happer par l’émotion brute pendant quelques secondes. Puis de continuer à faire défiler le site. Je reprends ensuite une série.

    Printeurs, chapitre 9

    L’addiction au smartphone, un poncif sur lequel tout semble avoir été dit. Depuis le mode d’emploi simple et efficace pour se libérer écrit par Korben aux analyses poussées de Cal Newport, est-il utile de revenir sur le sujet ?

    Oui, car ce n’est pas uniquement le smartphone le problème. Nos addictions sont toutes différentes. Depuis l’addiction physique au fait d’être devant un écran (traitée notamment par Michel Desmurget dans l’excellent « TV Lobotomie »), l’addiction aux contacts sociaux, l’addiction aux actualités, l’addiction aux jeux …

    Écrit en 2009, bien avant la vague des réseaux sociaux, le court texte Technology is Heroin offre une formidable analogie pour prendre du recul et comprendre notre dépendance à la technologie. Le point clé est l’inverse de ce que dit le titre : « Heroin is Technology ». En effet, l’héroïne était au départ une solution technologique innovante en vente libre pour se sentir bien. Pourquoi s’en passer ? Ce n’est qu’au fil du temps que certains effets pernicieux ont commencé à se faire sentir.

    http://tiny-giant-books.com/Entry1.html?EntryId=recgcpfuOFUesUpRy

    Comme l’héroïne, les nouvelles technologies ne font que manipuler un équilibre chimique cérébral issu de millénaires d’évolution pour nous procurer du plaisir facilement. Mais tout plaisir trop facile entraine un comportement morbide : évitement des difficultés, perte d’énergie, refuge dans les paradis artificiels. Ce que Cal Newport appelle « escapism ».

    Les fabricants de technologies, tout comme les dealers, ont très vite compris l’intérêt de créer des consommateurs addicts. Cet effet a été renforcé par l’apparition de monopoles technologiques, apparition rendue possible par la politique reaganienne qui a détricoté les lois antitrust pour les rendre le moins efficaces possible.

    https://getpocket.com/explore/item/has-dopamine-got-us-hooked-on-tech

    Les militants de longue date qui dénoncent l’abus des monopoles technologiques ne manquent pas (et, à ma petite échelle, j’en fais partie). Paradoxalement, ils sont très peu médiatiques. Au contraire d’anciens employés de ces mêmes monopoles qui ont fait fortune grâce à cette addiction et qui, soudain, se lancent dans une seconde carrière de militant. C’est dangereux, car s’ils apportent une vision de l’intérieur, ils ne sont pas neutres, ils découvrent seulement cet aspect de leur ancien métier et ils sont très loin d’être objectifs. Comme le dit Aral Balkan : 
    — À tous ceux qui me demandent ce que je pense du film Netflix « The social dilemma », je réponds : que pensez-vous du texte « The prodigal Techbro » ?

    Un texte qui, paraphrasant la parabole biblique du fils prodigue, nous montre que nous célébrons souvent quelqu’un qui tente de se repentir en oubliant complètement ceux qui, depuis le début, ont fait attention à ne pas commettre d’actions néfastes.

    https://conversationalist.org/2020/03/05/the-prodigal-techbro/

    D’ailleurs, la solution la plus souvent préconisée par les « techbros repentis » (essentiellement ce que j’appelle des bliches, des hommes blancs et riches), c’est… « plus de tech ». Le problème ne serait que du design. Il n’y aurait rien de sociologique, politique là derrière. Tu parles Charles…

    C’est exactement le danger dénoncé par « The prodigal techbro ». Une personne qui a fait sa fortune dans la tech, qui a l’intuition d’un problème, mais qui ne peut pas imaginer le résoudre autrement qu’en développant une solution technologique.

    https://www.fastcompany.com/3051765/how-our-tech-addiction-and-constant-distraction-is-a-solvable-design-problem

    Car si on creuse un peu, on se rend compte que la pollution mentale tant dénoncée n’est pas qu’un artefact technologique, un simple problème qu’une « bonne tech » pourrait résoudre. Elle est réellement volontaire et encouragée par les monopoles tech, même dans ses aspects les plus sombres et clairement illégaux. En bref, le problème n’est pas technologique, il est humain à la base.

    https://getpocket.com/explore/item/how-facebook-helps-shady-advertisers-pollute-the-internet

    Ce concept du prophète techbro repenti et blanchi est souvent aggravé par le syndrome du polymathe. Un polymathe, c’est quelqu’un qui excelle dans plusieurs domaines forts différents. L’exemple que j’aime donner est Bruce Dickinson, chanteur d’Iron Maiden et l’une des plus belles voix de l’histoire du métal, pilote d’avion gros porteur (licence commerciale) et escrimeur olympien. Il est également auteur de romans. Les véritables polymathes de ce genre sont incroyablement rares. Pour la plupart, ce sont des gens avec une spécialité bien précise et des centres d’intérêt vers d’autres domaines. Le problème c’est qu’il est difficile pour un non-expert de faire la différence entre un véritable expert et un amateur qui a lu deux livres sur le sujet. On aura une tendance naturelle à accorder beaucoup de valeur à l’opinion d’une personne spécialiste, même si elle s’exprime sur un domaine qui n’est pas le sien. La pandémie l’a démontré amplement : une certitude en blouse blanche devant une caméra est bien plus médiatique que mille études statistiques démontrant que l’on ne sait pas grand-chose et que la prudence est de mise.

    https://applieddivinitystudies.com/2020/09/28/polymath/

    Un autre aspect du problème c’est que les personnes qui parlent de ce sujet, à savoir les journalistes web, sont dépendantes des effets néfastes du même web pour vivre. Ils doivent créer des addictions à leur propre site pour vivre ! On a donc une relation symbiotique entre des pseudo-experts qui « ont vu la lumière » après avoir fait fortune en accaparant le cerveau des gens et des journalistes sans le sou qui parlent d’eux pour gagner de quoi (sur)vivre en accaparant les mêmes cerveaux. (le fait que l’article suivant soit sur Medium illustre l’ampleur du problème)

    https://medium.com/message/the-hypocrisy-of-the-internet-journalist-587d33f6279e

    Le pire ? Tout cela pourrit nos vies et notre cerveau, mais cela ne fait pas spécialement vendre mieux. C’est une sorte de course à l’armement. Faire plus de pubs ne fait pas vendre plus, mais ne pas faire de pub fait perdre des ventes. Lorsque cette bulle va un jour se dégonfler, cela ne risque de ne pas être joli joli.

    https://www.wired.com/story/ad-tech-could-be-the-next-internet-bubble/

    La publicité pourrit toute notre société. Notre étrange rapport aux stars qui ne sont plus adulées pour des accomplissements, mais parce qu’elles sont… des stars n’en est qu’un exemple parmi tant d’autres. Au Royaume-Uni, 54% des adolescents de 16 ans ont pour plan de vie de « devenir une célébrité ».

    https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/dec/20/celebrity-corporate-machine-fame-big-business-donald-trump-kim-kardashian

    Et ne croyez pas que les populations éduquées soient préservées. La recherche de prestige est même devenue l’ambition majeure des jeunes diplômés qui se ruent dans les entreprises qui sont « prestigieuses ». Si le prestige comme conséquence de l’excellence est peut-être une bonne chose, la recherche du prestige avant l’excellence entraine une course vers la médiocrité où l’apparence est le seul atout.

    Le problème, c’est que nous n’avons plus de mesure de l’excellence. Pour faire la différence entre un expert qui a étudié, avec compétence, un domaine pendant 20 ans et un internaute qui a lu des opinions sur des forums, il faut généralement avoir une certaine expertise soi-même. L’excellence est donc une perte de temps et la sélection naturelle nous pousse vers une culture d’apparence, de mensonge et de déconnexion de la réalité qui n’est pas sans rappeler les mouvances religieuses.

    https://wesdesilvestro.com/the-prestige-trap

    L’exemple est frappant dans mon pays où le parti écologiste a réussi faire voter une loi pour « sortir du nucléaire », entrainant un désinvestissement complet des infrastructures nucléaires alors que le nucléaire est aujourd’hui l’énergie la plus écologique. L’apparence et la médiatisation ont pris le pas sur la compétence et la réalité, avec des résultats dramatiques.

    Au final, on en est réduit à s’acheter tout. Même les amis histoire de montrer qu’on est populaire, qu’on a du prestige. Même si c’est un mensonge et que tout le monde le sait.

    https://namok.be/blog/?post/2014/04/25/comment-acheter-des-amis

    Enfermés dans nos petits plaisirs faciles et addictifs, nous n’avons plus l’énergie ni le temps de cerveau pour la difficulté, étape essentielle à l’excellence. Nous en sommes réduits à simuler, à nous mentir à nous même et à faire du marketing pour tout et n’importe quoi.

    D’ailleurs, à propos de faire du marketing : l’addiction à la technologie et la publicité sont des thèmes centraux de Printeurs, mon premier roman de science-fiction à paraître le 24 novembre. Si vous commandez votre exemplaire avant cette date, vous pourrez rejoindre le club très select des lecteurs privilégiés qui recevront chaque chapitre du tome 2 au fur et à mesure de son écriture ! Une opportunité unique et prestigieuse de briller dans les cocktails mondains.

    https://www.plaisirvaleurdhistoire.com/shop/29-utopies-p2p

    Si la crise du coronavirus a malheureusement impacté votre portefeuille, mais que le cœur y est, j’ai encore des exemplaires suspendus à distribuer (et vous pourrez également bénéficier du tome 2 en exclusivité). Envoyez-moi un mail !

    https://ploum.net/le-roman-suspendu/

    Je regarde défiler les milliers de messages de ces télépass persuadés de détenir des vérités secrètes pour la simple raison qu’elles leur font du bien et qu’ils se les racontent en groupe. Ils se sentent soudainement importants, ils se sentent exister, ils se créent une identité dans une société qui ne veut même plus d’eux comme simple rouage. Comme eux, je me sens seul, inutile, dans le noir. Comme eux, je ressens le désir, la bouffée d’espoir que représente une information qui me rendrait supérieur, important. Ou, pour le moins, pas complètement, désespérément inutile.

    Printeurs, chapitre 9

    Photo by engin akyurt on Unsplash

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