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  • Friday 15 March 2024 - 01:00

    Lectures : Une société de mensonges

    Productivisme

    En lisant ce simplissime et magnifique texte de Bruno Leyval décrivant la condition ouvrière, je ne peux m’empêcher d’avoir « Tranche de vie » de François Béranger en tête. Et de prendre pleinement conscience à quel point le fonctionnement en pause des usines est inhumain.

    Le travail de nuit est nécessaire pour plein de raisons : la santé, la sécurité, l’aide aux personnes. Ou bien dans l’agriculture, dans le soin de tout ce qui est vivant, des plantes aux animaux. Mais que dire du fait qu’on force des humains à travailler de nuit et se détruire irrémédiablement la santé pour fabriquer des bagnoles ou empaqueter des petits pois dont personne ne voudrait s’il n’y avait pas ce matraquage incessant du marketing ? Qui est ce « on » qui force ? Les patrons ? Les politiciens ? Ou nous-mêmes, les consommateurs ?

    Surveillance généralisée

    Les caméras de surveillance partout, ça ne peut pas faire de tort, hein ? Y compris dans les distributeurs automatiques. Et puis voilà qu’à cause d’un bug, la population étudiante d’une université canadienne découvre que les vendeurs automatiques de chocolats font de la reconnaissance faciale. Le visage de chaque client est scanné, à son insu, et des statistiques sur l’âge, le genre et potentiellement plein d’autres choses sont envoyées au département marketing. Afin de nous vendre les merdes produites par les travailleurs passant leurs nuits sur des chaînes de production.

    La question qui se pose : mais qui a accès à ces millions de données qui sont capturées autour de nous en permanence, que ce soit par notre montre, notre voiture, une caméra de surveillance ou un distributeur de boissons ?

    Aram Sinnreich et Jesse Gilbert ont trouvé la réponse. Elle est simple : tout le monde. Il suffit de payer et ce n’est vraiment pas très cher.

    Et même si vous n’avez aucun engin connecté, que vous faites très attention, aux États-Unis il est possible d’acheter les données concernant toutes les personnes se rendant à une adresse. Votre maison par exemple. Et savoir d’où elles viennent. Quel est leur niveau de vie.

    Mais, dans ce cas-ci, le fabriquant du distributeur tente de rassurer : la machine respecte les lois, y compris le RGPD européen.

    En fait, non. Le RGPD ne permet pas le scan de visage sans consentement. Mais si l’entreprise dit respecter le RGPD, qui ira vérifier ? Et comment vérifier ?

    En utilisant le RGPD, j’ai fait effacer plus de 300 comptes en ligne à mon nom (ça m’a pris trois ans). Après plusieurs années, certains comptes soi-disant effacés ont recommencé à m’envoyer des « newsletters ». Donc, en fait, rien n’était effacé du tout. Mention spéciale au restaurant de sushis qui avait remplacé mon login "ploum" par "deleted_ploum" et prétendait que tout était effacé alors que j’avais encore accès au compte via le cookie de mon ordinateur. Ou le site d’immobilier qui a soudainement commencé à m’envoyer journalièrement les résultats d’une recherche que j’avais enregistrée… il y a 10 ans ! (et je ne pouvais pas me désinscrire vu que j’avais officiellement effacé mon compte depuis plus de deux ans).

    Le marketing est, par définition, du mensonge. Les gens travaillant dans le marketing sont des menteurs. Dans les écoles de marketing, on apprend à mentir, le plus outrageusement possible. Tout ce qu’ils disent doit être considéré comme un mensonge. Nous sommes entourés d’un nuage de mensonges. Toute notre société est construite sur le rejet de toute forme de vérité.

    Lorsqu’un menteur est pris en flagrant délit, ce n’est pas le mensonge détecté le problème. C’est, au contraire de réaliser tous les autres mensonges que nous n’avons jamais détectés.

    Les hallucinations de Turing

    Le test de Turing dit qu’une intelligence artificielle est véritablement intelligente si on ne peut pas distinguer ce qu’elle écrit de ce qu’écrirait un humain. Turing n’avait pas envisagé que l’immense majorité des écrits humains seraient des piles de mensonges produits par des départements marketing. Dans tout ce débat, ce qui m’impressionne n’est pas tellement l’intelligence de nos ordinateurs, mais la bêtise humaine…

    Ce n’est même pas caché. Quand un journaliste de The Verge fait un article pour dire qu’une imprimante fonctionne bien (parce qu’elle imprime et pis c’est tout, ce qui est un truc de dingue dans le monde moderne), il est obligé de rajouter, de son propre aveu, du bullshit généré par ChatGPT afin que l’article paraisse sérieux aux yeux de Google. Lui, il le reconnait et préviens de ne pas lire. Mais pour un article comme cela, combien ne le disent pas ?

    Les modèles de langage larges (LLM) sont condamnés à « halluciner », le terme politiquement correct pour « raconter absolument n’importe quoi ». Exactement comme les départements marketing. Ou comme les religions ou n’importe quelle superstition. L’être humain a une propension à aimer le grand n’importe quoi et à y trouver un sens arbitraire (c’est le phénomène de paréidolie, qui permet notamment de voir des formes dans les nuages).

    Donc, ma question : vous espériez quoi, très sincèrement, des intelligences artificielles ?

    Les mensonges que nous nous racontons

    Et vous espérez quoi de l’humanité ? Non seulement nous passons notre temps à nous mentir, mais à « débattre » nos propres actions qui ne devraient même pas être discutables.

    Allez, je vous donne un exemple de comportement que nous trouvons « normal » simplement parce que nous sommes trop crétins pour dire aux marketeux qu’ils sont de dangereux menteurs psychopathes et que donc, on se dit qu’ils ne doivent pas avoir toujours complètement tort.

    Oui, je veux sauver la planète ! Chaque jour, je prends sur mon salaire pour faire un don de dix ou vingt euros à une énorme organisation multinationale qui fait travailler les enfants dans des conditions horribles et qui est responsable de près de 1% de toutes les émissions de CO2 de la planète. Sans compter les polluants : je participe chaque jour à l’une des plus importantes sources de pollution des nappes phréatiques et des océans.

    C’est pour ça que je les soutiens chaque jour. Ça me coûte cher, mais je continue ! Et en les soutenant, je participe à tuer 8 millions de personnes chaque année, à causer 50x plus de cancers en France que n’importe quelle autre pollution et je participe activement à empirer toutes les maladies respiratoires dans mon entourage, surtout les plus jeunes.

    Bref, je fume.

    En plus, je pue. Je dérange tout le monde, mais personne n’ose me le dire, car c’est « ma liberté ». Les non-fumeurs sont tellement bien élevés, ils n’osent pas me dire que, si, ça les dérange que je m’en grille un. Alors, j’emmerde les non-fumeurs, j’emmerde les asthmatiques, j’emmerde la planète, car fumer, c’est ma liberté. Donner mon argent à l’une des entreprises les plus polluantes du monde, c’est ma liberté. Rendre asthmatiques mes enfants, c’est ma liberté. D’ailleurs, je vais manifester pour le climat en m’en grillant une !

    Le tabac est un exemple très symptomatique : il est hyper dangereux, hyper polluant, hyper nocif y compris pour les non-fumeurs et n’a aucune justification pratique. Aucune, zéro, nada. L’interdiction de la vente de tabac aux jeunes ne devrait même pas être discutable. L’interdiction de fumer à moins de cent mètres d’un mineur devrait vous paraître une évidence.

    Ce n’est pas le cas. Et beaucoup trouvent que simplement dire à un fumeur « tu pues, tu m’empestes » c’est « pas très respectueux », mais que se taper une crise d’asthme ou un cancer de tabagisme passif, c’est « normal ». Socialement, je ne comprends pas comment on ne considère pas un type qui allume une clope en public comme quelqu’un qui enlève son pantalon et se met à déféquer au milieu de la rue : comme un gros dégueulasse qui n’a aucune éducation et qui empeste son environnement (avec la différence que la merde n’est pas cancérigène).

    Pour mettre en rapport, le tabac c’est trois crises du COVID chaque année. Rien que les morts annuels du tabagisme passif sont au même niveau que les victimes du COVID. Mais, contrairement au COVID, on ne prend aucune mesure alors que celles-ci sont faciles et évidentes. Pire, on encourage activement notre jeunesse à fumer !

    Il faut en déduire que tant qu’on tolère la vente et la fumée dans l’espace public, c’est qu’on n’a pas envie de sauver la planète ni la vie des humains. Voilà, au moins les choses sont claires. Ce n’est pas qu’on ne peut pas. On ne veut pas. Point. C’est bon ? On peut arrêter de faire semblant et détacher les capuchons des bouteilles en plastique ?

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du coffret libre et éthique « SF en VF ».

  • Tuesday 05 March 2024 - 01:00

    Lectures : petite écologie de l’éducation et de l’informatique

    De l’importance de l’écriture manuelle

    L’écriture à la main, que ce soit avec un stylo, un crayon, un marqueur ou ce que vous voulez est une étape primordiale dans le développement du cerveau et dans la compréhension future de la langue écrite.

    La littérature à ce sujet semble unanime, mais l’étude suscitée va encore plus loin en mesurant l’activité neuronale lors de l’écriture à la main ou avec un clavier. Il n’y a pas photo : l’apprentissage de l’écriture se fait donc d’abord, et c’est essentiel, en écrivant à la main et en déchiffrant différentes écritures.

    Ensuite, si l’outil informatique vous intéresse, je conseille très fortement d’apprendre la dactylographie. Cela ne demande que quelques semaines d’efforts et cela change complètement l’interaction avec un ordinateur. Pour rappel, la dactylographie sur un clavier se base sur deux principes fondamentaux :

    Premièrement, chaque touche correspond à un doigt particulier. On n’utilise pas les doigts au hasard.

    Deuxièmement, la dactylographie doit impérativement s’apprendre à l’aveugle. Il ne s’agit pas de connaître par cœur la disposition du clavier ou de la visualiser. Il s’agit de créer un réflexe musculaire, un mouvement d’un doigt particulier pour chaque lettre.

    C’est comme ça que j’ai appris à taper en Bépo et c’est, je pense, le meilleur investissement en temps que j’aie jamais fait de toute ma vie. Le fait de taper à l’aveugle et au rythme de ma pensée a transformé l’écriture en une véritable extension de mon cerveau. Je n’écris pas ce à quoi je réfléchis, mes pensées se contentent d’apparaitre sur l’écran.

    Je tape tout en Bépo dans Vim car Vim me permet d’étendre les automatismes dactylographiques aux actions sur le texte lui-même : se déplacer, supprimer, remplacer, copier-coller. Mes enfants sont peut-être encore jeunes pour se mettre à Vim, mais si jamais une envie de Vim (une envim quoi) vous titille, je vous conseille le court manuel de Vincent Jousse.

    Digitalisation de l’éducation

    La « digitalisation » à l’aveugle des salles de classe est une hérésie absolue. Surtout que l’immense majorité des professeurs sont complètement incompétents en informatique et ne comprennent pas eux-mêmes ce qu’est un ordinateur (ce qui est normal et attendu, ils n’ont jamais été formés à cela).

    Dans l’école primaire de mes enfants, ils sont tout fiers de proposer des séances d’explications… de PowerPoint !

    Alors, deux petits rappels importants :

    Premièrement, apprendre à utiliser des logiciels commerciaux, ce n’est pas de l’informatique. C’est de l’utilisation d’un outil commercial qui n’est pas généralisable et donc foncièrement inutile sur le long terme. Les enfants ont appris à cliquer sur deux boutons ? À la prochaine version, les boutons seront ailleurs et les enfants n’auront aucune connaissance intuitive de leur outil. Et c’est sans doute parce que le professeur n’en a aucune lui-même, mais c’était le prof de l’école qui « aime bien l’informatique », qui clique sur des .exe sans transpirer à grosses gouttes, du coup on lui confie ce rôle.

    En deuxième lieu, si vous voulez qu’un enfant se débrouille avec n’importe quel logiciel, il y a une solution très simple : laissez-le faire. Sérieusement, laissez-le chipoter, essayer, faire n’importe quoi. Dans le cas du PowerPoint, je suis certain que si on laisse une classe une heure avec le logiciel, elle en saura plus que l’adulte qui peine. Mettez-leur en main des ordinateurs où ils ont le droit de « tout casser ».

    Après, il y’a un énorme problème avec la génération actuelle à qui on fourgue une tablette dès la couveuse : ils n’ont jamais chipoté. Ils sont nés avec des appareils avec des grosses icônes sur lesquelles il suffit de cliquer pour acheter des applications. Des appareils qui sont conçus à dessein pour empêcher de comprendre comment ils fonctionnent et qui ne peuvent pas être « cassés ». Les outils propriétaires sont, par essence, des boîtes noires qui se veulent arbitraires et incompréhensibles.

    Ce n’est pas de l’informatique. Ce n’est pas une connaissance utile. Ce n’est pas le rôle de l’école de s’occuper de cela.

    Je réfléchis beaucoup à une méthode d’enseignement de l’informatique. Et j’en suis arrivé à une conclusion : apprendre les bases de l’informatique doit se faire sans ordinateur. Il y a tant de choses amusantes à faire sur un tableau noir : compter en binaire, écrire des petits algorithmes, créer des groupes d’enfants appliquant chacun un algorithme et voir ce qui se passe si on se passe des « données » dans un ordre plutôt qu’un autre…

    Le concept de boîte noire

    L’ingénieur tente d’utiliser une boîte noire avec laquelle il a appris à interagir grâce au scientifique. Le scientifique, lui, cherche à comprendre comment fonctionne l’intérieur de la boîte noire (qui contient elle-même d’autres boîtes noires).

    Méfiez-vous des gens qui vous vendent des boîtes noires, mais sont étonnés à l’idée que vous demandiez ce qu’il y a à l’intérieur.

    Réseaux sociaux

    Outre comprendre l’informatique, il est vrai que les nouvelles générations doivent apprendre à vivre dans un monde de réseaux sociaux. Mais, une fois encore, la plupart des adultes ne comprennent rien et tentent d’imposer leur vision étriquée de ce qu’ils n’ont pas compris.

    J’écrivais qu’un véritable réseau social ne peut pas être un succès. Tout le monde ne peut pas être dessus, sinon ce n’est plus vraiment un réseau social.

    Winter traduit très bien ce sentiment avec ses mots : sur chaque plateforme, nous avons une identité différente, une créativité qui s’accompagne parfois d’une grande pudeur.

    Après tout, lorsque j’ai créé ce blog, j’ai évité consciencieusement toute référence à mon nom officiel pour pouvoir m’exprimer sans crainte d’être jugé par mes proches. Ce n’est que petit à petit que j’ai pu prendre l’assurance de lier l’identité de Ploum avec celle de Lionel Dricot. J’ai tenu deux autres sites web, aujourd’hui disparus, dont un qui était un blog avant la lettre, sous des identités qui n’ont jamais été liées à moi. Dans son livre « Mémoires Vives », Edward Snowden insiste sur cet aspect multi-identitaire fondamental à sa vocation. Aaron Swartz a également utilisé ces outils pour contribuer à définir la norme RSS en cachant qu’il était encore adolescent.

    Cet apprentissage, ces libertés et ces explorations de ses propres identités sont malheureusement complètement perdus dans la vocation des réseaux sociaux centralisateurs qui imposent une et une seule identité.

    La seule chose que les jeunes peuvent faire désormais, c’est de créer un compte sous un faux nom "réaliste", ce qui les incite à se faire passer pour un camarade et, de ce fait, à se porter préjudice l’un à l’autre, au grand dam des établissements scolaires et des parents qui doivent prendre des mesures énergiques pour dire que « Ça ne se fait pas d’usurper l’identité d’un autre ».

    Non, ça ne se fait pas. Mais ça se fait de s’inventer des identités. De se créer des univers différents, qui interagissent dans des communautés différentes.

    Et nous avons revendu cette liberté contre la possibilité d’être fliqué par la publicité avec l’obligation d’avoir notre vrai nom partout parce que « c’était plus facile ».

    Bloat JavaScript

    Et même sur le côté « plus facile », nous nous sommes fait avoir par le côté « boîte noire sans cesse changeante ».

    Niki, blogueur sur tonsky.me, s’est amusé à calculer la quantité de JavaScript que chargent les sites principaux… par défaut ! Sur le « minimaliste » Medium, c’est 3Mo. Sur LinkedIn, c’est 31Mo.

    Pour rappel, il y a zéro JavaScript sur ploum.net. En fait, pour un rendu relativement similaire (du texte aligné au milieu d’un écran), vous devriez télécharger 1000 fois plus de données pour lire un de mes billets sur Medium et 10.000 fois plus de données pour lire un de mes billets sur LinkedIn.

    En plus du temps de téléchargement, le processeur de votre appareil serait mis à rude épreuve pendant quelques dixièmes de secondes voire des secondes tout court, augmentant la consommation d’électricité (de manière significative) et vous donnant une légère impression de lenteur ou de difficulté lors de l’affichage. Si vous avez un appareil un peu ancien ou une connexion un peu mauvaise, ces difficultés sont multipliées exponentiellement.

    Ah oui. En plus de tout, sur Medium et LinkedIn, vous êtes complètement pistés et les données de votre lecture vont grossir les milliers de bases de données marketing.

    Il y a même des chances que, pour lire l’article sur Medium ou LinkedIn, vous utilisiez le mode « lecture » de votre navigateur ou d’un logiciel quelconque. Mode qui après avoir tout téléchargé et tout calculé va tenter d’extraire le contenu de l’article pour l’afficher dans un style similaire à ploum.net.

    Tous ces allers et retours alors qu’il est tellement simple, en temps que webmaster, d’offrir le texte directement, sans fioriture. De simplifier la vie de tout le monde…

    Gaspillage et sécurité

    Ces systèmes sont donc plus lourds, plus énergivores, beaucoup plus compliqués à produire. Pourquoi les produit-on ?

    Mais ce n’est pas tout ! Leur complexité augmente la surface d’attaque potentielle et donc le nombre de failles de sécurité. Une joie pour les script-kiddies. Sauf que plus besoin des script-kiddies, les intelligences artificielles peuvent désormais automatiquement exploiter les failles de sécurité.

    On va donc avoir, d’une part, des sites de spam/SEO générés automatiquement et, d’autre part, des sites légitimes qui se sont fait pirater et sur lesquels a été injecté du contenu spam/SEO.

    Voilà, voilà, ne me dites pas que je ne vous avais pas prévenu.

    Écologie

    Le plus difficile, dans tout cela, c’est certainement la pression sociale. Si on aime vivre en ermite comme moi, c’est simple de refuser Whatsapp, Google. Mais lorsqu’on est ado, on se fout de ces principes. On veut faire partie du groupe. Avoir un iPhone. Être sur Tiktok. Jouer au dernier jeu à la mode en parlant du dernier Youtubeur sponsorisé par une marque d’alcool ou de tabac. Porter des fringues de marque produit par des enfants dans des caves en Thaïlande.

    Pour l’adolescence, les préceptes moraux et les interdictions sont là pour être contournés (et c’est une bonne chose). Tout ce que nous pouvons offrir, c’est l’éducation. La compréhension des enjeux et des conséquences des actes posés dans leur univers de vie.

    Bref, dans l’informatique comme dans tout autre domaine, nous devons enseigner l’écologie.

    Mais encore faut-il que nous la comprenions nous-mêmes.

    Nous vivons dans un monde où l’eau de pluie est désormais contaminée par des polluants dangereux… partout sur la planète ! Il n’existe plus une goutte d’eau de pluie qui soit considérée comme potable.

    Alors, peut-être que nous devons accepter n’avoir pas de leçons écologiques à donner à nos enfants…

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

    Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du coffret libre et éthique « SF en VF ».

  • Friday 23 February 2024 - 01:00

    Lectures : utopies, écologie, pirates et meta-bullshit

    Les conséquences de l’utopie

    Je suis tombé sur plusieurs analyses du cycle de la Culture, de Iain M. Banks, une série de livres de SF que j’aime beaucoup et dont Elon Musk et Jeff Bezos disent s’inspirer.

    Science-fiction utopique, le cycle de la Culture est une véritable réflexion sur la notion même d’utopie. À ne pas confondre avec la SF pseudo-utopique (et, pour moi, profondément ennuyeuse) de type Becky Chambers où le monde a été détruit, l’humanité décimée, mais comme tout le monde boit du thé avec de l’eau recyclée chauffée par des panneaux solaires, alors tout va bien et on balaie d’un revers de la main tout questionnement sur les millions de morts du passé.

    Tout le contraire des romans « Feel Good », La Culture décrit, avec une approche parfois ardue, une société post-scarcité où chaque humain (ou intelligence artificielle) peut poursuivre sa voie personnelle à sa guise et où toutes les tentatives d’obtenir un pouvoir quelconque sont réprimées gentiment (et n’ont de toute façon aucun sens vu que tout le monde peut obtenir tout ce qu’il veut). Vu comme ça, difficile de voir en quoi cela peut inspirer des milliardaires capitalistes.

    Deux théories possibles : la première est qu’ils se soient arrêtés à l’aspect prépubère des vaisseaux spatiaux super-cool qui franchissent l’espace en faisant piou-piou. La seconde, c’est qu’ils se voient eux-mêmes comme des dieux dont tous les désirs sont satisfaits, nonobstant complètement leur propre impact sur les autres. Dans tous les cas, ils ont complètement raté le sous-titre d’un auteur qui est, de son propre aveu, profondément socialiste et anti-capitaliste.

    Un des sujets principaux de la Culture, c’est le sens de la vie d’une humanité qui n’a plus aucune contrainte matérielle. Avec cette superbe analogie : non, l’invention de l’hélicoptère n’a pas tué l’alpinisme. Si le but était de se tenir au sommet d’une montagne, il n’y aurait plus d’alpinistes. Mais l’objectif n’est pas de se tenir quelques secondes au sommet. Il est de grimper. De tracer son chemin.

    Et nous sommes prêts à suivre les aventures de ceux qui grimpent. Nous nous foutons complètement de la vie de quelqu’un qui prend l’hélicoptère. Il en va de même pour l’art : l’art n’a rien à redouter de l’intelligence artificielle, car l’art, par essence, est un processus de création. Un chemin. Il y a quatre ans, je décrivais le processus créatif comme un lien entre humains.

    L’art-gorithme…

    Je définis personnellement l’art comme ce qu’un humain ne peut pas ne pas faire. Un écrivain n’est pas quelqu’un qui écrit. C’est quelqu’un qui ne peut pas ne pas écrire. Un musicien ne peut pas ne pas faire de la musique. Un programmeur ne peut pas ne pas programmer.

    C’est toute la différence entre l’art et le travail. C’est aussi la raison pour laquelle certains grands artistes s’éteignent en devenant professionnels. Car l’art devient alors une obligation plutôt qu’une pulsion.

    Nous sommes d’accord, les algorithmes menacent les rentrées financières, souvent précaires, des artistes. Mais c’est parce que les artistes ne vivent, dans une immense majorité, pas de leur art. Ils vivotent en prostituant leurs capacités techniques et leur talent pour faire du marketing, des logos, du webdesign et des images à coller sur les emballages. Affamés par une société ultra-consumériste, ils survivent en en devenant l’esclave.

    Avec l’AI, la société consumériste ne menace pas les artistes. Elle a juste rajouté une corde à son arc pour négocier les salaires de ses esclaves à la baisse. Comme dit Cory Doctorow : « Les AI ne sont pas capables de vous remplacer à votre travail. Mais les producteurs d’AI sont capables de convaincre votre patron qu’elles le sont. ».

    De mon côté, j’aime rappeler qu’on n’est pas encore capable de faire une putain de toilette qui se nettoie toute seule de manière efficace, qu’on doit tous, tous les jours, racler notre merde (ou, payer quelqu’un pour le faire à notre place), mais que, ne vous inquiétez pas, on dépense des milliards pour automatiser le travail des artistes… Le sens des priorités est clair.

    Personnellement, je pense que la première manière de soutenir les artistes, c’est de le découvrir et de les faire connaître autour de vous, d’en parler comme des humain·e·s en train d’escalader des montagnes plutôt que d’aduler la photo où ils sont au sommet. Le partage inclut bien entendu le piratage (oui, piratez mes livres ! Prêtez-les ! Donnez-les !). Si vous voulez aller plus loin, voyez avec l’artiste en question la meilleure manière de le soutenir et celle qui vous convient le mieux. Personnellement, j’aime que mon éditeur et que les libraires indépendants soient également soutenus, du coup je vous encourage à acheter mes livres sur arbres morts dans des petites librairies. Mais pour d’autres, cela peut être un don, un crowdfunding… Enfin, faites ce que vous voulez !

    Piratage et médias

    En parlant de piratage justement, mon attention a été attirée sur l’étagère de livres « à donner » de la bibliothèque publique de ma ville. Mon bibliothécaire m’a expliqué qu’ils avaient une obligation formelle d’avoir plus de 50% de livres de moins de 10 ans dans leur stock. Régulièrement, la bibliothèque se débarrasse donc de livres qui ont dépassé l’âge fatidique. Dans ce cas-ci, le livre qui a retenu mon attention s’intitule « Capitaine Paul Watson : Entretien avec un pirate », de Lamya Essemlali. Comme mon épouse venait de m’offrir un pull Sea Sheperd, j’avais justement le personnage en tête je me suis approprié le livre.

    Absolument non littéraire, le livre n’est qu’une grande interview du co-fondateur de Greenpeace et puis de Sea Shepperd. Ce qui est fascinant, c’est de découvrir un personnage « no bullshit » comme j’en voudrais plus.

    Le personnage de Paul Watson n’est pas vraiment sympathique. Mais il s’en fout.

    Notre objectif n’est pas de protester contre la chasse à la baleine, il est de l’arrêter.
    – Entretien avec un pirate, p. 77

    Tout au long du livre, il assène qu’il est stupide de tenter de lutter pour la préservation des emplois et contre la pauvreté si cela se fait au détriment de la planète. Parce que si l’écosystème est détruit, on sera bien avec nos emplois et nos richesses. On sera tous pauvres. Ou morts. L’écologie est le combat de base de tout militant. Elle vient avant le social. Il pousse la cohérence jusqu’à interdire la cigarette à bord de toute la flotte Sea Sheperd. Les repas sont également végans.

    Il tire à boulets rouges sur Greenpeace qui est devenue une association qui a pour but de récolter les dons. Il prétend que Greenpeace gagne désormais plus d’argent avec la chasse à la baleine que l’industrie baleinière elle-même. Tout en ne faisant aucune action : les démarcheurs Greenpeace vont jusqu’à utiliser les images des campagnes… Sea Sheperd. Greenpeace fait du marketing et, comme toute industrie du marketing, tire son profit de ne pas résoudre le problème. Le problème est l’essence du business, il faut le préserver, voire l’amplifier (en prétendant développer des solutions). Paul Watson va plus loin dans sa critique du marketing : rien ne sert de convaincre les gens de ne pas tuer de baleine vu qu’ils ne l’auraient de toute façon pas fait. Il faut agir directement sur les baleiniers. Le parallèle avec l’industrie informatique est laissé en exercice au lecteur.

    Les gens qui agissent sont, par essence, décriés dans les médias.

    Tout ce que l’on fait et ce que l’on pense est défini et contrôlé par les médias. Ce sont eux qui définissent notre réalité. Et c’est la raison pour laquelle nous nous trouvons sur une voie rapide au bout de laquelle nous attend une récompense darwinienne collective : l’extinction de notre espèce.
    — Entretien avec un pirate, p. 158

    Avec cynisme, Paul Watson invite donc des célébrités qui n’ont rien à voir avec la cause afin d’asséner, durant la conférence de presse, que s’il avait invité un spécialiste du domaine au lieu d’un acteur de cinéma, les médias ne seraient pas là.

    Paul Watson est également placé sur la liste rouge d’Interpol. Il est considéré comme un « écoterroriste ». Ce qui est fascinant, c’est qu’il respecte parfaitement les lois et n’a jamais été condamné ni arrêté pour quoi que ce soit, malgré ses tentatives en se rendant de lui-même dans les commissariats. Sea Shepperd ne fait qu’ennuyer voir éperonner des navires qui pratiquent des activités complètement illégales. Et donc, personne ne porte plainte parce que les navires éperonnés n’avaient rien à faire là en premier lieu !

    Il va plus loin en se demandant qui sont réellement les « écoterroristes » alors que personne n’a jamais été tué ni même blessé dans une action Sea Sheperd.

    Les gens nous accusent de jeter des bombes puantes sur les baleiniers japonais. Oui, on fait ça, c’est vrai. […] Ceci dit, j’ai du mal à imaginer Oussama Ben Laden en train de jeter une bombe puante sur un bus de touristes.
    — Entretien avec un pirate, p. 169

    La médiatisation et la corruption de la rébellion

    Dans « Mémoires vive », Edward Snowden raconte son incroyable histoire et un point m’a frappé : travaillant à l’intérieur même du service de renseignement, Snowden sait exactement ce qui va lui arriver. Il sait comment on va l’attaquer. Il prédit même comment il va être décrédibilisé dans les médias. Le même phénomène est à l’œuvre avec Paul Watson. Face aux rebelles, le capilo-consumérisme passe par trois lignes de défense:

    Premièrement, en rendant la vie aussi difficile au rebelle en rendant ses ressources rares, en l’épuisant, en le décourageant voire en le harcelant. C’est normal, c’est le jeu.

    En second lieu, si le rebelle persiste, en l’achetant, en le rémunérant pour sa complicité. Ce que nous faisons tous en travaillant pour payer notre shopping afin de nous changer les idées après une dure semaine de boulot… pour payer le shopping.

    Mais les véritables rebelles charismatiques, les artistes, sont achetés bien plus chers. Ils deviennent des stars. Ils sont célébrés par le système, ils sont riches. Ils n’ont plus envie de se rebeller et utilisent leur image de rebelle pour exhorter leur audience à se conformer. Leur situation leur fait perdre toute crédibilité et légitimité dans la rébellion. Comme les vieux et riches musiciens qui luttent de toutes leur force contre le piratage. Ou les groupes punk postant sur Facebook et Instagram. Riches, on se contentera de faire des dons à des associations adoubées par le système et servant à relancer la carrière médiatique de chanteurs has been et de stars de télé-réalité autrement oubliées.

    Facebook, au fait, n’est qu’une gigantesque machine à corrompre à moindre coût les rebelles. On étouffe la rébellion en échange… de likes et de followers ! Toute association écologiste présente sur Facebook est, en soit complètement corrompue, car, de par sa seule présence sur la plateforme, elle justifie et promeut le consumérisme et un monde soumis à la publicité. Facebook, c’est la « Planète à gogos » virtuelle (en référence au chef-d’œuvre de Pohl et Kornbluth). Même plus besoin de payer les rebelles, ils viennent gratuitement pour quelques likes. Quoi ? Ce sont eux qui paient pour mettre en avant leur site web et obtenir encore plus de followers ?

    Je suis sûr qu’on va me dire que Sea Shepperd a malheureusement une page Facebook. J’en suis triste. La convergence des luttes n’a pas encore percolé à ce niveau-là…

    Mais il reste les rebelles incorruptibles, inaliénables. De type Watson ou Snowden. Face à eux, on utilise la troisième ligne de défense. Les médias, littéralement financés par la publicité, vont alors mener une destruction en règle de l’image publique. Il va s’agir de construire de toutes pièces et de manière consciente un personnage détestable. Un mauvais digne d’un film afin de décrédibiliser ses actions.

    C’est tellement puissant qu’il est parfois intéressant de prendre un peu de recul et de réaliser ce qu’on reproche vraiment à la personne. À Julian Assange, on reproche littéralement… d’avoir fait un travail de journaliste. Essayez d’imaginer « Les hommes du président », mais où Dustin Hoffman et Robert Redford seraient les méchants qui veulent faire tomber le bon président qui surveille ses opposants politiques pour le bien de son peuple. Et bien voilà, on est en plein dedans. Et à Paul Watson, on reproche… d’empêcher des massacres illégaux de faune marine !

    Imagine que tu te rendes dans la ville de La Mecque, que tu marches jusqu’au centre vers la pierre noire et que tu craches dessus. Eh bien, tes chances de sortir de là en vie sont pour ainsi dire très minces et peu de gens éprouveront une quelconque sympathie à ton égard, car tu auras commis un blasphème […] et les gens comprendraient la violence qui te serait faite en réponse.
    […]
    Si les forêts tropicales, si les océans et toute la vie qu’ils contiennent avaient autant de valeur, s’ils étaient aussi sacrés à nos yeux qu’une vieille pierre, […] nous taillerons en pièce ces bûcherons et ces chaluts pour leurs actions. Nous ne le faisons pas, car nous sommes totalement aliénés du monde naturel.
    — Entretien avec un pirate, p. 143

    L’impact de l’homme sur le climat

    Étant fanatique d’apnée, je vois chaque année les dégâts que l’humanité inflige aux océans. Se retrouver dans une mer magnifique, au large, pour se rendre compte que ce que je prenais pour des reflets à la surface sont des billes de polystyrène qui couvrent l’océan. Ou réaliser que, dès que mes palmes me portent en dehors d’une minuscule zone « réserve naturelle », la végétation laisse place au sable à perte de vue et que les poissons sont plus rares que les sacs plastiques et les bouteilles vides.

    Nous sommes huit milliards. C’est un chiffre inimaginable. Si vous rencontriez une personne sur la planète toutes les secondes, il vous faudrait… 350 ans pour voir tous les humains. Huit milliards de personnes qui tentent de se faire consommer le plus possible les uns les autres. La consommation étant définie comme l’extraction d’une ressource naturelle pour la transformer en déchet (la consommation proprement dite se faisant au milieu). Nous sommes huit milliards à transformer la planète en déchet, en récompensant comme nos maîtres absolus ceux qui le font le plus efficacement et le plus rapidement possible.

    Notre impact est énorme, inimaginable. Et l’était déjà il y a des siècles.

    La colonisation des Amériques par les Européens entraina, en un siècle, la mort de près de 90% des indigènes. Que ce soit par des massacres directs ou via les épidémies, certaines ayant été propagées à dessein, par exemple en distribuant des couvertures ayant servi à recouvrir des malades de la variole.

    On estime que les Européens ont causé 56 millions de morts entre Christophe Colomb et l’année 1600. Un mort chaque minute pendant plus d’un siècle ! C’est un nombre tellement important que d’immenses étendues de champs se sont soudainement retrouvées en friche, que la végétation a explosé capturant beaucoup de carbone présent dans l’atmosphère et contribuant au « petit âge de glace » de cette époque. Le massacre serait, à lui seul, responsable pour une diminution de 0,15°C du climat mondial, avec un effet bien plus prononcé en Europe.

    Conclusion et meta-bullshit

    J’aime bien tenter de trouver une sorte de conclusion commune à ces réflexions en vrac (qui ne deviendront pas quotidienne, je vous rassure. C’est juste que j’avais du retard dans mes notes). Ici, il y en a une qui me frappe : c’est l’importance, la prépondérance des médias entièrement financés par la publicité sur ce qui fait notre culture et notre perception de la réalité.

    Nous vivons dans une société où le bullshit, le mensonge sont l’état de base. Nous sommes tellement accros que l’on discute de la moralité d’installer un bloqueur de publicité sur notre navigateur alors que l’acte même de se rendre sur un site publicitaire devrait être vu comme l’équivalent climatique de la consultation d’un site pornographique : on devrait avoir honte de le consulter et encore plus d’y travailler.

    Mais nous revenons toujours, pour nous tenir « informés ». Aaron Swartz, je t’en supplie, reviens !

    L’intelligence artificielle est la cerise sur le gâteau. Le bullshit ne sert plus à nous vendre de la merde, mais il se produit tout seul pour vendre de générateurs de bullshit !

    Ça y’est, nous sommes entrés dans l’ère du meta-bullshit

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

    Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.

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  • Thursday 22 February 2024 - 01:00

    Meta-blogging, lectures sur Gemini et conquête spatiale

    Meta-blogging

    Pluralistic, le blog de Cory Doctorow, fête ses quatre ans.

    Cory est une énorme source d’inspiration pour moi. Il poste presque tous les jours, appliquant une méthode qu’il intitule Memex. Je le lis depuis son tout premier billet, je me demande comment il tient un tel rythme. Et je crois avoir percé une partie de son secret : son blog n’est qu’un ensemble de notes qu’il prend durant la journée et qu’il poste le soir ou le lendemain. Je me suis pris à penser à toute cette énergie d’écriture que je passe à répondre à de longs mails, à poster sur des forums, à poster et à lire sur Mastodon, à mettre dans mes notes personnelles. Et si je m’inspirais encore plus de sa méthode ?

    Avec la croissance du lectorat de ploum.net, je me suis inconsciemment imposé une forme de perfectionnisme dans l’écriture de mes billets. Je rejette beaucoup de brouillons qui ne sont pas satisfaisants, je relis, je corrige parfois pendant des jours, des semaines ou des mois jusqu’au moment où le billet n’est de toute façon plus pertinent. J’ai énormément perdu en spontanéité. J’ai également peur de vous « spammer ».

    Parfois, je me laisse aller à poster un billet spontané. Je le poste en me forçant à ne pas trop réfléchir. Et ça me fait plaisir. J’avais également tenté de faire des billets « en vrac » inspiré par Tristan Nitot. Deux exemples au hasard :

    Quand j’y repense, ces billets m’ont vraiment été utiles. Je m’y suis référé plusieurs fois pour trouver des liens, pour revenir à des réflexions que j’avais.

    On me demande très souvent des conseils pour se mettre à bloguer. Le plus important que je donne est toujours de bloguer pour soi. De ne pas réfléchir à ce qu’on pense qui pourrait plaire à son audience, mais de publier. De publier ce qu’on a soi-même dans les tripes.

    J’ai suffisamment d’expérience avec le buzz pour savoir que le succès à court terme d’un billet de blog est très difficilement prévisible. Et même lorsque le billet fait un buzz incroyable, cela n’est généralement pas perceptible si l’on n’a pas de statistiques et si on n’est pas sur les réseaux sociaux. Être le sujet d’un buzz procure une décharge de dopamine et puis… c’est tout ! C’est addictif, mais souvent plus nocif qu’autre chose, car on se surprend à en vouloir toujours plus, à guetter les votes sur Hackernews, à s’énerver sur les commentaires de ceux qui ne sont pas d’accord avec vous.

    L’impact à long terme d’un billet est, lui, encore moins prévisible. Il est également très personnel : je me surprends à relire certains de mes billets, à y refaire référence, à m’en servir comme point d’ancrage pour certaines idées quand bien même tout le monde semble s’en foutre.

    Je dis bien « semble s’en foutre » parce qu’on ne peut jamais savoir. Sous la masse d’internautes qui postent sur les réseaux sociaux, sur les forums et qui commentent, il y a dix fois plus de personnes qui lisent en silence, qui partagent en privé.

    « Ploum, je suis heureux de te rencontrer. Ton billet X a changé ma vie ! » m’a un jour dit un·e lecteurice en faisant référence à un billet publié cinq ans plus tôt et pour lequel je n’avais eu aucun retour.

    « J’ai imprimé ton billet Y pour le faire lire à mon père. Nous avons passé la soirée à en discuter » m’a dit un·e autre.

    Je conseille à tous les apprentis blogueurs de lâcher prise, de publier ce qu’ils ont dans la tête. Mais pourquoi ne pourrais-je pas appliquer mes propres principes ?

    Car c’est difficile de lâcher prise, de ne pas apparaître comme ayant toujours une prose bien construite, bien arrêtée. C’est dur de montrer ses doutes, de faire des raccourcis de raisonnement dont on aura honte après les premiers retours, de reconnaitre ses erreurs.

    Et du coup, sans transition…

    Quelques liens de ma journée

    Une courte tranche de vie d’un parent dont l’enfant a un diabète de type 1. Tellement courte que l’on dirait un pit-stop en formule 1.

    Oui, c’est un lien Gemini. Gemini est un réseau où l’absence de métriques telles que les statistiques ou les likes rend l’écriture beaucoup plus personnelle, beaucoup moins calibrée. Je me retrouve à lire des tranches de vie, des réflexions qui n’ont aucune prétention et c’est très inspirant. À l’inverse, j’ai vu plusieurs personnes abandonner ce réseau parce qu’elles n’avaient pas de likes ni de statistiques et avaient l’impression de publier dans le vide. Le fait que je les lisais se plaindre prouvait qu’elles ne parlaient pas dans le vide. Mais ce qui est effrayant, c’est de se rendre compte qu’un simple chiffre articifiel sous un cœur ou sur un tableau Google Analytics nous fait croire que, ouf, là je n’écris pas dans le vide.

    J’ai justement eu un échange à ce sujet avec un lecteur qui me pointait vers le concept du Web Revival:

    Je tiens à préciser que je suis assez contre le terme « revival ». Il tend à idéaliser un passé qui n’a jamais existé. Le Web a très vite été envahi de publicité, de popups. Mais, évidemment, je soutiens l’idée d’un web minimaliste. Mon correspondant m’apprend que le site Melonking se targue de faire 38 millions de vues par mois (je n’ai pas la source). Or, c’est exactement là tout le problème du Web : comment le webmaster compte-t-il ces 38 millions de vues ? Pourquoi les compte-t-il ? Pourquoi s’en vante-t-il ? Et pourquoi cela impressionne-t-il tellement les lecteurices ?

    J’ai désactivé toutes les statistiques possibles sur mon blog. Les seuls chiffres que je ne peux pas cacher son mon nombre de followers sur Mastodon (qui est public) et le nombre d’abonnés à mes mailing-listes (sauf si vous vous abonnez à la version text-only sur Sourcehut, là je n’ai aucune visibilité). Idéalement, j’aimerais n’avoir accès à aucune de ces statistiques. Et c’est peut-être pour cela que j’apprécie tellement Gemini.

    Mais, rassurez-vous, le contenu est identique que sur la version Web de mon blog. Vous ne ratez donc rien en ne venant pas sur Gemini. Pour ceux que ça intéresse, le protocole Gemini est très simple et doit son nom au programme spatial Gemini. Le port utilisé, 1965, est d’ailleurs une référence explicite à l’année du premier vol Gemini habité de Virgil Grissom et John Young. Pour entériner la simplicité du protocole Gemini, Solderpunk, son créateur, vient d’annoncer son intention de clôturer définitivement le travail sur la spécification au plus tard le 18 mars 2027, mais, si tout va bien, le 8 mai 2025. Oui, ces jours ont une signification spéciale en lien avec la conquête spatiale.

    La conquête spatiale

    La sonde Voyager 1 est en train de rendre l’âme.

    Le fait qu’elle ait fonctionné jusqu’ici est proprement hallucinant. Adolescent, j’avais dévoré le livre de Pierre Kohler racontant son épopée. Aujourd’hui, lorsqu’une sonde est envoyée dans l’espace, une réplique exacte, au bit et au boulon prêt, est gardée dans un laboratoire pour déboguer tout problème et tester toute solution. L’ESA avait notamment dû reprogrammer en urgence la sonde Cassini alors qu’elle s’approchait de Saturne, car ils s’étaient rendu compte que l’effet Doppler n’avait pas été correctement pris en compte dans les calculs initiaux du récepteur.

    Mais, à l’époque de Voyager 1, personne n’avait encore pensé à cette technique. Cela signifie qu’il n’existe pas de copie de la sonde Voyager et que le code informatique embarqué a complètement disparu. La sonde est en train de boguer, mais personne ne sait exactement quel code ni même quel système d’exploitation tourne. Ce qui rend le débogage particulièrement difficile, surtout lorsque le ping est de 48h. Il y a donc, dans l’espace intersidéral, hors de la zone d’attraction du soleil, un ordinateur qui tourne avec un système d’exploitation qui n’existe pas sur terre.

    Conclusion

    Je n’avais pas prévu de poster de billet de blog aujourd’hui. Mais regardez où m’amène la méthode de Cory Doctorow. Contrairement à lui, je ne compte pas faire cela tous les jours. Mais j’espère bien me permettre de poster sans arrière-pensée. Je vais également (encore) moins répondre à vos emails (que je lis toujours avec autant de plaisir). Plutôt que de réponses individuelles, parfois très longues, je vais m’inspirer de vos réflexions pour créer des billets publics.

    En espérant que vous comprendrez que ces billets sont des réflexions mouvantes, parfois imprécises ou erronées. Comme l’ont d’ailleurs toujours été tous mes billets de blog. C’est juste que j’essayais de me convaincre (et vous convaincre) du contraire.

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  • Monday 19 February 2024 - 01:00

    Mon bibliotaphe

    Les quelques milliers de livres qui composent notre bibliothèque familiale se mélangent, se transportent, se déplacent et s’étalent, colonisant les chambres, le salon, la salle à la manger, la toilette. Mais ils gardent un semblant d’ordre, une ébauche de discipline obéissant à une logique que je dois être le seul à comprendre : les bandes dessinées vont plus ou moins par genre, les rayonnages de fiction suivent l’ordre alphabétique des auteurs, etc.

    Il n’en reste pas moins une grosse centaine d’ouvrages qui s’entasse dans les rayonnages de mon bureau et forme ma liste de lecture vivante, un bibliotaphe dont tout ordre est absolument proscrit.

    Malheureux ! Un bibliotaphe, cela ne se classe pas ! Ranger les livres, c’est empêcher les idées de communiquer entre elles. En outre, cela prive le chercheur de découvertes fortuites !

    — Henri Lœvenbruck, Les Disparus de Blackmore, page 278

    Le pouvoir magique d’un bibliotaphe est parfois effrayant.

    J’étais plongé dans « Lettre Ouverte à cet Autre qui est Moi », nouvelle clôturant le recueil « Les Cahiers du labyrinthe » que m’a partagé son auteur, Léo Henry. Dans ce récit qui m’a particulièrement interpellé, Léo Henry imagine que tout écrivain possède un double et explore jusqu’à son paroxysme les conséquences d’un tel postulat.

    La lecture est comme l’œnologie. Savourer un passage ou une idée requiert de la tourner et retourner dans son esprit, de l’inspecter, de la humer. Me levant au milieu de la lecture de la nouvelle pour me diriger vers mon bureau, mon regard fut attiré par un fin volume qui dépassait de mon bibliotaphe, exactement à hauteur de mon nez. Le titre me fit sursauter.

    Le Double, de Dostoïevski.

    Je m’en saisis et contemplai sa couverture, un peu effrayé par la coïncidence.

    J’hésitai. Je n’avais pas prévu de lire du Dostoïevski. Mais je n’avais pas le choix. Mon bibliotaphe venait de me donner un ordre implacable, ma prochaine lecture était toute trouvée.

    Obéissant à cette force impérieuse, je me glissai ce soir-là sous la couette entre les pages du génial auteur de L’idiot.

    Désormais, lorsque je passe à côté de la masse chamarrée de mon bibliotaphe, une forme de crainte m’envahit. Il me toise, semble pouvoir m’écraser sous sa masse. Je me rappelle alors qu’il est mon double bienveillant, qu’il est moi, me connait mieux qui quiconque et me protège. Et qu’il avait, encore une fois, parfaitement raison.

    J’aime toujours autant Dostoïevski.

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  • Monday 12 February 2024 - 01:00

    Les petits plaisirs du shopping moderne

    — Bonjour, je peux vous aider ?

    Coincée dans sa boutique au plus profond des entrailles du centre commercial, la vendeuse ne devait pas souvent voir la lumière du jour. Aux reflets criards de son maquillage, j’eus l’impression que ça ne la dérangeait pas spécialement.

    — Oui, répondis-je en posant la main sur un modèle d’exposition. Je cherche à m’équiper entièrement.
    — Celui-là possède une connexion wifi et 5G ultrarapide. Vous pouvez le contrôler depuis votre téléphone grâce à notre app dédiée…
    — Non, merci, l’interrompis-je avec une petite moue non convaincue.
    — Ou alors, on rentre dans le haut de gamme. Ces modèles sont liés au cloud et possèdent une intelligence artificielle embarquée.
    — Bof, laissez tomber !
    — Enfin, le top du top, le neck plus ultra. Stockage des données sur blockchain propriétaire, interaction intégrée avec votre casque de réalité virtuelle…
    — Écoutez, je veux juste acheter un frigo. Juste un frigo !
    — Et bien ce sont des frigos. Les meilleurs…
    — Non, un frigo qui fait du froid et rien d’autre. Sans aucune connexion, sans aucune puce électronique.

    Interloquée, la vendeuse ouvrit la bouche sans proférer le moindre son. Pendant quelques secondes, elle me jaugea avant de rompre le silence.

    — Vous êtes un collectionneur d’antiquités ?
    — Non, je veux un frigo moderne, mais sans puce électronique.
    — Mais pourquoi ?
    — Parce que je veux un truc qui fait du froid, rien d’autre.
    — Ça n’a pas de sens !

    Attirée par le bruit de notre discussion, une autre vendeuse s’approcha avec un sourire dégoulinant d’hypocrisie.

    — Laisse Amanda, je m’en occupe. Monsieur est certainement ingénieur en informatique ou en électronique.

    J’acquiesçai silencieusement avec un petit sourire. Elle avait vu juste !

    — Monsieur, je suis au regret de vous annoncer que nous sommes un showroom de démonstration normal. Nous n’avons en démonstration que ce qui est disponible à la livraison sur notre site web, pas les produits de niche. Mais je crois savoir qu’il existe un magasin grand luxe qui fait ce genre de choses : des équipements sans puce électronique. Évidemment, ça coûte très cher. Beaucoup trop pour notre clientèle. Mais peut-être y trouverez-vous votre bonheur ? Attention cependant, il est impossible de commander en ligne. C’est un truc pour les riches originaux.
    — Merci, lancé en grommelant. Je vais aller voir.

    Tournant le dos, j’entendis Amanda demander à sa collègue.
    — Mais pourquoi un ingénieur refuserait de…
    — Jamais compris. Ces gens-là, ils sont pas comme tout le monde. Si ça se trouve, il n’a même pas de compte sur…

    Leurs voix se perdirent dans le brouhaha du centre commercial. M’enfuyant le plus rapidement possible, je franchis l’épais sas d’air conditionné et me retrouvai face aux automobiles qui, à perte de vue, rechargaient leurs batteries sous une pluie grisâtre. Je n’étais pas prêt de l’avoir mon frigo. Sans compter que, étant nouveau dans le pays, j’avais également besoin d’un micro-ondes, d’un lave-linge, d’une brosse à dents électrique et d’une cafetière… Ça n’allait pas être de tout repos.

    Quant à la voiture, je n’osais même pas y penser. Tout compte fait, c’était peut-être le moment de se mettre sérieusement au vélo…

    — Ding ! Mise à jour du firrmware de votre batterie en cours. Vérification de l’état de votre abonnement.

    Argh ! Même les vélos !

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  • Thursday 18 January 2024 - 01:00

    De la brièveté de la vie et de la pérennité d’un blog

    Cette année 2024 m’est particulièrement symbolique. En octobre, je fêterai les 20 ans de ce blog et ne serai plus très loin du million de mots publiés. Vingt ans qui ont fait de ce blog un élément central et constitutif de mon identité. Si je rêve d’être reconnu comme écrivain voire développeur ou scientifique, je resterai toujours avant tout un blogueur. Blogueur est d’ailleurs le premier qualificatif accolé à mon patronyme dans les médias ou sur Wikipédia.

    Ironiquement, l’année de ces 20 ans de blog a commencé avec la plus longue indisponibilité que ce site ait jamais connue. Durant plusieurs jours, ploum.net a été complètement retiré du réseau. En cause, une attaque massive contre Sourcehut, mon hébergeur, forçant ce dernier à migrer en catastrophe vers une nouvelle infrastructure.

    Si j’ai vécu la mise hors-ligne de mon blog comme une amputation, une perte d’une partie de mon identité, je sais fort bien que cela ne me porte aucun préjudice durable, que je ne perds aucune donnée. Ce genre d’incidents font partie de la vie et je tiens à remercier l’équipe de Sourcehut pour la transparence totale et le travail accompli ces derniers jours.

    Cet événement m’a également fait prendre conscience à quel point l’œuvre de toute une vie pouvait disparaitre rapidement, dans l’indifférence la plus générale. Si j’espère que mes livres sur arbres morts continueront toujours à tomber aléatoirement d’une étagère ou être découverts chez des bouquinistes, mes écrits en ligne, eux, sont d’éphémères bouteilles à la mer susceptibles de couler dans les abysses de l’oubli au moindre incident.

    Cette question m’obsède depuis que je suis papa : comment faire en sorte que mes écrits en ligne me survivent ?

    Nom de domaine et indépendance

    J’espère que mon blog sera encore consultable le jour inévitable où Facebook, Medium et Youtube auront été relégués avec Myspace et Skyblog dans l’armoire des souvenirs historiques du web. Et quand je vois Alias fêter les 15 ans de son blog, je pense ne pas être le seul. Les blogs sont les archives à long terme du web:

    Concrètement, je fuis toutes les plateformes propriétaires et je lie tous mes écrits à mon propre nom de domaine : ploum.net. En fait, pour être sûr, je dispose même de trois noms, sur trois premiers niveaux différents: ploum.net, ploum.be, ploum.eu.

    À court terme, cela peut être un mauvais calcul: les pages Facebook de mes amis décédés sont encore en ligne alors que les domaines expirent rapidement. Je dois donc préparer la transmission de ces domaines pour assurer qu’ils puissent me survivre.

    Simplicité et minimalisme

    Outre le nom de domaine, la première cause de mise hors ligne d’un site est généralement le manque de maintenance. Un Wordpress piraté, car une mise à jour n’a pas été faite. Une base de données incompatible avec une nouvelle version du CMS. Même les générateurs de sites statiques doivent être mis à jour, avec leur dépendance, et sont parfois abandonnés par les développeurs.

    Pour résoudre ce problème, mon blog est depuis décembre 2022 autogénéré et ne produit que du HTML très simple, compatible avec la plupart des navigateurs passés, présents, futurs et sans ambiguïté. Chaque page est complètement indépendante et contient ses propres instructions CSS (42 lignes). Vous pouvez sauver un article de mon blog depuis votre navigateur et le réouvrir n’importe où, même sans connexion. Pas de JavaScript, pas de framework, pas de chargement dynamique, pas de fonte, pas d’appel extérieur. Ça parait extraordinaire de nos jours, mais c’est tellement simple à gérer que je me demande encore pourquoi on se casse la tête à apprendre et maintenir des couches de framework. Penser la pérennité peut avoir des bénéfices immédiats !

    Autre point: je prends le plus grand soin à ce que les URLs de mes posts ne changent pas. Un lien vers un article devrait rester valide aussi longtemps que le nom de domaine existera.

    Sources disponibles et distribuées

    Les sources de mon blog sont écrites au format Gemtext, le format utilisé sur le réseau Gemini. La particularité de ce format est qu’il s’agit essentiellement de texte pur. Aussi longtemps que nous aurons des ordinateurs, ces fichiers pourront être lus.

    Mes billets ainsi que le générateur Python pour créer les pages HTML sont disponibles via Git, un outil décentralisé bien connu de tous les développeurs et certainement appelé à exister pour les décennies qui viennent.

    La commande

    git clone https://git.sr.ht/~lioploum/ploum.net

    vous donne accès à toutes les sources de mon blog, que vous pouvez générer avec un simple "python publish.py". Cela ne nécessite aucune dépendance particulière autre que Python3.

    Mais que faire si sourcehut est indisponible ? Je me rends compte qu’il est nécessaire que je pousse mes sources sur plusieurs miroirs.

    Miroirs ?

    Parlons de miroirs justement. Une copie de mon site, version web et gemini, est disponible sur rawtext.club.

    Mais ce miroir est « accidentel ». Rawtext.club est un petit serveur géré par un passionné que je remercie chaleureusement. C’est grâce à lui que j’ai pu explorer l’univers Gemini. Je ne peux lui imposer un hébergement sérieux ni compter sur sa pérennité.

    Sebsauvage me fait également l’immense honneur de maintenir une copie de mes publications, pour le cas où je serais forcé de retirer du contenu:

    Pour le futur, je réalise aujourd’hui qu’il serait pertinent que je trouve un hébergeur autre que Sourcehut, pouvant être synchronisé par Git et offrant également un hébergement Gemini. Je pourrais rediriger ploum.be ou ploum.eu vers ce serveur de secours.

    Les mailing-lists

    Si j’avoue préférer le RSS pour mon usage personnel, force est de constater que les mailing-listes offrent un avantage : vous gardez une copie de tous les anciens billets dans votre boîte mail. Chaque nouvel abonné est donc, sans le savoir, un nouvel archiviste de mes écrits.

    J’envoie d’ailleurs une version "text-only" (pas de HTML) sur une seconde mailing-list dont les archives sont publiques. Défaut majeur : contrairement aux mailing-listes précitées, ces archives text-only sont hébergées par… Sourcehut, le même hébergeur que mon blog !

    Le futur

    Le protocole Internet (IP) a été conçu à une époque où on pensait que le stockage serait toujours très coûteux, mais que la bande passante serait essentiellement gratuite. Le principe d’IP est donc de transmettre aussi vite que possible les paquets de données et de tout oublier instantanément.

    En conséquence, les protocoles s’appuyant sur IP, comme Gemini et HTTPS, sont particulièrement fragiles. La perte d’un seul serveur peut signifier la disparition définitive de sites entiers.

    De nouveaux protocoles ou de nouveaux usages sont nécessaires pour transformer Internet depuis le simple "échange de données temps réels" en "archive planétaire". Cet usage d’archive planétaire va bien entendu à l’encontre des intérêts financiers actuels qui souhaitent que vous payiez, directement ou à travers la pub, à chaque fois que vous consultez le même contenu. Le « copyright », comme son nom l’indique, cherche à empêcher toute copie ! Mais, petit à petit, des solutions apparaissent, qu’elles soient nouvelles comme IPFS ou qu’il s’agissent de réflexion sur une utilisation de technologies préexistantes.

    Tout cela est encore expérimental, mais je garde un œil et réfléchis à rendre ploum.net disponible sur IPFS.

    Le présent

    La pérennité des contenus en ligne est une quête complexe et longue haleine. Je vous invite à y penser pour vos propres créations. Que voulez-vous qu’il reste de vous en ligne dans quelques années ?

    Paradoxalement, nous laissons trop de traces involontaires (des données personnelles, des commentaires écrits sous le coup de la colère, des critiques de produits sur Amazon) et nous perdons trop facilement ces œuvres auxquelles nous accordons de l’importance (combien de vidéos personnelles disparaitront avec la fin inéluctable de Youtube ?). J’ai moi-même le regret d’avoir perdu beaucoup de textes rédigés et publiés un peu partout avant l’existence de ce blog ou cédant aux sirènes de la mode, postés sur Google+, Facebook ou Medium.

    J’en ai retenu une leçon majeure : on ne sait a priori pas quels contenus seront importants pour notre futur moi. Il est également primordial de dater les contenus. Avec l’année. Je ne compte plus les fiches de notes que j’ai retrouvées, mais que je peux ne raccrocher à rien, ne sachant même pas estimer à quelle année voire à quel lustre le texte se rapporte. Cette leçon est également ce qui motive ma tentative de pérennisation de mes écrits : je n’ai pas l’impression de n’avoir jamais écrit quelque chose qui mérite une préservation éternelle. Mais un historien du futur pourrait peut-être un jour trouver dans les écrits de ce blogueur obscur et oublié une information cruciale, glissée par hasard dans un billet et lui permettant de comprendre certains paradoxes de notre époque.

    Pour cette mission, la technologie qui semble la plus robuste, la plus résistante pour traverser les siècles voire les millénaires reste le livre. Livres que ma famille collectionne et accumule dans tous les coins de notre logis. Des milliers d’auteurs, vivants ou morts, mondialement connus ou obscurs, qui continuent chaque jour à nous parler !

    Si vous souhaitez m’aider dans ma quête de pérennité, je vous invite à acquérir, prêter, offrir ou abandonner sur un banc mes livres.

    Car lorsque les ordinateurs seront éteints, seuls continueront à nous bercer, à nous parler les mots gravés sur le papier, ces éphémères imaginaires survivants à la prétention d’immortalité des corps décomposés.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

    Recevez directement par mail mes écrits en français et en anglais. Votre adresse ne sera jamais partagée. Vous pouvez également utiliser mon flux RSS francophone ou le flux RSS complet.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir. Je fais également partie du coffret libre et éthique « SF en VF ».

  • Wednesday 13 December 2023 - 01:00

    Le bateau de bois de chauffage

    Il était une fois un groupe d’humains perdus au milieu d’un gigantesque océan. Aussi loin que remontait la mémoire, le gigantesque bateau de bois avait toujours navigué, aucune terre n’ayant jamais été trouvée ni même aperçue.

    Le temps n’était jamais glacial, mais jamais trop chaud non plus. Souvent, un petit vent frisquet parcourait les cabines. Pour se réchauffer, les passagers de première classe avaient engagé ceux de troisième classe, les chargeant de découper le bois de la coque afin de le brûler dans leurs énormes poêles. Comme les cabines étaient bien plus confortables chauffées, l’idée vint aux premières classes de revendre aux passagers de seconde classe l’excédent du bois.

    Le marché était juteux. Une partie de la tuyauterie du navire fut reconvertie en poêle à bois vendus à très bon prix afin d’équiper les cabines des secondes.

    Naturellement, le bateau prenait désormais l’eau de partout. Un original aux cheveux en bataille émit l’idée d’arrêter de découper la coque si l’on ne voulait pas couler.

    — Et mes profits ? dirent les premières.
    — Et mon chauffage ? dirent les secondes.
    — Et mon boulot ? dirent les troisièmes.
    — Ben je ne sais pas trop. On pourrait mettre des pulls ?
    – Ahaha, ricanèrent les premières. Un original qui ne connait rien au brûlage du bois et voudrait nous faire la leçon avec un pull !

    Un instant désarçonné, l’original s’entêta.
    — N’empêche que là, on coule. Les troisièmes classes seront bientôt sous eau.
    — Tu as raison, déclara le capitaine. C’est une problématique importante. J’organise immédiatement une réunion dans le salon des premières classes. Nous envisagerons une solution.

    Lorsqu’il redescendit quelques heures plus tard, le ventre bombé de petits-fours, le capitaine se fit interpeller par l’original qui s’était vu refuser l’accès au pont des premières.
    — Alors capitaine ? Qu’allons-nous faire pour éviter que le bateau coule ?
    — La réunion fut très productive. Nous allons construire désormais des poêles plus performants pour équiper les cabines qui n’en ont pas encore et pourront dès lors se chauffer avec moins de bois. D’ailleurs, nous envisageons de réduire graduellement la vitesse avec laquelle nous débitons le bois de la coque. Cela ne va pas plaire aux troisièmes, qui auront moins de travail, ni aux secondes, car le bois sera plus cher afin de compenser la perte de profit, mais il faut ce qu’il faut pour sauver le navire.
    — Capitaine, vous êtes sûr que cela sera suffisant pour éviter de couler ?
    — Ne t’inquiète pas, sourit malicieusement le capitaine. On a également demandé aux deuxièmes classes d’imaginer des pompes pour extraire l’eau du navire. Il y en a bien un qui va nous inventer ça, non ?
    — Mais le temps presse…
    — Et puis, qui sait… Si ça se trouve, on va bientôt découvrir un rivage, aborder une terre. Pourquoi s’en faire ?
    — Pourquoi, en effet, murmura piteusement l’original en retirant ses chaussettes pour les essorer alors que l’eau commençait à monter dans les coursives.

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  • Tuesday 12 December 2023 - 01:00

    SF en VF, le coffret pour découvrir la science-fiction européenne

    « C’est l’histoire d’un écrivain belge, un écrivain suisse et un écrivain français qui vont en boîte. »

    Bon, vu comme ça, ça ressemble à une blague. Mais attendez, ce n’est que le début ! Parce que les trois écrivains ont commis chacun un livre de science-fiction francophone et que si on assemble tous les titres de ces livres, on a, en tout et pour tout, un seul mot de français : le mot « projet ».

    Excellente blague, non ?

    L’histoire en question, c’est celle d’une boîte, ou plutôt un coffret intitulé « SF en VF » contenant trois romans de science-fiction francophone. Une idée parfaite de cadeau pour offrir ou se faire offrir si l’on souhaite découvrir ou faire découvrir la science-fiction européenne.

    Trois livres, trois visions de la science-fiction.

    Tout d’abord avec Ploum, le Belge qui pense qu’il faut un titre à consonance anglophone pour faire de la SF, mais ne peut s’empêcher de le franciser : « Printeurs ». Un roman dystopique et cyberpunk sur la face cachée du capitalisme de surveillance : publicités envahissantes, vie privée réduite à néant, attentats sponsorisés, chômeurs hypnotisés par les stars du petit écran tandis qu’en coulisses, les esclaves se tuent à la tâche pour produire les biens de consommation jetables.

    On enchaîne ensuite avec le Suisse, Pascal Lovis et son « Projet Idaho ». Le seul titre en français. L’histoire d’un homme en vacances qui se réveille après une cuite magistrale et constate qu’il n’a plus de connexion au réseau. Plus de contacts. Plus d’amis. Et littéralement plus de chambre d’hôtel. Mais, très vite, l’histoire va prendre un tournant inattendu et vous entrainer dans un space opera endiablé. Le second tome, « Mémoires Spectrales », est disponible et clôt le cycle. Il explique également la raison du nom « Idaho » (car moi, je n’avais pas compris la référence à Dune).

    Pour terminer en beauté, l’incontournable Thierry Crouzet et le premier tome de son projet démentiel : « One Minute ». Parce que ça pète plus en anglais. Pas de héros. Pas de trame narrative traditionnelle. Ici, le lecteur est invité à vivre et à revivre la même minute de l’histoire de la planète. Celle où l’humanité a soudainement compris, de Paris à Bangkok et de New York à Ouagadougou, qu’elle n’était plus seule. Qu’elle était en contact avec une intelligence extra-terrestre.

    Trois livres. Trois pays. Trois accents. Trois histoires. Trois futurs.

    Bref, un triple cadeau dans un superbe coffret argenté, à commander chez votre libraire ou, si ce n’est pas possible, directement sur le site de l’éditeur. Mais soutenez votre librairie favorite, elle en a bien besoin !

    Le coffret « SF en VF » et les trois livres qui le composent
    Le coffret « SF en VF » et les trois livres qui le composent

    Notez que Pascal Lovis, le grand mage mauve, fait également partie du coffret régional « Fantasy Suisse » avec Aequilegia Nox et Stéphane Paccaud. De la magie et de la fantasy qui sent bon la raclette.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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  • Saturday 25 November 2023 - 01:00

    Announcing Offpunk 2.0

    I’m happy to announce the release, last week, of Offpunk 2.0.

    Offpunk is an offline-first command-line browser/RSS reader. You control it by typing command and it maintains a cache of all the networked resources to allow you to access them offline indefinitely.

    If a non-cached resource is tentatively accessed, the URL is marked as to be fetched later. Running periodically "offpunk --sync" will fetch those resources and add them to your "tour" to remind you that you wanted to access it.

    Screenshot

    Mandatory screenshot showing Offpunk browsing Offpunk’s website. There’s a screenshot of Offpunk in the screenshot.
    Mandatory screenshot showing Offpunk browsing Offpunk’s website. There’s a screenshot of Offpunk in the screenshot.

    Switching the license to AGPLv3

    Offpunk originally started as a branch then a friendly fork of AV-98. It was called AV-98-offline and, as such, shared the same BSD license.

    During multiple discussions, Solderpunk and I came to the conclusion that AV-98-offline was becoming too different from the initial goal of AV-98. It was thus renamed Offpunk. At the same time, I grew increasingly convinced that we needed more copyleft software and that the AGPL license was better suited to protect the commons.

    As a symbolic move, I’ve thus decided to switch Offpunk license from BSD to AGPLv3 but needed an opportunity to do so. The 2.0 release is such an opportunity.

    Multiple independent tools

    Like AV-98, Offpunk was one single big python file. I liked the simplicity of it. But it really became a mess and I wanted to offer Offpunk’s features as separate command-line tool. With Offpunk 2.0, you will thus have three new command-line tools:

    - netcache : when given a URL, will download and cache this URL or only access the cache if the "--offline" option is provided.
    - ansicat : will render an HTML, an RSS, a Gemtext or even a picture in your terminal, with various options.
    - opnk : universal opener. Will try to render any file or any URL in your terminal. If it fails, it will fallback to xdg-open.

    Those three commands should come with a man page and a "--help" but they are still quite new. To my own surprise, I found myself using "opnk" all the time. I don’t think anymore about how to handle a file, I simply give it to opnk.

    Packaging those tools was a lot harder than expected and I want to thank all the contributors to this work, including Austreelis, David Zaslavsky and Jean Abou Samra.

    Themes

    The goal of Offpunk, through Ansicat, is to render web, RSS, gemini and gopher pages as coloured ANSI text in your terminal. Until now, those colours were hardcoded. With 2.0, they can be customised. See "help theme".

    Screenshot of Offpunk customised with the worst possible colours I could find.
    Screenshot of Offpunk customised with the worst possible colours I could find.

    In offpunk, customisation can be made permanent by adding all the commands you want to run at startup in your .config/offpunk/offpunkrc file. Mine contains one single line: "offline", ensuring I use Offpunk only in offline mode.

    Getting started

    Using Offpunk daily as your main browsing/rss driver takes some learning. You need to get used to the Offpunk philosophy: adding elements to tour instead of clicking them, creating lists to read later, doing a daily synchronisation. It is not trivial.

    The "help" command will probably be your best allies. The community also provide support on a user dedicated mailing-list.

    If Offpunk becomes useful to you, the community is open. Contributions, documentation, blog post about how you use Offpunk, help to new users and packaging are warmly welcome. Sometimes, simple feedback is all it takes to make a developer happy. So don’t hesitate to contribute in one of our lists.

    I’ve also started an experimental Matrix room on #offpunk:matrix.org. I have the belief that mailing-list is better suited for discussions but I’m giving this the benefit of doubt and willing to explore whether or not direct real-time discussion could help new users.

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

    If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books and subscribing to my newsletter in French or RSS. I also develop Free Software.

  • Friday 10 November 2023 - 01:00

    The gift of time

    Maintaining a free software project is spending years of your life to solve a problem that would have taken several hours or even days without the software.

    Which is, joke aside, an incredible contribution to the common good.

    The time saved is multiplied by the number of users and quickly compound. They are saving time without the need to exchange their own time.

    Free software offers free time, free life extension to many human living now and maybe in the future.

    Instead of contributing to the economy, free software developers contribute to humanity. To the global progress.

    Free software is about making our short lifetimes a common good instead of an economical product.

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  • Friday 03 November 2023 - 01:00

    Pourquoi sommes-nous tellement accros à Google Maps et Waze ?

    S’il y’a bien un logiciel propriétaire difficile à lâcher, c’est Google Maps. Ou Waze, qui appartient également à Google. Pourquoi est-ce si compliqué de produire un logiciel de navigation libre ? Ayant passé quelques années dans cette industrie, je vais vous expliquer les différents composants d’un logiciel de navigation.

    Les briques de base d’un logiciel de navigation sont la position, les données, le mapmatching, le routing, la recherche et les données temps réel. Pour chaque composant, je propose une explication et une analyse des solutions libres.

    La position

    Le premier composant est un système de positionnement qui va fournir une coordonnée géographique avec, parfois, un degré de précision. Une longitude et une latitude, tout simplement.

    Il existe plusieurs manières d’estimer une position. Le plus connu est le GPS qui capte des ondes émises par les satellites du même nom. Contrairement à une idée tenace, votre téléphone n’émet rien lorsqu’il utilise le GPS, il se contente d’écouter les signaux GPS tout comme une radio FM écoute les ondes déjà présentes. Votre téléphone n’a de toute façon pas la puissance d’émettre jusqu’à un satellite. Les satellites GPS sont, au plus près, à 20.000 km de vous. Vous croyez que votre téléphone puisse envoyer un signal à 20.000 km ?

    Pour simplifier à outrance, le principe d’un satellite GPS est d’émettre en permanence un signal avec l’heure qu’il est à son bord. Votre téléphone, en captant ce signal, compare cette heure avec sa propre horloge interne. Le décalage entre les deux permet de mesurer la distance entre le téléphone et le satellite, sachant que l’onde se déplace à la vitesse de la lumière, une onde radio n’étant que de la lumière dans un spectre invisible à l’œil humain. En refaisant cette opération pour trois satellites dont la position est connue, le téléphone peut, par triangulation, connaître sa position exacte.

    Fait intéressant: ce calcul n’est possible qu’en connaissant la position des satellites GPS. Ces positions étant changeantes et difficilement prévisibles à long terme, elles sont envoyées par les satellites eux-mêmes, en plus de l’heure. On parle des « éphémérides ». Cependant, attendre l’envoi des éphémérides complètes peut prendre plusieurs minutes, le signal GPS ne pouvant envoyer que très peu de données.

    C’est la raison pour laquelle un GPS éteint depuis longtemps mettra un long moment avant d’afficher sa position. Un GPS éteint depuis quelques heures seulement pourra réutiliser les éphémérides précédentes. Et pour votre smartphone, c’est encore plus facile : il profite de sa connexion 4G ou Wifi pour télécharger les éphémérides sur Internet et vous offrir un positionnement (un « fix ») quasi instantané.

    Le système GPS appartient à l’armée américaine. Le concurrent russe s’appelle GLONASS et la version civile européenne Galileo. La plupart des appareils récents supportent les trois réseaux, mais ce n’est pas universel.

    Même sans satellite, votre smartphone vous positionnera assez facilement en utilisant les bornes wifi et les appareils Bluetooth à proximité. De quelle manière ? C’est très simple : les appareils Google et Apple envoient, en permanence, à leur propriétaires respectifs (les deux entreprises susnommées) votre position GPS ainsi que la liste des wifi, appareils Bluetooth et NFC dans le voisinage. Le simple fait d’avoir cet engin nous transforme un espion au service de ces entreprises. En fait, de nombreux engins espionnent en permanence notre position pour revendre ces données.

    Si on coupe le GPS d’un appareil Android Google, celui-ci se contentera d’envoyer une requête à Google sous la forme : « Dis, je ne connais pas ma position, mais je capte le wifi grandmaman64 et superpotes89 ainsi qu’une télé Samsung compatible Bluetooth, t’aurais pas une idée d’où je suis ? ». Réponse : « Ben justement, j’ai trois utilisateurs qui sont passés hier près de ces wifis et de cette télé, ils étaient dans la rue Machinchose. Donc tu es probablement dans la rue Machinchose. » Apple fait exactement pareil.

    Quelle que soit la solution utilisée, GPS ou autre, la position d’un smartphone est fournie par le système d’exploitation et ne pose donc aucun problème au développeur d’application. C’est complètement transparent, mais l’obtention d’une position sera parfois légèrement plus longue sans les services Google ou Apple propriétaires décrits ci-dessus.

    Les datas (données cartographiques)

    Ce n’est pas tout d’avoir une position, encore faut-il savoir à quoi elle correspond. C’est le rôle des données cartographiques, souvent appelées "data" dans l’industrie.

    Obtenir des données cartographiques est un boulot inimaginable qui, historiquement, impliquait de faire rouler des voitures sur toutes les routes d’un pays, croisant les données avec la cartographie officielle puis mêlant cela aux données satellites. Dans les années 2000, deux fournisseurs se partageaient un duopole (Navteq, acquis par Nokia en 2007 et TeleAtlas, acquis par Tomtom en 2008). Google Maps utilisait d’ailleurs souvent des données issues de ces fournisseurs (ainsi que tous les GPS de l’époque). Dans certaines régions, le logo Navteq était même visible sur la cartographie Google Maps. Mais plutôt que de payer une fortune à ces entreprises, Google a décidé de lancer sa propre base de données, envoyant ses propres voitures sur les routes (et profitant de l’occasion pour lancer Google Street View).

    La toute grande difficulté des data, c’est qu’elles changent tout le temps. Les sentiers et les chemins se modifient. Des routes sont ouvertes. D’autres, fermées. Des constructions se font, des quartiers entiers apparaissent alors qu’une voie se retrouve à sens unique. Parcourir la campagne à vélo m’a appris que chaque jour peut être complètement différent. Des itinéraires deviennent soudainement impraticables pour cause de ronces, de fortes pluies ou de chutes d’arbres. D’autres apparaissent comme par magie. C’est un peu moins rapide pour les automobilistes, mais tentez de traverser l’Europe avec une carte d’une dizaine d’années et vous comprendrez votre douleur.

    En parallèle de ces fournisseurs commerciaux est apparu le projet OpenStreetMap que personne ne voulait prendre au sérieux dans l’industrie. On m’a plusieurs fois ri au nez lorsque j’ai suggéré que cette solution était l’avenir. Tout comme Universalis ne prenait pas Wikipédia au sérieux.

    Ma région sur OpenStreetMap
    Ma région sur OpenStreetMap

    Le résultat, nous le connaissons : OpenStreetMap est aujourd’hui la meilleure base de données cartographiques pour la plupart des cas d’usage courant. À tel point que les géants comme Waze n’hésitent pas à les repomper illégalement. Sebsauvage signale le cas d’un contributeur OSM qui a sciemment inventé un parc de toutes pièces. Ce parc s’est retrouvé sur Waze…

    Mais les applications utilisant OpenStreetMap doivent faire face à un gros défi : soit demander à l’utilisateur de charger les cartes à l’avance et de les mettre à jour régulièrement, soit de les télécharger au fur et à mesure, ce qui rend l’utilisation peu pratique (comment calculer un itinéraire ou trouver une adresse dans une zone dont on n’a pas la carte ?). Le projet OpenStreetMaps est en effet financé essentiellement par les dons et ne peut offrir une infrastructure de serveurs répondant immédiatement à chaque requête, chose que Google peut confortablement se permettre.

    Le mapmatching

    Une fois qu’on a la carte et la position, il suffit d’afficher la position sur la carte, non ? Et bien ce n’est pas aussi simple. Tout d’abord parce que la planète est loin de correspondre à une surface plane. Il faut donc considérer la courbure de la terre et le relief. Mais, surtout, le GPS tout comme les données cartographiques peuvent avoir plusieurs mètres d’imprécision.

    Le mapmatching consiste à tenter de faire coïncider les deux informations : si un GPS se déplace à 120km/h sur une ligne parallèle située à quelques mètres de l’autoroute, il est probablement sur l’autoroute ! Il faut donc corriger la position en fonction des données.

    En ville, des hauts bâtiments peuvent parfois refléter le signal GPS et donc allonger le temps de parcours de celui-ci. Le téléphone croira alors être plus loin du satellite que ce n’est réellement le cas. Dans ce genre de situation, le mapmatching vous mettra dans une rue parallèle. Cela vous est peut-être déjà arrivé et c’est assez perturbant.

    Une autre application du mapmatching, c’est de tenter de prédire la position future, par exemple dans un tunnel. La position GPS, de par son fonctionnement, introduit en effet une latence de quelques secondes. Dans une longue ligne droite, ce n’est pas dramatique. Mais quand il s’agit de savoir à quel embranchement d’un rond-point tourner, chaque seconde est importante.

    Le logiciel peut alors tenter de prédire, en fonction de votre vitesse, votre position réelle. Parfois, ça foire. Comme lorsqu’il vous dit que vous avez déjà dépassé l’embranchement que vous devez prendre alors que ce n’est pas le cas. Ou qu’il vous dit de tourner dans trente mètres alors que vous êtes déjà passé.

    La recherche

    On a la position sur la carte qui est, le plus souvent, notre point de départ. Il manque un truc important: le point d’arrivée. Et pour trouver le point d’arrivée, il faut que l’utilisateur l’indique.

    Les recherches géographiques sont très compliquées, car la manière dont nous écrivons les adresses n’a pas beaucoup de sens : on donne le nom de la rue avant de donner la ville avant de donner le pays ! Dans les voitures, la solution a été de forcer les utilisateurs à entrer leurs adresses à l’envers: pays, ville, rue, numéro. C’est plus logique, mais nous sommes tellement habitués à l’inverse que c’est contre-intuitif.

    Le problème de la recherche dans une base de données est un problème très complexe. Avec les applications OpenStreetMap, la base de données est sur votre téléphone et votre recherche est calculée par le minuscule processeur de ce dernier.

    Ici, Google possède un avantage concurrentiel incommensurable. Ce n’est pas votre téléphone qui fait la recherche, mais bien les gigantesques serveurs de Google. Tapez "rue Machinchose" et la requête est immédiatement envoyée à Google (qui en profite pour prendre note dans un coin, histoire de pouvoir utiliser ces informations pour mieux vous cibler avec des publicités). Les ordinateurs de Google étant tellement rapide, ils peuvent même tenter d’être intelligent: il y’a 12 rue Machinchose dans tout le pays, mais une MachinChause, avec une orthographe différente, dans un rayon de 10km, on va donc lui proposer celle-là. Surtout que, tient, nous avons en mémoire qu’il s’est rendu 7 fois dans cette rue au cours des trois dernières années, même sans utiliser le GPS.

    Force est de constater que les applications libres qui font la recherche sur votre téléphone ne peuvent rivaliser en termes de rapidité et d’aisance. Pour les utiliser, il faut s’adapter, accepter de refaire la recherche avec des orthographes différentes et d’attendre les résultats.

    Le routing

    On a le départ, on a l’arrivée. Maintenant il s’agit de calculer la route, une opération appelée « routing ». Pour faire du routing, chaque tronçon de route va se voir attribuer différentes valeurs : longueur, temps estimé pour le parcourir, mais aussi potentiellement le prix (routes payantes), la beauté (si on veut proposer un trajet plus agréable), le type de revêtement, etc.

    L’algorithme de routing va donc aligner tous les tronçons de route entre le départ et l’arrivée, traçant des centaines ou des milliers d’itinéraires possibles, calculant pour chaque itinéraire la valeur totale en additionnant les valeurs de chaque tronçon.

    Il va ensuite sélectionner l’itinéraire avec la meilleure valeur totale. Si on veut le plus rapide, c’est le temps total estimé le plus court. Si on veut la distance, c’est la distance la plus courte, etc.

    À mon époque, l’algorithme utilisé était le plus souvent de type « Bidirectionnal weighted A-star ». Cela signifie qu’on commence à la fois du départ et de l’arrivée, en explorant jusqu’au moment où les chemins se rencontrent et en abandonnant les chemins qui sont déjà de toute façon disqualifiés, car un plus court existe (oui, on peut aller de Bruxelles à Paris en passant par Amsterdam, mais ce n’est pas le plus efficace).

    Une fois encore, le problème est particulièrement complexe et votre téléphone va prendre un temps énorme à calculer l’itinéraire. Alors que les serveurs de Google vont le faire pour vous. Google Maps ne fait donc aucun calcul sur votre téléphone : l’application se contente de demander aux serveurs Google de les faire à votre place. Ceux-ci centralisent les milliers d’itinéraires demandés par les utilisateurs et les réutilisent parfois sans tout recalculer. Quand on est un monopole, il n’y a pas de petits profits.

    Les données temps réels

    Mais si on veut le trajet le plus rapide en voiture, une évidence saute aux yeux: il faut éviter les embouteillages. Et les données concernant les embouteillages sont très difficiles à obtenir en temps réel.

    Sauf si vous êtes un monopole qui se permet d’espionner une immense majorité de la population en temps réel. Il vous suffit alors, pour chaque tronçon de route, de prendre la vitesse moyenne des téléphones qui sont actuellement sur ce tronçon.

    L’artiste Simon Weckert avait d’ailleurs illustré ce principe en promenant 99 smartphones connectés sur Google maps dans un chariot. Le résultat ? Une rue déserte est devenue un embouteillage sur Google Maps.

    Simon Weckert créant un embouteillage sur Google Maps en tirant 99 smartphones dans un petit chariot
    Simon Weckert créant un embouteillage sur Google Maps en tirant 99 smartphones dans un petit chariot

    Là, force est de constater qu’il est difficile, voire impossible, de fournir ces données sans espionner massivement toute la population. À ce petit jeu, les alternatives libres ne pourront donc jamais égaler un monopole de surveillance comme celui de Google.

    Mais tout n’est pas noir, car, contrairement à ce qu’on pourrait croire, les infos trafic ne nous permettent pas d’aller plus vite. Elles donnent une illusion d’optimalité qui empire le trafic sur les itinéraires alternatifs et, au final, le temps perdu reste identique. Le seul avantage est que la prévision du temps de trajet est grandement améliorée.

    Ce résultat résulte de ce que j’appelle le paradoxe de l’embouteillage. C’est un fait bien connu des scientifiques et ignoré à dessein des politiciens que le trafic automobile est contre-intuitif. Au plus la route est large et permet à de nombreux véhicules de passer, au plus les embouteillages seront importants et la circulation chaotique. Si votre politicien propose de rajouter une bande sur le périphérique pour fluidifier la circulation, changez de politicien !

    L’explication de ce phénomène tient au fait que lorsqu’il y’a un embouteillage sur le périphérique, ce n’est pas le périphérique qui bouche. C’est qu’il y’a plus de voitures qui rentrent sur le périphérique que de voitures qui en sortent. Or, les sorties restent et resteront toujours limitées par la taille des rues dans les villes.

    En bref, un embouteillage est causé par le goulot d’étranglement, les parties les plus étroites qui sont, le plus souvent, les rues et ruelles des différentes destinations finales. Élargir le périphérique revient à élargir le large bout d’un entonnoir en espérant qu’il se vide plus vite. Et, de fait, cela rend les choses encore pires, car cela augmente le volume total de l’entonnoir, ce qui fait qu’il contient plus d’eau et mettra donc plus longtemps à se vider.

    99 smartphones dans un bac à roulette: c’est tout ce que nous sommes pour Google
    99 smartphones dans un bac à roulette: c’est tout ce que nous sommes pour Google

    Les infotrafics et les itinéraires alternatifs proposés par Google Maps ne font pas autre chose que de rajouter une bande de trafic virtuelle (sous forme d’un itinéraire alternatif) et donc élargissent le haut de l’entonnoir. Les infos trafic restent utiles dans les cas particuliers où votre destination est complètement différente du reste de la circulation. Où si la congestion apparait brusquement, comme un accident : dans ce cas, vous pourriez avoir le bénéfice rare, mais enviable d’emprunter l’itinéraire de secours juste avant sa congestion.

    La plupart du temps, les infotrafics sont globalement contre-productifs par le simple fait que tout le monde les utilise. Elles seraient parfaites si vous étiez la seule personne à en bénéficier. Mais comme tout le monde les utilise, vous êtes également obligé de les utiliser. Tout le monde y perd.

    Leur impact premier est surtout psychologique: en jouant avec les itinéraires alternatifs, vous pouvez vous convaincre que vous n’avez pas d’autre choix que prendre votre mal en patience. Alors que, sans eux, vous serez persuadés qu’il y’a forcément une autre solution.

    Les logiciels

    Alors, se passer de Google Maps ? Comme nous l’avons vu, ce n’est pas évident. Le service Google Maps/Waze se base sur l’espionnage permanent et instantané de milliards d’utilisateurs, offrant une précision et une rapidité insurpassable. Quand on y pense, le coût de ce confort est particulièrement élevé. Et pourtant, Google Maps n’est pas la panacée.

    J’ai personnellement un faible pour Organic Maps, que je trouve bien meilleur que Google Maps pour tout à l’exception du trafic routier : les itinéraires à pieds, en vélo et même en voiture hors des grands axes sont bien plus intéressants. Certes, il nécessite de télécharger les cartes. Inconvénient, selon moi, mineur, car permettant une utilisation même sans connexion. La recherche est, par contre, souvent frustrante et lente.

    Mais le mieux est peut-être d’explorer les alternatives libres à Google Maps dans cet excellent article de Louis Derrac.

    Et puis, pourquoi ne pas lutter contre la privatisation du bien commun qu’est la cartographie en apprenant à contribuer à OpenStreetMap ?

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain, tant par écrit que dans mes conférences.

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  • Monday 30 October 2023 - 01:00

    La fabrique à souvenirs

    Extrait de mon journal du 21 octobre 2023.

    Photo prise au bord de la Meuse, début août 2023, d’une affiche pour le « Festival du folklore » à Namur et Jambes. Sur l’affiche, des personnes, toutes habillées de différents costumes traditionnels, se regroupent pour prendre un selfie.
    Photo prise au bord de la Meuse, début août 2023, d’une affiche pour le « Festival du folklore » à Namur et Jambes. Sur l’affiche, des personnes, toutes habillées de différents costumes traditionnels, se regroupent pour prendre un selfie.

    Les photos étaient une manière de garder la trace d’un événement. C’en est désormais devenu l’objectif premier. Plutôt que de nous souvenir de ce que nous avons vécu, nous créons de toutes pièces des faux souvenirs, de fausses memorabilia afin de tromper notre futur moi.

    Nous souffrons une journée entière à faire la file dans un Disneyland bondé afin de pouvoir, dans cinq ou dix ans, prétendre que nos sourires étaient sincères, que notre amusement était réel.

    D’ailleurs, cela nous sera confirmé par tous ceux qui ont reçu nos photos dans les heures, parfois les secondes après la prise de vue. Nos followers sont les faux témoins que nous achetons, que nous corrompons afin de nous inventer des souvenirs.

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  • Sunday 29 October 2023 - 02:00

    Pourquoi j’ai supprimé mon compte Twitter (et pourquoi vous pouvez probablement en faire autant sans hésiter)

    Je suis complètement addict aux réseaux sociaux. Je suis complètement obnubilé par mon image sur ceux-ci. Pendant des années, dès qu’une nouvelle plateforme apparaissait, j’y créais un compte "@ploum" histoire de « garder le contrôle » sur mon pseudonyme. Je tenais les comptes de mes followers sur chacune. Je me présentais comme « @ploum » dans le premier slide de mes conférences.

    Il y a déjà un an, Elon Musk prenait les rênes de Twitter, le renommait en « X-anciennement-Twitter » et le transformait, d’après les témoignages que j’en ai, en une soupe nauséabonde. Je dis « d’après les témoignages » parce qu’à l’époque, cela faisait justement un an que j’avais supprimé mon compte.

    Si j’ai supprimé mon compte, avant même l’arrivée d’Elon Musk, il y’a des chances que vous puissiez supprimer le vôtre également. Et peut-être pas seulement sur Twitter.

    Je parle bien de le supprimer, pas de ne « plus l’utiliser » ou « le mettre en sommeil ». Je suis passé par là également et cela n’a rien à voir. C’est comme les personnes, dont la télé trône au milieu du salon, mais qui disent ne pas la regarder. Ou rarement. Enfin… pas trop souvent. Enfin, juste quand on s’ennuie. Ou quand il y’a un truc intéressant… Et puis aussi pour avoir une présence.

    En supprimant mon compte, j’ai retiré un utilisateur de la plateforme et fait baisser sa valeur.J’ai supprimé toute possibilité de me contacter sur ces plateformes, possibilité qui faisait que, même si je n’utilisais plus un service, je m’y connectais une fois par mois pour répondre aux messages qui arrivaient forcément là-bas, car, si compte il y a, il y’aura toujours quelqu’un pour l’utiliser.

    En supprimant mon compte, je suis devenu injoignable sur cette plateforme. Ce qui rend la plateforme un tout petit peu moins attractive pour mon entourage et ceux qui me suivent. Ce qui fait que la plateforme ne pourra pas montrer mon nom dans la liste de contacts lorsqu’une personne qui a mon numéro de téléphone s’inscrira pour la première fois. J’ai également supprimé un follower de tous ces créateurs que j’aime, mais qui sont, comme moi, un peu trop addicts aux likes.

    Bref, en supprimant mon compte Twitter, j’ai rendu le monde un poil meilleur.

    Oui, mais si on veut te contacter via cette plateforme

    Si on veut me contacter, supprimer mon compte est la meilleure des choses. Parce que personne ne tentera de me contacter sur une plateforme où je ne suis pas. Personne ne pensera que j’ai reçu le message.

    Comme je l’expliquais, les réseaux sociaux publicitaires ne nous mettent pas en relation, ils nous vendent l’illusion d’être en relation. En faisant parfois exactement le contraire.

    Pour le cas d’un groupe particulier utilisant une plateforme, c’est souvent difficile d’être le premier à quitter. J’ai souvent eu l’impression de m’exclure des groupes qui n’étaient pas techniques (les différents sports que je pratique dans mon cas). J’ai signalé à plusieurs personnes que je ne recevais pas les infos. J’ai rappelé que je n’étais pas sur la plateforme utilisée, Facebook, Twitter ou Whatsapp. J’ai demandé à certains de me faire suivre les messages.

    Cela a été difficile jusqu’au moment où une deuxième personne s’est révélée ne pas être non plus sur la plateforme. Soit qu’elle l’ait quittée, soit qu’elle ne l’ait jamais été. À partir de ce moment-là, les membres du groupe prennent conscience que la plateforme n’est plus représentative du groupe. Et l’intérêt pour la plateforme diminue pour disparaitre totalement avec la troisième personne qui n’y est pas non plus.

    Être le premier est difficile et pas toujours possible dans un groupe. Mais si vous ne savez pas être le premier, soutenez toute autre tentative et soyez le second.

    Oui, mais on peut usurper ton identité.

    Sur Twitter, je disposais d’un compte vérifié (et ce depuis plusieurs années, à une époque où c’était encore rare et une source de frime), un compte créé en 2007 avec presque 7000 followers. J’y étais attaché. J’en étais fier même si avoir un nombre de followers à 4 chiffres est un peu la gêne chez les influenceurs de la nouvelle génération.

    Avant de supprimer mon compte, je l’ai annoncé. À tous les messages qui arrivaient pendant une semaine ou quelques jours, j’ai répondu que ce compte allait être supprimé. Je l’ai également annoncé sur mon site et sur Mastodon.

    Il est important de rappeler qu’à la suppression d’un compte Twitter, le pseudo est bloqué pendant un an. Pendant un an, personne ne peut l’utiliser.

    Un an plus tard, quelqu’un pourrait en effet utiliser votre identifiant. C’est arrivé avec @ploum, un an jour pour jour après la suppression du compte. Le nouveau compte @ploum n’a rien à voir avec moi et ne peut en aucun cas être confondu avec moi.

    Oui, ma petite notoriété m’a déjà fait subir des attaques voire du harcèlement. Oui, j’ai déjà vu des faux ploum se faire passer pour moi, ce qui a motivé d’ailleurs à l’époque ma vérification par Twitter. Pourtant, la probabilité que l’identifiant soit réutilisé par une personne qui me connait et est motivée pour me nuire était tout de même très faible. Parce que, honnêtement, tout le monde s’en fout de mon compte Twitter. Surtout quand il faut attendre un an après sa disparition.

    Mais admettons que ce soit le cas. Un compte Twitter serait apparu qui aurait repris mon pseudo et un avatar crédible avant de commencer à raconter des atrocités en se faisant passer pour moi.

    Et alors ?

    Ce genre de compte a toujours été possible en jouant sur de subtiles variations orthographiques. On pourrait imaginer @pl0um, @ploom, @p1oum, … Cela fait un an que mon compte avait disparu, il n’est plus référencé sur mon site ni dans aucune bio, il a 0 follower. Quelle est la crédibilité d’un faux compte ?

    Ne pas supprimer son compte Twitter par peur d’usurpation d’identité, c’est reconnaître à Twitter un pouvoir énorme, un pouvoir étatique : celui d’assigner l’identité des individus. Reconnaissez-vous Elon Musk comme garant de votre identité ? Si non, il est urgent de supprimer votre compte. Et si oui, rappelez-vous que Musk peut s’arroger de prendre votre identifiant à sa guise. Il l’a déjà fait.

    Ce genre d’argument, que j’entends très souvent, me fait également souvent sourire parce que, en toute honnêteté, qui est suffisamment important pour qu’on veuille usurper son identité sur Twitter ? Et quels problèmes de cette situation très hypothétique ne pourraient pas être réglés par un simple « Ce compte Twitter se fait passer pour moi, mais ce n’est pas moi » sur vos autres plateformes et sur votre site ? Franchement, au rythme où ça va, vous pensez vraiment qu’il y’aura quoi que ce soit de crédible sur Twitter dans un an ? Si votre identité numérique est importante, investissez dans un nom de domaine avant toute chose !

    L’inventeur, auteur et technologiste Jaron Lanier, par exemple, n’a jamais eu de compte sur aucun réseau social. Il a d’ailleurs écrit un livre très court pour vous convaincre d’effacer vos comptes. Pourtant, il y’a plusieurs comptes à son nom, certains portant même la mention « officiel ». Il se contente de dire sur son site que ces comptes ne sont pas de lui. Point à la ligne, problème réglé.

    OK, toi tu l’as fait, mais moi je vais perdre ma communauté et mon audience

    Comme le raconte Cory Doctorow, votre audience Twitter a déjà disparu. Ce n’est qu’un chiffre. Le média NPR a supprimé son compte Twitter et ses visites ont baissé de moins de 1%. Cory Doctorow a 10 fois plus de followers sur Twitter que sur Mastodon. Mais quand on parle des partages et des réponses, le ratio s’inverse. Mastodon est clairement beaucoup plus actif.

    La même expérience vient d’être menée involontairement par l’application Signal. Le compte Twitter officiel de Signal, 600k followers, a en effet réagi à l’annonce d’une faille de sécurité.

    Ce message a fait la première page du populaire site Hacker News et a donc été vu beaucoup de fois, y compris par des gens ne suivant pas le compte Signal sur Twitter.

    5h plus tard, alors que le message Twitter faisait déjà le buzz, Signal a reposté le contenu sur son compte Mastodon, qui n’a « que » 40k followers (15 fois moins).

    Pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, le nombre de partages est incroyablement identique (641 contre 615). Le nombre de réponses est également très similaire (30 contre 23). Et si on retire les "lol", les memes et autres réponses de moins de cinq mots, on peut même arriver à la conclusion que le fameux « engagement » sur Twitter est à peu près nul. (UPDATE: une semaine plus tard, le nombre de partages est passé à 1100 sur Mastodon pour 900 sur Twitter)

    L’écrivain Henri Lœvenbruck a également supprimé complètement son compte Twitter et sa page Facebook en 2022. Il est pourtant connu et vit de sa notoriété. Son roman « Les disparus de Blackmore », publié quelques mois après cette suppression, s’est mieux vendu que le précédent. Nul ne saura jamais s’il aurait pu en vendre encore plus en étant sur Facebook ou Twitter. Mais la preuve est faite que cette présence n’est absolument pas indispensable.

    Je le dis et le redis : le nombre de followers est faux. C’est une information qui est conçue dans l’optique de vous tromper.

    Oui, vous avez le droit de supprimer vos comptes

    Le sentiment de m’être fait avoir en créant des comptes sur Twitter, Facebook et autres Medium est fort. Mais ma seule erreur a été de croire les promesses de cette industrie. Ce n’est pas moi qui me suis trompé, ce sont les plateformes qui nous ont menti. Certains le prédisaient déjà à l’époque et me traitaient de naïf. Je ne les ai pas écoutés, je m’en excuse auprès d’eux. J’ai parfois argué « qu’il fallait aller où les gens étaient », devenant moi-même un allié de ces plateformes. Je vous ai encouragé, vous qui me lisez depuis des années, à m’y rejoindre, contribuant à leur emprise. Je m’en excuse profondément auprès de vous.

    Ne pas déceler un mensonge est une erreur. À ma décharge, c’est une erreur qui peut arriver à tout le monde.

    Mais aujourd’hui, le mensonge est éclatant. Il est indéniable. Recommanderais-je à mes amis de s’inscrire sur ces plateformes ? Serais-je d’accord que mes enfants s’y inscrivent ? Si la réponse est non à l’une de ces questions, garder un compte sur ces plateformes n’est plus excusable.

    Nous sommes le composant essentiel des plateformes centralisées. Si nous n’aimons pas ce qu’elles sont ou ce qu’elles deviennent, si leurs valeurs sont en contradiction avec les nôtres, notre devoir est de les quitter, de les assécher, pas de lutter pour les améliorer.

    Ne pas réagir et continuer à se laisser faire lorsque le mensonge est flagrant n’est pas une erreur, c’est à la limite de la complicité. C’est encore plus le cas pour les organisations et les militants qui prétendent soutenir des valeurs opposées à celles de la plateforme. On ne peut pas lutter contre le capitalo-consumérisme sur Facebook ni contre l’extrême droite sur Twitter. Le prétendre n’est qu’hypocrisie intellectuelle.

    Et j’en ai été le premier coupable.

    Aujourd’hui, je tente de réparer mes erreurs du passé en vous demandant, à vous mes amis qui lisez ceci, de supprimer vos comptes sur ces réseaux sociaux publicitaires. Je peux vous rassurer : non, vous n’allez que peu ou prou manquer des choses importantes. Oui, ça sera dur au début, mais ça ira de mieux en mieux. Et peut-être que vous allez y gagner beaucoup plus que ce que vous imaginez.

    Oui mes amis, vous avez le droit, vous avez le devoir de supprimer vos comptes !

    PS : Je dédie ce post à Henri Lœvenbruck, cité plus haut dans cet article. Cela fait un an jour pour jour que t’es arrivé sur Mastodon. J’en suis heureux pour toutes les expériences vécues ensemble cette année et dans les prochaines. Joyeux mastanniversaire mon ami !

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  • Tuesday 17 October 2023 - 02:00

    Le nouveau transhumanisme

    Les poumons remplis par la cigarette électronique,
    Les oreilles bouchées par les écouteurs,
    Les yeux obnubilés par l’écran,
    Les doigts agrippés au smartphone,
    Que l’on porte alternativement devant la bouche ou l’oreille,
    Dans son absurde horizontalité.

    Nous rêvions d’un transhumanisme pour étendre nos capacités,
    Pour augmenter notre sensorialité,
    Pour démultiplier notre perception et notre impact sur la réalité.

    Nous avons construit à la place une technologie de l’anesthésie.
    Nous bloquons, nous bouchons, nous tentons d’oublier.
    Nous désactivons nos sens pour ne pas nous sentir crever.

    Et lorsque nous nous retrouvons brièvement déconnectés,
    Les sens soudain réveillés sur la conscience de la douleur d’exister,
    Angoissés nous cherchons une connexion, un substitut, un objet à acheter,
    Un cancer à consommer en cannette, barre sucrée ou cendres inhalées.

    L’extension, l’amélioration de la réalité étaient un rêve.
    Mais les rêves ne sont plus faits pour se réaliser,
    Ils ne sont que l’inspiration de produits à consommer.
    J’aurais bien sauvé le monde, mais je vais rater.
    Le dernier épisode de la nouvelle série télé.

    Après tout, ce petit écran ne me donne-t-il pas accès au monde entier ?
    Au savoir humain dans son entièreté ?
    Moi dont la voix pourrait porter à l’autre bout de la planète,
    Moi qui pourrais sans effort créer de quoi…

    Oh, tiens, une mise à jour à installer !

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  • Thursday 12 October 2023 - 02:00

    Les territoires perdus

    Les hommes avaient mis la nature en prison, la détruisant, la repoussant pour planter ces immensités de jachères macadamisées où poussent la tôle, le bruit, l’air vicié et les accidents.

    Les arbres tentaient vainement de subsister, leur chlorophylle grise en quête de quelques brins de lumière ayant traversé le smog.

    Les ligneux esprits avaient du mal à comprendre cette humanité délirante : « Mais pourquoi les humains construisent-ils des cages à parking ? »

    Ce texte est une réponse instinctive et spontanée à la photo « Les territoires perdus » de Bruno Leyval, photo qui illustre cet article et reproduite ici avec sa bénédiction.

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  • Monday 09 October 2023 - 02:00

    Ce que l’écologie peut apprendre du logiciel libre

    Extrait de mon journal du 8 octobre 2023.

    L’écologie a beaucoup à apprendre de l’échec du mouvement pour le logiciel libre. Celui-ci, perçu avec raison comme étant un combat moral s’opposant à la privatisation et la marchandisation des communs, s’est mué en open source, un mouvement très similaire, mais mettant en avant l’aspect technique afin de ne plus remettre en question l’aspect mercantile et la philosophie capitaliste.

    Le résultat est sans appel: l’open source a gagné ! Il est partout. Il compose l’essentiel des logiciels que vous utilisez tous les jours. Le plus grand adversaire historique du logiciel libre, Microsoft, est devenu le plus grand contributeur à l’open source, étant même propriétaire de la plus grande et incontournable plateforme de développement open source : Github.

    Et pourtant, les utilisateurs n’ont jamais eu aussi peu de liberté (ce qui justifie que je parle d’échec). Nous sommes espionnés, nous devons payer des abonnements mensuels pour tout, nous sommes soumis à des myriades de publicités. Nous n’avons aucun contrôle sur nos données ni même sur les ordinateurs que nous achetons. Là où le logiciel libre s’opposait à la privatisation des communs, l’open source contribue à cet accaparement.

    La victoire à la Pyhrrus de l’open source entraine une désertion du combat pour la préservation de nos libertés fondamentales. La disparition de ces libertés n’était, au départ, que perçue comme un délire de quelques geeks paranoïaques. Elle est désormais un fait avéré et totalement banalisé, normalisé dans la vie quotidienne de l’immense majorité des humains. Le simple droit à exister sans être espionné, sans être envahi par les monopoles publicitaires et sans être forcé à dépenser de l’argent pour une énième mise à jour a essentiellement disparu. Se connecter aux plateformes en ligne officielles de nombreuses institutions, y compris étatiques, nécessite désormais le plus souvent un compte Google, Apple ou Microsoft. La plus grande université francophone de Belgique, où je suis employé, force chaque étudiant et chaque membre du personnel à utiliser un compte Microsoft et à y sauver toutes ses données, toutes ses communications.

    Le parallèle avec l’écologie est troublant à l’heure où la doxa politique consiste à concilier écologie et consumérisme. L’écologie de marché est promue comme une solution exactement de la même manière que l’open source était vu comme une manière pour le logiciel libre de s’imposer.

    Nul besoin d’être prophète pour prédire que le résultat sera identique, car il l’est déjà : une situation aggravée, mais perçue comme acceptable, car le combat fait désormais partie du passé. Les militants restants forment une arrière-garde décatie.

    Le marché des compensations carbone, qui produit plus de pollution que s’il n’existait pas tout en autorisant les plus gros pollueurs à s’acheter une conscience, n’est que le premier de nombreux exemples. L’absurde hypocrisie des entreprises de se prétendre « écologiques » ou « vertes » en est une autre. En vérité, il n’y a pas de compromis à faire avec l’économie consumériste, car elle est la racine du mal qui nous ronge.

    Bon nombre de militants écologistes se regroupent désormais sur des plateformes publicitaires comme Facebook ou Google qui cherchent à privatiser l’information et les espaces de discussions en nous poussant à la consommation. Ce n’est qu’une des nombreuses illustrations de notre incapacité à imaginer les conséquences logiques de nos actions dès le moment où notre salaire et notre confort quotidien dépendent du fait que nous ne les imaginions pas.

    Mon expérience universitaire démontre que les organisations qui sont censées nous servir d’élite intellectuelle sont tout autant corrompues et dénuées de l’imagination qui est pourtant le cœur de leur mission.

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  • Sunday 01 October 2023 - 02:00

    The future of Offpunk: UNIX command-line heaven and packaging hell

    A story about how the UNIX philosophy made me develop tools I’m actually proud of and why packaging is holding me back.

    Two years ago, I decided that I wanted to be able to browse Gemini while offline. I started to add a permanent cache to Solderpunk’s AV-98, the simplest and first Gemini browser ever. It went surprisingly well. Then, as the excellent forlater.email service went down for a week, I thought that I would add a quick and hackish HTTP support to it. Just a temporary experiment.

    The same week, I serendipitously stumbled upon chafa, an image rendering tool which was on my computer because of neofetch. I thought it would be funny to have pictures rendered in webpages in my terminal. Just an experiment to take some funny screenshots, nothing more.

    But something really surprising happened: it was working. It was really useful. I was really using it and, after adding support for RSS, I realised that this experiment was actually working better for me than forlater.email and newsboat. Offpunk was born without really thinking about it and became a real project with its own philosophy.

    Born on Gemini, I wanted Offpunk to keep its minimalistic roots: keeping dependencies under control (making them optional and implementing the underlying feature myself as soon as it makes sense), keeping it simple (one single runnable python script), caring as much as possible about older versions of python, listening to people using it on very minimal systems. I also consciously choose to use only solutions that have been time-trial-tested. I’ve spent too many years of my life falling for the "new-trendy-technology" and learned from those mistakes. The one-file aspect assured that it was really easy to use and to hack on it: open the file, modify something, run it.

    I’m not a good developer. Anything more complex than that is too much for my taste. Unless forced, I’ve never used an IDE, never understood complex toolchains nor packaging. I modify files with (neo)vim (without any plugin), compile from the command line and run the resulting binary (not even needing the second step with python). Life is too short for making it more complex than that. I like to play with the code, not to learn tools that would do it for me.

    But offpunk.py was becoming a bit fat. 4500 lines of organic python which have grown over an AV-98 structured to be a test bed for an experimental protocol. The number of people able to understand its code entanglement was varying between 0 and 1, depending on the quality of my morning Earl Grey.

    I wanted to make life easier for contributors. I also realised that some features I developed might be useful without offpunk. So I stepped into a huge refactorisation and managed to split offpunk into several components. My goal was to separate the code into multiple individual components doing one thing and doing it well. And, to my own surprise, I succeeded.

    Netcache.py

    I called the first component "netcache". Think of netcache as a cached version of wget. If possible, netcache will give you a cached version of the URL you are asking. If no cache or too old and if allowed to go online, netcache will download it.

    It means that if you like Offpunk’s core concept but don’t like the interface and want, for example, a GUI, you could write your own browser that would, using netcache, share the cache with Offpunk.

    Netcache is currently working just well enough for my needs but could be a lot better. I should, for example, investigate replacing the network code by libcurl and implementing support for multithreaded concurrent downloads.

    Ansicat.py

    Coloured output in your terminal is done through a standard called ANSI. As I wrote the first HTML to ANSI renderer for offpunk, I started to understand how awful the HTML standard was. Armed with that experience, I started a second renderer and, to be honest, it is actually not that bad. I’m even proud of it.

    Ansicat is really useful when in a terminal because it will render HTML and gemtext in a good, readable way. If the optional library python-readability is present, ansicat will try to extract the main content from a web page (and, yes, python-readability is one dependency I would like to reimplement someday).

    With netcache and ansicat, you can thus already do something like:

    netcache https://ploum.net | ansicat --format=html
    

    Yes, it works. And yes, as a UNIX junkie, I was completely excited the first time it worked. Look mum, I’m Ken Thompson! Making ansicat a separate tool made me think about adding support for other formats. Like PDF or office documents. How cool would it be to have a singe cat command for so many different formats?

    Opnk.py

    While netcache and ansicat were clear components I wanted to split from Offpunk’s core since the start of the refactoring, another tool appeared spontaneously: opnk.

    Opnk (Open-like-a-punk) is basically a wrapper that will run ansicat on any file given. If given a URL, it will ask netcache for the file. Result will be displayed in less (after passing through ansicat, of course).

    If ansicat cannot open the file, opnk fallbacks on xdg-open.

    That looks like nothing but it proved to be massively useful in my workflow. I already use opnk every day. Each time I want to open a file, I don’t think about the command, I type "opnk". It even replaced cat for many use cases. I’m even considering renaming it "opn" to save one character. Using opnk also explains why I want to work on supporting PDF/office documents with ansicat. That would be one less opportunity to leave the terminal.

    Offpunk.py

    Through this architecture, Offpunk became basically an interface above opnk. And this proved to work well. Many longstanding bugs were fixed, performance and usability were vastly improved.

    Everything went so well that I dreamed releasing offpunk 2.0, netcache, ansicat and opnk while running naked with talking animals in a flower field under a rainbow. Was it really Earl Grey in the cup that day?

    Packaging Offpunk.py

    Now for the bad news.

    As expected, the refactoring forced me to break my "one-single-python-file" rule.

    I felt guilty for those people who told me about using offpunk on very minimal systems, sometimes from a USB key. But I thought that this was not a real problem. Instead of one python script, I had four of them (and a fifth file containing some shared code). That should not be that much of a problem, isn’t it?

    Well, python packaging systems would like to disagree. Flowers fade, the rainbow disappears behind black and heavy clouds while animals start to look at me with a devilish look and surprisingly sharp teeth.

    I’ve spent many hours, asked several people on the best way to package multiple python files without making the whole thing a module. Without success. Hopefully, the community is really helpful. David Zaslavsky stepped on the mailing list to give lots of advice and, as I was discouraged, Austreelis started to work really hard to make offpunk both usable directly and packagable. I’m really grateful for their help and their work. But, so far, without clear success. I feel sad about the amount of energy required to address something as simple as "I’ve 5 python files which depend on each other and I want to be able to launch them separately".

    The software is working really well. The refactoring allowed me to fix longstanding bugs and to improve a lot of areas while adding new features (colour themes anyone?) On my computer, I added four aliases in my zsh config: offpunk, opnk, ansicat and netcache. Each alias runs the corresponding python file. Nothing fancy and I want to keep it that way. I know for a fact that several users are doing something similar: git clone then run it from an arbitrary location.

    Keeping things as simple as that is the main philosophical goal behind offpunk. It’s an essential part of the project. If people want to use pip or any other tool to mess up their computer configuration, that’s their choice. But it should never be required.

    Which means that I’m now in a very frustrating position: Offpunk 2.0 is more than ready from a code point of view. But it cannot be shipped because there’s currently no easy way to package it. The pyproject.toml file had become an obstacle to the whole development process.

    I’m contemplating putting everything back in one big file. Or removing the pyprojects.toml file from the repository and releasing offpunk "as it is".

    Some will call me an old conservative fart for refusing to use one of those gazillion shiny packaging system. Others will judge me as a pretty poor programmer if I managed to do 20 years of Python without ever understanding pip nor using an IDE.

    They are probably right. What would you seriously expect from someone doing a command-line tool to browse Gemini and Gopher?

    But there’s maybe an easier solution than to change my mind and offpunk’s core philosophy. A simple solution that I missed. If that’s the case, don’t hesitate to drop a word on the devel mailing-list, Austreelis and I will be happy to hear about your opinion and your experience.

    While you are at it, bug reports and feedback are also welcome. I’ve this odd custom of finding embarrassing bugs only hours after a release. I really hope to do better with offpunk 2.0.

    And after we’ve solved that little packaging anecdote together, I will happily return to my bare neovim to code all the ideas I want to implement for 2.1, 2.2 and many more releases to come.

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

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  • Wednesday 27 September 2023 - 02:00

    40 ans de GNU

    Richard Stallman ne voulait pas changer le monde. Il ne voulait pas se battre contre les moulins à vent. Il ne voulait pas réinventer la roue. Richard Stallman voulait simplement retrouver ses amis, sa communauté.

    Pour ce jeune homme barbu et rondouillard, les relations sociales n’avaient jamais été simples. Toujours plongé dans les livres et adorant résoudre des casse-têtes logiques, le jeune homme avait toujours eu un peu de mal à trouver sa place. Il avait beau adorer la compagnie, les longues discussions et la danse, ses intérêts pour les mathématiques semblaient toujours un peu en décalage. Son humour, surtout, était souvent mal perçu au point de choquer ou d’effrayer. C’est au laboratoire d’Intelligence Artificielle du MIT qu’il avait enfin eu l’impression d’être entièrement à sa place. Les jours et les nuits devant un écran, les doigts sur un clavier, entourés de personnes qui, comme lui, ne cherchaient que des problèmes à résoudre. À résoudre de la manière la plus simple, la plus élégante, la plus rigolote ou la plus absurde. Pour l’amour de l’art, par besoin ou par simple envie de faire une blague potache.

    RMS, ainsi qu’il se présentait chaque fois que l’ordinateur lui affichait le mot "login:", était heureux.

    Mais le vent changeait. En 1976, le très jeune dirigeant d’une obscure société vendant un compilateur BASIC s’était fendu d’une longue lettre ouverte à la communauté des utilisateurs d’ordinateurs. Dans cette lettre, il suppliait les amateurs d’ordinateurs d’arrêter de partager des logiciels, de le modifier, de les copier. À la place, arguait-il, il faut acheter les logiciels. Il faut payer les développeurs. Bref, il faut faire la différence entre les développeurs payés et les utilisateurs qui paient et n’ont pas le droit de comprendre comment le programme fonctionne.

    S’il l’a lue, la lettre est passée au-dessus de la tête de Richard. Ce que produit ce jeune William Gates, dit Bill, et sa société « Micro-Soft » ne l’intéressait pas à l’époque. Il sait bien que l’esprit « hacker » est celui du partage, de la curiosité. Ken Thompson, l’inventeur d’Unix, n’avait jamais caché son désir de partager toutes ses expérimentations. Lorsque les avocats d’AT&T, son employeur, avaient commencé à rechigner en déposant la marque UNIX puis en interdisant tout partage, lui, Dennis Ritchie, Brian Kernighan et leurs comparses s’étaient amusés à contourner toutes les règles. Le code source se transmettait via des bandes « oubliées » dans un bureau voire sur les bancs des parcs. Le code source entier d’UNIX, annoté et commenté par John Lions pour servir de support éducatif à ses étudiants, se targuait d’être le livre d’informatique le plus photocopié du monde malgré l’interdiction d’en faire des copies.

    Les Bill Gates et leurs armées d’avocats ne pourraient jamais venir à bout de l’esprit hacker. Du moins, c’est ce que Richard Stallman pensait en travaillant à sa machine virtuel LISP et à son éditeur Emacs.

    Jusqu’au jour où il réalisa qu’une société, Symbolics, avait graduellement engagé tous ses collègues. Ses amis. Chez Symbolics, ceux-ci continuaient à travailler à une machine virtuelle LISP. Mais ils ne pouvaient plus rien partager avec Richard. Ils étaient devenus concurrents, un concept inimaginable pour le hacker aux cheveux en bataille. Par bravade, celui-ci se mit alors à copier et implémenter dans la machine LISP du MIT chaque nouvelle fonctionnalité développée par Symbolics. À lui tout seul, il abattait le même travail que des dizaines d’ingénieurs. Il n’avait bien entendu pas accès au code source et devait se contenter de la documentation de Symbolics pour deviner les principes de fonctionnement.

    Le changement d’ambiance avait été graduel. Richard avait perdu ses amis, sa communauté. Il avait été forcé, à son corps défendant, de devenir un compétiteur plutôt qu’un collaborateur. Il ne s’en rendait pas complètement compte. Le problème était encore flou dans sa tête jusqu’au jour où une nouvelle imprimante fit son apparition dans les locaux du MIT.

    Il faut savoir que, à l’époque, les imprimantes faisaient la taille d’un lit et avaient pas mal de problèmes. Sur la précédente, Richard avait bricolé un petit système envoyant automatiquement une alerte en cas de bourrage. Il n’avait pas réfléchi, il avait pris le code source de l’imprimante et l’avait modifié sans se poser de questions. Mais, contre toute attente, le code source de la nouvelle imprimante n’était pas livré avec. Le monde de l’informatique était encore tout petit et Richard avait une idée de qui, chez Xerox, avait pu écrire le logiciel faisant fonctionner l’imprimante. Profitant d’un voyage, il se rendit dans le bureau de la personne pour lui demander une copie.

    La discussion fut très courte. La personne n’avait pas le droit de partager le code source. Et si elle le partageait, Richard devait signer un accord de non-divulgation. Il n’aurait, à son tour, pas le droit de partager.

    Pas le droit de partager ? PAS LE DROIT DE PARTAGER ?

    Le partage n’est-il pas l’essence même de l’humanité ? La connaissance ne repose-t-elle pas entièrement sur le partage intellectuel ?

    Le ver glissé dans le fruit par Bill Gates commençait à faire son œuvre. Le monde commençait à souscrire à la philosophie selon laquelle faire de Bill Gates l’homme le plus riche du monde était une chose plus importante que le partage de la connaissance. Que la compétition devait nécessairement venir à bout de la collaboration. Les hackers avaient fini par enfiler une cravate et se soumettre aux avocats.

    S’il ne faisait rien, Richard ne retrouverait plus jamais ses amis, sa communauté. Bouillonnant de colère, il décida de reconstruire, à lui tout seul, la communauté hacker. De la fédérer autour d’un projet que n’importe qui pourrait partager, améliorer, modifier. Que personne ne pourrait s’approprier.

    Il nomma son projet « GNU », les initiales de « GNU’s Not Unix » et l’annonça sur le réseau Usenet le 27 septembre 1983. Il y a 40 ans aujourd’hui.

    Bon anniversaire GNU.

    Après cette annonce, Richard Stallman allait se mettre à réécrire chacun des très nombreux logiciels qui composaient le système Unix. Tout seul au début, il créait le système GNU de toutes pièces. Son seul échec fut le développement d’un noyau permettant de faire tourner GNU sur des ordinateurs sans avoir besoin d’un système non-GNU. Richard percevait le problème, car, en plus de coder, il développait la philosophie du partage et du libre. Il inventait les fondements du copyleft.

    En 1991, en s’aidant des outils GNU, dont le compilateur GCC, un jeune Finlandais, Linus Torvalds, allait justement créer un noyau à partir de rien. Un noyau qu’il allait mettre sous la licence copyleft inventée par Stallman.

    Mais ceci est une autre histoire…

    Lectures suggérées :

    • Richard Stallman et la révolution du logiciel libre, par Richard Stallman, Sam Williams et Christophe Masutti
    • The Daemon, the Gnu and the Penguin, par Peter H. Salus
    • UNIX, A history and a Memoir, par Brian Kernighan
    • Lion’s Commentary on UNIX 6th Edition with Source Code, par John Lions
    • Lettre ouverte aux utilisateurs d’ordinateurs, par Bill Gates

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

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  • Tuesday 01 August 2023 - 02:00

    Splitting the Web

    There’s an increasing chasm dividing the modern web. On one side, the commercial, monopolies-riddled, media-adored web. A web which has only one objective: making us click. It measures clicks, optimises clicks, generates clicks. It gathers as much information as it could about us and spams every second of our life with ads, beep, notifications, vibrations, blinking LEDs, background music and fluorescent titles.

    A web which boils down to Idiocracy in a Blade Runner landscape, a complete cyberpunk dystopia.

    Then there’s the tech-savvy web. People who install adblockers or alternative browsers. People who try alternative networks such as Mastodon or, God forbid, Gemini. People who poke fun at the modern web by building true HTML and JavaScript-less pages.

    Between those two extremes, the gap is widening. You have to choose your camp. When browsing on the "normal web", it is increasingly required to disable at least part of your antifeatures-blockers to access content.

    Most of the time, I don’t bother anymore. The link I clicked doesn’t open or is wrangled? Yep, I’m probably blocking some important third-party JavaScript. No, I don’t care. I’ve too much to read on a day anyway. More time for something else. I’m currently using kagi.com as my main search engine on the web. And kagi.com comes with a nice feature, a "non-commercial lens" (which is somewhat ironic given the fact that Kagi is, itself, a commercial search engine). It means it will try to deprioritize highly commercial contents. I can also deprioritize manually some domains. Like facebook.com or linkedin.com. If you post there, I’m less likely to read you. I’ve not even talked about the few times I use marginalia.nu.

    Something strange is happening: it’s not only a part of the web which is disappearing for me. As I’m blocking completely google analytics, every Facebook domain and any analytics I can, I’m also disappearing for them. I don’t see them and they don’t see me!

    Think about it! That whole "MBA, designers and marketers web" is now optimised thanks to analytics describing people who don’t block analytics (and bots pretending to be those people). Each day, I feel more disconnected from that part of the web.

    When really needed, dealing with those websites is so nerve breaking that I often resort to… a phone call or a simple email. I signed my mobile phone contract by exchanging emails with a real person because the signup was not working. I phone to book hotels when it is not straightforward to do it in the web interface or if creating an account is required. I hate talking on the phone but it saves me a lot of time and stress. I also walk or cycle to stores instead of ordering online. Which allows me to get advice and to exchange defective items without dealing with the post office.

    Despite breaking up with what seems to be "The Web", I’ve never received so many emails commenting my blog posts. I rarely had as many interesting online conversations as I have on Mastodon. I’ve tens of really insightful contents to read every day in my RSS feeds, on Gemini, on Hacker News, on Mastodon. And, incredibly, a lot of them are on very minimalists and usable blogs. The funny thing is that when non-tech users see my blog or those I’m reading, they spontaneously tell me how beautiful and usable they are. It’s a bit like all those layers of JavaScript and flashy css have been used against usability, against them. Against us. It’s a bit like real users never cared about "cool designs" and only wanted something simple.

    It feels like everyone is now choosing its side. You can’t stay in the middle anymore. You are either dedicating all your CPU cycles to run JavaScript tracking you or walking away from the big monopolies. You are either being paid to build huge advertising billboards on top of yet another framework or you are handcrafting HTML.

    Maybe the web is not dying. Maybe the web is only splitting itself in two.

    You know that famous "dark web" that journalists crave to write about? (at my request, one journalist once told me what "dark web" meant to him and it was "websites not easily accessible through a Google search".) Well, sometimes I feel like I’m part of that "dark web". Not to buy drugs or hire hitmen. No! It’s only to have a place where I can have discussions without being spied and interrupted by ads.

    But, increasingly, I feel less and less like an outsider.

    It’s not me. It’s people living for and by advertising who are the outsiders. They are the one destroying everything they touch, including the planet. They are the sick psychos and I don’t want them in my life anymore. Are we splitting from those click-conversion-funnel-obsessed weirdos? Good riddance! Have fun with them.

    But if you want to jump ship, now is the time to get back to the simple web. Welcome back aboard!

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  • Sunday 23 July 2023 - 02:00

    Pour une poignée de followers

    Pour une raison que j’ignore, mon compteur d’abonnés sur Mastodon s’est emballé et vient de franchir le cap de 6700. Ce chiffre porte une petite symbolique pour moi, car je ne pense pas l’avoir jamais franchi sur Twitter.

    Si mes souvenirs sont bons, j’ai quitté Twitter avec environ 6600 abonnés, Google+ avec 3000 abonnés, Facebook avec 2500, LinkedIn et Medium avec 1500. Mastodon serait donc le réseau où j’ai historiquement le plus de succès (si l’on excepte l’éphémère compte Twitter du « Blog d’un condamné » qui avait attiré plus de 9000 personnes en quelques jours).

    Faut-il être heureux que mon compte Mastodon fasse mieux en six ans que mon compte Twitter entre 2007 et 2021, date de sa suppression définitive ?

    Où peut-être est-ce l’occasion de rappeler que, tout comme le like, dont j’ai précédemment détaillé l’inanité, le nombre de followers est une métrique absurde. Fausse. Et qui devrait être cachée.

    Où l’on sépare les comptes qui comptent de ceux qui ne comptent pas

    Les réseaux sociaux commerciaux vous vendent littéralement l’impression d’être suivis. Il n’y a aucun incitant à offrir un compte correct. Au contraire, tout est fait pour exagérer, gonfler.

    Vos followers sont donc composés de comptes de robots, de comptes de sociétés qui suivent, mais ne lisent de toute façon pas les contenus, de comptes générés automatiquement et de toute cette panoplie de comptes inactifs, car la personne est passée à autre chose, a oublié son mot de passe ou, tout simplement, est décédée.

    Sur Mastodon, mon intuition me dit que c’est « moins pire » grâce à la jeunesse du réseau. J’y ai déjà néanmoins vu des comptes de robots, des comptes de personnes qui ont testé et n’utilisent plus Mastodon ainsi que des comptes doublons, la personne ayant plusieurs comptes et me suivant sur chacun.

    Au final, il y’a beaucoup moins d’humains que le compteur ne veut bien nous le laisser croire.

    Où l’on se pose la question de l’utilité de tout cela

    Mais même lorsqu’un compte représente un humain réel, un humain intéressé par ce que vous postez, encore faut-il qu’il vous lise lorsque votre contenu est noyé dans les 100, 200 ou 1000 autres comptes qu’il suit. Ou, tout simplement, n’est-il pas sur les réseaux sociaux ce jour-là ? Peut-être vous a-t-il vu et lu, entre deux autres messages.

    Et alors ?

    Je répète en anglais parce que ça donne un style plus théâtral.

    So what ?

    So feukinne watte ?

    Vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvaient bien servir les followers ?

    Tous ces autocollants vous invitant à suivre sur Facebook et Instagram la page de votre fleuriste, de votre plombier ou de votre boulangerie ? Sérieusement, qui s’est un jour dit en voyant un de ces autocollants « Cool, je vais suivre mon fleuriste, mon plombier et ma boulangère sur Facebook et Instagram » ?

    Et quand bien même certains le font, certainement tonton Albert et cousine Géraldine qui n’habitent pas la ville, mais soutiennent la boulangère de la famille, pensez-vous que ça ait le moindre impact sur le business ?

    À l’opposé, je suis avec assiduité une centaine de blogs par RSS. Je lis tout ce que ces personnes écrivent. Je réagis par mail. Je les partage en privé. J’achète également tous les livres de certains de mes auteurs favoris. Pourtant, je ne suis compté nulle part comme un follower.

    Où l’on a la réponse à la question précédente

    Militant pour le logiciel libre, le respect de la vie privée et le web non commercial, on pourrait arguer que mon public se trouve, par essence, sur Mastodon. (et me demander pourquoi je suis resté si longtemps sur les réseaux propriétaires. Je n’ai en effet aucune excuse).

    Prenons un cas différent.

    L’écrivain Henri Lœvenbruck a fermé ses comptes Facebook (29.000 followers), Twitter (10.000 followers) et Instagram (8.000 followers). Son dernier livre, « Les disparus de Blackmore », promu uniquement auprès des 5000 comptes qui le suivent sur Mastodon (et un peu LinkedIn, mais qu’est-ce qu’il fout encore là-bas ?) s’est pourtant beaucoup mieux vendu que le précédent.

    Faut-il en déduire que les followers ne sont pas la recette miracle tant louée par… les sociétés publicitaires dont le business model repose à vouloir nous faire avoir à tout prix des followers ? D’ailleurs, entre nous, préférez-vous passer quelques heures à vous engueuler sur Twitter ou à flâner dans un univers typiquement Lœvenbruckien ? (Mystères lovercraftiens, grosses motos qui pétaradent, vieux whiskies qui se dégustent et quelques francs-maçons pour la figuration, on sent que l’auteur de « Nous rêvions juste de liberté » s’est fait plaisir, plaisir partagé avec les lecteurs et après on s’étonne que le bouquin se vende)

    Si Lœvenbruck a pris un risque dans sa carrière pour des raisons éthiques et morales, force est de constater que le risque n’en était finalement pas un. Ses comptes Facebook/Instagram/Twitter ne vendaient pas de livres. Ce serait plutôt même le contraire.

    Dans son livre "Digital Minimalism" et sur son blog, l’auteur Cal Newport s’est fait une spécialité d’illustrer le fait que beaucoup de succès modernes, qu’ils soient artistiques, entrepreneuriaux ou sportifs, se construisent non pas avec les réseaux sociaux, mais en arrivant à les mettre de côté. Une réflexion que j’ai moi-même esquissée alors que je tentais de me déconnecter.

    La conclusion de tout cela est effrayante : nous nous sommes fait complètement avoir. Vraiment. La quête de followers est une arnaque totale qui, loin de nous apporter des bénéfices, nous coûte du temps, de l’énergie mentale, parfois de l’argent voire, dans certains cas, détruit notre business ou notre œuvre en nous forçant à modifier nos produits, nos créations pour attirer des followers.

    Où l’on se rend compte des méfaits d’un simple chiffre

    Car, pour certains créateurs, le nombre de followers est devenu une telle obsession qu’elle emprisonne. J’ai eu des discussions avec plusieurs personnes très influentes sur Twitter en leur demandant si elles comptaient ouvrir un compte sur Mastodon. Dans la plupart des cas, la réponse a été qu’elles restaient sur Twitter pour garder « leur communauté ». Leur "communauté" ? Quel bel euphémisme pour nommer un chiffre artificiellement gonflé qui les rend littéralement prisonnières. Et peut-être est-ce même une opportunité manquée.

    Car un réseau n’est pas l’autre. Le bien connu blogueur-à-la-retraite-fourgeur-de-liens Sebsauvage a 4000 abonnés sur Twitter. Mais plus de 13000 sur Mastodon.

    Est-ce que cela veut dire quelque chose ? Je ne le sais pas moi-même. Je rêve d’un Mastodon où le nombre de followers serait caché. Même de moi-même. Surtout de moi-même.

    Avant de transformer nos lecteurs en numéros, peut-être est-il bon de se rappeler que nous sommes nous-mêmes des numéros. Que le simple fait d’avoir un compte Twitter ou Facebook, même non utilisé, permet d’augmenter de quelques dollars chaque année la fortune d’un Elon Musk ou d’un Mark Zuckerberg.

    En ayant un compte sur une plateforme, nous la validons implicitement. Avoir un compte sur toutes les plateformes, comme Cory Doctorrow, revient à un vote nul. À dire « Moi je ne préfère rien, je m’adapte ».

    Si nous voulons défendre certaines valeurs, la moindre des choses n’est-elle pas de ne pas soutenir les promoteurs des valeurs adverses ? De supprimer les comptes des plateformes avec lesquelles nous ne sommes pas moralement alignés ? Si nous ne sommes même pas capables de ce petit geste, avons-nous le moindre espoir de mettre en œuvre des causes plus importantes comme sauver la planète ?

    Où l’on relativise et relativise la relativisation

    Encore faut-il avoir le choix. Je discutais récemment avec un indépendant qui me disait que, dans son business, les clients envoient un message Whatsapp pour lui proposer une mission. S’il met plus de quelques dizaines de minutes à répondre, il reçoit généralement un « c’est bon, on a trouvé quelqu’un d’autre ». Il est donc obligé d’être sur Whatsapp en permanence. C’est peut-être vrai pour certaines professions et certains réseaux sociaux.

    Mais combien se persuadent que LinkedIn, Facebook ou Instagram sont indispensables à leur business ? Qu’ils ne peuvent quitter Twitter sous peine de mettre à mal leur procrastin… leur veille technologique ?

    Combien d’entre nous ne font que se donner des excuses, des justifications par simple angoisse d’avoir un jour à renoncer à ce chiffre qui scintille, qui augment lentement, trop lentement, mais assez pour que l’on ait envie de le consulter tous les jours, toutes les heures, toutes les minutes.

    Que sommes-nous prêts à sacrifier de notre temps, de nos valeurs, de notre créativité simplement pour l’admirer ?

    Notre nombre de followers.

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  • Thursday 06 July 2023 - 02:00

    Stop Trying to Make Social Networks Succeed

    Lot is happening in the social network landscape with the demises of Twitter and Reddit, the apparition of Bluesky and Threads, the growing popularity of Mastodon. Many pundits are trying to guess which one will be successful and trying to explain why others will fail. Which completely misses the point.

    Particular social networks will never "succeed". Nobody even agree on the definition of "success".

    The problem is that we all see our little bubble and generalise what we observe as universal. We have a hard time understanding Mastodon ? Mastodon will never succeed, it will be for a niche. A few of our favourite web stars goes to Bluesky ? Bluesky is the future, everybody will be there.

    That’s not how it works. That’s not how it ever worked.

    Like every human endeavour, every social network is there for a limited duration and will be useful to a limited niche of people. That niche may grow to the point of being huge, like Facebook and WhatsApp. But, to this day, there are more people in the world without an account on Facebook than people with one. Every single social network is only representative of a minority. And the opposite would be terrifying when you think about it (which is exactly what Meta is trying to build).

    Social networks are fluid. They come, they go. For commercial social networks, the success is defined by: "do they earn enough money to make investors happy ?" There’s no metric of success for non-commercial ones. They simply exist as long as at least two users are using them to communicate. Which is why criticisms like "Mastodon could never raise enough money" or "the Fediverse will never succeed" totally miss the point.

    If you live in the same occidental bubble as me, you might have never heard of WeChat, QQ or VK. Those are immensely popular social networks. In China and Russia. WeChat alone is more or less the size of Instagram in terms of active users. The war in Ukraine also demonstrated that the most popular social network in that part of the world is Telegram. Which is twice as big as Twitter but, for whatever reason, is barely mentioned in my own circles. The lesson here is simple: you are living in a small niche. We all do. Your experience is not representative of anything but your own. And it’s fine.

    There will never be one social network to rule them all. There should never be one social network to rule them all. In fact, tech-savvy people should fight to ensure that no social network ever "succeed".

    Human lives in communities. We join them, we sometimes leave them. Social networks should only be an underlying infrastructure to support our communities. Social networks are not our communities. Social network dies. Communities migrate and flock to different destinations. Nothing ever replaced Google+, which was really popular in my own tech circle. Nothing will replace Twitter or Reddit. Some communities will find a new home on Mastodon or on Lemmy. Some will go elsewhere. That’s not a problem as long as you can have multiple accounts in different places. Something I’m sure you do. Communities can be split. Communities can be merged. People can be part of several communities and several platforms.

    Silicon Valley venture capitalists are trying to convince us that, one day, a social network will succeed, will become universal. That it should grow. That social networks are our communities. That your community should grow to succeed.

    This is a lie, a delusion. Our communities are worth a lot more than the underlying tool used at some point in time. By accepting the confusion, we are destroying our communities. We are selling them, we are transforming them into a simple commercial asset for the makers of the tool we are using, the tool which exploits us.

    Stop trying to make social networks succeed, stop dreaming of a universal network. Instead, invest in your own communities. Help them make long-term, custom and sustainable solutions. Try to achieve small and local successes instead of pursuing an imaginary universal one. It will make you happier.

    It will make all of us happier.

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  • Tuesday 27 June 2023 - 02:00

    Pourquoi n’y a-t-il pas de Google européen ?

    Et pourquoi c’est une bonne chose.

    Google, pardon Alphabet, Facebook, pardon Meta, Twitter, Netflix, Amazon, Microsoft. Tous ces géants font partie intégrante de notre quotidien. Tous ont la particularité d’être 100% américains.

    La Chine n’est pas complètement en reste avec Alibaba, Tiktok et d’autres moins populaire chez nous, mais brassant des milliards d’utilisateurs.

    Et en Europe ? Beaucoup moins, au grand dam des politiciens qui ont l’impression que le bonheur d’une population, et donc ses votes, se mesure au nombre de milliardaires qu’elle produit.

    Pourtant, dans le domaine Internet, l’Europe est loin d’être ridicule. Elle est même primordiale.

    Car si Internet, interconnexion entre les ordinateurs du monde entier, existait depuis la fin des années 60, aucun protocole ne permettait de trouver de l’information. Il fallait savoir exactement ce que l’on cherchait. Pour combler cette lacune, Gopher fut développé aux États-Unis tandis que le Web, combinaison du protocole HTTP et du langage HTML, était inventé par un citoyen britannique et un citoyen belge qui travaillaient dans un centre de recherche européen situé en Suisse. Mais, anecdote croustillante, leur bureau débordait la frontière et on peut dire aujourd’hui que le Web a été inventé en France. Difficile de faire plus européen comme invention ! On dirait la blague européenne officielle ! (Note: tout comme Pluton restera toujours une planète, les Britanniques resteront toujours européens. Le Brexit n’est qu’une anecdote historique que la jeune génération s’empressera, j’espère, de corriger).

    Bien que populaire et toujours existant aujourd’hui, Gopher ne se développera jamais réellement comme le Web pour une sombre histoire de droits et de licence, tué dans l’œuf par la quête de succès économique immédiat.

    Alors même que Robert Cailliau et Tim Berners-Lee inventaient le Web dans leur bureau du CERN, un étudiant finlandais issu de la minorité suédoise du pays concevait Linux et le rendait public. Pour le simple fait de s’amuser. Linux est aujourd’hui le système d’exploitation le plus populaire du monde. Il fait tourner les téléphones Android, les plus gros serveurs Web, les satellites dans l’espace, les ordinateurs des programmeurs, les montres connectées, les mini-ordinateurs. Il est partout. Linus Torvalds, son inventeur, n’est pas milliardaire et trouve ça très bien. Cela n’a jamais été son objectif.

    Mastodon, l’alternative décentralisée à Twitter créée par un étudiant allemand ayant grandi en Russie, a le simple objectif de permettre aux utilisateurs des réseaux sociaux de se passer des monopoles industriels et de pouvoir échanger de manière saine, intime, sans se faire agresser ni se faire bombarder de pub. La pub et l’invasion de la vie privée, deux fléaux du Web moderne ! C’est d’ailleurs en réaction qu’a été créé le réseau Gemini, une alternative au Web conçue explicitement pour empêcher toute dérive commerciale et remettre l’humain au centre. Le réseau Gemini a été conçu et initié par un programmeur vivant en Finlande et souhaitant garder l’anonymat. Contrairement à beaucoup de projets logiciels, Gemini n’évolue plus à dessein. Le protocole est considéré comme terminé et n’importe qui peut désormais publier sur Gemini ou développer des logiciels l’utilisant en ayant la certitude qu’ils resteront compatibles tant qu’il y’aura des utilisateurs.

    On entend souvent que les Européens n’ont pas la culture du succès. Ces quelques exemples, et il y’en a bien d’autres, prouvent le contraire. Les Européens aiment le succès, mais pas au détriment du reste de la société. Un succès est perçu comme une œuvre pérenne, s’inscrivant dans la durée, bénéficiant à tous les citoyens, à toute la société voire à tout le genre humain.

    Google, Microsoft, Facebook peuvent disparaître demain. Il est même presque certain que ces entreprises n’existent plus d’ici quarante ou cinquante ans. Ce serait même potentiellement une excellente chose. Mais pouvez-vous imaginer un monde sans le Web ? Un monde sans HTML ? Un monde sans Linux ? Ces inventions, initialement européennes, sont devenues des piliers de l’humanité, sont des technologies désormais indissociables de notre histoire.

    La vision américaine du succès est souvent restreinte à la taille d’une entreprise ou la fortune de son fondateur. Mais pouvons-nous arrêter de croire que le succès est équivalent à la croissance ? Et si le succès se mesurait à l’utilité, à la pérennité ? Si nous commencions à valoriser les découvertes, les fondations technologiques léguées à l’humanité ? Si l’on prend le monde à la lueur de ces nouvelles métriques, si le succès n’est plus la mesure du nombre de portefeuilles vidés pour mettre le contenu dans le plus petit nombre de poches possible, alors l’Europe est incroyablement riche en succès.

    Et peut-être est-ce une bonne chose de promouvoir ces succès, d’en être fier ?

    Certains sont fiers de s’être enrichis en coupant le plus d’arbres possible. D’autres sont fiers d’avoir planté des arbres qui bénéficieront aux générations futures. Et si le véritable succès était de bonifier, d’entretenir et d’augmenter les communs au lieu d’en privatiser une partie ?

    À nous de choisir les succès que nous voulons admirer. C’est en choisissant de qui nous chantons les louanges que nous décidons de la direction dès progrès futurs.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

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  • Friday 23 June 2023 - 02:00

    How to Kill a Decentralised Network (such as the Fediverse)

    Year is 2023. The whole Internet is under the control of the GAFAM empire. All? No. Because a few small villages are resisting the oppression. And some of those villages started to agregate, forming the "Fediverse".

    With debates around Twitter and Reddit, the Fediverse started to gain fame and attention. People started to use it for real. The empire started to notice.

    Capitalists Against Competition

    As Peter Thiel, one of Facebook’s prominent investor, put it: "Competition is for losers." Yep, those pseudo "market is always right" people don’t want a market when they are in it. They want a monopoly. Since its inception, Facebook have been very careful to kill every competition. The easiest way of doing it being by buying companies that could, one day, become competitors. Instagram, WhatsApp to name a few, were bought only because their product attracted users and could cast a shadow on Facebook.

    But the Fediverse cannot be bought. The Fediverse is an informal group of servers discussing through a protocol (ActivityPub). Those servers may even run different software (Mastodon is the most famous but you could also have Pleroma, Pixelfed, Peertube, WriteFreely, Lemmy and many others).

    You cannot buy a decentralised network!

    But there’s another way: make it irrelevant. That’s exactly what Google did with XMPP.

    How Google joined the XMPP federation

    At the end of the 20th century, instant messengers (IM) were all the rage. One of the first very successful ones was ICQ, quickly followed by MSN messenger. MSN Messenger was the Tiktok of the time: a world where teenagers could spend hours and days without adults.

    As MSN was part of Microsoft, Google wanted to compete and offered Google Talk in 2005, including it in the Gmail interface. Remember that, at the time, there was no smartphone and very little web app. Applications had to be installed on the computer and Gmail web interface was groundbreaking. MSN was even at some point bundled with Microsoft Windows and it was really hard to remove it. Building Google chat with the Gmail web interface was a way to be even closer to the customers than a built-in software in the operating system.

    While Google and Microsoft were fighting for hegemony, free software geeks were trying to build decentralised instant messaging. Like email, XMPP was a federated protocol: multiple servers could talk together through a protocol and each user would connect to one particular server through a client. That user could then communicate with any user on any server using any client. Which is still how ActivityPub and thus the Fediverse work.

    In 2006, Google talk became XMPP compatible. Google was seriously considering XMPP. In 2008, while I was at work, my phone rang. On the line, someone told me: "Hi, it’s Google and we want to hire you." I made several calls and it turned out that they found me through the XMPP-dev list and were looking for XMPP servers sysadmins.

    So Google was really embracing the federation. How cool was that? It meant that, suddenly, every single Gmail user became an XMPP user. This could only be good for XMPP, right? I was ecstatic.

    How Google killed XMPP

    Of course, reality was a bit less shiny. First of all, despites collaborating to develop the XMPP standard, Google was doing its own closed implementation that nobody could review. It turns out they were not always respecting the protocol they were developing. They were not implementing everything. This forced XMPP development to be slowed down, to adapt. Nice new features were not implemented or not used in XMPP clients because they were not compatible with Google Talk (avatars took an awful long time to come to XMPP). Federation was sometimes broken: for hours or days, there would not be communications possible between Google and regular XMPP servers. The XMPP community became watchers and debuggers of Google’s servers, posting irregularities and downtime (I did it several times, which is probably what prompted the job offer).

    And because there were far more Google talk users than "true XMPP" users, there was little room for "not caring about Google talk users". Newcomers discovering XMPP and not being Google talk users themselves had very frustrating experience because most of their contact were Google Talk users. They thought they could communicate easily with them but it was basically a degraded version of what they had while using Google talk itself. A typical XMPP roster was mainly composed of Google Talk users with a few geeks.

    In 2013, Google realised that most XMPP interactions were between Google Talk users anyway. They didn’t care about respecting a protocol they were not 100% in control. So they pulled the plug and announced they would not be federated anymore. And started a long quest to create a messenger, starting with Hangout (which was followed by Allo, Duo. I lost count after that).

    As expected, no Google user bated an eye. In fact, none of them realised. At worst, some of their contacts became offline. That was all. But for the XMPP federation, it was like the majority of users suddenly disappeared. Even XMPP die hard fanatics, like your servitor, had to create Google accounts to keep contact with friends. Remember: for them, we were simply offline. It was our fault.

    While XMPP still exist and is a very active community, it never recovered from this blow. Too high expectation with Google adoption led to a huge disappointment and a silent fall into oblivion. XMPP became niche. So niche that when group chats became all the rage (Slack, Discord), the free software community reinvented it (Matrix) to compete while group chats were already possible with XMPP. (Disclaimer: I’ve never studied the Matrix protocol so I have no idea how it technically compares with XMPP. I simply believe that it solves the same problem and compete in the same space as XMPP).

    Would XMPP be different today if Google never joined it or was never considered as part of it? Nobody could say. But I’m convinced that it would have grown slower and, maybe, healthier. That it would be bigger and more important than it is today. That it would be the default decentralised communication platform. One thing is sure: if Google had not joined, XMPP would not be worse than it is today.

    It was not the first: the Microsoft Playbook

    What Google did to XMPP was not new. In fact, in 1998, Microsoft engineer Vinod Vallopllil explicitly wrote a text titled "Blunting OSS attacks" where he suggested to "de-commoditize protocols & applications […]. By extending these protocols and developing new protocols, we can deny OSS project’s entry into the market."

    Microsoft put that theory in practice with the release of Windows 2000 which offered support for the Kerberos security protocol. But that protocol was extended. The specifications of those extensions could be freely downloaded but required to accept a license which forbid you to implement those extensions. As soon as you clicked "OK", you could not work on any open source version of Kerberos. The goal was explicitly to kill any competing networking project such as Samba.

    This anecdote was told Glyn Moody in his book "Rebel Code" and demonstrates that killing open source and decentralised projects are really conscious objectives. It never happens randomly and is never caused by bad luck.

    Microsoft used a similar tactic to ensure dominance in the office market with Microsoft Office using proprietary formats (a file format could be seen as a protocol to exchange data). When alternatives (OpenOffice then LibreOffice) became good enough at opening doc/xls/ppt formats, Microsoft released a new format that they called "open and standardised". The format was, on purpose, very complicated (20.000 pages of specifications!) and, most importantly, wrong. Yes, some bugs were introduced in the specification meaning that a software implementing the full OOXML format would behave differently than Microsoft Office.

    Those bugs, together with political lobbying, were one of the reasons that pushed the city of Munich to revert its Linux migration. So yes, the strategy works well. Today, docx, xlsx and pptx are still the norms because of that. Source: I was there, indirectly paid by the city of Munich to make LibreOffice OOXML’s rendering closer to Microsoft’s instead of following the specifications.

    UPDATE:

    Meta and the Fediverse

    People who don’t know history are doomed to repeat it. Which is exactly what is happening with Meta and the Fediverse.

    There are rumours that Meta would become "Fediverse compatible". You could follow people on Instagram from your Mastodon account.

    I don’t know if those rumours have a grain of truth, if it is even possible for Meta to consider it. But there’s one thing my own experience with XMPP and OOXML taught me: if Meta joins the Fediverse, Meta will be the only one winning. In fact, reactions show that they are already winning: the Fediverse is split between blocking Meta or not. If that happens, this would mean a fragmented, frustrating two-tier fediverse with little appeal for newcomers.

    UPDATE: Those rumours have been confirmed as at least one Mastodon admin, kev, from fosstodon.org, has been contacted to take part in an off-the-record meeting with Meta. He had the best possible reaction: he refused politely and, most importantly, published the email to be transparent with its users. Thanks kev!

    I know we all dream of having all our friends and family on the Fediverse so we can avoid proprietary networks completely. But the Fediverse is not looking for market dominance or profit. The Fediverse is not looking for growth. It is offering a place for freedom. People joining the Fediverse are those looking for freedom. If people are not ready or are not looking for freedom, that’s fine. They have the right to stay on proprietary platforms. We should not force them into the Fediverse. We should not try to include as many people as we can at all cost. We should be honest and ensure people join the Fediverse because they share some of the values behind it.

    By competing against Meta in the brainless growth-at-all-cost ideology, we are certain to lose. They are the master of that game. They are trying to bring everyone in their field, to make people compete against them using the weapons they are selling.

    Fediverse can only win by keeping its ground, by speaking about freedom, morals, ethics, values. By starting open, non-commercial and non-spied discussions. By acknowledging that the goal is not to win. Not to embrace. The goal is to stay a tool. A tool dedicated to offer a place of freedom for connected human beings. Something that no commercial entity will ever offer.

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  • Tuesday 20 June 2023 - 02:00

    Le génocide du sac à dos

    L’actualité nous semble parfois effroyable, innommable, inhumaine. L’horreur est-elle absolue ou n’est-elle qu’une question de point de vue ?

    Dans le bunker étanche, les deux scientifiques contemplaient les écrans de contrôle, les yeux hagards. De longues trainées de sueurs dégoulinaient sur leur visage.

    — C’est raté, dit la première.

    — Ça ne peut pas ! Ce n’est pas possible ! Ce voyage dans le temps est la dernière chance de sauver l’humanité !

    — Je te dis que c’est raté. Regarde les caméras de surveillance. Les robots tueurs se rapprochent. La planète continue à brûler. Rien n’a changé. Nous sommes les dernières survivantes.

    La seconde secouait machinalement la tête, tapotait sur des voyants.

    — Ce n’est pas possible. Ça ne pouvait pas manquer. La mission était pourtant simple. Le professeur tout bébé dans un landau dans une plaine de jeux. Nous avions même la localisation exacte et la date.

    — Il y’avait plusieurs landaus.

    — Les ordres étaient clairs. Les tuer tous. Le sort de la planète dépendait du fait que le Professeur ne puisse pas grandir et créer son armée de destruction. C’était immanquable.

    Derrière les humaines, la porte s’ouvrit et les robots firent leur apparition, leur silhouette se détachant sur le paysage apocalyptique de la planète en train de se consumer.

    — « Se rendre le 8 juin 2023 au Pâquier d’Annecy et détruire les organismes dans les landaus de la pleine de jeu. » C’était pourtant pas compliqué. Comment cela a-t-il pu foirer ?

    — Malgré le conditionnement mental, il n’a pas pu, répliqua la première. Il a hésité une fraction de seconde.

    — Tout ça à cause d’un type avec un sac à dos.

    — À quoi tient le destin d’une planè…

    Elles n’achevèrent pas et s’écroulèrent, mortes, au pied des terrifiants automates floqués du célèbre logo de l’entreprise d’intelligence artificielle fondée en 2052 par celui qui s’était fait appeler « le Professeur ».

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  • Monday 19 June 2023 - 02:00

    We need more of Richard Stallman, not less

    Disclaimer: I’m aware that Richard Stallman had some questionable or inadequate behaviours. I’m not defending those nor the man himself. I’m not defending blindly following that particular human (nor any particular human). I’m defending a philosophy, not the philosopher. I claim that his historical vision and his original ideas are still adequate today. Maybe more than ever.

    The Free Software movement has been mostly killed by the corporate Open Source. The Free Software Foundation (FSF) and its founder, Richard Stallman (RMS), have been decried for the last twenty years, including by my 25-year-old self, as being outdated and inadequate.

    I’ve spent the last 6 years teaching Free Software and Open Source at École Polytechnique de Louvain, being forced to investigate the subject and the history more than I anticipated in order to answer students’ questions. I’ve read many historical books on the subject, including RMS’s biography and many older writings.

    And something struck me.

    RMS was right since the very beginning. Every warning, every prophecy realised. And, worst of all, he had the solution since the start. The problem is not RMS or FSF. The problem is us. The problem is that we didn’t listen.

    The solution has always been there: copyleft

    In the early eighties, RMS realised that software was transformed from "a way to use a machine" to a product or a commodity. He foresaw that this would put an end to collective intelligence and to knowledge sharing. He also foresaw that if we were not the master of our software, we would quickly become the slave of the machines controlled by soulless corporations. He told us that story again and again.

    Forty years later, we must admit he was prescient. Every word he said still rings true. Very few celebrated forward thinkers were as right as RMS. Yet, we don’t like his message. We don’t like how he tells it. We don’t like him. As politicians understood quickly, we care more about appearance and feel-good communication than about the truth or addressing the root cause.

    RMS theorised the need for the "four freedoms of software".

    - The right to use the software at your discretion

    - The right to study the software

    - The right to modify the software

    - The right to share the software, including the modified version

    How to guarantee those freedoms ? RMS invented copyleft. A solution he implemented in the GPL license. The idea of copyleft is that you cannot restrain the rights of the users. Copyleft is the equivalent of the famous « Il est interdit d’interdire » (it is forbidden to forbid).

    In hindsight, the solution was and still is right.

    Copyleft is a very deep concept. It is about creating and maintaining commons. Commons resources that everybody could access freely, resources that would be maintained by the community at large. Commons are frightening to capitalist businesses as, by essence, capitalist businesses try to privatise everything, to transform everything into a commodity. Commons are a non-commodity, a non-product.

    Capitalist businesses were, obviously, against copyleft. And still are. Steve Ballmer famously called the GPL a "cancer". RMS was and still is pictured as a dangerous maniac, a fanatic propagating the cancer.

    Bruce Perens and Eric Raymond tried to find a middle ground and launched the "Open Source" movement. Retrospectively, Open Source was a hack. It was originally seen as a simple rebranding of "Free Software", arguing that "free" could be understood as "without price or value" in English.

    RMS quickly pointed, rightly, that the lack of "freedom" means that people will forget about the concept. Again, he was right. But everybody considered that "Free Software" and "Open Source" were the same because they both focused on the four freedoms. That RMS was nitpicking.

    RMS biggest mistake

    There was one weakness in RMS theory: copyleft was not part of the four freedoms he theorised. Business-compatible licenses like BSD/MIT or even public domain are "Free Software" because they respect the four freedoms.

    But they can be privatised.

    And that’s the whole point. For the last 30 years, businesses and proponents of Open Source, including Linus Torvalds, have been decrying the GPL because of the essential right of "doing business" aka "privatising the common".

    They succeeded so much that the essential mission of the FSF to guarantee the common was seen as "useless" or, worse, "reactionary". What was the work of the FSF? The most important thing is that they proof-bombed the GPL against weaknesses found later. They literally patched vulnerabilities. First the GPLv3, to fight "Tivoisation" and then AGPL, to counteract proprietary online services running on free software but taking away freedom of users.

    But all this work was ridiculed. Microsoft, through Github, Google and Apple pushed for MIT/BSD licensed software as the open source standard. This allowed them to use open source components within their proprietary closed products. They managed to make thousands of free software developers work freely for them. And they even received praise because, sometimes, they would hire one of those developers (like it was a "favour" to the community while it is simply business-wise to hire smart people working on critical components of your infrastructure instead of letting them work for free). The whole Google Summer of Code, for which I was a mentor multiple years, is just a cheap way to get unpaid volunteers mentor their future free or cheap workforce.

    Our freedoms were taken away by proprietary software which is mostly coded by ourselves. For free. We spent our free time developing, debugging, testing software before handing them to corporations that we rever, hoping to maybe get a job offer or a small sponsorship from them. Without Non-copyleft Open Source, there would be no proprietary MacOS, OSX nor Android. There would be no Facebook, no Amazon. We created all the components of Frankenstein’s creature and handed them to the evil professor.

    More commons

    The sad state of computing today makes computer people angry. We see that young student are taught "computer" with Word and PowerPoint, that young hackers are mostly happy with rooting Android phones or blindly using the API of a trendy JS framework. That Linux distributions are only used by computer science students in virtualised containers. We live in the dystopia future RMS warned us about.

    Which, paradoxically, means that RMS failed. He was a Cassandra. Intuitively, we think we should change him, we should replace the FSF, we should have new paradigms which are taking into account ecology and other ethical stances.

    We don’t realise that the solution is there, in front of us for 40 years: copyleft.

    Copyleft as in "Forbidding privatising the commons".

    We need to rebuild the commons. When industries are polluting the atmosphere or the oceans, they are, in fact, privatising the commons ("considering a common good as their private trash"). When an industry receives millions in public subsidies then make a patent, that industry is privatising the common. When Google is putting the Linux kernel in a phone that cannot be modified easily, Google is privatising the common. Why do we need expensive electric cars? Because the automotive industry has been on a century-long mission to kill public transport or the sole idea of going on foot, to destroy the commons.

    We need to defend our commons. Like RMS did 40 years ago. We don’t want to get rid of RMS, we need more of his core philosophy. We were brainwashed into thinking that he was an extremist just like we are brainwashed to think that taking care of the poor is socialist extremism. In lots of occidental countries, political positions seen as "centre" twenty years ago are now seen as "extreme left" because the left of twenty years ago was called extremist. RMS suffered the same fate and we should not fall for it.

    Fighting back

    What could I do? Well, the first little step I can do myself is to release every future software I develop under the AGPL license. To put my blog under a CC By-SA license. I encourage you to copyleft all the things!

    We need a fifth rule. An obligation to maintain the common to prevent the software of being privatised. This is the fifth line that RMS grasped intuitively but, unfortunately for us, he forgot to put in his four freedoms theory. The world would probably be a very different place if he had written the five rules of software forty years ago.

    But if the best time to do it was forty years ago, the second-best moment is right now. So here are

    The four freedoms and one obligation of free software

    - The right to use the software at your own discretion

    - The right to study the software

    - The right to modify the software

    - The right to redistribute the software, including with modifications

    - The obligation to keep those four rights, effectively keeping the software in the commons.

    We need to realise that any software without that last obligation will, sooner or later, become an oppression tool against ourselves. And that maintaining the commons is not only about software. It’s about everything we are as a society and everything we are losing against individual greed. Ultimately, our planet is our only common resource. We should defend it from becoming a commodity.

    Copyleft was considered a cancer. But a cancer to what? To the capitalist consumerism killing the planet? Then I will proudly side with the cancer.

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  • Thursday 15 June 2023 - 02:00

    De la merdification des choses

    Les vieux ressassent souvent que « c’était mieux avant » et que « tout se désagrège ». Le trope semble éculé. Mais s’il contenait une part de vérité ? Et si, réellement, nous étions dans une période où la plupart des services devenaient merdiques ? Et si le capitalo-consumérime était entré dans sa phase de « merdification » ?

    Le terme original « enshitification » a été proposé par l’auteur/blogueur Cory Doctorow qui parle quotidiennement du phénomène sur son blog. Je propose la traduction « merdification ».

    Mais qu’est-ce que la merdification ?

    Une histoire de business model

    Dans notre société capitalo-consumériste, il est nécessaire de gagner de l’argent en proposant un produit pour lequel d’autres sont prêts à payer. Pour le travailleur, c’est son temps et ses compétences. Pour une entreprise, c’est souvent plus complexe et trouver un bon business model est compliqué.

    Avec Netscape et la première bulle Internet, fin du millénaire précédent, est apparue une idée nouvelle : plutôt que de faire un vrai business model, l’entreprise va simplement tenter de se faire connaître pour se faire racheter. Soit par une entreprise plus grosse, soit par le public lors d’une introduction en bourse.

    L’avantage est que, contrairement à une véritable entreprise qui vend des produits, le délai de rentabilité est beaucoup plus court. Investissez 100 millions dans une entreprise et revendez-la 1 milliard trois ans plus tard !

    L’entreprise s’est alors transformée en « startup ». Le but d’une startup n’est pas de proposer un service à des clients ni de faire des bénéfices, le but d’une startup est de grossir et de se faire connaître. L’argent est fourni par des investisseurs qui veulent un retour important et rapide. Ce qu’on appelle les VC (Venture Capitalists).

    L’argent de ces VC va permettre à l’entreprise de grossir et d’attirer le prochain round de VC jusqu’au jour où l’entreprise est assez grosse pour attirer l’attention d’un acheteur potentiel. Cette croissance doit se faire tant en nombre d’utilisateurs que d’employés, les deux étant les critères qui intéressent les acheteurs. On utilise le terme « acqui-hire » lorsque le but est de simplement faire main basse sur les employés, leur compétence et le fait qu’ils sont déjà une équipe soudée. Auquel cas, le produit vendu par l’entreprise sera purement et simplement supprimé après quelques mois durant lesquels l’entreprise acheteuse ne cesse de prétendre le contraire. Exemples historiques : rachat de Mailbox par Dropbox, du calendrier Sunrise par Microsoft ou de Keybase par Zoom. Ce qui entraine des situations cocasses comme cet ex-collègue qui, ayant signé un contrat pour rejoindre Sunrise à New York, s’est retrouvé, pour son premier jour de travail, dans un bureau Microsoft à Bruxelles.

    Une autre raison pour valoriser une entreprise est son nombre d’utilisateurs (même gratuits, surtout gratuits). L’idée est de récupérer une base d’utilisateurs, des données les concernant et, surtout, de tuer toute éventuelle concurrence. Facebook a racheté Instagram et Whatsapp pour cette simple raison : les produits devenaient très populaires et pouvaient, à terme, faire de la concurrence.

    Contrairement à une entreprise « traditionnelle », le but d’une startup est donc de se faire racheter. Le plus vite possible. De lever de l’argent puis de faire ce qu’on appelle un « exit ».

    Dans les programmes de coaching de startup, c’est réellement ce qu’on apprend : comment « pitcher » à des investisseurs, comment faire des métriques attractives pour ces investisseurs (les fameux KPI, qui comprennent le nombre de followers sur Twitter et Facebook, je n’invente rien), comment attirer des utilisateurs à tout prix (le « growth hacking ») et comment planifier son exit en étant attractif pour les gros acheteurs. Faire des slides pour investisseurs est désormais plus important que de satisfaire des clients.

    Les monopoles sont tellement prégnants dans tous les secteurs que, même dans les écoles de commerce, le but avoué est désormais de faire des entreprises qui soient « vendables » pour les monopoles. J’ai personnellement entendu des « faut pas aller dans telle direction, plus personne ne voudra te racheter après ça ».

    Une odeur de Ponzi

    Nous avons donc créé une génération de services, en ligne ou non, qui cherchent la croissance à tout prix sans aucun objectif de rentabilité. Ne devant pas être rentables, ces services ont forcément écrasé la concurrence. Uber tente de remplacer les taxis en perdant chaque année des milliards (oui, des milliards) de dollars fournis par les investisseurs (l’Arabie Saoudite dans ce cas-ci) et, de l’aveu même de son rapport annuel aux actionnaires, sans aucun espoir d’être un jour profitable. Amazon a historiquement fait la plupart de ses livraisons à perte afin d’empêcher l’apparition d’un concurrent sérieux. Twitter n’a jamais été profitable.

    Ce système ne peut se perpétuer que tant que les investisseurs peuvent revendre, plus cher, à d’autres investisseurs. C’est le principe de la pyramide de Ponzi. Forcément, à la fin, il faut bien des pigeons qui achètent très cher et ne peuvent jamais revendre. Le pigeon idéal reste le particulier d’où l’objectif ultime d’être un jour coté en bourse.

    L’arnaque est savamment entretenue grâce à la présence de milliardaires qui font rêver tous les apprentis sorciers du business. S’ils sont milliardaires, c’est que leur business fait des bénéfices plantureux, non ? Non ! Le premier, Marc Andreessen, est devenu milliardaire en revendant Nestcape, une société qui n’a jamais gagné un kopeck. Jeff Bezos n’est pas devenu milliardaire en vendant des livres par correspondances, mais en vendant des actions Amazon. Elon Musk ne gagne pas d’argent en vendant des Teslas, mais bien des actions Tesla. On pourrait même dire que vendre des Tesla n’est qu’une des manières de faire de l’esbroufe afin de faire augmenter le cours de l’action, ce qui est le véritable business de Musk (qui a très bien compris que Twitter était un outil merveilleux pour manipuler les cours de la bourse).

    Notons cependant l’originalité de Google et de Facebook. Les deux géants ont en effet développé un business particulier : le fait de vendre des « vues de publicité » pour lesquelles ils ont le contrôle total des métriques. En gros, vous payez ces deux monstres pour afficher X milliers de publicités et, après quelques jours, vous recevez un message qui vous dit « Voilà, c’est fait, votre publicité a reçu X milliers de vue, vous trouverez la facture en pièce jointe » sans aucune manière de vérifier. Mais cette arnaque-là est une autre histoire.

    Revenons à notre pyramide de Ponzi : le problème d’une pyramide de Ponzi, c’est qu’elle finit tôt ou tard par craquer. Il n’y a plus assez de pigeons pour entrer dans le jeu. La bourse s’écroule. Les investisseurs rechignent et les individus ont déjà tous des centaines de comptes pour une pléthore de services plus ou moins gratuits, soi-disant financés par la publicité, publicité qui concerne souvent d’autres services ou produits eux-mêmes financés par la publicité.

    La société capitalo-monopolistique rentre alors dans une nouvelle phase. Après la croissance infinie, voici le temps de passer à la caisse. Après les promesses, la merdification.

    Les techniques de merdification

    Le principe de la merdification est simple : maintenant que les utilisateurs sont captifs, que les concurrents ont quasiment disparu, que les business indépendants ont été acculés à la faillite ou rachetés, on peut exploiter l’utilisateur jusqu’au trognon.

    Certains groupes d’investisseurs se sont spécialisés dans ces techniques. Cory Doctorow les regroupe sous le terme « Private Equity » (PE). Leur job ? À partir d’un business existant, extraire un maximum d’argent en un minimum de temps, disons entre deux et cinq ans.

    Comment ?

    Premièrement, en augmentant les tarifs et en supprimant les programmes gratuits. Les utilisateurs sont habitués, migrer vers un autre service est difficile, la plupart vont payer. Surtout si cette hausse est progressive. L’objectif n’est pas d’avoir de nouveaux utilisateurs, mais bien de faire cracher ceux qui sont déjà là. On va donc leur pourrir la vie au maximum : tarifs volontairement complexes et changeant, rebranding absurdes pour justifier de nouveaux tarifs, blocage de certaines fonctionnalités, problèmes techniques empêchant la migration vers un autre service, etc.

    En second lieu, on va bien entendu stopper tout investissement dans l’infrastructure ou le produit. Un maximum d’employés vont être licenciés pour ne garder que l’équipage minimal, si possible sous-payé. Le support devient injoignable ou complètement incompétent, la qualité du produit se dégrade tout à fait.

    Bref, c’est la merdification.

    C’est destructif ? C’est bien l’objectif. Car la véritable astuce est encore plus retorse : fort de son historique et de sa réputation, la société peut certainement obtenir des prêts bancaires. Ces prêts amèneront une manne d’argent qui permettra de payer… les personnes travaillant pour le Private Equity (qui se sont arrogés des postes dans l’entreprise). Certains montages permettent même à l’entreprise de prendre un emprunt pour se racheter elle-même… aux investisseurs. Qui récupèrent donc directement leur mise, tout le reste n’étant plus que du bénéfice.

    Une fois que tout est à terre, il ne reste plus qu’à mettre l’entreprise en faillite afin qu’elle soit insolvable. Les utilisateurs sont, de toute façon, déjà partis depuis longtemps.

    Les conséquences de la merdification

    Si les conséquences pour le client sont évidentes, elles le sont encore plus pour le travailleur. S’il n’a pas été viré, le travailleur doit donc désormais travailler beaucoup plus, dans une infrastructure qui part à vaut l’eau et sans aucune perspective autre que de se faire insulter par les clients.

    Les « faux indépendants » (livreurs Deliveroo, chauffeurs Uber, etc.) voient fondre leurs marges alors que les règles, elles, deviennent de plus en plus drastiques et intenables. Le terrifiant spectre du chômage nous fait prendre en pitié les employés forcés de nous fournir des services merdiques. Nous les remercions. Nous leur mettons des étoiles par pitié, parce que sinon ils risquent de se faire virer. Et nous payons pour un service de merde. En l’acceptant avec le sourire. Ou alors nous les engueulons alors qu’ils ne peuvent rien faire.

    Le phénomène de merdification n’est pas cantonné aux startups Internet, même s’il y est particulièrement visible. Il explique beaucoup de choses notamment dans la grande distribution, dans le marché de l’emploi, dans la disparition progressive des commerçants indépendants au profit de grandes enseignes. On peut même également le voir à l’œuvre dans le cinéma !

    Il y’a des chances que la plupart des films à l’affiche dans votre cinéma soient des reprises ou des continuations de franchises existantes, franchises qui sont exploitées jusqu’au trognon jusqu’à devenir des sous-merdes. Écrire un scénario est désormais un art oublié et chaque film n’a plus qu’un objectif : produire une bande-annonce alléchante. En effet, une fois le ticket acheté et le pigeon assis dans son siège avec son popcorn, rien ne sert de lui fournir quoi que ce soit. Il a déjà payé ! Un peu comme si les films n’étaient plus qu’une version allongée de la bande-annonce. Les séries ne cherchent plus à construire quoi que ce soit vu que chaque série d’épisodes (même plus des saisons entières) n’est tournée que si les précédents ont fait un score minimal de vision. Les histoires sont décapitées avant même de commencer.

    La blogueuse Haley Nahman a d’ailleurs analysé une normalisation des couleurs des séries et des films qui pourrait être une conséquence de cette merdification.

    Réagir

    Prendre conscience de cette merdification, la nommer est une étape importante. Et réaliser que ce n’est pas une fatalité. Ce n’est pas l’incompétence ou la paresse des travailleurs qui est en cause. Il s’agit d’un phénomène volontaire et conscient destiné à soutirer un maximum de revenus de notre infrastructure. Il s’agit d’une étape inéluctable du capitalisme monopolistique dans lequel nous vivons.

    Les infrastructures publiques vendues à des entreprises privées ont été une aubaine incroyable pour les merdificateurs. Oui, prendre le train est devenu cher et merdique. Parce que c’est l’objectif : empocher un maximum de bénéfices privés en provenance d’investissements publics. La merdification est une véritable spoliation des biens publics. Cela même pour les entreprises privées qui, très souvent, ont obtenu de l’argent public pour aider à se lancer et à « faire rayonner l’économie de notre belle région » (dixit le ministre qui a voté le budget). Notons que ce type de merdification de l’espace public a toujours existé. Zola l’a parfaitement décrit dans « La curée ».

    À titre individuel, il n’y a pas grand-chose à faire si ce n’est tenter de soutenir les petites entreprises, les commerces indépendants, ceux qui vivent de la satisfaction de leur clientèle. Et faire attention à ne pas se laisser enfermer dans des services commerciaux qui, si alléchants soient-ils, n’ont d’autres choix que de disparaitre ou se merdifier.

    Mais ne nous voilons pas la face, ce n’est pas près de s’arrêter. Certains psychopathes semblent avoir comme objectif de merdifier la planète entière pour accroitre leur profit. Et, jusqu’à présent, rien ne semble pouvoir les arrêter.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

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  • Saturday 10 June 2023 - 02:00

    Il n’est plus possible de faire de la philosophie sans faire de la science-fiction

    Au détour d’une conversation à Épinal, l’auteur et philosophe Xavier Mauméjean me glissa cette phrase curieuse : « Aujourd’hui, il n’est plus possible de faire de la philosophie sans faire de la science-fiction ».

    Interpelé, je retournai des jours durant cette phrase dans mon esprit avant que l’évidence ne m’apparût.

    Le présent a l’épaisseur mathématique d’une droite, la consistance d’un point. Il est insaisissable, mouvant. À ce titre, il n’existe pas de littérature du présent. L’humain ne peut écrire que sur deux sujets : le passé et le futur. Les deux étant complémentaires.

    Lire sur le passé nous édifie sur la nature humaine, sur notre place dans le monde, dans la civilisation. Cela démystifie, et c’est essentiel, notre univers. Le passé nous enseigne les lois scientifiques.

    Se projeter dans le futur nous fait réfléchir aux conséquences de nos actes, nous fait peser nos choix. Or il n’y a pas de littérature du futur sans imaginaire. Le futur n’est, par définition, qu’imagination. Un imaginaire qui obéit à des lois, les lois scientifiques susnommées. Réfléchir au futur, c’est donc faire de la science-fiction.

    La science-fiction, sous toutes ses formes, est la clé de notre capacité d’influencer le monde, l’essence même de notre survie.

    Mais attention aux étiquettes. Il serait tentant de penser qu’un livre se passant dans le passé parle du passé et un livre se passant dans le futur parle du futur. C’est bien entendu simpliste et trompeur. Tant de livres historiques nous emmènent à réfléchir à notre futur, à notre être et à notre devenir. Un livre peut se passer en l’an 3000 et ne brasser que du vent.

    Malgré son importance vitale, la science-fiction a toujours mauvaise presse, est reléguée aux étagères les moins accessibles des librairies, est rejetée par les lecteurs.

    Refuser l’étiquette « science-fiction » n’est-il pas le symptôme d’une peur de se projeter dans le futur ? D’affronter ce qui nous semble inéluctable ? Mais tant que nous aurons de l’imagination, rien ne sera inéluctable. Le futur n’a qu’une constante : il est la conséquence de nos actions.

    Pour reprendre les mots de Vinay Gupta, le futur est un pays étranger. Un pays vers lequel nous nous contentons aujourd’hui d’envoyer nos déchets, un pays dont nous tentons de détruire les ressources, comme si nous étions en guerre. Un pays où vivent nos enfants.

    Peut-être est-il temps de faire la paix avec le futur. D’entretenir de bonnes relations diplomatiques. Des relations épistolaires qui portent un nom : la science-fiction.

    Mais peut-être ce nom est-il trompeur. Peut-être que la science-fiction n’existe pas. Peut-être que toute littérature est en soi, un ouvrage de science-fiction.

    On ne peut écrire sans philosopher. On ne peut philosopher sans faire de la science-fiction. On ne peut être humain sans faire la paix avec le futur.

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  • Wednesday 07 June 2023 - 02:00

    La privatisation de nos sens

    J’ai déjà glosé ad nauseam sur nos nuques penchées en permanence sur un petit rectangle en plastique, sur notre attention aspirée pour se cantonner à un minuscule écran ne nous montrant que ce que deux ou trois monopoles mondiaux veulent bien nous transmettre.

    L’idée, explorée dans Printeurs, que ces monopoles se branchent directement dans nos cerveaux pour les influencer semble encore de la science-fiction.

    Pourtant, la capture de nos sens a déjà commencé.

    Avez-vous observé le nombre de personnes se baladant avec des écouteurs blancs dans les oreilles et ne les retirant pas pour converser voire même pour passer à la télévision ? Ces personnes vivent dans un environnement en « réalité augmentée ». Ils peuvent entendre un mélange des sons virtuels et des sons réels. Ce mélange étant contrôlé… par les monopoles qui vendent ces écouteurs.

    Porter ce genre d’écouteur revient à littéralement vendre sa perception à des entreprises publicitaires (oui, Apple est une entreprise qui vit de la pub, même si c’est essentiellement de la pub pour elle-même). Un jour, vous vous réveillerez avec des publicités dans l’oreille. Ou bien vous ne comprendrez pas un discours, car certaines parties auront été censurées.

    Ce n’est pas une potentialité éloignée, c’est l’objectif avoué de ces technologies.

    Après l’audition, c’est au tour de la vue d’être attaquée à traves des lunettes de réalité augmentée.

    Les publicités pour la nouvelle mouture Apple montrent des gens souriants, portant les lunettes pour participer à des vidéoconférences tout en semblant profiter de la vie. Fait amusant : personne d’autre dans ces conférences factices ne semble porter ce genre de lunettes.

    Parce que ce n’est pas encore socialement accepté. Ne vous inquiétez pas, ils y travaillent. Il a fallu 20 ans pour que porter des écouteurs en public passe de psychopathe asocial à adolescent branché. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les lunettes Apple sont si chères : elles deviennent une marque de statut, un objet de luxe. Les premières personnes que vous verrez dans la rue les portant seront celles qui ont de l’argent à dépenser et tiennent à le faire savoir. Ce qui entrainera fatalement la popularisation des modèles meilleur marché.

    Dans Tantzor, paru en 1991, Paul-Loup Sulitzer se moquait déjà de cet aspect en racontant la vie d’un entrepreneur russe qui vendait des faux écouteurs verts fluo bon marché aux gens qui ne savaient pas se payer un walkman. Pour pouvoir faire comme tout le monde, pour avoir l’air de posséder un walkman.

    Porter un casque audio et visuel dans la rue deviendra un jour ou l’autre une norme acceptable. Ce qui ne serait pas un problème si la technologie n’était pas complètement contrôlée par ces morbides monopoles qui veulent transformer les humains en utilisateurs, en clients passifs.

    Ils ont réussi à le faire en grande partie avec Internet. Ils sont désormais en train de s’attaquer à la grande pièce au plafond bleu en privatisant graduellement nos interactions avec le réel : le transport de nos corps à travers les voitures individuelles, les interactions humaines à travers les messageries propriétaires, l’espionnage de nos faits, paroles et gestes jusque dans nos maisons et désormais le contrôle direct de nos sens.

    La technologie peut paraitre terrifiante à certains. Mais elle est merveilleuse quand on en est acteur. Elle n’est pas la cause.

    Nous avons, à un moment, accepté que la technologie appartenait à une élite éthérée et que nous n’en étions que les utilisateurs. Que les outils pouvaient avoir un propriétaire différent de son utilisateur. Les luddites l’avaient bien compris dans leur chair. Marx en a eu l’intuition. Personne ne les a entendus.

    Tant que nous restons soumis aux dictats du marketing, tant que nous acceptons la pression sociale provenant parfois de nos proches, nous sommes condamnés à rester des utilisateurs de la technologie, à devenir des utilisateurs de notre propre corps, de notre propre cerveau.

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  • Sunday 04 June 2023 - 02:00

    La grenouille dans la bouilloire qui voulait que rien ne change

    Nous imaginons, rêvons ou frissonnons à l’idée de changements brusques : le fameux « grand soir », les catastrophes naturelles ou politiques… Et nous oublions que les évolutions sont progressives, insidieuses.

    L’extrême droite dure néonazie n’est que rarement entrée ouvertement au gouvernement en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais la plupart des gouvernements se veulent aujourd’hui des coalitions « centristes ». Au centre de quoi ? De cette extrême droite dure et de la droite libérale. Bref, ce qui aurait été considéré comme de l’extrême droite il y a une ou deux décennies.

    Les médias d’extrême droite ne sont jamais devenus grand public. Mais Twitter, l’un des médias les plus influents du monde, est devenu un pur média d’extrême droite soutenu par tous ceux qui l’alimentent. Les médias nationaux, eux, appartiennent et obéissent dans une écrasante majorité à des milliardaires rarement connus pour être progressistes (on ne devient pas milliardaire sans être complètement psychopathe).

    Même les plus écologistes parlent du futur, de la catastrophe qui arrive « si on ne fait rien ». Mais elle n’arrive pas la catastrophe. Nous sommes en plein dedans. La pollution de l’air tue, en Europe, chaque année des centaines de milliers de personnes. Au niveau mondial, si j’en crois des chiffres rapidement moyennés sur le web, la pollution de l’air est l’équivalent de deux pandémies de COVID. Chaque année ! Nos enfants sont asthmatiques. Ils souffrent. Les océans sont remplis de déchets. Nous sommes en plein cœur de la catastrophe. Mais nous l’attendons. C’est d’ailleurs pour ça que le nucléaire fait tellement débat : il nous promet une catastrophe ! Le charbon, lui, nous plonge en plein dedans et tout le monde s’en fout.

    Dans le cultissime « Planète à gogos », Pohl et Kornbluth tentaient de nous alerter sur ce pseudolibéralisme débridé qui mène mécaniquement à un contrôle total de la société par quelques monopoles. C’est déjà le cas sur Internet ou la jeune génération ne connait qu’une unique alternative à Méta (Facebook,Instagram,Whatsapp) : Tiktok. Les milliards d’internautes n’ont aucune idée de comment tout cela fonctionne, ils obéissent aveuglément à quelques grandes sociétés. Les militants de tout poil ne connaissent plus qu’une manière de s’organiser : créer une page Facebook ou un groupe Whatsapp. De même pour les quelques petits magasins indépendants qui tentent de survivre à la taxe Visa/Mastercard qui leur est imposée, à la guerre au cash menée par les gouvernements, aux tarifs exorbitants imposés par des fournisseurs monopolistiques. Ils perdent pied et ne voient pas d’autres solutions que de… créer une page Facebook.

    Facebook dont les algorithmes sont très similaires à Twitter, Facebook qui a permis l’ascension de Trump au pouvoir et qui est, il ne faut pas se le cacher, d’extrême droite et monopolistique. Par essence.

    Toutes ces catastrophes ne sont pas hypothétiques. Elles sont actuelles, sous nos yeux. Elles sont liées. On ne peut pas militer pour le social sur Twitter. On ne peut pas être écologiste sur Facebook. On ne peut pas lutter contre les monopoles en fumant des clopes de chez Philip Morris. On ne traite pas un cancer généralisé en allant voir un spécialiste de l’estomac et en prétendant que les autres organes ne nous intéressent pas.

    Mais personne n’est parfait. Nous avons tous nos contradictions. Nous avons tous nos obligations. Nous avons le droit d’être imparfaits. Nous ne pouvons pas être spécialistes en tout.

    L’important pour moi est d’en être conscient. De ne pas nous autojustifier dans nos comportements morbides. Soyons responsables de nos actions, soyons honnêtes avec nous-mêmes. On a le droit de craquer (moi c’est le chocolat !). Mais on n’a pas le droit de prétendre qu’un craquage est « sain ». On a le droit d’avoir un compte Whatsapp. On n’a pas le droit de prendre pour acquis que tout le monde en a un.

    Chaque année, je dis à mes étudiants qui vont sortir de polytechnique (donc avec d’excellentes perspectives d’emploi) : « Si vous qui n’avez aucun souci à vous faire pour trouver de l’emploi ne faites pas des choix moraux forts, qui les fera ? N’acceptez pas de contrevenir à votre propre morale ! ».

    Et puis je me replonge dans les différentes révolutions historiques. Et je réalise que les changements viennent rarement de ceux qui avaient le choix, de ceux qui pouvaient se permettre. Ceux-là étaient, le plus souvent, corrompus par le système. Le changement vient de ceux qui n’ont pas le choix et le prennent quand même. De ceux qui risquent tout. Et le perdent.

    Je réalise que je suis moi-même enfoncé dans un petit confort bourgeois. Que je protège égoïstement ma petite famille et mon petit confort. Qu’à part théoriser et gloser sur mon blog, ce qui me plait et valorise mon ego, je ne fais rien. Je sais même pas quoi faire.

    Ça y’est, j’ai passé le cap. Nous sommes au milieu d’une catastrophe et j’ai tout intérêt à ce que rien ne change.

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  • Friday 02 June 2023 - 02:00

    Considérations sur le talent, le génie, le travail et un jeu vidéo que je vous recommande

    À Épinal, j’ai eu la grande chance d’échanger avec Denis Bajram, auteur de la BD culte Universal War 1. La conversation s’est très vite portée sur la notion de génie, un sujet sur lequel je méditais justement depuis longtemps.

    Dans ma vision personnelle, le talent n’est finalement qu’une facilité, un état de départ. Prenez deux individus sans la moindre expérience et demandez-leur de chanter, dessiner, courir, jongler avec un ballon ou n’importe quoi. Il y’a de grandes chances que l’un soit plus doué que l’autre. Bajram me confiait qu’il était le meilleur en dessin de son lycée. Lorsqu’on a du talent, tout semble facile. Bernard Werber a d’ailleurs dit « Écrire, c’est facile, tout le monde peut le faire » avant qu’Henri Lœvenbruck ne le reprenne « C’est facile pour toi. Pour l’infime minorité de génies. Pour les autres, c’est du travail, beaucoup de travail ». Hemingway ne disait-il pas que « Écrire c’est s’asseoir devant sa machine et saigner » ?

    Cependant, le talent n’est que la base et vient ensuite le travail, l’entrainement. Le jeune, aussi talentueux soit-il, sort de son microcosme et se voit soudain confronté aux meilleurs de son pays voire, grâce à Internet, de la planète. Il se rend compte qu’il n’est pas aussi talentueux que cela. Il doit travailler, s’améliorer. Souvent, il abandonne.

    Au plus on travaille, au plus on acquiert de l’expérience et de la capacité à comprendre ce que l’on fait. À percevoir les défauts de ses propres réalisations. On comprend pourquoi certaines œuvres sont bien meilleures que ce que l’on fait. On en arrive même à un point où on comprend intellectuellement ce qui est nécessaire pour arriver à un résultat extraordinaire. Sans toujours être capable de le mettre réellement en pratique.

    À titre personnel, j’ai énormément travaillé la structure du récit, la narration. L’histoire d’Universal War 1 est extraordinaire, prenante et complexe. Je ne sais pas si je pourrai un jour égaler ce niveau. Mais je comprends intellectuellement le processus mis en œuvre par Bajram pour y arriver. Je vois comment il s’y prend, comment il utilise son talent et sa capacité de travail. Je pourrais dire la même chose de celui qui est, à mes yeux, le meilleur scénariste de bande dessinée de sa génération : Alain Ayrolles, auteur de l’incroyable « De Capes et de Crocs ». Si la série est l’une de meilleures qui soit, je crois que je comprends les processus créatifs à l’œuvre. Et si je « comprends » UW1 et De capes et de Crocs, j’en reste néamoins muet d’admiration et les relis régulièrement.

    Mais, parfois, arrive un génie. Contrairement au talent, le génie est incompréhensible. Le génie sort de toutes les normes, de toutes les cases. Même les meilleurs experts doivent avouer « Je ne sais pas comment il a fait ». En bande dessinée, c’est par exemple un Marc-Antoine Mathieu. Sa série « Julius Corentin Acquefaques, prisonnier des rêves » relève du pur génie. J’ai beau les lire te relire, je ne vois pas comment on peut produire ce genre de livres complètement hors-normes. Je rends d’ailleurs hommage à cette série dans ma nouvelle « Le Festival », cachée dans mon recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 ».

    Face à un génie, même les plus grands talents doutent. Dans l’extraordinaire film « Amadeus », de Milos Forman, le musicien Salieri, pourtant un des meilleurs de son époque, se retrouve confronté à Mozart, l’adore, le jalouse, l’admire et le déteste à la fois. C’est en y faisant référence que Bajram m’a parlé de ce qu’il appelle le syndrome « Salieri », cette confrontation au génie qui fait douter même les plus talentueux.

    Ce doute de l’artiste, ce syndrome est intéressant, car, sur son blog, Bajram confie être déçu par les séances de signatures où les fans font la file sans même lui parler. Fans qui, pour certains, vont même jusqu’à se plaindre sur Facebook.

    Les artistes sont des éponges émotionnelles et pour une critique négative sur Facebook ou Twitter, combien de fans intimidés qui n’ont même pas osé adresser la parole à leur idole ? D’ailleurs, si j’ai moi-même franchi ce pas, c’est parce que je m’étais préparé mentalement depuis une semaine : « si tu vois Bajram et/ou Mangin, tu vas vers eux et tu leur offres un livre ». En lisant le post de Bajram, j’ai envie de lui dire : « Ce ne sont pas les séances de signatures qu’il faut arrêter, c’est Facebook ! »

    Régulièrement, des artistes, parfois très connus, parlent de mettre leur carrière en pause à cause du harcèlement continu qu’ils subissent en ligne. Mais ce n’est pas l’art ni la notoriété le problème, c’est bel et bien les plateformes qui exploitent les failles de la psyché humaine et nous font ressortir le négatif. Même sur Mastodon, je le vis assez régulièrement : un simple commentaire négatif peut me faire douter, voire m’énerver durant plusieurs heures (solution: allez relire les critiques positives sur Babelio ou sur les blogs, ça fait du bien, merci à ceux qui les postent !)

    De plus en plus de professionnels se coupent des réseaux sociaux. C’est par exemple le cas du cycliste Remco Evenepoel que le staff isole totalement des réseaux sociaux pour être sûr qu’il soit concentré et moralement au top lors des courses.

    Le talent et le jeu de Gee

    Pourquoi vous parler de talent, de travail et de génie ? Parce que c’est justement une réflexion qui murit en moi depuis que j’ai joué à Superflu Riteurnz, le jeu de Gee.

    Je suis Gee depuis qu’il a commencé à poster sur Framasoft. Et un truc qui m’a marqué depuis le début, c’est qu’il n’a pas un grand talent pour le dessin. Yep, je sais, ce n’est pas sympa. Mais faisant moi-même des crobards de temps à autre, je pense avoir au moins autant de talent que lui. Il me fait bien marrer Gee, il a un humour bien à lui, mais ce n’est pas un grand dessinateur.

    Y’a juste une petite subtilité. C’est que lui il travaille. Il persévère. Il a créé un univers avec son dessin assez simpliste. Il a même auto-publié une BD de Superflu.

    Et, soyons honnêtes, si la BD est sympathique, voire amusante, elle n’est pas transcendante.

    Sauf que Gee ne s’est pas arrêté en chemin. Il a sorti le jeu. Qui est la suite de la BD, mais vous pouvez jouer sans avoir lu la BD.

    Et là, l’incroyable travail de Gee m’a sauté aux yeux. L’univers Superflu s’est affiné. S’est enrichi du talent informatique de l’auteur. Les décors du jeu, les animations comme le vent dans les arbres où dans les cheveux m’ont bluffé. J’ai plongé avec Miniploumette (11 ans) et Miniploum (6ans). Ils ont adoré.

    Je suis un énorme fan des point-n-click. Le premier jeu vidéo auquel je forme mes enfants est Monkey Island, mon jeu fétiche. De temps en temps, je réessaye un vieux jeu (je suis d’ailleurs bloqué depuis des mois dans Sherlock Holmes : Case of the Rose Tatoo, malgré toutes les soluces que j’ai pu lire en ligne, rien n’y fait). Superflu Riteurnz n’est pas seulement un hommage, c’est une véritable version moderne du principe. La jouabilité est excellente. Il y’a très peu de redondances ou de longueurs.

    Le jeu innove également avec une mécanique très appréciable : la hotline pour obtenir des indices. Plutôt que d’aller chercher sur le web des soluces, le jeu vous les apporte sur un plateau. Est-ce de la triche ? Spontanément, mes enfants ne veulent pas utiliser la hotline sauf quand ça commence à les gonfler. Il n’y a pas de score, pas d’enjeu et pourtant ça fonctionne. Des enquêtes dans les bars crapuleux de Fochougny aux hauteurs vertigineuses du château d’eau en passant par les courses poursuites infernales. En tracteur.

    Le seul reproche ? C’est trop court. Après l’avoir terminé, on veut une extension, une nouvelle aventure.

    Mon conseil : si vous pouvez vous le permettre financièrement, achetez la BD et le jeu. Les deux sont complémentaires. Si la BD ne vous intéresse pas, pas de soucis, je l’ai lue après le jeu et le jeu fonctionne très bien sans.

    Ce jeu démontre qu’avec un travail de fou au dessin (les décors du jeu sont vraiment superbes), à la programmation (et là, je m’y connais) voire à la musique, Gee produit une œuvre multifacette particulièrement intéressante, ludique, drôle, divertissante et intergénérationnelle. Politique et critique, aussi. Le final m’a ôté mes dernières hésitations. Le résultat est sans appel : le travail paie ! (du moins si vous achetez le jeu)

    Peut-être qu’après toutes ces superproductions hollywoodiennes, les aventures de Superflu à Fochougny (dont la maire m’a fait éclater de rire) sont un retour bienvenu au confort de la proximité, du local. Peut-être qu’après toutes ces années à suivre le blog de Gee sans être fan de ses dessins, l’univers de Superflu, dont je trouvais le concept moyennement amusant, s’est enfin mis en place pour moi et sans doute pour beaucoup d’autres.

    Allez à Fochougny, le voyage vaut le déplacement !

    Et souvenez-vous que des débutants au plus grands artistes que vous admirez, tout le monde doute. Qu’un petit encouragement, un message sympa, un serrage de main, une poignée d’étoiles sur votre site de recommandation préféré sont le carburant qui produira le prochain livre, le prochain jeu, le prochain court-métrage ou la prochaine musique qui vous accompagnera dans un petit bout de vie. Ou qui vous inspirera.

    Bonne découvertes, bonne créations !

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  • Wednesday 24 May 2023 - 02:00

    De la difficulté de classifier la littérature (et de l’occasion de se rencontrer aux Imaginales)

    La sérendipité de mon bibliotaphe m’a fait enchainer deux livres entre lesquels je n’ai pas pu m’empêcher de voir une grande similitude. « L’apothicaire » d’Henri Lœvenbruck et « Hoc Est Corpus » de Stéphane Paccaud.

    Si l’un conte les aventures du très moderne Andreas Saint-Loup dans le Paris de Philippe le Bel, l’autre nous emmène dans la Jérusalem de Baudouin le Lépreux. Tous les deux sont des romans historiques extrêmement documentés, réalistes, immersifs et néanmoins mâtinés d’une subtile dose de fantastique. Fantastique qui ne l’est que pas le style et pourrait très bien se révéler une simple vue de l’esprit.

    Dans les deux cas, l’écriture est parfaitement maitrisée, érudite tout en restant fluide et agréable. Lœvenbruck se plait à rajouter des tournures désuètes et du vocabulaire ancien, lançant des phrases et des répliques anachroniques pleines d’humour. Paccaud, de son côté, alterne rapidement les narrateurs, allant jusqu’à donner la parole aux murs chargés d’humidité ou au vent du désert.

    Bref, j’ai adoré tant le style que l’histoire et je recommande chaudement ces deux lectures même si le final m’a chaque fois légèrement déçu, tuant toute ambiguïté de réalisme et rendant le fantastique inéluctablement explicite. J’aurais préféré garder le doute jusqu’au bout.

    D’ailleurs, Henri Lœvenbruck, Stéphane Paccaud et moi-même serons ce week-end à Épinal pour les imaginales. N’hésitez pas à venir faire coucou et taper la causette. C’est la raison même de ce genre d’événements. (suivez-nous sur Mastodon pour nous trouver plus facilement).

    De la classification de la littérature

    S’il fallait les classer, ces deux livres devraient clairement se trouver côte à côte dans les rayons d’une bibliothèque. Des romans historiques avec des éléments fantastiques. D’ailleurs, Lœvenbruck m’a asséné : « Une histoire n’est pas fantastique. Elle comporte des éléments de fantastique ! » (citation approximative,).

    Mais voilà. Henri Lœvenbruck est réputé comme un auteur de polars. Vous trouverez donc « L’Apothicaire » dans la section polar de votre librairie. Quand à « Hoc Est Corpus », il est paru dans la collection Ludomire chez PVH éditions, une collection (où je suis moi-même édité) spécialisée dans la « littérature de genre », à savoir la SFFF pour « Science-Fiction Fantasy Fantastique ».

    Quelle importance, me demandez-vous ? On s’en fout de la classification.

    Pas du tout !

    Car, comme je l’ai appris à mes dépens, le lectorat grand public ne veut pas entendre parler de science-fiction ou de fantastique. Le simple fait de voir le mot sur la couverture fait fuir une immense quantité de lecteurs qui, pourtant, en lit régulièrement sous la forme de polars. La plupart des librairies générales cachent pudiquement sous une étagère quelques vieux Asimov qui prennent la poussière et ne veulent pas entendre parler de science-fiction moderne. Quelques échoppes tentent de faire exception, comme « La boîte à livre » à Tours, qui a un magnifique rayon ou le salon de thé/librairie « Nicole Maruani », près de la place d’Italie à Paris, qui m’a fait la surprise de mettre mon livre à l’honneur dans son étagère de SF (et qui fait du super bon brownie, allez-y de ma part !).

    Mais Ploum, si le mot « science-fiction » est mal considéré, pourquoi ne pas mettre simplement ton roman dans la catégorie polar ? Après tout, Printeurs est clairement un thriller.

    Parce que la niche des lecteurs de science-fiction est également étanche. Elle se rend dans des lieux comme « La Dimension Fantastique », près de la gare du Nord à Paris. Un endroit magique ! J’avais les yeux qui pétillaient en survolant les rayons et en écoutant l’érudition du libraire.

    La SF est-elle condamnée à être cantonnée dans sa niche ? À la Dimension Fantastique, le libraire m’a confié qu’il espérait que le genre gagne ses lettres de noblesse, qu’il voyait une évolution ces dernières années.

    Pour Bookynette, l’hyperactive présidente de l’April et directrice de la bibliothèque jeunesse « À livr’ouvert », le genre à la mode est le « Young Adult ». Et c’est vrai : dès que le protagoniste est un·e adolescent·e, soudainement le fantastique devient acceptable (Harry Potter) et la pure science-fiction dystopique devient branchée (Hunger Games).

    Bref, la classification a son importance. Au point de décider dans quelle librairie vous allez être. Étant un geek de science-fiction, j’ai l’impression d’en écrire. Mais j’ai la prétention de penser que certains de mes textes vont au-delà de la SF, qu’ils pourraient parler à un public plus large et leur donner des clés pour comprendre un monde qui n’est pas très éloigné de la science-fiction d’il y a quelques décennies. Surtout les genres dystopiques. En pire.

    La science-fiction ne parle pas et n’a jamais parlé du futur. Elle est un genre de littérature essentiel pour comprendre le présent. Peut-être doit-elle parfois se camoufler pour briser certains a priori ?

    On se retrouve sur le stand PVH aux Imaginales pour discuter de tout ça ?

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  • Monday 15 May 2023 - 02:00

    La fausse bonne idée de la livraison à domicile

    J’ai reçu ce matin un email me précisant qu’une livraison allait être faite à mon domicile entre 12h51 et 13h51.

    Me voilà devant le fait accompli. Je peux tout à fait rater cette livraison qui n’est pas urgente. Mais il est plus facile pour moi d’adapter mon horaire aujourd’hui que pour une relivraison hypothétique ou pour une livraison dans un point relais aléatoire. Car, pour l’anecdote, j’habite une ville entièrement piétonnière. Mais le seul point Mondial Relay de la ville se trouve dans une station d’essence située entre les deux bandes d’un boulevard fréquenté et sans aucune manière d’y accéder à pied sauf à traverser des buissons puis à marcher 200m le long de cette route pour automobiles et de la traverser.

    Consultant ma montre, je m’arrange pour arriver à 12h45 chez moi. Une camionnette de livraison est garée, moteur tournant. J’interpelle le chauffeur. Il regarde sa montre et me dit qu’il ne peut pas me donner le paquet avant 12h51, qu’il doit attendre. Moteur tournant.

    Comme beaucoup d’inventions humaines, la livraison à domicile semblait une bonne idée. Parce que nous n’avions pas envisagé les impacts.

    Nous croyions pouvoir consommer confortablement assis dans notre canapé. Nous avons oublié que nous étions souvent hors de chez nous, pour le travail ou pour le plaisir. Nous avons oublié le service que nous rendaient les commerçants de proximité, remplacés dans tous les domaines par de la grande distribution dans des points de plus en plus éloignés.

    Nous avons oublié que, parfois, nous n’avons pas envie d’être dérangés. Comme cette fameuse journée de travail à domicile durant le confinement où j’ai reçu quatre livreurs de trois entreprises différentes sur une seule après-midi. Le tout pour me livrer une seule et unique commande Amazon dans laquelle j’avais tenté de regrouper tous mes achats.

    Nourriture, vêtements, livres, articles de sports. Ce qui se trouve dans ces magasins, la plupart du temps uniquement accessibles en voiture, est le strict minimum, le modèle moyen, les marques standard. Pour tout le reste ? Commandez sur Internet. Que dis-je, sur Amazon !

    Amazon qui, soit dit en passant, impose à ses fournisseurs de ne pas vendre moins cher ailleurs, mais qui prend une telle marge que les producteurs, pour pouvoir être sur Amazon, sont obligés de monter leurs prix… partout ! Amazon qui n’hésite pas à copier un produit qui se vend bien et qui impose également aux producteurs de payer pour apparaître dans les résultats.

    Au final, des livreurs payés au lance-pierre sont obligés de faire un nombre ahurissant de livraisons par jour en respectant des horaires à la minute près, forcés d’attendre ou d’accélérer en fonction des algorithmes. Tout cela pendant que nous sommes forcés de rester chez nous pour attendre la livraison, pour guetter par la fenêtre le livreur qui dépose un papier arguant de notre absence alors que nous étions derrière la porte.

    Enfin, nous ouvrons le carton contenant des biens que nous n’avons jamais vus, que nous n’avons jamais essayés, que nous n’aurions peut-être pas achetés si nous n’avions pas été séduits par la photo subtilement éclairée, mais que nous gardons quand même devant la difficulté du renvoi ou de l’échange, lorsque celui-ci n’est tout simplement pas à un coût prohibitif.

    Des biens surpayés pour permettre aux producteurs de vivre avec les marges d’Amazon et des entreprises de livraison. Des biens désormais introuvables en magasin.

    La livraison à domicile paraissait une bonne idée. Elle bénéficie à certains. Mais ce ne sont ni les livreurs, ni les vendeurs de magasin, ni même les clients.

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  • Friday 12 May 2023 - 02:00

    Les réseaux sociaux sont des maladies mentales

    La nuit passée, j’ai été réveillé par de la techno tonitruante. Étonné par cette cause de bruit soudaine, j’ai regardé par ma fenêtre et vu une voiture garée en face de chez moi.

    Au volant, une jeune femme se filmait en train de secouer la tête comme si elle s’amusait follement, agitant le bras libre dans tous les sens. Exactement trois minutes après le début de la nuisance sonore, elle a coupé la vidéo, à coupé la musique et s’est remis à scroller sur son téléphone en silence, la nuque penchée.

    Je n’ai pu ressentir qu’une bouffée de pitié pour cette jeune femme seule en pleine nuit, enfermée dans sa voiture et qui ressentait le besoin de faire savoir à d’autres qu’elle s’amusait, même s’il fallait pour cela réveiller tout le quartier. La brève durée de cet épisode m’a fait soupçonner une vidéo Tiktok.

    En me recouchant, j’ai pensé à cette jeune maman que nous avons aperçue, mon épouse et moi-même, la semaine précédente.

    Nous étions sur un chemin surplombant de quelques mètres une petite plage hérissée de rochers. Un parapet séparait le chemin du vide. Sur ce parapet se tenait, debout, une fillette de trois ou quatre ans qui tenait la main de sa mère. La mère a lâché sa fille, a pris son appareil photo pour prendre une photo tout en lui recommandant de ne pas bouger.

    Mon cœur de père s’est arrêté. J’ai hésité à agir, mais j’ai très vite pris conscience que le moindre mouvement brusque de ma part pouvait déclencher une catastrophe. Que je n’étais émotionnellement pas capable de tenter de raisonner une mère capable de mettre la vie de son enfant en danger pour une photo Instagram.

    J’ai passé mon chemin en fermant très fort les yeux.

    Je pensais que les réseaux sociaux étaient des addictions, des dangers pour notre concentration. Mais pas seulement. Je pense que ce sont désormais des maladies mentales graves. Que leurs utilisateurs (dont je fais partie avec Mastodon) doivent être vus comme des personnes malades dès le moment où elles modifient leur comportement dans le seul et unique objectif de faire un post.

    Les principales victimes sont les adolescents et les jeunes adultes. Et loin de les aider, le système scolaire les enfonce, de plus en plus d’enseignants et d’écoles utilisant des "apps" pour avoir l’air de suivre une pédagogie moderne et forçant leurs élèves à avoir un téléphone (et je ne parle pas des cours "d’informatique" qui forment à… Word et PowerPoint !).

    Il ne fait aucun doute que, d’ici quelques années, les smartphones seront perçus pour le cerveau comme la cigarette l’est pour les poumons. Mais nous sommes dans cette période où une poignée d’experts (dont je fais partie) s’époumone face à un lobby industriel et une masse qui "suit la mode pour avoir l’air cool", qui a peur "de ne pas être dans la révolution informatique".

    Quand je vois les ravages de la cigarette, encore aujourd’hui, je ne peux qu’être terrorisé pour mes enfants et les générations qui nous suivent. Car ceux qui ne sont pas atteints doivent vivre avec les autres. Ils sont les exceptions. Ils doivent justifier de ne pas sortir leur smartphone, de ne pas être connecté, de ne pas vouloir s’interrompre pour une photo.

    Peut-être qu’il est temps de considérer le fait de poster sur les réseaux sociaux pour ce que c’est réellement : une action pathétique et misérable, un espoir d’exister dans un univers factice. Un appel au secours d’une personne malade.

    Ne nous voilons pas la face : je suis tout aussi coupable que n’importe qui d’autre. Mais promis, je me soigne…

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  • Friday 07 April 2023 - 02:00

    Trolls & Légendes le samedi 8 avril et autres dates…

    Samedi 8 avril (demain quoi), je serai à Mons au festival Troll & Légende. Si vous êtes dans le coin, passez sur le stand PVH/PVH Labs pour tailler une bavette. Je n’ai pas encore les infos exactes, je posterai en direct les infos pratiques sur Mastodon.

    Une question récurrente qui m’est régulièrement posée est celle du nombre de mes followers. Souvent, ce sont des journalistes qui me la posent et ils sont déçus quand je leur dis que je n’ai pas la réponse.

    Il y a 10 ans, j’ai annoncé que je supprimais tout outil statistique de mon blog. Tant pour la vie privée de mes lecteurs que pour ma santé mentale. J’ai poursuivi en encourageant mes lecteurs à me suivre par RSS, une technologie sur laquelle je n’ai aucune visibilité. Sourcehut offre également la possibilité de recevoir mes billets par mail sans que je puisse voir la liste des abonnés ou même leur nombre (mais les contenus sont en texte brut et pas mis en page, contrairement à la newsletter classique qui reste recommandée pour la plupart des lecteurs).

    À part Mastodon, je n’ai donc pas de « compteur ». Je sais à quel point ce genre de métrique est à la fois addictif et complètement trompeur, voire même nocif. Avec mon logiciel de newsletter précédent, je pouvais voir le nombre de désabonnements consécutifs à chaque billet, ce qui avait pour effet de me morigéner d’avoir publié.

    Pour remplacer le compteur, j’ai découvert une métrique magique, magnifique : quand je participe à une conférence, un festival ou une séance de dédicace, j’ai désormais la chance de rencontrer des lecteurs. Des gens qui me lisent depuis parfois plus d’une décennie. Des personnes qui peuvent me parler d’un vieux billet que j’avais oublié, me demander des nouvelles de ma boulangère voire me recommander une bande dessinée ou un roman qui devrait vraiment me plaire (j’adore). Des visages qui viennent parfois éclairer certains noms que j’ai lu sur le web, sur gemini ou dans ma boîte email. Des êtres humains quoi ! (enfin, pour la plupart)

    Ces rencontres sont courtes, intenses et me restent dans la tête. Elles me font plaisir, me nourrissent. Donc, si vous êtes dans un coin où je traine, n’hésitez pas à venir me faire coucou, ça me fait plaisir. Et, contrairement à un Henri Loevenbruck assailli par des hordes de fans, avec Ploum vous n’aurez pas à faire la file.

    Rendez-vous donc ce samedi 8 avril à Mons à Troll & Légende. Le mardi 25 avril, je donnerai une conférence pour l’Electrokot à Louvain-la-Neuve (auditoire Montesquieu 1, 20h). Et je vous préviens déjà que je serai à Épinal pour le festival Imaginales aux alentours du 25 au 28 mai.

    On trouvera bien une occasion de se croiser !

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  • Monday 03 April 2023 - 02:00

    Des petits gestes…

    Aucun service Google ne tourne sur mon téléphone. En utilisant l’application Adguard, j’ai découvert que mon téléphone faisait de nombreuses requêtes vers facebook.com. Le coupable ? L’application de l’IRM, l’institut royal météorologique, une institution pour laquelle j’ai beaucoup de respect.

    Je me suis donc rendu sur le site de l’IRM et j’ai soumis une plainte arguant qu’un service public ne devait/pouvait pas contribuer à ces pratiques, surtout sans informer ses utilisateurs. La réponse m’est parvenue après quelques jours :

    Notre application contenait effectivement une librairie Facebook que nous n'utilisions pas, mais qui était malheureusement restée activée. Nous avons introduit une demande auprès du service qui s'occupe de notre application de supprimer cette librairie. Nos collègues vous remercient d'avoir remarqué cette erreur de notre part et de nous l'avoir communiquée.

    Voilà, c’était tout simple. Bien sûr, dans un monde idéal, les applications financées par le service public devraient être open source mais cela fait plaisir de souligner qu’être espionné par Facebook n’est plus considéré comme normal et allant de soi.

    Bon, évidemment, on ne parle pas de la rtbf, un service public dont le site web est une honte lorsqu’on voit à quel point il est littéralement rempli d’espions logiciels.

    Une autre petite résolution tout simple que j’ai prise est de désormais mettre les vidéos de mes conférences sur Peertube plutôt que de vous envoyer sur Youtube.

    Ma dernière conférence, « Pourquoi ? », a été visionnée dix fois plus sur Peertube que sur le Youtube officiel de la conférence. Tout simplement car j’ai mis le lien Peertube en avant par rapport à celui vers Youtube. La preuve s’il en est que ce ne sont pas ces plateformes qui nous apportent des vues mais bien le contraire. Mettre Peertube « par défaut » est une démarche assez simple qui peut avoir au final un impact important.

    En explorant Peertube à travers Sepia Search, j’ai d’ailleurs découvert qu’un·e archéoternaute y avait uploadé une de mes œuvres de jeunesse.

    Heureusement pour les mélomanes, c’est la seule chanson qui semble avoir survécu. Comme vous avez tous pu le constater, je suis un parolier, pas un musicien ni un chanteur… Si je retrouve d’autres chansons ou courts-métrages, faudra que j’uploade tout ça un jour.

    Bref, se libérer des monopoles et du capitalisme de surveillance est une lutte comparable à l’écologie : il faut théoriser, discuter les enjeux planétaires. Mais il est également possible d’accomplir des petits gestes individuels qui peuvent inspirer d’autres et, sur le long terme, faire la différence.

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  • Thursday 30 March 2023 - 02:00

    Keynote Touraine Tech 2023 : Pourquoi ?

    Cette conférence a été donnée le 19 janvier 2023 à Tours dans le cadre Touraine Tech.
    Le texte est ma base de travail et ne reprend pas les nombreuses improvisations et digressions inhérentes à chaque One Ploum Show.

    Bonjour. Cela me fait plaisir de vous rencontrer dans cette école polytechnique de Tours, car je suis moi-même issu d’une école polytechnique où j’enseigne et travaille. Le terme « Polytechnique » est magnifique : plusieurs technologies, plusieurs domaines. Chez nous, à Louvain, nous avons le département de mécanique,le département d’électricité, de chimie, de construction, quelques autres et enfin le département d’informatique.

    Lorsqu’on a étudié en polytechnique, on devient un ingénieur. Il m’a fallu des années pour articuler la différence entre un scientifique et un ingénieur. Mais au fond, c’est très simple : le scientifique cherche à comprendre, à découvrir les lois de la nature. L’ingénieur cherche à contourner les lois ainsi découvertes. Le scientifique dit « cette feuille de papier tombe ! », l’ingénieur la plie en avion et réponds « pas toujours ». L’ingénieur produit donc des miracles : malgré la gravité, il fait voler des avions de plusieurs centaines de tonnes. Il arrive à construire des bâtiments, des ponts qui enjambent des gouffres. Produire des matériaux capables de résister à une rentrée dans l’atmosphère à haute vitesse. Ou d’inventer un procédé pour que la bière fasse psshhh lorsqu’on décapsule la canette. J’ai eu un professeur qui a fait fortune avec un tel procédé. Les ingénieurs (et pas seulement ceux qui ont le diplôme, je parle aussi de ceux qui le sont par expérience) prennent donc des lois immuables de la nature comme la gravité, la résistance, la mécanique vibratoire, l’électricité et ils assemblent le tout pour en faire des avions, des ponts, des sous-marins, des satellites ou des tranches de jambon qui se conservent au frigo. L’ingénieur est donc un rebelle, il cherche le progrès, à changer le monde.

    À l’opposé, il y’a une catégorie de personnes qui prennent des inventions humaines et tentent d’en faire des lois naturelles, de se convaincre qu’on ne peut pas les dépasser. Cela s’appelle la théologie. C’est exactement l’inverse de l’ingénieur : faire croire que des écrits produits par des humains morts depuis longtemps ne pourront pas être dépassés ni améliorés.

    Dans les facultés polytechniques, on trouve rarement un département de théologie.

    Par contre, on a désormais immanquablement un département d’informatique. Et quelles sont les lois de la nature qui y sont utilisées ? Une seule : faire bouger un électron le plus vite possible. On y arrive d’ailleurs tellement bien que ce n’est plus vraiment un problème. On pourrait arguer que certains problèmes algorithmiques relèvent des lois de la nature, mais rares sont les ingénieurs en informatique qui s’y confrontent tous les jours.

    La réalité est que l’informatique est désormais réduite à prendre le travail de personnes qu’on ne connait pas et de les instituer en lois incontournables puis de tenter de construire par-dessus sans jamais, au grand jamais, tenter de les contourner et les remettre en question. L’informatique n’est plus de l’ingénierie, c’est devenu de la théologie. Le travail de l’informaticien est une sorte de puzzle intellectuel comparable à ce que font les rabbis lorsqu’ils interprètent la Torah. L’informaticien n’est plus un rebelle progressiste, mais un conservateur au service de l’immobilisme.

    Si vous travaillez dans l’informatique, il y’a de fortes chances que votre mission réelle puisse se résumer à « afficher sur l’écran d’un client les chiffres et les lettres qu’il souhaite y voir ». D’accord, il y’a parfois des images et du son. Mais que ce soit sur Youtube ou Soundclound, l’interface première pour accéder à une vidéo, une image ou un son reste le texte. Imaginez Spotify ou Netflix sans aucun texte ? Inutilisable. Sans image ? Peut-être un poil plus rébarbatif, mais c’est tout. Une fois maitrisés la compression et le transfert des sons et images d’un ordinateur à l’autre, le seul travail reste donc le texte. D’ailleurs, que ce soit dans un éditeur de code, un traitement de texte ou un client email, force est de constater que nous passons l’essentiel de notre temps à frapper des touches pour écrire du texte. Et que lire ou réfléchir est rarement perçu comme un véritable travail. D’ailleurs, si on s’arrêtait pour réfléchir, on serait probablement effrayé. Surpris. On ne pourrait s’empêcher d’articuler à voix haute cette phrase terrible, hantise de tout maniaque de la productivité : « Mais c’est quoi ce bordel ? » voire, bien pire, ce simple mot, honni, banni du vocabulaire de l’immense majorité des cerveaux de la startup nation : « pourquoi ? »

    C’est vrai ça, pourquoi ?

    Réponse typique : parce que c’est comme ça, parce que tout le monde fait comme ça, parce qu’on a toujours fait comme ça, parce qu’on te dit de faire comme ça et tu ne vas pas changer le monde.

    Et bien si, justement ! On change le monde. On doit changer le monde. On ne peut que changer le monde. Alors autant réfléchir dans quel sens on veut le faire évoluer.

    Depuis les années 80, on sait échanger des messages entre ordinateurs avec l’email, on sait échanger des fichiers avec FTP, on sait discuter et s’engueuler publiquement sur Usenet. Le seul truc encore difficile était de savoir où trouver l’information. Qu’à cela ne tienne, en 91, un Anglais et un Belge travaillant en Suisse dans un bureau situé du côté français de la frontière inventent… le web ! Ça commence comme une blague, non ?

    Le but du web n’est, à la base, que de permettre d’accéder facilement à la documentation de la plus grosse machine jamais construite par l’homme : l’accélérateur de particules du CERN. Avec le web, on peut cliquer de page en page pour découvrir du contenu en utilisant des hyperliens. Le web n’a pas inventé la notion d’hyperliens. En fait, le concept était à l’époque sur toutes les lèvres, il y’avait même une conférence dédiée au sujet. Tim Berners Lee y a d’ailleurs présenté le web lors de l’édition de 92. Dans une petite salle au fond du couloir et dans l’indifférence générale. Personne n’a trouvé ça excitant ou intéressant.

    Une fois qu’on a eu le web, on peut dire qu’on avait résolu l’essentiel des problèmes techniques permettant l’usage d’Internet. On pouvait désormais afficher n’importe quel texte sur n’importe quel ordinateur.

    Le truc commence à avoir du succès et un jeune Américain très ambitieux va avoir une idée. Il travaille pour un organisme américain parastatal et programme un navigateur web : Mosaic. Il décide de quitter son job pour créer un navigateur web commercial. Afin de rendre le truc cool, il ajoute une balise image au HTML initial.

    Le mec en question s’appelle Marc Andreesen et son navigateur Netscape. Tim Berners Lee est pas trop chaud pour la balise image. Il propose des alternatives. Il craint que les pages web deviennent de gros trucs flashy illisibles. Rétrospectivement, on ne peut pas vraiment lui donner tort. Mais Marc Andreesen n’en a cure. Il intègre sa propre balise image à Netscpape et distribue Netscape gratuitement. Il devient millionnaire et fait la couverture de nombreux magazine.

    Attendez une seconde… Il devient millionnaire en payant des gens à programmer un truc distribué gratuitement ? Tout un concept ! Devenir millionnaire en dépensant de l’argent, c’est pas mal non ?

    Le secret, c’est de dépenser l’argent des autres. On prend l’argent des investisseurs, on l’utilise pour créer un truc qui ne rapporte rien, mais qui est très cool (le terme technique est « bullshit ») et on attend qu’une grosse boîte rachète le tout parce que c’est cool. Marc Andreesen invente littéralement le concept de web startup qui perd de l’argent et vaut des milliards. Le concept reste d’ailleurs aujourd’hui très populaire. Quand on y pense, toute l’économie du web est une gigantesque pyramide de Ponzi qui attend les prochains pigeons… pardon, investisseurs. Les cryptomonnaies, à côté, c’est du pipi de chat, du travail d’amateur.

    Mais revenons à nos moutons : on sait désormais tout faire sur Internet. Il faut juste se former un minimum. Mais le marketing va s’emparer de l’histoire pour le complexifier à outrance. Tout en prétendant le rendre plus simple. D’abord il va y avoir Java. Puis Javascript qui est, de l’aveu de son créateur, un truc bâclé créé sur un coin de table pour faire une démo. Le truc est tellement infâme que peu de monde le comprend. Du coup, on rajoute une surcouche qu’on appelle AJAX. Et comme Ajax est trop compliqué, on crée des frameworks au-dessus de cela. Et comme chaque framework est compliqué, on fait des frameworks de frameworks. La philosophie est simple : chaque fois qu’une andouille quelconque veut afficher du texte sur l’écran d’un client, elle se rend compte que c’est compliqué. Alors elle décide d’écrire une abstraction qui simplifie le tout. Et, évidemment, son abstraction se confronte rapidement au fait que la réalité est complexe. Soit elle abandonne son idée, soit elle la complexifie jusqu’au point où une autre andouille la trouve trop compliquée. Et le cycle recommence.

    En prétendant simplifier, nous ne faisons que complexifier. Et il y’a une raison à cela : la complexité est un argument marketing. Elle donne une illusion de valeur, de la maitrise d’un savoir obscure accessible uniquement aux initiés. C’est le principe de l’occultisme et du mysticisme voire de l’astrologie : prétendre que tout est très compliqué et qu’il faut être initié. C’est une arnaque vieille comme le monde.

    Le problème de la complexité, outre son coût et le fait qu’elle entraine une dépendance au fournisseur, un vendor lock-in, est qu’elle force à un simplisme paradoxal. Je m’explique : le problème semble conceptuellement simple. Simpliste même. Et pourtant incroyablement difficile à implémenter, nécessitant des experts pour les détails. La réalité c’est que tout est facile à implémenter dès lors que l’on sait précisément ce qu’on veut faire. Définir ce qu’on veut est incroyablement complexe. C’est se demander « pourquoi ? ». Intuitivement, on rêve tous d’une maison de plain-pied à deux étages. Ou ce groupe de clients qui avaient bossé à cinq pendant plusieurs semaines pour me fournir des specs très précises. Une liste de « requirements ». Qui était incohérent entre eux.

    Que voulons-nous réellement ? Et surtout, pourquoi le voulons-nous ?

    Masquer les choix sous la complexité permet de nier leur existence. De faire croire qu’il n’y a pas de choix. Et de permettre à d’autres de faire des choix. Pourquoi avons-nous eu Java et Javascript ? Car Netscape voulait rendre Microsoft obsolète et devenir calife à la place du calife. Pas pour être utile à l’utilisateur. Cacher les choix fondamentaux permet d’étouffer le citoyen sous un sentiment d’inexorabilité. De le transformer en utilisateur, de lui faire perdre son statut d’acteur de sa propre vie.

    Que voulons-nous faire ? Afficher du texte sur un écran. Pourquoi ?

    Chaque mise à jour, chaque nouveauté n’est que l’assertion d’une autorité arbitraire. On ne rend pas un système plus facile en le simplifiant. On le rend plus facile en le rendant apprenable. Qui d’entre vous sait conduire une voiture manuelle ? C’est pourtant hyper complexe quand on y pense. Et hyper dangereux. Vous risquez votre vie au moindre écart. Pourtant, vous l’avez appris en quelques semaines, quelques mois. Et vous vous améliorez d’année en année.

    L’informatique est compliquée ? Non, elle est insaisissable. Elle change tout le temps. Ça va de la mise à jour prétendument de sécurité qui introduit un nouveau bug à ce fameux nouveau design avec des nouvelles icônes. Dont vous êtes si fier. Pour l’utilisateur, c’est l’obligation de réapprendre, de s’adapter sans aucune raison. J’utilise le service Protonmail pour mes mails et mon calendrier. L’icône du mail était une enveloppe avec le haut en forme de cadenas. Le calendrier était… une page de calendrier. Sur mon téléphone eink en noir et blanc, ça passait nickel. Y’avait qu’une seule couleur de toute façon. Puis est venu un redesign complet. Pour quelle raison ? Aucune idée. Le mail est désormais un rectangle dans un dégradé de mauve avec un creux figurant vaguement une enveloppe. Le calendrier est le même rectangle sans le creux. Sur mon écran eink, c’est icône sont des pâtés sans aucune signification.

    Les utilisateurs ont vite compris ce que les geeks ne voulaient pas admettre : votre vie n’est qu’à un upgrade de devenir merdique. Du coup, le réflexe le plus rationnel est de ne pas faire les mises à jour. Sérieusement, vous connaissez un seul utilisateur qui se dit « Génial ! Un nouveau design pour cette application que j’utilise depuis des années ! » ?

    Comment l’industrie a-t-elle réagi ? En se posant la question de savoir pourquoi l’utilisateur ne fait pas ses mises à jour ? Non, en forçant ces mises à jour. En rendant la vie de l’utilisateur encore plus misérable à travers des culpabilisations. À travers des notifications incessantes. En lui prétendant que c’est pour sa sécurité. Vous savez quoi ? L’utilisateur n’est jamais en danger si son ordinateur n’est que rarement connecté. La plupart des risques sont liés à la complexité imposée à l’utilisateur. Si son navigateur se contentait d’afficher le texte qu’il veut voir, il ne risquerait rien. Il ne serait pas forcé de racheter un nouvel engin à l’empreinte écologique crapuleuse. Sans compter que l’immense majorité des menaces, comme les arnaques, ne peuvent pas être résolues par des mises à jour.

    Ma liseuse fonctionne très bien. Elle n’est jamais en ligne. J’y charge des epubs par USB. L’autre jour, j’ai activé par erreur le wifi. Elle m’a immédiatement annoncé une mise à jour importante. En consultant le changelog détaillé, j’ai découvert que cette mise à jour ajoutait une nouvelle fonctionnalité : des lectures suggérées de la boutique Vivlio sur la page d’accueil. La mise à jour m’aurait donc permis d’avoir… des publicités sur mon engin. Des publicités sur cet écran que je prends avec moi dans mon lit…

    Chaque mise à jour rend la vie de l’utilisateur encore plus misérable dans le seul but de faire bander le responsable marketing qui se paluche devant le nombre de "clics" (encore du texte affiché sur un écran) ou de faire mouiller la responsable du rebranding qui trouve trop super de bosser avec une équipe de designers sous ecstasy.

    Las d’être exploités, certains utilisateurs se réfugient dans la théorie du complot. Vous avez déjà vu 4chan, le site où naissent la plupart de ces théories ? Du pur HTML sans artifice. D’autres, comme moi, se réfugient dans d’obscures niches comme Gemini. L’industrie prétend alors se tourner vers le minimalisme. Comme Medium par exemple ? Vous avez déjà vu le code source d’une page Medium ? Faites-le et vous supprimerez immédiatement votre compte si vous en avez un. C’est ce que j’appelle le "paradoxe Medium" : tout projet minimaliste va soit disparaitre, soit grandir assez pour voir apparaitre une surcouche alternative permettant un accès minimaliste… au service minimaliste (scribe.rip pour Medium, Nitter pour Twitter, Teddit pour Reddit, etc.). D’ailleurs, vous connaissez beaucoup de monde qui surfe sur le web sans différents adblocks ? On est désormais habitué à une couche de complexité qui sert à contourner les couches de complexités que nous avons nous-mêmes implémentées.

    L’industrie du web est une gigantesque pyramide de Ponzi qui tente d’exploiter jusqu’au trognon des utilisateurs contrôlés, humiliés et traités de crétins. Mais le web est devenu trop important. Il est devenu un pilier sociétal. Fuir le bateau n’est pas une option. Nous sommes à un moment crucial pour l’histoire de l’humanité. Et pour sauver l’humanité, il faut sauver le web. Revenir aux fondamentaux. Afficher du texte sur l’écran d’un citoyen.

    Concervoir des systèmes qui s’apprennent. Et donc ne changent pas. Respecter l’humain. Et donc lui donner le texte dont il a besoin sans l’espionner. Sans l’assommer. Bordel, je veux juste commander un hamburger, pas installer votre app moisie.

    L’année passée, je ne suis posé la question pour mon propre blog. Il m’a fallu beaucoup de temps pour arriver à une simple conclusion. Pour répondre à la question « pourquoi ? ». Et la réponse était : pour être lu ! J’ai réécrit tout mon blog sous forme de pages statiques que je génère avec mon propre script Python. C’est très simple en fait lorsqu’on sait ce qu’on veut. La page d’accueil de mon blog, sous Wordpress, faisait presque 1 Mo. Elle fait désormais 5 ko. J’ai retiré toutes les images qui n’aident pas à la lecture. Je pense que les réseaux sociaux sont un obstacle à la lecture. Ils nous déconcentrent, nous manipulent. Du coup, j’ai supprimé tous mes comptes exceptés Mastodon.

    Est-ce que tenter d’augmenter le nombre de followers sur un réseau m’aide à être lu ? Non. Ce nombre n’aide rien. Il est de toute façon faux, fictif. Supprimés les concours de followers. En tout et pour tout, en plus du HTML, j’ai ajouté 40 lignes de CSS. Pas une de plus. Chacune n’a été ajoutée que si elle pouvait aider la lecture de mes écrits sans a priori esthétique.

    On pourrait croire que ça fait un blog un peu rétro, genre brutaliste. Pourtant, dès les premiers jours, j’ai reçu plusieurs demandes pour mon « template ». Y’a 40 lignes de CSS dont la moitié servent juste au menu au-dessus de chaque page !

    Je me suis aussi cassé la tête sur l’idée d’une pagination pour naviguer entre les articles, sur un moteur de recherche. Mais j’affiche désormais simplement la liste de tous mes billets sur une page. Aussi simple que cela. Ne me dites pas que ça ne « scale pas » : y’en a presque 900 ! Le moteur de recherche ? Un simple ctrl+f dans votre navigateur. Encore un truc apprenable qui est ignoré, car la complexité le rend inutilisable sur la plupart des sites « modernes ».

    La conséquence la plus étonnante de tout cela, c’est le nombre de lecteurs qui me contactent à propos d’anciens billets. C’est simple, rapide et ça charge instantanément même sur les mauvaises connexions. Du coup les gens me lisent. C’est tellement inhabituel de ne pas devoir attendre, de ne pas devoir se casser la tête.

    J’ai un très bon laptop et pourtant, sur le web, chaque page met quelques fractions de seconde à s’afficher. À chaque page, mes bloqueurs empêchent des centaines de requêtes, évident des mégaoctets entiers de téléchargement. Et les responsables de cet état de fait sont dans cette salle. Ils l’ont implémenté sans demander « pourquoi ? ».

    Alors je vous le demande. Non plus comme un confrère ingénieur, mais comme un citoyen du web qui en a assez de devoir considérer son propre navigateur comme un territoire hostile. Apprenez à demander « pourquoi ? ». Puis à répondre « non ». Plutôt que de réfléchir sur le prochain framework JavaScript ou l’utilitaire de tracking de statistiques et le surdimensionnement du data center pour héberger un elasticsearch clustérisé à redondance asynchrone dans des containers virtualisés à travers un cloud propriétaire à charge répartie monitoré depuis une app custom nodejs qui achète automatiquement des certificats d’offset CO2 pour obtenir le label de datacenter durable, le tout à travers des transactions byzantines sur une blockchain permissioned qui trade de manière décentralisée sur le marché parallèle.

    Bon, en fait, les blockchains permissioned, c’est une arnaque sémantique. Cela veut juste dire « base de données centralisée ». Les offsets carbone sont une vasque escroquerie. Ce sont les indulgences de notre siècle enrobées d’un capitalisme foncièrement malhonnête (si vous achetez des offsets carbone, vous pouvez arrêter, vous êtes en train d’enrichir des escrocs tout en encourageant un système qui a démontré faire pire que mieux). Et votre application distribuée va de toute façon se casser un jour la gueule le jour où une mise à jour sera faite dans un obscur repository github dont vous ignorez l’existence, entrainant une réaction en chaine démontrant que votre app sans single point of failure n’était pas sans single point of failure que ça finalement.

    Je sais, le client est roi. Il faut payer les factures. À partir d’un certain montant, on obéit. Et à partir d’un autre, on prétend aimer ça : « Oh oui, c’est génial, nous rêvons de développer un showroom virtuel pour vos nouveaux SUVs. Un véritable challenge ! Un peu comme ce système de ciblage publicitaire pour adolescents que nous avons développé pour Philipp Morris, n’est-ce pas Brenda ? »

    L’important n’est pas de devenir parfait ni puriste. Nous sommes tous pleins de contradictions. L’important est d’arrêter de se mentir, de justifier l’injustifiable. De savoir pourquoi on fait les choses. Mettre le nez de vos commanditaires dans leur propre caca en leur posant la question : « pourquoi ? ». Et, sur le web, de revenir à l’essentiel : afficher du texte.

    Cette réflexion m’a amené à écrire avec… une machine mécanique. À publier en utilisant une technologie complètement libre, sans monopole, sans app store et avec une empreinte écologique non négligeable, mais bien moindre que l’informatique : le livre. Un livre qui sera toujours lisible, échangeable, copiable quand toutes les lignes de code que nous avons produit collectivement auront depuis longtemps été oubliées.

    Écrire à la machine et lire des livres papier sont des actes rebelles. Mais j’aime trop l’informatique pour m’en passer. Je veux qu’elle redevienne rebelle. Qu’elle redemande « pourquoi ? ». Je vous demande de m’aider. Je vous confie cette mission : l’informatique doit cesser d’être une religion prônant l’obéissance, la soumission, l’humiliation, la consommation. Elle doit redevenir une science. Un art.

    Une liberté…

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  • Monday 27 March 2023 - 02:00

    Dédicaces à la foire du livre de Bruxelles ce samedi 1ᵉʳ avril

    Ce samedi 1ᵉʳ avril, je dédicacerai mon roman et mon recueil de nouvelles à la foire du livre de Bruxelles.

    Bon, dit comme ça, c’est pas très rigolo comme poisson d’avril, mais là où c’est plus marrant c’est que je serai sur le stand du Livre Suisse (stand 334). Ben oui, un Belge qui fait semblant d’être suisse pour pouvoir dédicacer à Bruxelles, c’est le genre de brol typique de mon pays. Bon, après, je vais sans doute être démasqué quand je sortirai ma tablette de « vrai » chocolat (belge !)

    Y a des blagues, comme disait Coluche, où c’est plus rigolo quand c’est un Suisse…

    Bref, rendez-vous de 13h30 à 15h et de 17h à 18h30 au stand 334 (Livre Suisse) dans la Gare Maritime. C’est toujours un plaisir pour moi de rencontrer des lecteurices qui me suivent parfois depuis des années. Ça va être tout bon !

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  • Tuesday 14 March 2023 - 01:00

    De l’importance de comprendre ce qu’est une licence

    On entend souvent que les programmes informatiques ou les œuvres en ligne sont publiées sous une licence. Qu’est-ce que cela signifie ? Et en quoi est-ce important ?

    Pour simplifier, dans nos sociétés, tout échange se fait suivant un contrat. Ce contrat peut être implicite, mais il existe. Si j’achète une pomme au marché, le contrat implicite est qu’après avoir payé, je reçois ma pomme et je peux en faire ce que je veux.

    Pour les biens matériels dits « rivaux », le contrat de vente implique souvent un transfert de la propriété du bien. Mais il y’a parfois d’autres clauses au contrat. Comme les garanties.

    Là où les choses se corsent, c’est lorsque le bien échangé est dit « non-rival ». C’est-à-dire que le bien peut être copié ou acheté plusieurs fois sans impact pour les acheteurs. Dans le cas qui nous concerne, on parle typiquement d’un logiciel ou d’une œuvre numérique (film, livre, musique …). Il est évident que l’achat numérique ne nous donne aucune propriété sur l’œuvre.

    Il faut signaler que, pendant longtemps, la non-rivalité des biens comme les musiques, les livres ou les films a été camouflée par le fait que le support, lui, était un bien rival. Si j’achète un livre papier, j’en suis propriétaire. Mais je n’ai pas pour autant les droits sur le contenu ! Les supports numériques et Internet ont dissipé cette confusion entre l’œuvre et le support.

    Pour réguler tout cela, l’achat d’une œuvre numérique ou d’un programme informatique est, comme tout achat, soumis à un contrat, contrat qui stipule les droits et les obligations exactes que l’acheteur va recevoir. La licence n’est jamais qu’un contrat type, une sorte de modèle de contrat standard. Ce contrat, et une bonne partie de notre société, se base sur la présupposition que, tout comme un bien rival, un bien non-rival se doit d’avoir un propriétaire. C’est bien entendu arbitraire et je vous invite à questionner ce principe un peu trop souvent admis comme une loi naturelle.

    Il est important de signaler que chaque transaction vient avec son propre contrat. Il est possible de donner des droits à un acheteur et pas à un autre. C’est d’ailleurs ce principe qui permet la pratique de « double licence » (ou dual-licensing).

    Droits et obligations définis par la licence

    Dans notre société, toute œuvre est, par défaut, sous la licence du copyright. C’est-à-dire que l’acheteur ne peut rien faire d’autre que consulter l’œuvre et l’utiliser à des fins personnelles. Tout autre utilisation, partage, modification est bannie par défaut.

    À l’opposé, il existe le domaine public. Les œuvres dans le domaine public ne sont associées à aucun droit particulier : chacun peut les utiliser, modifier et redistribuer à sa guise.

    L’une des escroqueries intellectuelles majeures des absolutistes du copyright est d’avoir réussi à nous faire croire qu’il n’y avait pas d’alternatives entre ces deux extrêmes. Tout comme on est soit propriétaire de la pomme, soit on n’en est pas propriétaire, la fiction veut qu’on soit soit propriétaire d’une œuvre (détenteur du copyright), soit rien du tout, juste bon à regarder. C’est bien entendu faux.

    Si la licence est un mur d’obligations auxquelles doit se soumettre l’acheteur, il est possible de n’en prendre que certaines briques. Par exemple, on peut donner tous les droits à l’utilisateur sauf celui de s’approprier la paternité d’une œuvre. Les licences BSD, MIT ou Creative Commons By, par exemple, requièrent de citer l’auteur original. Mais on peut toujours modifier et redistribuer.

    La licence CC By-ND, elle, oblige à citer l’auteur, mais ne permet pas de modifications. On peut redistribuer une telle œuvre.

    Un point important c’est que lorsqu’on redistribue une œuvre existante, on peut modifier la licence, mais seulement si on rajoute des contraintes, des briques. J’ai donc le droit de prendre une œuvre sous licence CC By, de la modifier puis de la redistribuer sous CC By-ND. Par contre, je ne peux évidemment pas retirer des briques et faire l’inverse. Dans toute redistribution, la nouvelle licence doit être soit équivalente, soit plus restrictive.

    Le problème de cette approche, c’est que tout va finir par se restreindre vu qu’on ne peut que restreindre les droits des utilisateurs ! C’est d’ailleurs ce qui se passe dans des grandes entreprises comme Google, Facebook ou Apple qui utilisent des milliers de programmes open source gratuits et les transforment en programmes propriétaires. Un véritable pillage du patrimoine open source !

    Le copyleft ou interdiction de rajouter des briques

    C’est là que l’idée de Richard Stallman tient du génie : en inventant la licence GPL, Richard Stallman a en effet inventé la brique « interdiction de rajouter d’autres briques ». Vous pouvez modifier et redistribuer un logiciel sous licence GPL. Mais la modification doit être également sous GPL.

    C’est également l’idée de la clause Share-Alike des Creative Commons. Une œuvre publiée sous licence CC By-SA (comme le sont mes livres aux éditions PVH) peut être modifiée, redistribuée et même revendue. À condition d’être toujours sous une licence CC By-SA ou équivalente.

    Par ironie, on désigne par « copyleft » les licences qui empêchent de rajouter des briques et donc de privatiser des ressources. Elles ont souvent été présentées comme « contaminantes » voire comme des « cancers » par Microsoft, Apple, Google ou Facebook. Ces entreprises se présentent désormais comme des grands défenseurs de l’open source. Mais elles luttent de toutes leurs forces contre le copyleft et contre l’adoption de ces licences dans le monde de l’open source. L’idée est de prétendre aux développeurs open source que si leur logiciel peut être privatisé, alors elles, grands princes, pourront l’utiliser et, éventuellement, très éventuellement, engager le développeur ou lui payer quelques cacahouètes.

    La réalité est bien sûr aussi évidente qu’elle en a l’air : tant qu’elles peuvent ajouter des briques privatrices aux licences, ces monopoles peuvent continuer l’exploitation du bien commun que représentent les logiciels open source. Elles peuvent bénéficier d’une impressionnante quantité de travail gratuit ou très bon marché.

    Le fait que ces monopoles morbides puissent continuer cette exploitation et soient même acclamés par les développeurs exploités illustre l’importance fondamentale de comprendre ce qu’est réellement une licence et des implications du choix d’une licence plutôt qu’une autre.

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  • Thursday 09 March 2023 - 01:00

    Losing Signal

    Warning to my friends : Until further notice, consider I’m not receiving your Signal messages.

    Signal, the messaging system, published a blog post on how we were all different and they were trying to adapt to those differences. Signal was for everyone, told the title. Ironically, that very same day, I’ve lost access to my signal account. We are all different, they said. Except myself.

    What is this difference? I’m not sure but it seems that not having a standard Android phone with Google Play services play a huge part.

    How I lost access

    I’m using an Hisense A5 Android phone. This is one of the very rare phones on the market with an eink screen. While this is not recommended for most users, I like my eink phone: I only need to charge it weekly, it’s not distracting, I don’t want to use it most of the time. I feel that coloured screens are very aggressive and stressful.

    The Hisense A5 comes with proprietary crapware in Chinese and without Google Play Services. That’s fine for me. I don’t want Google services anyway and I’m happy with installing what I need from Aurora store and F-Droid. For the last three years, it worked for me (with some quirks, of course). Signal worked fine except for notifications that were sometimes delayed. I considered that as a feature: my phone is in do not disturb all the time, I don’t want to be interrupted.

    On March 7th, I made a backup of my Signal messages and removed the application temporarily as I wanted to quickly try some open source alternatives (signal-foss and molly). Those didn’t work, so I reinstalled Signal and asked to restore the backup.

    Signal asked for my phone number, warned me that I had no Google Play Services then re-asked for my number then re-warned me. Then asked me to prove that I was a human by solving a captcha.

    I hate captcha. I consider the premises of captcha completely broken, stupid and an insult to all the people with disabilities. But those were the worst I had ever seen. I was asked to look on microscopic blurry pictures, obviously generated by AI, and to select only "fast cars" or "cows in their natural habitat" or "t-shirt for dogs" or "people playing soccer".

    Now, I’ve a question for you. Is a car looking like an old Saab fast enough? While a cow on the beach is probably not in its natural habitat, what about a cow between two trees? What if the t-shirts are not "for" dogs but with dogs on them. And what if the drawing on the t-shirt is a mix between a dog and a cat? What if there’s a player holding a golf club but hitting a soccer ball? Even with a colour screen, I’m not sure I could answer those. So imagine on an eink one…

    Signal is for everyone but you need to answer those idiocy first. It should be noted that I have a very good eyesight. I cannot imagine those with even minor disabilities.

    Of course I did try to solve the captcha. But, after each try, I was sent back to the "enter your phone number" step, followed by "no Google services warning" then… "too many attempts for this number, please wait for four hours before retrying".

    I have no idea if my answers were bad or if there’s a bug where the captcha assumes Google Play Services. I’ve tried with the APK official version and the Google Play Store version (through Aurora), they all fail similarly. In three days, I’ve managed twice to pass the captcha and receive an SMS with a confirmation code. But, both times, the code was rejected, which is incomprehensible. Also, I learned that I could only read the code from the notification because opening the SMS app reinitialised Signal to the "enter your number" step, before the captcha.

    Centralisation is about rejection of differences

    What is interesting with corporatish marketing blog posts is how they usually say the exact opposite of what they mean. Signal blog post about differences is exactly that. They acknowledge the fact that there’s no way a single centralised authority could account for all the differences in the world. Then proceed to say they will do.

    There’s only one way for a centralised service to become universal: impose your vision as a new universal standard. Create a new norm and threat every divergence as a dangerous dissidence. That’s what Facebook and Google did, on purpose. Pretending to embrace differences is only a way to reject the differences you don’t explicitly agree.

    Interestingly, Signal is only realising now that they have no choice but do the same. At first, Signal was only a niche. A centralised niche is not a real problem because, by definition, your users share a common background. You adapt to them. But as soon as you outgrew your initial niche, you are forced to become the villain you fought earlier.

    Moxie Marlinspike, Signal’s founder, is a brilliant cryptographer. Because he was a cryptographer, he did what he found interesting. He completely rejected any idea of federation/decentralisation because it was not interesting for him. Because he thought he could solve the problems of world with cryptography only ("when you have a hammer…").

    He now must face that his decision has led to a situation where the world-freeing tool he built is publishing facebookish blog post about "differences" while locking out users who do not comply with his norm.

    Like Larry Page and Serguei Brin before him, Moxie Marlinspike built the oppression tool he was initially trying to fight (we have to credit Bill Gates, Steve Jobs and Mark Zuckerberg for being creepy psycho craving for power and money since the beginning. At least, they didn’t betray anything and kept following their own ideals).

    That’s the reason why email is still the only universal Internet communication tool. Why, despites its hurdles, federation is a thing. Because there is no way to understand let alone accept all variations. There’s a world of difference between Gmail interface and Neomutt. Yet, one allows you to communicate with someone using the other. Centralisation is, by its very definition, finding the minority and telling them "you don’t count". "Follow the norms we impose or disappear!"

    It is really about Google’s services after all…

    One problem I have with my Hisense A5 is that my banking application doesn’t work on it, expecting Google Play Services.

    To solve that issue, I keep in a drawer an old Android phone without sim card, with a cracked screen, a faulty charging port and a bad battery. When the bills-to-pay stack grows too much, I plug that phone in the charger, fiddle with it until the phone start, launch the banking app, pay the bills, put that phone back in the drawer.

    After fiddling for two days with Signal on my eink phone, I decided to try on that old phone. I installed Signal, asked to connect to my account. There was no captcha, no hassle. I immediately received the SMS with the code (on the Hisense eink phone) and could connect to my Signal account (losing all my history as I didn’t transfer the backup).

    At least, that will allow me to answer my contact that they should not contact me on Signal anymore. UPDATE: signal account was unexpectedly disconnected, telling me signal was used on another phone.

    Signal automatically trusted a phone without sim card because it was somewhat connected to Google. But cannot trust a phone where it has been installed for the last three years and which is connected to the related phone number. Signal vision of the world can thus be summarised as: "We fight for your privacy as long as you agree to be spied on by Google."

    Centralisation is about losing hope

    One thing I’ve learned about centralised Internet services is that you can abandon all hopes of being helped.

    There’s no way Signal support could help me or answer me. The problem is deep into their belief, into the model of the world they maintain. They want to promote differences as long as those differences are split between Apple and Google. They probably have no power to make an exception for an account. They could only tell me that "my phone is not supported". To solve my problem, they should probably reconsider how the whole application is built.

    Technically, this specific problem is new. Three years ago, I had no problem installing Signal on my phone and no captcha to solve. But once you sign up for a centralised service, you are tied for all the future problems. That’s the deal. I was similarly locked out from my Whatsapp account because I didn’t accept a new contract then forgot to open the app for several months (I was disconnected at the time ).

    That’s what I like so much about federated protocols (email, fediverse). I can choose a provider where I know I will have someone in front of me in case I have a problem. Either because I’m a customer paying the expensive tiers for quick support (Protonmail) or because I trust the philosophy and donate appropriately (my Mastodon server is hosted by La Quadrature du Net, I trust that team). I also know that I can easily migrate to another provider as soon as I want (considering mailbox.org instead of protonmail).

    As a chat tool, Signal is better than many other. But it’s centralised. And, sooner or later, a centralised service faces you with a choice: either you comply with a rule you don’t agree, either you lose everything.

    With every centralised service, the question is not if it will ever happen. The question is "when".

    Either you conform to the norm, either you are too different to have your existence acknowledges.

    That’s also why I’ve always fought for the right to differences, why I’ve always been utterly frightened by "normalisation". Because I know nobody is immune. Think about it: I’m a white male, cis-gendered, married with children, with a good education, a good situation and no trauma, no disability. I’m mostly playing life with the "easy" setting.

    I’m sure lots of reaction to this post will be about how I made mistakes by "trying signal-foss" or by "using a completely weird and non-standard phone".

    That’s exactly the point I’m trying to prove.

    I’ve suddenly been excluded from all the conversations with my friends because I very slightly but unacceptably deviated from the norm.

    Because, three years ago, I thought having a black and white screen on my own phone was more comfortable for my eyes.

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  • Friday 03 March 2023 - 01:00

    About Bluesky and Decentralisation

    Jack Dorsey, Twitter co-founder, is trying to launch Bluesky, a "decentralised Twitter" and people are wondering how it compares to Mastodon.

    I remember when Jack started to speak about "project bluesky" on Twitter, years ago. ActivityPub was a lot more niche and he ignored any message related to it. It definitely looked like a NIH syndrome as he could, at least, have started to discuss ActivityPub pros and cons. I was myself heavily invested in decentralised protocols (from blockchain to ActivityPub). It was my job to keep an eye on everything decentralised and really tried to understand what BlueSky was about.

    My feeling was, in the end, clear: Jack Dorsey wanted a "decentralised protocol" on which he had full power (aka "VC-style decentralisation" or "permissioned-blockchains").

    You have to keep in mind that those successful in the Silicon Valley know only one kind of thinking: raise money, get users, sell off. They can’t grasp decentralisation other than as a nice marketing term to add to their product (and, as Ripple demonstrated during the Cryptobubble, they are completely right when it comes to making tons of money with shitty tech which pretends to be decentralised while not being it at all).

    To my knowledge, acknowledgement of ActivityPub existence by BlueSky came very late after the huge Mastodon burst caused by Elon Musk buying Twitter from Jack Dorsey. It’s more a "oh shit, we are not the first" kind of reaction.

    But even without that history, it’s important to note that you don’t simply design a decentralised protocol behind closed doors then expect everybody to adopt it. You need to be transparent, to discuss in the open. People need to know who is in charge and why. They also need to know every single decision. Decentralisation cannot be done without being perfectly free and open source. That’s the very point of it.

    If we don’t want to consider the hypothesis that "bluesky decentralisation" is simply cynical marketing fluff, I think we can safely assume that Jack Dorsey has hit his mental glass ceiling. He doesn’t get decentralisation. He doesn’t have the mental model to get it. He will probably never get it (he became a billionaire by "not getting it" so there’s no reason for him to change). The whole project is simply a billionaire throwing money at a few developers telling him what he expects to hear in order to get pay. A very-rich-man’s hobby.

    There’s no need to analyse the protocol or make guess about the future. It’s a closed source beta application with invite-only membership. It is not decentralised. It cannot be decentralised.

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  • Wednesday 22 February 2023 - 01:00

    We need to talk about your Github addiction

    Listen my fellow geeks in code, we need to have a serious conversation about Github.

    At first, Github was only a convenient way to host a git repository and to collaborate with others. But, as always with monopolies, once you are trapped by convenience and the network effect, the shitification process starts to try to get as much money and data from you.

    First of all, let’s remember that Github is a fully proprietary service. Using it to host the development of a free software makes no sense if you value freedom. It is not like we don’t have many alternatives available (sourcehut, codeberg, gitlab, etc). It should be noted that those alternatives usually offer a better workflow and a better git integration than Github. They usually make more sense but, I agree, it might be hard to change ten years of suboptimal habits imposed by the github workflow.

    One thing that always annoyed me with Github is the "fun factor". Emojis appearing automatically in messages I’m trying to post, intrusive notifications about badges and followers I earned. Annoying, to say the least. (Am I the only one using ":" in a sentence without willing to make an emoji?)

    But I discovered that Github is now pushing it even more in that direction: a feed full of random projects and people I don’t care about, notifications to get me to "discover" new projects and "follow" new persons. They don’t even try to pretend to be a professional platform anymore. It’s a pure attention-grabbing personal data extorting social networks. To add insult to injury, we now know that everything published on Github is mostly there to serve as training data for Microsoft AI engines.

    Developers are now raw meat encouraged to get stars, followers and commit counters, doing the most stupid things in the most appealing way to get… visibility! Yeah! Engagement! Followers! Audience!

    Good code is written when people are focused, thinking hard about a problem while having the time to grasp the big picture. Modern Github seems to be purposely built as a tool to avoid people thinking about what they do and discourage them from writing anything but a new JavaScript framework.

    There’s no way I can morally keep an account on Github. I’ve migrated all of my own projects to Sourcehut (where I’ve a paid account) or to my university self-hosted gitlab.

    But there are so many projects I care about still on Github. So many important free software. So many small projects where I might send an occasional bug report or even a patch. For the anecdote, on at least two different occasions, I didn’t send a patch I crafted for small projects because I didn’t know how to send it by mail and was not in the mood to deal with the Github workflow at that particular time.

    By keeping your project on Github, you are encouraging new developers to sign up there, to create their own project there. Most importantly, you support the idea that all geeks/developers are somehow on Github, that it is a badge of pride to be there.

    If you care about only one of software freedom, privacy, focus, sane market without monopoly or if you simply believe we don’t need even more bullshit in our lives, you should move your projects out of Github and advocate a similar migration to projects you care about. Thanks to git decentralisation, you could even provide an alternative/backup while keeping github for a while.

    If you don’t have any idea where to go, that should be a red light in your brain about monopoly abuses. If you are a professional developer and using anything other than Github seems hard, it should be a triple red light warning.

    And I’m not saying that because grumpy-old-beard-me wants to escape those instagramesque emojis. Well, not only that but, indeed, I don’t wanna know the next innovative engagement-fostering feature. Thanks.

    The best time to leave Github was before it was acquired by Microsoft. The second-best time is now. Sooner or later, you will be forced out of Github like we, oldies, were forced out of Sourceforge. Better leaving while you are free to do it on your own terms…

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  • Monday 20 February 2023 - 01:00

    Une boucle d’inspiration

    Parodie d’une expérience biologique improbable, les tasses s’empilaient dans un coin du bureau, chacune contenant un sachet de thé ayant atteint un degré différent de décomposition, de moisissure.

    D’une gorgée sèche, l’auteur aspira le restant de la tasse encore tiède qu’il tenait à la main avant de l’empiler machinalement sur les cadavres de ses prédécesseuses. Nerveusement, il jouait avec une mèche de sa barbe, tentant d’ignorer l’écran de son ordinateur sur lequel clignotaient des messages.

    « Rappel : on a besoin du texte de ta nouvelle pour aujourd’hui »

    « Urgent : nouvelle aujourd’hui chez imprimeur »

    « Urgent : appel téléphonique maintenant ? »

    Il se retourna avec sa chaise de bureau et regarda par la fenêtre. Le fil était donc cassé ? Lui qui, depuis l’adolescence, croyait disposer d’un vivier infini d’histoires était pour la première fois de sa vie paralysé par la page blanche. Il n’y arrivait plus.

    Un léger grattement se fit entendre à la porte. Il grogna.

    — Quoi ?

    — Tu n’irais pas prendre un peu l’air mon chéri ? Tu as une mine épouvantable.

    — Je travaille, je dois terminer cette nouvelle.

    — Et ça avance ?

    Il détourna son regard en haussant les épaules

    — Je suis juste calé sur le dernier passage. J’ai bientôt fini.

    Elle n’insista pas et se retira en fermant la porte. L’auteur regarda sa montre. Pour remplir son obligation, il devait désormais produire une page par quart d’heure. Dans peu de temps, ce serait une page toutes les dix minutes.

    Il y a à peine une grosse semaine, il se sentait à l’aise avec l’échéance. « Une page par jour, c’est faisable ! » avait-il pensé.

    Mais rien. Le vide. Il avait passé ces dernières semaines obnubilé par les œuvres produites par des algorithmes, jouant avec les demandes, partageant et admirant les résultats les plus absurdes sur les réseaux sociaux.

    Il avait d’ailleurs fait le vœu de ne jamais s’aider de tels outils. Après tout, il était écrivain. Il était un artisan fier de son travail.

    Par contre, il pourrait… Mais oui !

    Lançant son navigateur, il se rendit sur la page de son générateur d’images préféré et se mit à taper.

    « Je suis écrivain de science-fiction. Voici en lien mon recueil de nouvelles précédent. Génère l’illustration d’une de mes nouvelles inédites. »

    Il attendit quelques secondes.

    Une image s’afficha. Celle d’un homme au visage passablement banal assis devant un laptop. Il tenait une tasse de thé et, en y prêtant attention, sa main droite avait au moins sept doigts. Son dos était légèrement tordu selon une courbe peu réaliste. L’écran de l’ordinateur était étrangement pentagonal.

    L’auteur soupira. Ce n’est pas ce qu’il avait espéré. Son téléphone sonna. Il le mit en mode avion. Sa femme vint frapper à la porte de son bureau.

    — C’est ton éditeur qui demande pourquoi tu ne réponds pas, dit-elle en tenant son propre téléphone contre son oreille.

    — Dis-lui que je le rappelle dans une heure !

    Elle transmit puis, masquant le haut-parleur.

    — Il te donne une demi-heure.

    — D’accord !

    Une demi-heure. Trois minutes par page. Lui qui s’estimait productif lorsqu’il écrivait une page complète par jour.

    Il soupira. Il s’était juré de ne pas… Non ! Ce n’était pas possible ! Mais il n’avait pas le choix.

    Nouvel onglet dans le navigateur. Ses doigts tremblants se mirent à taper sur son clavier. L’adresse du site s’auto-compléta un peu trop facilement, comme lorsqu’un barman vous appelle par votre prénom et vous demande « comme d’habitude ? » avec l’objectif d’être sympathique mais ne faisant que souligner la trop grande fréquence avec laquelle vous fréquentez son établissement.

    — Génère-moi une nouvelle inédite dans le genre de celle de mon recueil principal.

    — Bonjour. Je suis un assistant AI. Il s’agit d’une requête explicite de création artistique. Je suis disposé à générer cette nouvelle mais celle-ci sera alors soumise au droit d’auteur et mes créateurs devront être notifiés. Dois-je continuer ?

    — Non.

    L’auteur se mit à réfléchir. Il glissa-déposa l’image précédemment générée vers la page du navigateur.

    — Sur cette image, un écrivain est en train de taper une nouvelle.

    — Oui, c’est à cela que ressemble l’image. C’est une belle image.

    — C’est une nouvelle de science-fiction.

    — D’accord, j’aime la science-fiction.

    — J’aimerais que tu me donnes le texte de la nouvelle que cet écrivain est en train d’écrire.

    La page mit quelques secondes à se charger puis les mots commencèrent à apparaitre à l’écran.

    « Parodie d’une expérience biologique improbable, les tasses s’empilaient dans un coin du bureau, chacune contenant un sachet de thé ayant atteint un degré différent de décomposition, de moisissure. D’une gorgée sèche, l’auteur aspira le restant de la tasse encore tiède qu’il tenait à la main avant de l’empiler machinalement sur les cadavres de ses prédécesseuses. Nerveusement, il jouait avec une mèche de sa barbe, tentant d’ignorer l’écran de son ordinateur sur lequel clignotaient des messages. »

    Cette nouvelle nouvelle étant nouvelle, elle ne fait donc pas partie de mon premier recueil « Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur » qui est désormais disponible dans toutes les bonnes librairies. S’il se vend bien, mon éditeur me demandera certainement un second recueil dans lequel celle-ci pourra se glisser. Vous voyez certainement où je veux en venir… Autant faire un clin d’œil à une chauve-souris aveugle !

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

  • Thursday 16 February 2023 - 01:00

    Chez mon libraire…

    Mon recueil de nouvelles « Stagiaire au spatioport Omega 3000 et autres joyeusetés que nous réserve le futur » est désormais, tout comme mon roman « Printeurs », disponible dans toutes les bonnes librairies de France, Suisse et Belgique.

    Certains d’entre vous en ont d’ailleurs été témoins et m’ont très sympathiquement envoyé, par mail ou sur Mastodon, des photos de mes livres sur les présentoirs de leurs dealers préférés. Une initiative qui m’a fait incroyablement plaisir ! À tel point que je vous invite à continuer et, pourquoi pas, à le faire pour d’autres auteurs que vous aimez bien en les mentionnant et en ajoutant le hashtag #chezmonlibraire.

    L’importance du libraire

    Beaucoup d’entre nous, et surtout moi, se sont laissés attirés par les sirènes du tout-en-ligne, de la dématérialisation des services. Certains parmi vous ont tenté dès le début de tirer la sonnette d’alarme. Force est de constater qu’ils avaient amplement raison : c’était un leurre ! Maintenant que nous sommes prisonniers du tout puissant monopole d’Amazon, les livreurs sont soumis à des cadences infernales tandis que la qualité de nos bibliothèques tend à diminuer dangereusement. Loin de nous recommander, les algorithmes nous poussent essentiellement aux achats inutiles, s’appuyant sur d’autres algorithmes écrivant des recommandations factices. Le tout pour nous faire acquérir des livres qui sont, de plus en plus, écrits par des algorithmes.

    C’est le phénomène de merdification, indispensable aux néomonopoles : après avoir attiré les utilisateurs en finançant des services à perte grâce à l’argent des investisseurs, il est temps de passer à la caisse et de rentabiliser en pourrissant autant que possible la vie des utilisateurs prisonniers.

    Sur Amazon, cela passe par recommander les produits qui vont rapporter le plus de sous à Amazon. Notamment les livres autoédités souvent générés artificiellement.

    L’idée est simple : lorsqu’un sujet est subitement à la mode, par exemple les blockchains, demander à un algorithme de rédiger un livre sur le sujet et le publier directement Amazon en utilisant les capacités de "print on demand". Le livre ne sera imprimé que lorsqu’il sera effectivement commandé. Après l’ère des fake-news, voici venu celui des fake-books. Notons qu’il n’a pas fallu attendre des algorithmes pour écrire ce genre de livres : des éditeurs peu scrupuleux ont, de tout temps, su tirer parti de la misère des écrivains pour leur faire rédiger à moindre prix des livres au titre alléchant, mais vides de contenu.

    Devant le foisonnement, l’abondance des informations, une nouvelle ère s’ouvre à nous : l’ère du filtre. Nous avons besoin de construire des filtres qui nous préservent de l’agression informationnelle et sensorielle permanente.

    Ces filtres existent. Ils sont humains.

    Pour les livres, on les appelle les libraires ou les bibliothécaires.

    Pour une personne très sensible comme moi, allergique aux centres commerciaux, les librairies et les bouquineries sont des oasis de calme et de bonheur au milieu des villes. J’aime bien fouiller, écouter les conseils. Mon portefeuille apprécie moins, mais, dans ces occasions, il n’a plus voix au chapitre.

    Moi qui ne supporte pas la plupart des musiques populaires crachées par les enceintes connectées dans les parcs, les rues ou par les radios dans les magasins, je me ressource dans le silence des papiers froissés. Et, allez comprendre, lorsqu’une bouquinerie diffuse de la musique, c’est toujours de la bonne, de l’excellente musique !

    Pour soutenir ce blog, allez chez votre libraire !

    Ma ville a vu disparaitre coup sur coup deux bouquineries (remplacées par un commerce d’alimentation et un vendeur de sacs à main) et sa librairie principale. Cette perte m’a fait comprendre l’importance et la fragilité des petits commerces du livre (j’ai d’ailleurs dit à ma femme que le jour où Slumberland, mon fournisseur de bédés, ferme, on déménage ailleurs).

    Si vous voulez soutenir ce blog, soutenir mon travail, je vous demande une chose : commandez, dans la mesure de vos moyens, mon livre dans une librairie, si possible indépendante.

    Non seulement vous soutiendrez mon travail, mais vous soutiendrez également votre libraire et vous risquez de découvrir des livres imprévus. Ce faisant, vous attirerez l’attention du libraire sur mes livres ce qui lui permettra de potentiellement les recommander à d’autres.

    Pour moi, soutenir son cerveau, les penseurs et créateurs se fait #chezmonlibraire.

    Et lorsque ce n’est pas possible, je vous invite à préférer les librairies en ligne indépendantes.

    La piste cachée

    Je comprends parfaitement celles et ceux qui préfèrent la version électronique. C’est mon médium de choix pour les romans rapides comme Printeurs. Le livre papier reste cependant un bel objet à offrir.

    Et puis, ce n’est pas que je veuille attiser votre curiosité, mais les acheteurs du livre papier de « Stagiaire au spatioport… » (oui, même moi je trouve ce titre trop long à taper) bénéficieront d’une surprise ! Car, à ma connaissance et s’il faut en croire Wikipédia, le livre serait le premier à disposer d’un morceau caché !

    Je rassure les lecteurs électroniques : le morceau caché y est également présent. Il n’est juste pas caché, c’est moins rigolo.

    PS: L’image d’illustration m’a été envoyée sympathiquement par un lecteur depuis la librairie de son quartier. Si vous m’avez envoyé ce genre de photos sur Mastodon, pourriez-vous les reposter avec le tag #chezmonlibraire ? Je découvre qu’il est impossible de retrouver des messages dans Mastodon si on ne les a pas bookmarkés…

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  • Wednesday 15 February 2023 - 01:00

    Modern AI and the end of privacy

    When you think about it, the gigacorps currently developing consumer-facing AI chatbots are also the same companies which are spying the most heavily on our private life.

    Well, it’s obvious because every single company is now trying to spy on you as much as it can and gathering so much data that they can’t even handle it (no later than last week, I have asked to be removed from some shop databases, received a reply telling me that everything was erased yet I’m still receiving daily spam from them). Companies have so many data, duplicated in many backups, they don’t even know what to do with it.

    And those data, sooner or later, will be used to train AI. In fact, they already were for years: look no further than reply suggestions from Gmail.

    The first consequence is that AI chatbot will quickly start to argue with you, insult you or, why not, send you dick pics. Those are, after all, a huge part of written human communications.

    But the terrifying part is probably that there’s no way to prevent leaks. Anybody using a trained chatbot will quickly find ways to ask if Alice and Bob were exchanging emails and what it was about. If Eve was sick or not.

    Worst of all, most of it will probably be hallucinations: false data invented by the AI itself. But a few clickbait stories with real information leakage will be enough to cast a doubt that any answer by an AI "might be true".

    Despite many warnings, we have offered total control of our lives to a few monopolies. Even if you were careful enough, public data about you are probably enough to "sounds mostly true". Most of your emails ended in a Gmail or Outlook inbox even if you don’t use those services yourself.

    In my latest book, the short story "Le jour où la transparence se fit" is about the brutal and sudden disappearance of privacy. I’m glad the book is now in stores because, in a few months, it will probably not sound like science fiction any more…

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  • Saturday 11 February 2023 - 01:00

    On Humans and Machines

    In the ultimate form of marketing-capitalism, companies try to transform human workers into replaceable working machines and ask them to produce machines that should sound like they are humans.

    To achieve that, they build machines that learn from humans.

    While humans believe that, in order to gain success, they need to act like machines acting like humans. That’s because the success is defined by some counters created by the machines. The machines, themselves, are now learning from machines that act like humans instead of learning from humans.

    So, in the end, we have humans acting like "machines learning from machines acting like humans" built by humans actings like machines.

    That’s make "being human" really confusing. Hopefully I don’t need to think about what "being a machine" means.

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  • Monday 23 January 2023 - 01:00

    Libérons la culture pour cultiver la liberté

    Cette conférence a été donnée le 19 novembre 2022 à Toulouse dans le cadre du Capitole du Libre.
    Le texte est ma base de travail et ne reprend pas les nombreuses improvisations et disgressions inhérentes à chaque One Ploum Show.
    Attention ! Cette conréfence n’est pas une conréfence sur le cyclimse. Merci de votre compréhension.

    Qui d’entre vous a compris cette référence à « La classe américaine » ? Ça me fait plaisir d’être là. Je suis content de vous voir. On va manger des chips. Quoi ? C’est tout ce que ça vous fait quand je vous dis qu’on va manger des chips ?

    Sérieusement, je suis très content d’être là parmi vous. Je me sens dans mon élément. J’ai fréquenté le monde de l’industrie, celui des startups, de l’académique et même un peu de la finance. Mais il n’y a que parmi les libristes que je me sens chez moi. Parce que nous partageons la même culture. Parce que nous sommes d’accord sur le fait que Vim est bien meilleur qu’Emacs. (non, pas les tomates !)

    La culture c’est ça : des références qui font qu’on se comprend, qu’on exprime une certaine complicité. Un des moments forts de mon mariage a été de montrer « La cité de la peur » à mon épouse. Elle n’a pas adoré le film. Bof. Mais nous avons étendu notre vocabulaire commun.

    — J’ai faim ! J’ai faim ! J’ai faim !

    — On peut se tutoyer ? T’es lourd !

    ("oui, mais j’ai quand même faim" répond quelqu’un du public)

    La culture, c’est ça : une extension du vocabulaire. Il y’a des programmeurs dans la salle ? Et bien la langue, comme le français en ce moment, correspond au langage de programmation. La culture correspond aux bibliothèques. Langage et bibliothèque. La bibliothèque est la culture. Les mots sont magnifiques !

    Pour s’exprimer, pour communiquer, pour être en relation bref pour être humain, la culture est indispensable. Lorsque deux cultures sont trop différentes, il est facile de considérer l’autre comme inhumain, comme un ennemi. La culture et le partage de celle-ci sont ce qui nous rend humains.

    La culture est pourtant en danger. Elle est menacée, pourchassée, interdite. Remplacée par un succédané standardisé.

    Étendre sa culture, c’est augmenter son vocabulaire, affiner sa compréhension du monde. La culture sert de support à la manière de voir le monde. Prêter un livre qu’on aime est un acte d’amour, d’intimité. C’est littéralement se mettre à nu et dire : « J’aimerais que nous ayons une compréhension mutuelle plus profonde ». C’est magnifique !

    Mais combien de temps cela sera-t-il légal ? Ou même techniquement possible ? Une fois l’auteur mort, son œuvre disparait pendant 70 ans, car, pour l’immense majorité d’entre eux, il n’est pas rentable de les réimprimer et de payer les droits aux descendants. Nous tuons donc la culture avec l’auteur.

    La transmission est pourtant indispensable. La culture se nourrit, évolue et se transforme grâce aux interactions, aux échanges. Or les interactions sont désormais surveillées, monétisées, espionnées. Du coup, elles sont fausses, truquées, inhumaines. Les comptes Twitter et LinkedIn sont majoritairement des faux. Les likes Facebook s’achètent à la pelle. Les visites sur votre site web sont des bots. Les contenus Tiktok et YouTube sont de plus en plus générés automatiquement. Les nouvelles dans les grands médias ? Des journalistes sous-payés (non, encore moins que ça) qui sont en compétition avec des algorithmes pour voir le contenu qui rapportera le plus de clics. Les rédactions sont désormais équipées d’écrans affichant en temps réel les clics sur chaque contenu. Le job des journalistes ? Optimiser cela. Même le code Open Source est désormais généré grâce à Github Copilot. Ces algorithmes se nourrissent de contenu pour en générer de nouveaux. Vous la voyez la boucle ? Le « while True » ?

    Pendant des millénaires, notre cerveau était plus rapide que les moyens de communication. Nous apprenions, nous réfléchissions. Pour la première fois dans l’histoire de l’information, notre cerveau est désormais le goulot d’étranglement. C’est lui l’élément le plus lent de la chaîne ! Il ne peut plus tout absorber. Il se gave et s’étouffe !

    Lorsque nous sommes en ligne, nous alimentons cet énorme monstre qui se nourrit de nos données, de notre attention, de notre temps, de nos clics. Nous sommes littéralement la chair exploitée du film Matrix. Sauf que dans Matrix, les corps sont nourris, logés dans leur cocon alors que nous bossons et payons pour avoir le droit d’être exploités par cette gigantesque fabrique d’attache-trombones.

    Vous connaissez l’histoire de la fabrique d’attache-trombones ? C’est un concept inventé par le chercheur Nick Bostrom dans un papier intitulé « Ethical Issues in Advanced Artificial Intelligence ». Le concept est que si vous créez une intelligence artificielle en lui demandant de fabriquer le plus possible d’attache-trombones le plus rapidement possible, cette intelligence artificielle va rapidement s’arranger pour éliminer les humains qui pourraient la ralentir avant de transformer la planète entière en une montagne d’attache-trombones, ne gardant des ressources que pour coloniser d’autres planètes afin de les transformer en attache-trombones.

    Dans une conférence de 2018, l’auteur de science-fiction Charlie Stross a montré qu’il n’était pas nécessaire d’attendre des intelligences artificielles très avancées pour voir se poser le problème. Qu’une entreprise est, par essence, une fabrique d’attache-trombones : une entité dont le seul et unique objectif est de générer de l’argent, quitte à détruire ses créateurs, l’humanité et la planète dans la foulée.

    Le concept est parfaitement illustré par cette magnifique scène dans « Les raisins de la colère » de John Steinbeck où un fermier s’en prend à un représentant de la banque qui l’exproprie de son terrain. Il veut aller tuer le responsable de son expropriation. Le banquier lui dit alors : « La banque a une volonté à laquelle nous devons obéir même si nous sommes tous opposés à ses actions ». Bref, une fabrique d’attache-trombones.

    La fabrique d’attache-trombones nous fait dépenser, devenir des zombies. Vous avez déjà vu un zombie ? Moi oui. Quand je fais aller la sonnette de mon vélo face à des gens qui tendent un téléphone au bout de leur bras. Ils sont dans un monde virtuel. Ils ont même délégué leur sens auditif à Apple avec ces écouteurs qui ne se retirent plus et qui ont la faculté de transmettre le son réel dans l’oreille. En mettant Apple comme intermédiaire. Comme dans Matrix, les gens vivent dans un monde virtuel. Ça a juste commencé par l’audition au lieu des gros casques devant les yeux comme on l’imaginait.

    Pour nous échapper de la fabrique, pour ne pas être transformés en attache-trombones, nous devons créer, entretenir et occuper des espaces réservés aux humains. Pas des algorithmes. Pas des entreprises. Des humains. Et posez-moi ce smartphone qui vous fait littéralement perdre 20 points de QI. Ce n’est pas une blague : quand on dit que les entreprises se nourrissent de notre temps de cerveau, c’est littéral. On perd littéralement l’équivalent de 20 points de QI par le simple fait d’avoir un téléphone à proximité. Le simple son d’une notification distrait autant un conducteur que de ne pas regarder la route pendant une dizaine de secondes. Ces engins nous rendent cons et nous tuent ! Ce n’est pas une image.

    Vous avez remarqué comme la déshumanisation du travail nous force de plus en plus à agir comme des automates, comme des algorithmes ? Métropolis, de Fritz Lang, et les Temps Modernes, de Charlie Chaplin, dénonçait l’industrialisation qui transformait nos corps en outils au service de la machine. 100 ans plus tard, c’est exactement pareil avec les cerveaux. On les transforme pour les mettre au service des algorithmes. Algorithmes qui, eux, prétendent se faire passer pour des humains. Nous sommes en train de fusionner l’homme et la machine d’une manière qui n’est pas belle à voir.

    Ce qui fait l’humain, c’est sa diversité, sa différence d’un individu à l’autre, mais aussi d’un moment à l’autre. Quel est le connard qui pense sérieusement que comme t’as envoyé un jour un mail à une entreprise, cinq ans plus tard tu souhaites être spammé tous les jours avec leur newsletter ? Je n’invente rien, ça m’est arrivé récemment. L’humain évolue et la culture humaine doit être diverse. Comme la nourriture. Qui pense que manger tous les jours au macdo au point d’en vomir est une bonne idée ? Alors pourquoi accepte-t-on de le faire pour notre cerveau ?

    L’archétype de l’industrialisation et de l’uniformisation de la culture est pour moi représenté par les superhéros. On réduit la culture à un combat entre exégètes Marvel ou DC. Ce n’est pas anodin. Vous avez déjà réfléchi à ce que représente un superhéros ? C’est littéralement un milliardaire avec des superpouvoirs innés. Il est supérieur au peuple. Il est également son seul espoir. Il est parfois injustement mal compris, car il est bon, même quand il dézingue toute une ville et ses habitants. Ce sont juste des dommages collatéraux. Le peuple a juste le droit de la fermer. C’est littéralement l’image du monde qu’ont les milliardaires d’eux-mêmes. À titre de comparaison, dans les années 90, la mode était aux films catastrophes. La terre était en danger et les humains normaux (on insistait sur la normalité, sur le fait que leur couple allait mal, qu’ils étaient blancs ou bien Will Smith) s’associaient pour accomplir des actions héroïques et sauver la terre d’un ennemi figurant la pollution. Les héros de Jurassique Park? Des gamins normaux et des scientifiques un peu dépassés. Aujourd’hui, l’humain normal a juste le droit de fermer sa gueule et d’attendre qu’un milliardaire vienne le protéger. Sans milliardaire, l’humain normal est forcé de se battre contre les autres normaux, car les milliardaires nous ont appris que la collaboration était morte ces 20 dernières années. Ils nous ont enseigné à voir tout humain comme un ennemi, un concurrent potentiel et à tenter d’accaparer ce qu’on peut avant une destruction finale. C’est ce qu’on appelle le survivalisme.

    Cette vision du monde, nous la devons à la monopolisation de la culture. À la monoculture. Mais il y’a pire ! La culture indépendante est devenue illégale, immorale. Les gens s’excusent de pirater, de partager. À cause d’une des plus grosses arnaques intellectuelles : la propriété intellectuelle. Un concept fourre-tout assez nouveau dans lequel on balance brevets, secrets commerciaux, copyrights, trademarks…

    L’intellect est un bien non-rival. Si je partage une idée, cela donne deux idées. Ou 300. Au plus on la partage, au plus la culture croît. Empêcher le partage, c’est tuer la culture. Les fabriques d’attache-trombones ont même réussi à convaincre certains artistes que leurs fans étaient leurs ennemis ! Qu’empêcher la diffusion de la culture était une bonne chose. Que le fait qu’ils crèvent de misère n’était pas dû aux monopoles, mais au fait que les fans se partagent leurs œuvres. Spotify reverse aux artistes un dixième de centime par écoute, mais les pirates seraient responsables de l’appauvrissement des artistes. Pour toucher l’équivalent de ce qu’il touchait avec une vente de CD, vous devez écouter chaque chanson de l’album un millier de fois sur Spotify !

    Le libre a tenté de répliquer avec les licences. GPL, Creative Commons. Mais nous sommes trop gentils. Fuck les licences ! Partagez la culture ! Diffusez-la ! Si vous le faites de bon cœur, partagez entre êtres humains. Boycottez Amazon et tentez de découvrir autour de vous des artistes locaux, indépendants. Partagez-les. Diffusez-les. Écrivez des critiques, filmez des parodies. Vous connaissez JCFrog et ses vidéos ? Et bien c’est exactement ça la culture humaine. C’est magnifique. C’est génial.

    Ne dites plus « Je veux juste me vider la tête avec une série débile ». On ne se vide pas la tête. On la remplit. Avec de la merde industrielle ou du bio local artisanal, au choix. Faites des références. L’autre jour, j’ai vu sur Mastodon quelqu’un parler de son trajet dans le métro à Paris : « J’ai l’impression d’être dans Printeurs ! ». C’est le plus beau compliment qu’on puisse à un auteur. Merci à cette personne !

    Dans Printeurs, tout est publicité. Ce n’est pas un hasard. Vous avez vu comme tout ressemble à une publicité désormais ? Comme le moindre film, le moindre clip vidéo en adopte les codes ? Comme chaque vidéo YouTube n’a plus qu’un objectif : vous faire vous abonner. Fabriquer des attache-trombones.

    La culture bio et libre n’est pas une culture de seconde zone. Elle n’est juste pas standard. Et c’est tout son intérêt.

    Pour exister, la culture libre a besoin de plateformes libres. Les plateformes propriétaires ont été conçues par le marketing pour le marketing. Pour vendre des cigarettes et de l’alcool à des gamins de 10 ans (c’est la définition du marketing. C’est juste leur métier de prétendre qu’ils font autre chose. Comme disait Bill Hicks, si vous travaillez dans le marketing, « please kill yourself »). Une fois qu’on fume, le marketing cherche à nous prétendre que c’est notre liberté et nous faire oublier que nous polluons afin que nous perdions encore plus de libertés et que nous polluions encore plus. Comme l’alcoolique boit pour oublier qu’il est alcoolique, nous consommons pour oublier que nous consommons. Le simple fait d’être sur une plateforme marketing nous force donc à faire du marketing. Du personal branding. De l’engagment. Des KPI. Promouvoir la culture libre sur Facebook, c’est comme aller manifester pour le climat en SUV. Oui, mais j’ai un vélo électrique dans le coffre, je suis écolo ! Oui, mais Facebook, Insta, c’est là que tout le monde est ! Non, c’est là que sont certains. Mais c’est sûr que sur Facebook, on ne trouve que des gens qui sont… sur Facebook. Il y’a des milliards de gens qui n’y sont pas, pour des raisons très diverses. La manière la plus simple et la plus convaincante de lutter contre ces plateformes est de tout simplement ne pas y être.

    Les plateformes libres existent. Comme un simple blog. Mais elles ont besoin de choses à raconter, d’histoires. Le mot « libre » à lui tout seul raconte une histoire. Une histoire qui peut faire peur, être inconfortable. Alors on a essayé de dépolitiser le libre, de l’appeler « open source », de le dépouiller de son histoire. Le résultat, il est dans votre poche. Un téléphone Android tourne sur un Linux open-source. Pourtant, c’est le pire instrument de privation de liberté. Il vous espionne, vous inonde de publicités, vous prive de tout contrôle. RMS avait raison : en renommant le libre « open source », nous avons fait une croix sur la liberté.

    La leçon est que la technologie ne peut pas être neutre. Elle est politique par excellence. Se priver de raconter des histoires pour ne pas être politique, c’est laisser la place aux autres histoires, à la publicité. C’est prétendre, comme le disaient Tatcher et Reagan, qu’il n’y a pas d’alternative. Je le disais, mais je gardais moi-même mon compte Facebook. Cela me semblait indispensable. J’ai eu du mal à le supprimer, à me priver de ce que je croyais être un outil incontournable. À la seconde où le compte a été supprimé, le voile s’est levé. Il m’est apparu évident que c’était le contraire. Que pour exister en tant que créateur, il était indispensable de supprimer mon compte.

    J’avais beau dire que je ne l’utilisais pas, le simple fait de savoir qu’il y’avait plusieurs milliers de followers liés à mon nom me donnait une illusion de succès. Mes posts avaient beau ne pas avoir d’impact (ou très rarement), je les écrivais pour Facebook ou pour Twitter. Je me suis un jour surpris sous la douche à réfléchir en tweets. Je me suis séché et j’ai effacé mon compte Twitter, effrayé. Je ne faisais que produire des attache-trombones en vous encourageant à faire de même. Ma simple présence sur un réseau permettait à d’autres d’y justifier la leur. Leur présence justifiant la mienne… J’étais plongé dans les écrits de Jaron Lanier et Cal Newport lorsque j’ai réalisé qu’aucun des deux n’avait la moindre présence sur un réseau social propriétaire. Je les lis, j’admire leur pensée. Ils existent. Ils ne sont pas sur les réseaux sociaux. Ce fut une grande inspiration pour moi…

    Il faut casser le « pas le choix » ou « TINA (There’Is No Alternative) ». Il y’a 8 milliards d’alternatives. Nous les créons tous les jours, ensemble. Notre rôle n’est pas d’aller convaincre le monde entier de passer à autre chose, mais de créer des multitudes de cocons de culture humaine, d’être prêts à accueillir ceux qui sont dégoutés de leur macdo quotidien, ceux qui, à leur rythme, se lassent d’être exploités et soumis à des algorithmes publicitaires. Il suffit de voir ce qui se passe entre Twitter et Mastodon.

    Ces plateformes libres, cette culture libre, il n’y a que nous qui pouvons les préparer, les développer, les faire exister, les partager.

    À ceux qui disent que la priorité est la lutter contre le réchauffement climatique, je réponds que la priorité est à la création de plateformes, techniques et intellectuelles, permettant la lutte contre le réchauffement climatique. On ne peut pas être écolo dans un monde financé par la publicité. Il faut penser des alternatives, les inventer. Créer des histoires pour sauver la planète. Une nouvelle forme de culture. Une permaculture !

    Mon outil à moi, c’est ma machine à écrire. Elle me libère. Je l’appelle ma « machine à penser ». À vous d’inventer vos propres outils. (oui, même Emacs…) Des outils indispensables pour inventer et partager votre nouvelle culture, ce mélange de code et d’histoires à raconter qui peut sauver l’humanité avant que nous soyons tous transformés en attache-trombones !

    Merci !

    Et don’t forget to subscribe to my channel.

    D’ailleurs, je profite de cette conférence contre la publicité pour faire de la publicité pour mon nouveau livre. Est-ce de la culture libre ? Elle est déjà libre sur libgen.io. Mais pas que ! Car mon éditeur a annoncé que toute la collection Ludomire (dans laquelle sont publiés mes livres) passera en 2023 sous licence CC By-SA.

    Photo : David Revoy, Ploum, Pouhiou et Gee dédicaçant lors du Capitole du Libre à Toulouse le 19 novembre 2022.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

  • Wednesday 07 December 2022 - 01:00

    Comment j’ai été mis en vente sur le Web… à mon insu !

    Dans ce billet, je vous explique comment j’ai découvert qu’une société de marketing propose mes services, mettant en avant une version fantaisiste de ma biographie, sans que j’en aie été informé.

    Mon recueil de nouvelles « Stagiaire au spatioport Oméga 3000 » s’ouvre sur la génération d’un auteur artificiel adapté à vos goûts selon vos données personnelles collectées.

    Lorsque j’ai écrit cette introduction, j’étais persuadé que j’allais me faire rattraper un jour ou l’autre par la réalité. Je n’imaginais pas que ce serait avant même que le livre soit disponible dans les librairies !

    Et pour cause…

    La découverte d’un conférencier homonyme

    Après avoir publié un billet sur l’invasion des contenus générés par des AI, j’allais faire directement l’expérience de devenir un conférencier généré automatiquement !

    Testant mon nouveau site, quelle ne fut pas ma surprise de trouver sur la première page Google de la recherche « Lionel Dricot » un profil à mon nom sur un site dont je n’avais jamais entendu parler.

    Capture d’écran d’une recherche Google pour « Lionel Dricot »

    Capture d’écran d’une recherche Google pour « Lionel Dricot »

    Un profil décrivant ma biographie avec moult détails, reprenant des photos et vidéos de diverses conférences. J’étais intrigué. Sur Mastodon, un lecteur me signala que le site était chez lui le premier résultat Bing pour une recherche sur mon patronyme .

    Capture d’écran d’une recherche Bing pour « Lionel Dricot »

    Capture d’écran d’une recherche Bing pour « Lionel Dricot »

    Un site étrange, à l’apparence très professionnelle et qui se présente comme une entreprise de « Celebrity Marketing ». Le simple fait que je sois sur un site de Celebrity Marketing a fait pouffer mon épouse. Elle a d’ailleurs remarqué que l’entreprise tire son nom de Simone Veil et Nelson Mandela. Utiliser Simone Veil et Nelson Mandela pour faire du « Celebrity Marketing », ça pose le niveau ! Ah ouais quand même…

    Mon profil sur le site incriminé

    Mon profil sur le site incriminé

    Petite précision : je ne ferai pas de lien vers ce site, car c’est explicitement interdit dans leurs conditions d’utilisation.

    Conditions d’utilisation du site S&N interdisant de faire un lien vers le site

    Conditions d’utilisation du site S&N interdisant de faire un lien vers le site

    Pratiquement, que fait cette société ? C’est très simple : elle met en contact des entreprises à la recherche de conférenciers et des conférenciers. C’est un service assez courant, j’ai même été en contact il y a quelques années avec une agence de ce genre. Souvent, ces agences signent un contrat d’exclusivité : le conférencier est obligé de passer par l’agence pour toutes les conférences qu’il donne. En échange, l’agence lui trouve des conférences, fait sa promotion, le place voir lui trouve un remplaçant en cas de forfait (j’ai moi-même effectué ce genre de remplacements).

    Sauf que dans le cas présent, je n’ai signé aucun contrat, je n’ai pas donné mon accord ni même été vaguement informé ! Le site donne l’impression que, pour me contacter, il faut absolument passer par eux. Nous ne sommes plus dans la bêtise, mais dans la malhonnêteté caractérisée.

    Formulaire pour me contacter… via le site S&N !

    Formulaire pour me contacter… via le site S&N !

    Où je découvre des facettes ignorées de ma propre vie

    La lecture de ma biographie est particulièrement intéressante, car, à première vue, elle est tout à fait crédible. Une personne peu informée n’y trouverait, à première vue, pas grand-chose à redire à part quelques fautes d’orthographe (mon roman s’appelle « Printeurs », à la française, pas « Printer » et j’ai du mal à imaginer qu’il puisse être perçu comme un message d’espoir ! La scène du nouveau-né dans le vide-ordure n’était pas assez explicite ?)

    Mais une lecture attentive relève des aberrations. Ces aberrations ont toutes une explication pour peu qu’on se mette à creuser. Ainsi j’aurais écrit une nouvelle intitulée « Voulez-vous installer Linux mademoiselle ? ». Comme l’a découvert un lecteur, cette phrase est extraite d’une de mes nouvelles intitulées « Les non-humains », publiée sur Linuxfr et Framasoft.

    J’ai également appris également que je suis cofondateur d’Ubuntu. Excusez du peu ! C’est bien entendu faux. Je suis co-auteur du premier livre publié sur Ubuntu, ce qui est très différent. Certaines phrases semblent également sorties de leur contexte (pourquoi insister sur l’obésité et la malnutrition ?) Enfin, le tout se termine par le sublime :

    Lors de ses conférences, Ploum nous prédit un monde plus sain et doux.

    Le ton général et les références font fortement penser à un texte généré artificiellement. Du type : « Donne-moi une biographie de Lionel Dricot », le tout en anglais suivi d’une traduction automatique. Il est possible que ce soit ce qu’on appelle un « mechanical turk », un travailleur sous-payé à qui on demande un travail que pourrait faire une IA (très fréquent dans les chats de support). Mais cela aurait dû au moins lui prendre une heure et j’ai du mal à imaginer qu’on paye une heure de travail pour pondre ma biographie.

    Que le texte soit ou non généré par une IA, cela ne change rien. Il pourrait très bien l’être et est représentatif de ce que produisent et produiront toujours les IAs : quelque chose qui a l’air correct, mais est constellé de fautes difficilement détectables pour un non-spécialiste (j’ai la chance d’être le plus grand spécialiste vivant de ma propre biographie).

    Comment réagir ?

    À ce stade, je pourrais tout simplement envoyer un mail et exiger le retrait de la page, l’histoire en resterait là. J’ai alerté une connaissance qui est également sur ce site.

    Mais ce serait trop facile. L’existence de ce profil pose plusieurs problèmes.

    Premièrement en se mettant en intermédiaire entre moi et des clients potentiels sans mon accord et en donnant l’impression que je suis affilié à cette entreprise. Cela pourrait sérieusement nuire à mon image ou à mon business (si j’avais l’une ou l’autre).

    Mais l’existence de ce genre de profil peut tordre la réalité de manière encore plus insidieuse. Admettons qu’un wikipédien, affilié ou nom à cette entreprise, se serve de ces infos pour créer une fiche Wikipédia à mon nom. Cela semble parfaitement légitime vu que cette page semble avoir été faite avec mon accord. Cette info pourrait être reprise ailleurs. Soudainement, je deviendrais l’auteur d’une nouvelle que je n’ai jamais écrite. De nombreux libristes informés s’affronteront pour savoir si je suis oui ou non cofondateur d’Ubuntu. Déjà que je suis devenu un écrivain français sur Babelio !

    En envoyant un simple mail pour demander le retrait de cette page, je légitime cette pratique business et me prépare à devoir surveiller en permanence le web pour faire retirer les profils générés sans mon accord.

    Attaquer en justice une société dans un pays qui n’est pas le mien (car Babelio se plante, pour info) ? Ô joies administratives en perspectives ! (si vous êtes juriste spécialisé et intéressé, contactez-moi)

    Ou alors il me reste la solution de lutter avec mes armes à moi. De faire le ploum et de vous raconter cette histoire de la manière la plus transparente possible. Afin de vous mettre en garde sur le fait que tout ce que vous lisez sur le web est désormais un gloubi-glouba qui a l’air sérieux, qui a l’air correct, mais qui ne l’est pas. Toutes les plateformes sont impactées. Tous les résultats des moteurs de recherche.

    En rendant cette histoire publique, je sais que la société va réagir avec « ouin-ouin je suis une entrepreneuse-je-ne-pensais-pas-à-mal-je-le-ferai-plus » ou alors « c’est-le-stagiaire-qui-a-fait-une-erreur-on-le-surveillera-mieux » voir « on-a-fait-ce-profil-avec-nos-petites-mains-parcec-qu’on-admire-votre-travail-on-penserait-que-vous-seriez-flatté ». Bref d’odieux mensonges hypocrites. C’est la base du métier du marketing : mentir pour pourrir la vie des autres (et détruire la planète).

    Et si la malhonnêteté ne vous est pas encore flagrante, apprenez que la société se targue de posséder la propriété intellectuelle des textes et photos sur son site. Je pense que le photographe du TEDx Louvain-la-Neuve serait ravi de l’apprendre… La plupart de ces images de moi ne sont même pas sous licence libre !

    Conditions d’utilisation du site S&N stipulant la propriété intellectuelle des contenus

    Conditions d’utilisation du site S&N stipulant la propriété intellectuelle des contenus

    Le futur du web…

    Si cela n’était pas encore clair, je suis désormais la preuve vivante que tout ce que pond le marketing est du mensonge. Ce qui est juste ne l’est que par hasard. Et tout ce qui nous tombe sous les yeux est désormais du marketing. Pour sortir de ce merdier, il va falloir trouver des solutions (Bill Hicks en proposait une très convaincante…).

    Nous allons devoir reconstruire des cercles de confiance. Oublier nos formations à reconnaître les « fake news » et considérer toute information comme étant fausse par défaut. Identifier les personnes en qui nous avons confiance et vérifier qu’un texte signé avec leur nom est bien de leur plume. Ce n’est pas parce qu’il y’a un cadenas vert ou une marque bleue à côté du pseudo que l’on peut faire confiance. C’est même peut-être le contraire…

    Bref, bienvenue dans un web de merde !

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.

  • Monday 05 December 2022 - 01:00

    Drowning in AI Generated Garbage : the silent war we are fighting

    All over the web, we are witnessing very spectacular results from statistic algorithms that have been in the work for the last forty years. We gave those algorithms an incredibly catchy name: "Artificial Intelligence". We now have very popular and direct applications for them: give the algorithm a simple text prompt (don’t get me started on the importance of text) and it generates a beautiful original picture or a very serious-sounding text. It could also generate sounds or videos (we call them "deep fakes"). After all, it generates only a stream of bits, a bunch of 1 and 0 open to interpretation.

    All of this has been made possible because billions of humans were uploading and sharing texts and pictures on the commons we call "the Internet" (and more specifically the web, a common more endangered every day because of the greediness of monopolies). People upload their creation. Or creations from others. After all, does "owning" a text or a picture has any meaning anywhere except in the twisted minds of corrupted lawyers?

    What we are witnessing is thus not "artificial creativity" but a simple "statistical mean of everything uploaded by humans on the internet which fits certain criteria". It looks nice. It looks fantastic.

    While they are exciting because they are new, those creations are basically random statistical noise tailored to be liked. Facebook created algorithms to show us the content that will engage us the most. Algorithms are able to create out of nowhere this very engaging content. That’s exactly why you are finding the results fascinating. Those are pictures and text that have the maximal probability of fascinating us. They are designed that way.

    But one thing is happening really fast.

    Those "artificial" creations are also uploaded on the Internet. Those artificial artefacts are now part of the statistical data.

    Do you see where it leads?

    The algorithms are already feeding themselves on their own data. And, as any graduate student will tell you, training on your own results is usually a bad idea. You end sooner or later with pure overfitted inbred garbage. Eating your own shit is never healthy in the long run.

    Twitter and Facebook are good examples of such algorithmic trash. The problem is that they managed to become too powerful and influential before we realised it was trash.

    From now on, we have to treat anything we see on the Internet as potential AI garbage. The picture gallery from an artist? The very cool sounding answer on Stackoverflow? This article in the newspaper? This short viral video? This book on Amazon? They are all potential AI garbage.

    Fascinating garbage but garbage nonetheless.

    The robot invasion started 15 years ago, mostly unnoticed. We were expecting killing robots, we didn’t realise we were drowned in AI generated garbage. We will never fight laser wearing Terminators. Instead, we have to outsmart algorithms which are making us dumb enough to fight one against the other.

    Time to enter into resistance, to fight back by being and acting like decent human beings. Disconnect. Go outside. Start human discussions. Refuse to take for granted "what was posted on the Internet". Meet. Touch. Smell. Build local businesses. Flee from monopolies. Refuse to quickly share and like things on your little brainwired screen. Stop calling a follower number "you community" and join small online human communities. Think.

    How to recognise true human communities free of algorithmics interferences?

    I don’t know. I don’t even know if there are any left. That’s frightening. But as long as we can pull the plug, we can resist. Disconnect!

    As a writer and an engineer, I like to explore how technology impacts society. You can subscribe by email or by rss. I value privacy and never share your adress.

    If you read French, you can support me by buying/sharing/reading my books and subscribing to my newsletter in French or RSS. I also develop Free Software.

  • Sunday 04 December 2022 - 01:00

    La fin d’un blog et la dernière version de ploum.net

    Avertissement : Ce billet est une rétrospective technique des 18 années de ce blog. Il contient des termes informatiques et traite de la manière dont j’ai développé du code pour créer les pages que vous lisez. N’hésitez pas à passer les paragraphes qui contiennent trop de jargon.

    La naissance d’un blog

    Je suis un précurseur visionnaire.

    En 2004, sur les conseils de mon ami Bertrand qui avait constaté que j’écrivais de longues tartines éparpillées aux quatre coins du web, je finis par ouvrir un blog. J’étais au départ réticent, affirmant qu’un blog n’était qu’un site web comme un autre, que la mode passerait vite. Tout comme le podcast n’était jamais qu’un fichier MP3, que la mode passerait tout autant. J’avais tenu un discours similaire en 97, affirmant que le web n’était que du texte affiché à l’écran, que la mode passerait. Juste avant de créer mon premier site. Un véritable précurseur visionnaire vous dis-je.

    Inspiré par le Standblog de Tristan Nitot (que je lisais et lis toujours), j’installai le logiciel Dotclear sur le serveur de deux amis et me mis à bloguer. Pour ne plus jamais arrêter. Que Bertrand, Tristan, Anthony, Fabien et Valérie (qui nomma mon blog "Where is Ploum?") soient ici mille fois remerciés.

    En 2010, n’arrivant pas à trouver un thème Dotclear 2 qui me satisfasse, je décidai de migrer temporairement vers Wordpress (et non pas vers J2EE). Plateforme sur laquelle je suis resté depuis.

    La vie avec Wordpress n’est pas de tout repos : mises à jour fréquentes, incompatibilités avec certains plug-ins, évolutions de plug-ins et de thèmes, certains devenant payants, messages d’alertes pour des versions PHP ou MySQL dépassées. Sans compter des pléthores de versions d’un fichier htaccess à ne surtout pas toucher sous peine de tout casser, des sauvegardes de bases de données à faire et oubliées dans un coin.

    Cherchant un minimalisme numérique, Wordpress ne me convenait plus du tout. Il ne correspondait plus non à ma philosophie. Malgré quelques tentatives, je n’avais pas réussi à retirer tout le JavaScript ni certaines fontes hébergées par Google sans casser mon thème. En 2018, je me suis activement mis à chercher une alternative.

    À cette époque, j’ai rencontré Matt, le fondateur de Write.as. J’ai contribué au projet afin de le rendre open source (ce que Matt fera sous le nom WriteFreely). Nous avons tenté de l’adapter à mes besoins. Besoins que je décrivais dans un long document évolutif. En parallèle, je testais tous les générateurs de sites statiques, les trouvant complexes, n’arrivant pas à faire exactement ce que je voulais.

    Je prétendais chercher du minimalisme et je reproduisais, sans le vouloir, le syndrome du project manager J2EE dont je m’étais moqué.

    Découvrant le protocole Gemini, je me suis rendu compte que c’était bel et bien ce genre de minimalisme auquel j’aspirais. J’en étais convaincu : mon Ploum.net nouvelle génération devrait également être sur Gemini.

    Mais loin de m’aider, cette certitude ne faisait qu’ajouter une fonctionnalité à la liste déjà longue de ce que je voulais pour mon blog. Je me perdais dans une quête d’un workflow idéal.

    Après quelques mois, abandonnant l’idée de mettre mon blog sur Gemini, je me décidai à ouvrir un Gemlog sur rawtext.club. Pour tester. Que cmccabe soit ici publiquement remercié.

    J’écrivais tous mes fichiers à la main dans Vim, je les envoyai ensuite sur le serveur distant depuis mon terminal. Le tout sans le moindre automatisme. J’y prenais énormément de plaisir. Alors que je pensais juste tester la technologie, je me suis naturellement retrouvé à écrire sur mon Gemlog, à réfléchir, à partager. Je retrouvais la naïveté initiale de mon blog, la spontanéité.

    Au fil des mois, j’introduisis néanmoins certaines automatisations. Sauvegardes et envoi vers le serveur grâce à git. Un petit script pour générer la page d’index. Les billets sur mon gemlog connaissaient un certain succès et certains les partageaient sur le web grâce à un proxy gemini−>web. Un comble !

    Et c’est à ce moment-là que je compris que mon blog ne serait jamais sur Gemini. Ce serait le contraire ! J’allais mettre mon gemlog sur le web. Et importer près de 800 billets Wordpress dans mon Gemlog. Plus de 800.000 mots écrits en 18 années de blog. L’équivalent de 15 livres de la taille de Printeurs.

    Lire avant tout

    Depuis mon premier Dotclear, je jouais avec les thèmes, les plug-ins, les artifices, les commentaires. Je ne m’étais jamais vraiment posé la question de ce que j’attendais de mon blog.

    Mon blog est, depuis ces années, un fil de vie, un élément essentiel de mon identité. Mon blog me reflète, je suis qui je suis grâce à mon blog. Il est une partie de mon intimité, de mon essence.

    Qu’ai-je envie de faire de ma vie ? Écrire ! Mon blog doit donc me faciliter le fait d’écrire et son pendant indissociable : être lu !

    Être lu ne signifie pas être découvert, avoir des fans, des likes ou des abonnés. Être lu signifie que chaque personne arrivant sur un article sera considérée comme une lectrice et respectée comme telle. Pas d’engagement, de métriques, d’invitation à découvrir d’autres articles. Une lectrice a le droit de lire dans les meilleures conditions et de passer ensuite à autre chose.

    Au travail !

    Pour la première fois, le chemin me semblait enfin clair. Je n’allais pas tenter de trouver le logiciel parfait pour faire ce que je voulais. Je n’allais pas planifier, tester, connecter des solutions différentes en écumant le web. J’allais tout faire à la main, tout seul comme un grand. Si j’arrivais à convertir mon blog Wordpress en fichiers gmi (le format Gemini), il ne me restait qu’à écrire une petite routine pour convertir le tout en HTML.

    Un adage chez les programmeurs dit que tout programme complexe nait parce que le programmeur pensait sincèrement que c’était facile. Mon script ne fait pas exception à la règle. Il m’aura fallu plusieurs mois pour peaufiner et arriver à un résultat acceptable. Devant me passer du service Mailpoet intégré à Wordpress (service dont la licence m’était fournie par un sympathique lecteur, qu’il soit ici remercié), je du me résoudre à écrire ma propre gestion d’email pour pouvoir l’intégrer à un service open source. Ce fut la partie la plus difficile (probablement parce qu’en toute honnêteté, cela ne m’intéresse pas du tout). Si vous voulez recevoir les billets par mail, il existe désormais deux mailing-listes (si vous avez reçu ce billet par mail, vous êtes inscrit à la première FR mais pas à celle en anglais EN, je vous laisse vous inscrire si vous le souhaitez) :

    J’avoue être assez fier du résultat. Chaque billet que vous lisez est désormais un simple fichier texte que j’écris et corrige avant de publier en l’insérant dans le répertoire FR ou EN selon la langue. À partir de là, le tout est envoyé par git sur le service sourcehut et un script publish.py transforme mon texte en une page gmi, une page hmtl ou un email. À l’exception des éventuelles images, chaque page est complètement indépendante et ne fait appel à aucune ressource externe. Même les 40 lignes de CSS (pas une de plus) sont incluses. Cela permet des pages légères, rapides à charger même sur une mauvaise connexion, compatibles avec absolument toutes les plateformes même les plus anciennes, des pages que vous pouvez sauver, imprimer, envoyer sans craindre de perdre des informations. Bref, des véritables pages web, un concept devenu absurdement rare.

    La signification du minimalisme

    En codant ce site, il m’est apparu que le minimalisme impliquait de faire des sacrifices. D’abandonner certains besoins. La raison pour laquelle je n’avais jamais été satisfait jusqu’à présent était mon incapacité à abandonner ce que je pensais essentiel.

    Les tags aident-ils la lecture ? Non, ils ont donc disparu. Les séries ? J’étais convaincu d’en avoir besoin. J’ai commencé à les implémenter, mais je n’ai pas été convaincu et j’ai mis ce travail de côté. La recherche intégrée ? La fonctionnalité est certes utile, mais son bénéfice ne couvre pas le coût de sa complexité. J’ai dû me faire violence pour l’abandonner, mais, une fois convaincu, quel soulagement !

    Pour remplacer la recherche, je dispose de deux armes : la première est que la liste de tous mes billets est désormais disponible sur une simple page. Si vous connaissez un mot du titre du billet que vous recherchez, vous le trouverez avec un simple Ctrl+f dans votre navigateur.

    Pour la recherche plus profonde sur le contenu, mes billets étant désormais de simples fichiers texte sur mon disque dur, la commande "grep" me convient parfaitement. Et elle fonctionne même lorsque je suis déconnecté.

    Car l’aspect déconnecté est primordial. Ma déconnexion dans la première moitié de 2022 m’a fait prendre conscience à quel point mon blog Wordpress n’était plus en phase avec moi. Je ne pouvais plus le consulter simplement, je ne pouvais plus y poster sans passer du temps en ligne.

    Mes lecteurs les plus techniques peuvent également me consulter offline avec un simple "git clone/git pull".

    La dernière version ?

    Le titre de ce billet est volontairement racoleur (et si vous êtes arrivé jusqu’ici, c’est que ça fonctionne), mais, oui, ce billet annonce bel et bien la fin de mon blog sur le web tel qu’il a été durant 18 ans.

    Désormais, vous ne lirez plus que mon Gemlog. Gemlog dans lequel j’ai importé le contenu de mon ancien blog. Cette approche Gemini-first implique des contraintes assez fortes, notamment celle de n’avoir qu’un lien par ligne (ce qui rend certains de mes anciens billets truffés de liens assez particuliers à lire, je le reconnais).

    J’ai cependant pris grand soin de faire en sorte que les anciennes URLs fonctionnent toujours. "Cool URLs never change". Si ce n’est pas le cas, signalez-le-moi !

    Une autre particularité de ce projet dont je suis fier est que tout mon blog ne dépend désormais plus que de deux briques logicielles : git et python, des composants fondamentaux sur lesquels je peux espérer me baser jusqu’à la fin de ma vie. Le tout étant rédigé dans Vim et corrigé par le couple Antidote/Grammalecte (le point le plus fragile de mon système).

    Ce qui me fait dire que ce site est peut-être bel et bien la dernière version de ploum.net. Après Dotclear et Wordpress, je ne dépends désormais plus de personne. Plus de mises à jour imposées, plus de changements soudains d’interface, plus d’adaptation à des nouvelles versions (à part un éventuel python 4 qui ne devrait pas poser de problème vu que je n’utilise à dessein aucune bibliothèque externe). J’évolue à mon rythme et en faisant exactement ce qui me plait, sans dépendre d’une communauté ou d’un fournisseur.

    Aurais-je été plus efficace avec un générateur de site web existant ? Peut-être. Je n’en suis pas convaincu. J’aurais dû l’apprendre et me plier à ses contraintes arbitraires. Pour ensuite tenter de l’adapter à mes besoins. Même si cela avait été plus rapide sur le court terme, il aurait été nécessaire de me plier aux nouvelles versions, d’espérer qu’il soit maintenu, de m’intégrer dans la communauté et j’aurais forcément fini par migrer vers une autre solution un moment ou un autre.

    La philosophie du code

    Pour la première fois, mon blog exprime donc avec son code des valeurs que je tente de mettre par écrit : la simplicité volontaire est difficile, mais libère autant l’auteur que les lecteurs. Elle implique une vision tournée vers un long terme qui se compte en décennies. L’indépendance se conquiert en apprenant à maitriser des outils de base plutôt qu’en tentant d’adopter la dernière mode.

    En apportant les dernières touches au code qui génère ce qui n’est pour vous qu’une page parmi tant d’autres, j’ai eu l’impression d’avoir réduit la distance qui nous séparait. Les intermédiaires entre mon clavier et votre intelligence ont été réduits au strict nécessaire. Plutôt que des connexions à des interfaces impliquant des copier-coller, des chargements de librairies JavaScript, j’écris désormais dans un simple fichier texte.

    Fichier texte qui s’affiche ensuite dans vos mails, votre lecteur RSS ou votre nagivateur.

    Cela parait trivial, simple. C’est pourtant l’essence du web. Une essence qui est malheureusement beaucoup trop rare.

    Merci de me lire, de me partager (pour certain·e·s depuis des années), de partager mon intimité. Merci pour vos réactions, vos suggestions et votre soutien. J’espère que cette version vous plaira.

    Bonnes lectures et bons partages !

    PS: Si vous relisez régulièrement certains anciens articles (plusieurs personnes m’ont confié le faire), n’hésitez pas à vérifier que tout est OK et me signaler tout problème éventuel. Comme tout logiciel, le travail n’est jamais terminé. La version Wordpress restera disponible sur le domaine ploum.eu pour quelques mois.

    Ingénieur et écrivain, j’explore l’impact des technologies sur l’humain. Abonnez-vous à mes écrits en français par mail ou par rss. Pour mes écrits en anglais, abonnez-vous à la newsletter anglophone ou au flux RSS complet. Votre adresse n’est jamais partagée et effacée au désabonnement.

    Pour me soutenir, achetez mes livres (si possible chez votre libraire) ! Je viens justement de publier un recueil de nouvelles qui devrait vous faire rire et réfléchir.